Notes de lecture

JOSEPH DANAN, Absence et présence du texte théâtral, Arles, Actes Sud-Papiers, « Apprendre », 2018, 96 p.[Notice]

  • Philippe Manevy

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  • Philippe Manevy
    Université de Montréal

Dans le sillage de Qu’est-ce que la dramaturgie? (2010) et Entre théâtre et performance : la question du texte (2013), publiés chez le même éditeur et dans la même collection, Joseph Danan poursuit une réflexion sur le théâtre contemporain attentive à la fois aux tendances majeures (courant postdramatique, « état d’esprit performatif ») et à la diversité des créations. Plus précisément, il s’intéresse ici au statut du texte dans un environnement où la mise en scène d’une oeuvre dramatique préalablement écrite ne constitue plus la norme. Si, dans les essais précédents, Danan s’appuyait surtout sur son expérience de dramaturge et d’écrivain de théâtre, Absence et présence du texte théâtral se présente avant tout comme la méditation d’un « spectateur en dialogue », pour reprendre le titre du recueil de Bernard Dort paru en 1995. Faisant le choix d’une composition rhapsodique, le critique déploie sa réflexion en une série de courts chapitres où il évoque et analyse plus de vingt spectacles vus dans les dernières années. Sans rechercher l’exhaustivité, Danan s’appuie sur ces exemples nombreux et très divers pour rendre compte de la richesse foisonnante de la création contemporaine. Ainsi, parce qu’il prend acte de la fin du textocentrisme et de la possibilité, ouverte par Antoine Vitez, de « faire théâtre de tout », Joseph Danan ne limite pas le texte aux oeuvres écrites pour le théâtre, mais englobe dans sa réflexion tous les matériaux textuels mobilisés par la scène (écritures dramatiques ou non, essais, romans, scénarios de cinéma, transcriptions d’une parole, répliques écrites à partir des improvisations des comédiens…). Dans le premier chapitre (« Le texte absent »), le critique fonde sa réflexion sur le constat paradoxal d’une absence du texte dans la représentation théâtrale, au-delà de la diversité des partis pris : même dans des dramaturgies construites autour du texte, ce dernier laisse place à la parole vive. Mais absence ne signifie pas négation ou disparition, et l’objet de l’essayiste est alors d’interroger, dans les spectacles qu’il convoque, le jeu souvent complexe qui s’établit à partir de l’écriture, entre effacement et effet de présence. Il ne s’agit donc pas de construire un système, ou d’établir une typologie, mais bien de dégager certaines tendances symptomatiques. La première modalité de l’absence, pointée dans les deuxième et troisième chapitres (« À propos de mouettes et d’autres paroles volatiles », « Entre texte et parole »), est le recouvrement : dans les mises en scène de La mouette par Thibault Perrenoud (2017) ou Thomas Ostermeier (2016) comme dans certains spectacles du collectif In Vitro, le texte du répertoire est non seulement adapté, mais transformé en une parole qui tente de donner au spectateur l’illusion d’une spontanéité totale, au risque de perdre l’esprit en même temps que la lettre du texte initial. Non que Danan plaide pour un illusoire respect du texte, comme il le démontre dans les trois chapitres qui suivent (« Entre texte et théâtre », « C’est la faute à Vitez, c’est la faute à Artaud », « Le vrai texte est ailleurs »). Dans Inferno (2008) de Romeo Castellucci, le texte peut être littéralement absent du spectacle, mais présent en creux, comme une matrice nécessaire : L’enfer de Dante n’est pas transcrit en paroles ou en gestes sur scène, mais, tel un « gisement » (28), il est la source des matériaux divers qui composent la représentation. Selon une logique hybride, le texte peut être en partie cité et en partie transformé par l’imagination du metteur en scène, comme dans le travail de Krystian Lupa (2013) sur le roman Perturbation (1967) de Thomas Bernhard. Il peut aussi être repris littéralement, …

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