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Au Canada, les écoles francophones en contexte minoritaire assurent un rôle de reproduction de l’identité linguistique et culturelle (Gérin-Lajoie 2002, 2008). Et si les discours et pratiques autour de la diversité et de l’inclusion imprègnent de plus en plus le terrain éducatif, les rares recherches en français sur la prise en compte des savoirs et visions du monde autochtones dans les milieux francophones soulignent un réel phénomène d’amnésie endémique (Kermoal et Gareau 2019 ; Mélançon 2019) occultant la présence autochtone et le tissu complexe de relations qui relient ces communautés ; une amnésie que l’on retrouve aussi dans le milieu scolaire minoritaire (Côté 2021). La Commission de Vérité et Réconciliation (2012) appelle certes à l’action, mais de multiples études (Scott et Gani 2018 ; Evans et al. 2020) soulignent les réticences, le manque de formation des enseignants, ainsi que leur difficulté à s’approprier des pratiques encore nouvelles dans le domaine. Dans le cadre de cet article, nous discuterons de quatre projets de recherche menés en collaboration avec des Ainés, des gardiens du savoir et des éducateurs autochtones, mais aussi avec des enseignants et leaders scolaires non-Autochtones, et ce afin de briser une certaine épistémologie de l’ignorance (Regan 2010 ; Tupper 2011) dans le milieu éducatif francophone minoritaire. Cet article entend ainsi poser les jalons de trames narratives et de pratiques nouvelles, dans une optique de décolonisation des savoirs et de réconciliation (Donald 2009a, 2009b ; Côté 2019 ; Madden 2019).

1. Mise en contexte

Les travaux de la Commission de Vérité et Réconciliation (2012), mais aussi, récemment, la mise en évidence de milliers de tombes non identifiées à proximité des écoles résidentielles (Supernant 2022) ont permis de conscientiser la population canadienne aux effets dévastateurs d’un système éducatif spécifique, pensé dans le cadre de politiques d’assimilation agressives.

1.1. Le contexte sociétal

Dans ce contexte, la notion de réconciliation avec les peuples autochtones a été largement promue. Madden (2019), dans la lignée de Corntassel et al. (2009) ou encore de Gaudry et Lorenz (2018), nous rappelle néanmoins que cette notion, a priori transparente, mérite en réalité d’être davantage discutée pour éviter d’en assoir une compréhension teintée par la vision occidentale majoritaire et son héritage judéochrétien (Lemaire 2021a). Selon Madden (2019), la réconciliation est trop souvent uniquement liée aux écoles résidentielles, en lien avec la nécessité de s’éduquer sur le sujet, et de « faire mieux » en termes d’intégration des Autochtones dans la société canadienne. Madden (2019) nous invite plutôt, dans une perspective de décolonisation de l’éducation, à interroger comment « deconstruction illuminates and creates openings to address how colonial norms of intelligibility are produced, organized, circulated, and regulated » (Madden 2019 : 287).

1.2. Le contexte scolaire dans les provinces canadiennes, et en particulier en Alberta

Il importe de préciser ici que l’éducation pour la réconciliation et la décolonisation des savoirs (decolonizing education) sont discutées dans la littérature académique depuis plus de 15 ans (Battiste 2013). Néanmoins, c’est la mise en action de nouvelles politiques éducatives, à travers le Canada (Government of Nunavut 2017 ; Government of Saktatchewan 2017 ; Nova Scotia Department of Education and Early Childhood Development 2017 ; Government of the Northwest Territories 2018 ; Manitoba Government 2018 ; Ontario Ministry of Education 2019 ; Alberta Education 2020 ; British Columbia 2020 ; Government of Yukon 2020 ; Gouvernement du Québec, Ministère de l’Éducation 2021), qui a poussé le milieu scolaire à prendre en considération l’importance de (re) penser la manière de faire une place aux voix, aux savoirs et aux perspectives autochtones. En Alberta, c’est notamment la révision de la norme de qualité sur l’enseignement et le leadership scolaire (Alberta Education 2018a ; Alberta Education 2018 b) qui est à la source de changements dans le domaine, dans la mesure où elle requiert désormais du milieu scolaire qu’il valorise les savoirs et les perspectives autochtones dans les écoles. Cette norme révisée induit de nouveaux contenus dans les programmes d’études, le développement de nouvelles ressources d’enseignement, ainsi que la mise à jour de la formation initiale et continue des enseignants en la matière (Higgins et al. 2015 ; Lemaire 2021b, 2020a).

Cette nouvelle orientation ne peut toutefois se faire sans que soient impliquées de manière authentique les diverses communautés autochtones vivant sur le territoire concerné, pour éviter de tomber dans l’appropriation culturelle, la tokénisation et la reproduction de logiques et de pratiques coloniales (Smith 2002 ; Battiste et Youngblood 2000). Il ne s’agit plus d’apprendre au sujet des Autochtones, mais d’apprendre « de » et « avec » les communautés concernées, selon le principe « nothing about us without us » (Ball 2005 ; Heckenberg 2018 ; Smith 2019). Dans cette veine, de plus en plus de projets collaboratifs se développent dans le domaine de l’éducation (Bartlett et al. 2012 ; Goulet et Goulet 2014 ; Lavoie et al. 2014 ; Tanaka 2017 ; Nicol et al. 2019 ; Aurousseau et al. 2021).

1.3. Le contexte scolaire francophone minoritaire albertain

Dans le contexte francophone minoritaire, malgré l’émergence certaine d’initiatives (Lemaire 2020b, 2020 c, 2021 b ; Côté 2021), on se heurte à plusieurs écueils possibles pour la mise en oeuvre de telles démarches collaboratives. On pourra citer le manque de relations établies entre les communautés francophones et autochtones ou encore le repli dans l’ignorance (Regan 2010 ; Higgins et al. 2015) plutôt que d’accepter la difficile remise en question des discours identitaires traditionnels de la francophonie minoritaire, d’autant plus marqués en Alberta qu’ils s’ancrent dans une logique de maintien de droits linguistiques obtenus de haute lutte dans le passé (Rocque 2009). De fait, le mandat des écoles francophones en contexte minoritaire se centre clairement autour de la reproduction des identités et cultures francophones (Gérin-Lajoie 2002, 2008), faisant dès lors peu de place aux langues et cultures autres que francophones.

Un autre écueil possible, que mentionne notamment Côté (2021), est le manque de ressources, et on soulignera ici en particulier le manque de personnes-ressources qui puissent comprendre et accueillir dans le respect à la fois les perspectives et attentes autochtones et les perspectives et attentes francophones. Rares sont également les personnes-ressources familières à la fois avec les principes pédagogiques et visions de l’éducation autochtones (Battiste 2013 ; First Nations Education Steering Committee 2015) et avec les réalités pédagogiques spécifiques à l’apprentissage en contexte francophone minoritaire.

La barrière de la langue, enfin, peut apparaître comme un obstacle dans la mesure où peu d’Ainés, gardiens du savoir, éducateurs ou autres membres des communautés autochtones parlent français, dans un milieu majoritairement anglophone. Peu de Francophones, dans ce même contexte anglo-dominant, sont à même de maitriser des langues autochtones qui ne sont pas enseignées dans le cadre du système éducatif francophone.

C’est dans ce contexte que nous avons mis en oeuvre plusieurs projets collaboratifs impliquant divers Ainés, gardiens du savoir et éducateurs autochtones, mais aussi le milieu scolaire francophone minoritaire albertain.

2. Éthique de recherche et survol méthodologique des quatre projets

Il nous semble essentiel de donner quelques éléments de contexte sur les quatre projets discutés dans cet article.

2.1 Positionnement de recherche

En tant que professeure en éducation, spécialisée dans le domaine de l’éducation interculturelle et de la didactique du plurilinguisme et du pluriculturalisme en contexte minoritaire, c’est avec cette lentille particulière que je me suis intéressée à la présence des savoirs et perspectives autochtones dans les écoles francophones albertaines, et à la question de la formation initiale et continue des enseignants en la matière. En tant que Française d’origine, immigrée au Canada, tout un processus d’apprentissage et de décolonisation, toujours en cours, enrichit ma réflexivité et mes pratiques professionnelles. Avec mon regard de didacticienne, j’ai commencé par m’intéresser au michif, une des langues ancestrales des Métis, que l’on décrira ici de manière simplifiée comme une langue mixte dérivée essentiellement du français et du cri (Douaud 1993). Cette découverte initiale, à travers les écrits de linguistes occidentaux tels que Papen (2005) ou Bakker (1997) a ensuite été approfondie par la lecture d’articles rédigés par des universitaires autochtones, comme Iseke (2013) ou Anderson (1997), mais surtout par la rencontre avec une Ainée, Cécile Howse, dont j’ai retrouvé la trace de fil en aiguille, en posant des questions autour de moi, auprès de collègues, étudiants et éducateurs Métis, quant à la manière de rencontrer des locuteurs de michif vivant en Alberta. La relation avec Cécile, entre autres, m’a permis de mieux comprendre la complexité du/des michif(s), dans la mesure où cette Ainée en connait plusieurs variantes. Dans un processus laissant à la relation le temps de se développer (Heckenbergg 2018 ; Gaudet 2019), sans objectif précis à atteindre, nous avons décidé de travailler ensemble à documenter les histoires de Cécile, de manière essentiellement vidéo, dans son parler propre. Ces ressources ont ensuite nourri un dispositif pédagogique reposant sur une pédagogie hybride, alliant principes d’apprentissage autochtones et éveil aux langues (Candelier et al. 2010). Le milieu scolaire a ensuite été impliqué afin de valider la pertinence des ressources et de l’approche pour le contexte francophone, au niveau élémentaire. Alors que murissait ce projet de recherche collaborative, la communauté des Métis de Lac Sainte-Anne a proposé que cette initiative se poursuive en s’enrichissant des apports d’Ainés parlant un michif différent, essentiellement cri, porteur donc d’une culture, d’une histoire et de liens au territoire différents de ceux apportés par Cécile. Cette demande, couplée avec le souci de décoloniser mes pratiques de recherche pour faire véritablement de la recherche dans une éthique sincère de la relation, a amené à un enrichissement significatif du dispositif d’enseignement développé et à une posture d’humilité face à la complexité des savoirs linguistiques en jeu (Dion et al. 2021).

C’est en travaillant sur ce premier projet de recherche que se sont développées à la fois mes connexions avec davantage d’Ainés, de gardiens du savoir et d’éducateurs autochtones, mais aussi mes connexions avec le milieu scolaire, au niveau des enseignants et du leadership scolaire intéressés à comprendre comment mieux mettre en oeuvre ladite compétence 5 (Alberta Education 2018a), qui cible l’éducation à la réconciliation et la prise en compte des savoirs et perspectives autochtones. Face au constat partagé selon lequel beaucoup reste à faire en la matière, trois projets pilotes additionnels ont émergé.

2.2. Survol des quatre projets de recherche

Le premier vise à comprendre comment faire mieux converger les attentes et les besoins du milieu scolaire avec ceux des communautés autochtones locales. Pour ce faire, des entretiens ont été menés avec six leaders scolaires francophones (direction générale, direction d’école, formateurs impliqués dans la formation continue des enseignants) et avec cinq ainés et éducateurs des peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuit. Le deuxième projet explore les transferts de savoirs et de pratiques qui s’opèrent au niveau de la compétence 5 lors des stages de formation, entre enseignants accompagnateurs (mentors) et futurs enseignants (stagiaires) pour évaluer comment formation initiale et formation continue peuvent s’alimenter l’une l’autre, mais aussi comprendre les difficultés rencontrées, et comment les régler. Dans le cadre de ce deuxième projet-pilote, les pratiques de sept binômes enseignants-stagiaires ont été observées lors d’observation participante, la chercheuse jouant le rôle préexistant à la recherche de professeure conseillère, supervisant les stages, avec un focus explicite sur la compétence 5. Enfin, le troisième projet s’intéresse à l’expérience des enseignants autochtones francophones (ou francophiles) ayant choisi (ou pas) d’enseigner dans les écoles francophones. Avec ce dernier projet pilote, il s’agit de mieux comprendre les obstacles rencontrés par ces enseignants qui s’auto-identifient comme Autochtones, et de soutenir l’émergence de pratiques soutenant leur rayonnement au sein de leur école, conseil scolaire, et au-delà. Des entretiens avec trois participants ont été menés, deux autres s’étant manifestés ayant finalement choisi de se retirer, un avant même la collecte de données et le second après deux longs entretiens, ce qui témoigne bien de la crainte ressentie de subir des rétorsions du milieu après une prise de parole personnelle et engagée, attestant par là-même de la dimension sensible du sujet abordé dans cet article.

Tableau 1

Éléments de synthèse pour les 4 projets de recherche[1]

Éléments de synthèse pour les 4 projets de recherche1

Tableau 1 (suite)

Éléments de synthèse pour les 4 projets de recherche1

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Avec cet article, combinant quatre différents projets, il ne s’agit pas de présenter exhaustivement et systématiquement les méthodologies, résultats et analyses de chaque recherche, mais bien de mettre en évidence plusieurs dimensions saillantes qui en ressortent, et de questionner les liens établis et à établir entre communautés francophones et autochtones.

3. Analyse croisée : constats et principes de base

Dans la partie qui suit, on dégagera plus particulièrement un ensemble d’éléments clés liés aux constats faits par le milieu scolaire francophone et par le milieu éducatif autochtone, pour ensuite poser quelques principes à la base de tout rapprochement.

3.1. Les constats

Plusieurs thèmes se dégagent de l’analyse dont, en premier lieu, ce constat selon lequel la situation est en pleine évolution, en lien avec ladite compétence 5 mais aussi plus largement avec des prises de conscience qui situent au niveau sociétal.

3.1.1. Une prise de conscience émergente du côté du milieu scolaire

Les leaders scolaires francophones, mais aussi les enseignants autochtones que nous avons rencontrés, partagent ce constat global selon lequel une sensibilité accrue a émergé dans le milieu scolaire face aux questions de réconciliation. En plus de la nécessité de mettre en oeuvre les récentes politiques éducatives, plusieurs évoquent le choc provoqué par l’identification massive de tombes non identifiées dans les pensionnats comme les principales raisons motivant une volonté de changement, de s’éduquer, d’éduquer les élèves, de se montrer plus inclusif : en somme, de faire « mieux ». C’est ce dont témoigne par exemple cette citation : « C’est malheureux que ça a été un événement, comme trouver des dépouilles des anciens pensionnats pour avoir des conversations pratiques sur un élément de société vraiment tragique » (Pro2, direction générale).

Les leaders scolaires rencontrés (Pro2) soulignent l’importance, désormais, de travailler à développer des pratiques exemplaires et authentiques :

La réconciliation, c’est quelque chose qui est très important et il faut participer à toutes les opportunités qu’on a pour faire avancer le dossier.

Pro, direction générale 2

Je pense que les communautés autochtones ont été très claires, de ne pas le faire à leur place, de le faire avec eux.

Pro2, direction générale1

Et encore : « Les cultures autochtones, ça ne se fait pas en un atelier de deux heures ! » (Pro1, direction d’école).

3.1.2. Des obstacles à contourner

Cependant, les obstacles apparaissent nombreux. L’obstacle de la langue, dans le contexte francophone minoritaire, apparait à première vue comme majeur :

C’est sûr qu’il y a un défi par rapport à la francophonie et les Premières Nations Métis Inuit, tu sais en Alberta, c’est difficile d’avoir ces informations-là en français et les ressources en français.

Pro2, direction générale 1

On sait qu’on va être limité dans les ressources qu’on va pouvoir mettre de l’avant en français.

Pro2, direction générale 2

[Pour cet atelier sur les traités] il fallait qu’on utilise la présence des ainés parce, ce qui est formidable, parce que c’est respecter cet élément-là de la culture, de la transmission du savoir, mais j’étais pas capable d’en trouver en français pour intervenir dans les écoles.

Pro2, direction générale 2

Les leaders éducatifs soulignent également que le mandat des écoles francophones est de promouvoir un environnement francophone, d’où les réticences observées dans les écoles à inviter des intervenants extérieurs s’exprimant en anglais.

Traduire les ressources ou interpréter les propos des intervenants autochtones de l’anglais vers le français apparait ainsi comme une mesure palliative souvent nécessaire, mais pas forcément satisfaisante. Outre la question de la logistique et des couts associés, se pose la question de la pertinence de faire traduire en français des propos que les élèves et enseignants sont en général capables de comprendre en anglais, dans un contexte provincial majoritairement anglophone. La transposition de l’anglais au français semble imposer un filtre artificiel et nuire à la spontanéité de la rencontre, en plus de poser des questions de précision de la traduction et de pertes éventuelles de sens dans le cas de traductions successives dans différentes langues (ici une langue autochtone puis l’anglais puis le français).

Par ailleurs, une des directions générales reconnait également la difficulté à mettre en place des milieux scolaires inclusifs et accueillants pour les élèves qui les fréquentent :

On travaille beaucoup, beaucoup, chez les Francophones sur la question identitaire. C’est central au mandat d’être fier de sa langue, d’être fier de sa culture et de ses cultures, de ses langues, de ses identités. Je pense qu’on a dû passer à un modèle qui a shifté pas mal au niveau francophone, il fallait préserver cette petite bulle-là où on se rend compte que les gens ont beaucoup plus qu’une identité. Et pour mes Premières Nations, j’ai encore une inquiétude qu’ils n’osent pas s’identifier quand on leur demande.

Pro2, direction générale 2

Cette question de l’inclusion se pose également par rapport au personnel éducatif qui travaille pour les écoles francophones. Dans le cadre de notre recherche sur le recrutement et la rétention des enseignants autochtones (Pro4), les enseignants autochtones rencontrés témoignent, en écho, des défis qu’ils rencontrent par rapport à leur double identité de Francophones et d’Autochtones. Ils mettent en évidence cet équilibre délicat qu’ils doivent trouver : alors qu’ils tâchent de se réapproprier leur propre identité et culture, ils ressentent la pression de répondre aux attentes de formation de leurs collègues dont ils subissent parfois, par ailleurs, les préjugés, le manque d’intérêt sincère ou encore les suspicions. Une des enseignantes rencontrées explique ainsi que

avec le temps, j’ai peut-être mieux articulé mes origines, mais, il a fallu que je retourne en contact avec les gens [de ma communauté autochtone], prendre du temps à cet effet-là, parce que je sais que pour les personnes qui disent « t’es un vrai ou t’es pas un vrai ? »

Pro4, entretien, enseignante 1

Et une autre enseignante de souligner que, lorsqu’elle affirme son identité métisse au travail, la réaction demeure généralement de surface : « On me dit “c’est intéressant”, mais ça en reste pas mal là » (Pro4, entretien enseignante 2). Une troisième enseignante autochtone souligne enfin ses propres incertitudes quant à sa capacité à trouver sa place pour enseigner les questions autochtones dans sa classe et auprès de ses collègues, en dépit de son désir de le faire, et des attentes du milieu : « Je manque de connaissances, je manque de temps [pour savoir comment faire vivre les savoirs et les perspectives autochtones dans le curriculum]. […] Je ne sais pas si je suis assez bien qualifiée. C’est dans mon plan de croissance professionnelle » (Pro4, entretien enseignante 3).

Si les enseignants autochtones oeuvrant dans les écoles francophones sont à la recherche de formation et d’appui, leurs collègues non autochtones ne sont pas en reste. L’enquête de terrain (Pro3) que nous avons effectuée auprès d’enseignants accueillant des stagiaires tend notamment à confirmer la difficulté ressentie par les enseignants à endosser un rôle moteur dans la transformation des pratiques enseignantes, en l’occurrence à travers la formation des futurs enseignants en ce qui a trait aux savoirs et perspectives autochtones. Tous les enseignants accompagnateurs qui ont participé à la recherche éprouvent en effet des difficultés à donner de la rétroaction précise et à évaluer la performance de leur stagiaire en la matière. Écrivant des commentaires concis et généraux, ils évaluent plus la motivation des stagiaires à bien faire qu’ils n’analysent la pertinence des pratiques apportées en classe par ces étudiants.

Citant ici une des directions générales rencontrées, on conclura cette partie avec ces propos forts : « Je pense que ça va mieux. [Mais tout ce que j’ai dit, c’est] une longue réponse pour dire oui, on a un problème. […] On a encore du travail à faire » (Pro2, direction générale 1).

3.1.3. L’importance de rétablir les liens entre communautés francophones et autochtones

Du côté des Ainés, gardiens du savoir et consultants culturels autochtones (Pro2), l’idée d’un manque de connexion entre communautés autochtones et milieu scolaire francophone est clairement mise de l’avant. Tous témoignent du fait qu’ils n’ont presque jamais été amenés à faire d’intervention dans les écoles francophones, alors qu’ils sont régulièrement appelés par le milieu scolaire anglophone. En plus de 15 ans d’interventions dans les écoles, Rocky Morin se souvient ainsi des quelques visites dans les écoles francophones ou programmes d’immersion : « I do remember going to some Francophone schools. I can’t remember exactly which ones, but it stood out because it was different than what I was normally going to with the other schools » (Pro2, entretien avec Rocky Morin).

Sur un plan plus personnel, l’Ainé Phillip Campiou partage quant à lui sa déception d’avoir dû essuyer un refus d’une école francophone, l’école de son quartier à l’époque, au moment de vouloir y inscrire son fils. Sa volonté que son fils apprenne le français n’était en effet pas une justification suffisante pour en permettre l’admission, selon les politiques d’inscription en vigueur, qui exclut en effet les élèves non « ayant-droit[2] ». Dès lors, pour cet Ainé, les portes de l’immersion française semblent davantage entre-ouvertes que celles des écoles francophones : « I have never been invited in [Francophone] schools. I would go, but they have to invite me first » (Pro2, Phillip Campiou).

Goota Desmarais a quant à elle choisi d’inscrire ses enfants en immersion française, alors que son mari, franco-canadien, aurait pu ouvrir le droit à une éducation francophone. Son expérience à intervenir dans l’école d’immersion de ses enfants pour partager sa culture inuit s’est toutefois arrêtée dès lors que ses enfants ont quitté l’école, le milieu scolaire ne s’étant pas donné les moyens financiers de la retenir en finançant ses prestations pédagogiques. Son expérience dans les programmes dans le milieu scolaire francophone est quant à elle non existante.

Nos données (Pro2) indiquent ainsi un manque de liens entre communautés scolaires francophones et communautés autochtones. Pourtant, Cécile Howse (Pro1), mais aussi les enseignants autochtones rencontrés (Pro4) expliquent de leur côté que parler la langue française et être scolarisés en français ont toujours fait partie de leur réalité. L’expérience de vie de Cécile en particulier nous ramène directement à la connexion et au rôle de la communauté francophone dans la trajectoire personnelle et collective des peuples autochtones dans la mesure où celle-ci a été scolarisée dans une école de missionnaires francophones où les élèves étaient punis s’ils parlaient le « maudit sauvage » (Pro1), et non pas le français. Et l’Ainée Judy Hilbert de préciser également que :

You know, [our linguistic and cultural community] was English, Cree and French in Lac Ste. Anne. And Lac Ste. Anne is one of the biggest Métis settlements there is in western Canada. (…). During that time, in the very beginning, they were told that they can’t talk about their culture or their people. It was all hidden. Why were they asked to hide everything? That’s not right. And now today it is very difficult for a lot of people that went through that.

Pro1 ; Hilbert et Lemaire 2022

Ce rappel quant à l’impact des pensionnats et écoles de missionnaires francophones par les Ainés nous invite à refuser la reproduction, une nouvelle fois, d’une logique d’exclusion coloniale ; une logique qui maintiendrait les personnes des communautés autochtones en dehors des écoles francophones sous prétexte qu’elles ne parlent pas (suffisamment) le français et qu’elles parlent l’anglais.

Par ailleurs, inviter les personnes des communautés autochtones dans le seul cadre des cours d’anglais, offerts dans les écoles francophones à partir de la 4e année, ne parait pas, pour les mêmes raisons, pleinement satisfaisant, comme en témoigne cet extrait d’entretien : « C’est souvent cette porte-là qu’on utilise. Cependant, je voudrais quand même que ça ne soit pas juste quelque chose qui se passe en anglais, de traiter des Premières Nations » (Pro2, direction générale 2).

3.2. Quelques principes clés à respecter

Plusieurs principes émergent des quatre projets pour ce qui est de favoriser des rapprochements.

3.2.1. Ne plus utiliser l’excuse de la langue pour justifier l’inaction

Rocky Morin (Pro2) invite clairement les écoles francophones à ne pas « se réfugier derrière la barrière de la langue ». Ne pas « en faire une excuse » pour s’abstraire du processus de réconciliation, affirme de son côté l’une des directions générales rencontrées.

Pour Rocky Morin, il est temps que les écoles francophones puissent reconnaitre le retard pris en la matière. « It is high time » s’exclame également Ryan Arcan (Pro2), à l’idée d’un rapprochement entre communautés francophones et autochtones, rejoignant en cela l’adresse de Judy Hilbert :

It took 150 years for people to finally come out and ask you we would like to know more about the Métis people and their culture (…) It’s very important for me because I think it’s good that we’re finally bringing our culture into schools. I never thought I’d see that day but I’m happy to see it happening now, and when I was asked by you to take part in it, I was very pleased to do so and whatever knowledge I have and can bring forward.

Pro1 ; Hilbert et Lemaire 2022

Selon Smith (2002), le processus de réconciliation implique de facto cinq étapes clés : la (re) découverte, le deuil, le rêve, l’engagement, l’action. Mais s’il est temps de passer à l’action, adopter une posture alliée implique de se placer à l’écoute des communautés auprès desquelles on entend agir en solidarité, de savoir s’effacer et ne pas « prendre la place de », de rétablir l’équilibre des forces et pouvoirs en jeux pour soutenir de manière durable la vision et les objectifs décidés par les peuples autochtones (Smith et al. 2016 ; Snow 2018).

3.2.2. Engager de véritables collaborations

Plusieurs Ainés (Pro 2) insistent ainsi sur l’importance du processus relationnel et d’une véritable éthique de la relation en ce sens qu’il doit y avoir engagement mutuel, redevabilité et humilité. En cela, les valeurs évoquées en entretien rejoignent la notion cri de Keeoukaywin (Gaudet 2019), qui valorise le processus de visite et de relationalité vraie, prenant le temps de se développer sans en attendre un retour ni immédiat ni planifié à l’avance. Un parallèle peut aussi être fait, dans ce contexte, avec les concepts de Celhcelh, Kat’il’a, Cwelelep et de Kamucwkalha mis en avant par Tanaka et al. (2007) dans le cadre d’une recherche collaborative avec des Ainés et de futurs enseignants sur le territoire couvert par la Colombie-Britannique :

[the] concepts of Celhcelh—the development of a sense of responsibility for personal learning within the context of a learning community; Kat’il’a—the act of becoming still—slowing down, despite an ingrained and urgent need to know and desire for busy‐ness; Cwelelep—the discomfort and value of being in a place of dissonance, uncertainty and anticipation; and Kamucwkalha—the energy current that indicates the emergence of a communal sense of purpose.

99

Si les directions générales, les directions d’école et les enseignants entendent ainsi développer des partenariats avec les communautés autochtones locales, le désir largement affirmé de leur part de ne pas verser dans l’appropriation culturelle, dans la tokénisation, et de respecter les protocoles culturels est un point de départ incontournable pour cheminer ensemble, dans une relation qui ne saurait se limiter à demander aux communautés autochtones de mettre à disposition leurs savoirs traditionnels pour le seul bénéfice des élèves francophones. Reste à définir les paramètres de cet échange :

Nous, on sait ce qu’on veut accomplir, mais je ne suis pas toujours certain c’est quoi leur définition de la réconciliation, qu’est-ce qu’ils veulent obtenir de nous ? (…) Eux, c’est quoi leurs attentes ? Est-ce que c’est une attente de… je ne veux pas dire de blanc, mais j’ai de la misère à comprendre… est-ce que toutes ces initiatives-là, nous c’est ça qu’on veut faire, mais est-ce que, eux, ils ont été consultés comme il faut ?

Pro2, direction générale 1

3.2.3. Apprendre les langues des uns et des autres : une manière d’honorer les traités ?

Face à ce type de questionnement, on mettra ici en avant un principe sur lequel insistent les Ainés cri Phillip Campiou et Rocky Morin (Pro2) : le respect des traités[3].

Du point de vue des Premières Nations, les traités se fondent sur le principe d’une relation de nation à nation respectueuse et coopérative entre les Premières Nations et la Couronne, et ce, au profit des générations actuelles et futures. Les traités énumèrent les droits, avantages et obligations de chaque partie signataire envers l’autre.

Alberta Teachers’ Associations 2018 : 1

À noter que les traités, et leur intention, sont toujours en vigueur dans le droit canadien et international, en lien également avec la dimension sacrée conférée par les cérémonies qui ont accompagné la conclusion des traités, ceux-ci devant être appliqués « aussi longtemps que brillera le soleil, que poussera l’herbe » (Morris 1880).

La Confédération des Premières Nations du traité 6 réitère, sur ces bases légales et sacrées, des droits fondamentaux, parmi lesquels l’accès à une éducation traditionnelle aux langues ancestrales, mais aussi à toute forme et tout niveau d’éducation fourni par le gouvernement : « Article 14 (2) : Indigenous individuals, particularly children, have the right to all levels and forms of education of the State without discrimination » (Confederacy of Treaty Six First Nations). En lien avec l’article 14 (2), l’éducation francophone devrait pouvoir être accessible aux peuples autochtones concernés : il s’agit en fait d’un droit fondamental, jusqu’à présent non respecté.

Pour ces Ainés, respecter les traités de part et d’autre, pour les communautés autochtones et communautés francophones concernées, implique un échange mutuel autour des langues, le français et le cri[4] en particulier, ainsi qu’autour des apprentissages culturels qui les entourent. Rocky Morin explique ainsi en entretien :

We are fluent in English in our Indigenous communities, but I know we are lacking in other languages, such as French. So, I think, that is why it would be a good opportunity for us to honour that relationship, because there was a relationship there (…). I would not expect us to just come in and share our language, but I would also want us to take away something from the [Francophone] school, and be learning in that language what relates to what we hold very important to us.

Pro2, entretien avec Rocky Morin

Pour Morin et Campiou (Pro2), au-delà de l’affirmation des droits, apprendre (ou du moins se familiariser) avec les langues de l’un et de l’autre, est une question de relation, de désir mutuel d’échanger, de se comprendre et de se respecter. Cette philosophie rejoint celle soulignée par le chef de la nation O Chiese, Doug Beaverbones : « Treaty is to live in peace, to live in friendship, to live in kindness… to be humble ».

4. Discussion : des pistes pour aller de l’avant

Plutôt que de voir les langues comme un obstacle sur le chemin de la réconciliation entre communautés francophones et autochtones, la découverte de la langue de l’autre ne peut-elle pas être l’occasion idéale de passer à l’action, d’honorer les traités sacrés, et de renouer les relations dans une posture alliée ?

L’Ainé Phillip Campiou insiste en entretien sur l’importance d’engager le leadership scolaire à cet égard, pour que des changements puissent être implémentés au niveau systémique. Alors que le système scolaire francophone en milieu minoritaire bénéficie d’un statut et de politiques qui sont directement issus des privilèges acquis par la colonisation et l’assimilation des peuples autochtones, dans quelle mesure pourrait-il utiliser ce pouvoir pour collaborer avec les communautés autochtones et soutenir leurs efforts de revitalisation des langues autochtones dans l’intérêt de tous, y compris des élèves autochtones et francophones ?

Pour les Ainés, gardiens du savoir, consultants culturels rencontrés, s’engager dans le partage de nos langues comme moyen d’honorer les traités et de restaurer les relations apparait comme une porte d’entrée solide. Non seulement les langues autochtones ancestrales sont sacrées et interreliées à la sagesse et aux savoirs traditionnels, mais la langue française est également au coeur du maintien des communautés francophones en contexte minoritaire. Comme le souligne l’Ainé Rocky Morin (Pro2), une initiation au cri, en respectant la manière d’enseigner traditionnelle, et selon des modalités à définir, permettrait aux élèves francophones d’entrer de manière authentique dans la (les) culture(s) autochtone(s). Si ces enseignements étaient offerts conjointement à des élèves francophones et autochtones, cela permettrait à la fois à la jeunesse de se rapprocher, une étape importante pour établir une meilleure intercompréhension pour les générations à venir. Cette stratégie permettrait aussi aux jeunes autochtones qui ont été coupés de leur culture à cause des diverses politiques assimilationnistes de regagner un accès aux langues et savoirs ancestraux, le système éducatif francophone allouant ici une partie de ses ressources et privilèges pour bénéficier tant à sa propre communauté qu’aux communautés autochtones partenaires, et à la relation entre celles-ci. En synergie, les élèves francophones en contexte minoritaire, dans des écoles qui s’impliqueraient dans le partage de la langue et de la culture francophone au profit de leurs élèves mais aussi d’élèves autochtones de communautés partenaires, gagneraient à approfondir leurs connaissances quant à leur propre identité ; une connaissance qui serait enrichie également de la perspective additionnelle apportée par les regards autochtones. Dans une vidéo réalisée collaborativement (Lothian et Lemaire, 2022), Riplea Lothian, assistante de recherche dans le projet d’éveil au michif (et maintenant enseignante), souligne que le cri « nistikaasoon » pour « je m’appelle » dérive du mot mitisiy « nombril », l’identité étant, dans la culture cri, liée aux origines. Or, la réconciliation, c’est aussi savoir revenir à soi pour mieux aller vers l’autre, en droite lignée avec les principes d’éducation interculturelle discutés par Abdallah-Pretceille (1997).

Une autre approche mutuellement bénéfique est l’approche collaborative sur laquelle nous avons travaillé au cours des dernières années autour des langues ancestrales des Métis (Pro1). Cette recherche a démontré que la démarche et les ressources visant à faire découvrir le(s) michif(s) aux élèves des écoles francophones, à travers une approche interdisciplinaire, expérientielle, en relation avec les Ainés et les langues, donne de bons résultats (Lemaire 2020b, 2021 c ; Dion et al. 2021). En effet, du côté éducatif, les enseignants impliqués ont développé une meilleure compréhension des réalités entourant le peuple Métis et un sentiment de compétence accru, grâce à l’utilisation de ressources jugées plus authentiques et plus engageantes pour les élèves. Les enseignants impliqués dans la recherche, mais aussi ceux qui ont pu être sensibilisés par après dans le cadre de leur formation continue[5], ont ainsi marqué un intérêt certain pour le michif comme porte d’entrée vers les cultures et communautés métisses locales, appréciant la possibilité d’explorer les liens entre les différentes variétés de michif et le français. Et si la proximité linguistique entre français et michif tend à être ce qui retient le plus l’attention des enseignants oeuvrant en francophone et immersion française, l’apport de ressources en michif cri tel que parlé dans la région de Lac Sainte-Anne (Dion et al. 2021) a permis d’amener un certain degré d’ouverture au cri, langue autochtone totalement distincte du français sur le plan linguistique. Du côté des Ainés et des communautés Métisses impliquées, le projet a pu répondre à certaines attentes, notamment faire entendre la réalité et les impacts des écoles résidentielles et des écoles de missionnaires et donner une place aux voix autochtones dans l’éducation francophone et l’immersion française (Dion et al. 2021 ; Lemaire 2022). Riplea Lothian souligne aussi que, comme ancienne élève des programmes d’immersion, elle ne s’est jamais sentie représentée dans l’enseignement et aurait apprécié des ressources similaires dans son parcours scolaire (Lothian et Lemaire 2022). Judy Hilbert et Shirley Dion, toutes deux (arrières) grand-mères soulignent également qu’elles aimeraient voir de telles ressources arriver dans les écoles fréquentées par les enfants de leur famille, même si ceux-ci ne sont pas dans le système francophone. Quant aux quelques élèves francophones (ou francophiles) autochtones qui ont pu découvrir les ressources en michif dans le cadre de notre première recherche, celles-ci ont marqué une appréciation forte envers le projet. Une élève métisse exprimera ainsi toute sa reconnaissance envers Cécile Howse pour les savoirs partagés autour du michif, dont elle ignorait l’existence. Cette élève en particulier a investi l’art du perlage traditionnel, démontré par l’Ainée via un tutoriel vidéo[6], lui permettant à cette occasion d’entamer un dialogue inédit avec sa mère et sa grand-mère et d’en apprendre davantage sur son identité familiale métisse, jusque là restée taboue (Lemaire et al. 2020). Deux élèves, de père Ojibwé et de mère francophone, ont quant à elles affirmé de manière répétée leur plaisir à utiliser les ressources apportées dans leur école, ceci leur permettant aussi de valoriser leur propre identité autochtone et de se (ré) approprier certains savoirs et dimensions rattachés à leur héritage culturel (Dion et al., 2021 ; Lemaire et Samson-Cormier 2022). Alors que l’expérience autour du michif et des langues ancestrales des Métis a été positive tant pour la majorité des élèves impliqués, bénéfique pour les enseignants et bien accueillie par les leaders scolaires impliqués (qui ont soutenu le projet de recherche et s’y sont intéressés), Judy pose la question, au moment de faire le bilan du projet (Pro1), d’une approche plus systémique pour l’enseignement des langues autochtones dans le système scolaire, au-delà de l’éveil aux langues :

My understanding is [that] in school nowadays there are many languages being taught and if they can teach the other languages why can’t they teach Michif? They can have the same procedures they’ve done with the teachers in the past and like I said, there are many teachers that speak both languages so I don’t think it would be that difficult if anyone was asked, to see if they would like to do that, to make books, or to do classes. […] that would be a good start for us.

Pro1 ; Hilbert et Lemaire 2022

5. Conclusion

Des quatre projets menés au cours des dernières années, on retient essentiellement l’importance de croire au processus relationnel, de donner temps et espace pour apprendre les uns des autres, de s’enrichir mutuellement et de faire murir les idées conjointes. Chacun des projets évoqués dans cet article est venu se compléter dans le temps, de manière naturelle, permettant de développer progressivement une plus grande compréhension mutuelle et d’engager différents acteurs dans la réflexion. Plusieurs pistes se dégagent pour poursuivre avec ce cycle, notamment la mise en place d’un partenariat entre Ainés, gardiens du savoir, éducateurs, conseils de jeunesse autochtones et le milieu scolaire francophone, dans une optique de réconciliation, selon des modalités et avec des finalités à co-construire. Une autre piste serait de reprendre et d’adapter le dispositif d’éveil aux langues des Métis en ciblant des cercles scolaires davantage en relation avec la jeunesse autochtone, que ce soit des écoles au sein des établissements métis ou dans des programmes scolaires visant la revitalisation du cri. En collaboration avec les Sioux Nakotas d’Alexis, nous travaillons également actuellement sur la traduction d’archives en français, rédigées par des missionnaires francophones, ce qui pourrait aussi amener à développer une meilleure compréhension mutuelle, à porter un regard nouveau sur les liens historiques entre Francophones et Sioux Nakotas, et à permettre un accès inédit, pour la communauté d’Alexis, à leur histoire telle que relatée par les missionnaires ; un discours certes empreint de colonialisme mais auquel la communauté pourra désormais répondre. Dans une logique de collaboration, les possibilités deviennent infinies, guidées par une éthique de la relation.