Recherche-création

Lorsque l’espace est premier[Notice]

  • Véronique Lemaire

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  • Véronique Lemaire
    Université catholique de Louvain

Ce dossier en recherche et création dédié à la scénographie théâtrale entend faire des pratiques scénographiques singulières, repérées au cours de cette dernière décennie en Europe, son point focal. A contrario du schéma de création traditionnel qui place l’auteur et le metteur en scène comme « géniteurs » du processus de création auquel succèdent le scénographe et les interprètes, certains artistes pensent aujourd’hui la création théâtrale à partir de l’espace, conférant à ce dernier le rôle d’ordonnateur de la création. « Lorsque l’espace est premier » expose les travaux de trois scénographes dont les réalisations s’inscrivent dans cette démarche. Avant de nous y intéresser, un bref détour historique s’impose si l’on veut comprendre toute la singularité du présent dossier. Il faut d’abord opposer les termes « décor » et « scénographie » que l’histoire du théâtre a disposés sur son chemin, comme pour nous faire trébucher et nous demander de nous y intéresser de plus près. Qu’est-ce qui distingue donc le décor de la scénographie? Colloques, ouvrages scientifiques, thèses de doctorat ont largement exploré cette distinction. Sans prétendre pouvoir réduire en quelques lignes l’ampleur de ce qu’ils ont apporté à la science, nous pourrions de manière certaine avancer que, dans le vocabulaire théâtral, parler de décor ou de scénographie induit nécessairement de penser l’aménagement de l’espace scénique, son équipement, sa technique et sa plastique. Le décor suppose la décoration, la figuration, l’illustration de la fable dans l’espace scénique; il est donc un support au texte et un écrin pour le jeu de l’acteur. Il reçoit la représentation. Tantôt littéral dans ses formes les plus réalistes, tantôt suggestif dans ses formes les plus symbolistes, il situe les lieux de la fiction afin que les spectateurs en aient une représentation tantôt vraisemblable, tantôt réaliste, parfois conforme et exacte à leur réalité. La scénographie entend, quant à elle, apporter un point de vue sur le texte. Elle a donc une visée dynamique et interactive. Éloignée de tout souci de vraisemblance ou de littéralité avec le texte, elle forme un réseau de signes qui entre en résonance avec le texte et le jeu des interprètes. Elle constitue donc un langage autonome à décrypter, qui interfère avec ce qui se dit et joue sur scène et, dès lors, contribue à construire le récit. On peut considérer la scénographie comme une interprète de l’oeuvre. Elle donne corps à l’espace scénique au moyen d’éléments matériels (portes, escaliers, costumes, accessoires…) ainsi qu’immatériels (son, lumières, images projetées…) et prend également en compte le rapport entre la scène et la salle : elle organise le rapport de perception à établir entre scène et salle. Historiquement, le terme et la pratique de la scénographie précèdent ceux du décor. Dans la Grèce antique, dès le Ve siècle avant Jésus-Christ, la skenegrafia désigne en effet la peinture du mur de scène à l’occasion de la représentation de tragédies. L’objet et les conditions de la représentation à l’époque font que cette pratique graphique consiste surtout à orner le mur de scène dans le but d’évoquer un ailleurs, de situer l’action dans un espace-temps autre que celui des spectateurs. Aucune intention de réalisme ou de vraisemblance ne motive cette pratique, chez les Grecs en tous cas. Les Romains feront évoluer cette pratique vers un plus grand réalisme en ayant recours à de nombreux artifices décoratifs qui visent autant à soutenir l’action scénique pour les spectateurs qu’à exposer les richesses de la cité. Le Moyen Âge est connu pour la représentation des Mystères ayant nécessité la conception d’un dispositif fonctionnel (le hourd) équipé de mansions (maisons) représentant, dans une plastique qui associe symbolisme et réalisme …

Parties annexes