Débat

Réponse de Bernard Juillerat[Notice]

  • Bernard Juillerat

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  • Bernard Juillerat
    Laboratoire d’anthropologie sociale
    Collège de France
    52 rue du Cardinal Lemoine
    75005 Paris
    France

Dans son compte rendu de mon livre Penser l’imaginaire, Essais d’anthropologie psychanalytique, Jean-Claude Muller pose quelques questions auxquelles je vais tenter de répondre. Mon introduction, inédite, est un texte d’humeur (et un peu aussi d’humour) sur les prétentions d’une certaine anthropologie cognitive. Certes, comme le dit Muller, le danger de l’engouement que notre époque voue aux sciences cognitives ne constitue pas un danger immédiat pour les sciences sociales. J’ai pensé qu’il était cependant important de réagir en mettant en lumière les contradictions internes de la méthode cognitiviste « forte » (par opposition à l’ethnoscience des années 1950-1960 qui avait mieux mesuré les limites de cette approche), telle qu’elle est représentée en France par Dan Sperber (1996) et Pascal Boyer (1997). Pour saisir les dimensions qualitatives de l’anthropologie et ce qui relève des significations dans les cultures, il convient de prendre en compte chez le sujet socialisé ce qui est producteur de sens et relève d’une causalité psychique (Green 1995). Il n’est pas inutile de rappeler aux jeunes générations que le psychisme humain ne ressemble nullement à une intelligence artificielle! Jean-Claude Muller résume ensuite mon propos sur l’atome de parenté que Lévi-Strauss avait construit, il y a plus d’un demi-siècle, pour dégager l’échange comme principe même de l’alliance de mariage, donc de toute organisation sociale. J’ai repris cette question non seulement, comme le signale Muller, pour opposer à l’atome structuraliste un atome freudien, mais surtout pour montrer comment une forme typique du mythe (j’en donne un exemple) débute par un atome fermé sur le blocage endofamilial pour se dénouer avec un échange de soeurs : l’atome lévi-straussien correspond ainsi à la sortie du mythe oedipien avec l’émergence de la Société. Le mythe élabore la transition de l’atome clos à l’atome ouvert. Mon but n’était donc pas de traiter le problème de l’oedipe et de la famille nucléaire en général, ni d’envisager le dilemme que représentent des sociétés sans mariage monogamique institué et donc sans paternité reconnue (comme les Na ou Moso de Chine) ou encore d’alimenter la polémique sur l’adoption homoparentale en Occident. Cela dit, le fait que l’épreuve oedipienne contribue à structurer le sujet ne signifie nullement qu’un individu sans père connu ou même totalement orphelin ne puisse se socialiser par d’autres moyens… Même si ces exceptions à la règle de la famille conjugale interrogent la psychanalyse, je ne pense pas qu’elles contraignent à « reformuler la théorie psychanalytique dans son entier ». Mais Jean-Claude Muller s’étonne aussi que je n’aie pas parlé, à cette occasion, du « fantasme extrêmement répandu dans lequel, idéalement, l’enfant d’un couple est symboliquement le résultat d’une union incestueuse frère-soeur ». Là encore, les sociétés que j’ai étudiées ne m’ont fourni aucun matériel de ce type. Au cours de notre échange de correspondance, Muller m’a rappelé l’article fondateur de Sally Falk Moore (1964 et 1967) sur la filiation symbolique, avec de nombreux exemples. Ce cas de figure aurait effectivement pu être intégré dans un atome de parenté fermé d’un type différent, mais il n’apparaît guère dans les sociétés patrilinéaires de l’île de Nouvelle-Guinée, sinon sous sa forme prohibitive. Cela dit, il faudrait distinguer les mythes qui relatent un inceste entre le frère et la soeur sans qu’il y ait descendance et ceux qui laissent entendre que l’humanité a commencé par un couple ancestral unique et donc par les unions incestueuses de leurs enfants. Dans le premier cas, l’inceste est traité comme transgression, dans le second on a plutôt affaire à une contrainte généalogique. Le mythe yafar que je résume dans mon chapitre sur l’atome met en scène un fils cadet refusant l’ordre de son père …

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