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Dans cette section, nous avons décidé de laisser parler la pratique, de recueillir des manifestations d’un en-cours théâtral et d’ouvrir des fenêtres sur le geste de l’artiste. Les exemples ici rassemblés assument leur incomplétude, invitant leurs récepteurs à en poursuivre le déploiement de diverses manières.

Avant les mots

« La haine des animaux » est une liste extraite du téléphone de Dany Boudreault qui rapaille de la matière pour des textes dramatiques ou des poèmes à venir et dont certaines parties ne verront peut-être jamais le jour. C’est volontairement que la mise en page n’a pas été modifiée, afin de conserver l’aspect brut de l’écriture. Or, dans l’espace entre les phrases et paragraphes suspendus, des lignes de poésie et de sens se tendent et s’étirent. Cette surprenante liste non fignolée offre assurément une plongée dans l’univers foisonnant de Boudreault, univers qui constitue « toujours une forme mouvementée », pour reprendre l’heureuse expression de Cyrielle Dodet[1].

S’arrêter au milieu

Suivent des extraits d’un « Cahier à prolonger », sorte de cahier à colorier, à dessiner et à rêver conçu à partir de dessins de Magali Baribeau-Marchand et de textes d’Anne-Marie Ouellet. Ce document accompagne La nébuleuse (2018) de la compagnie L’eau du bain, une installation sonore participative pensée comme une machine à rendre le réel nébuleux. Le trait de crayon de Baribeau-Marchand se distingue par une rencontre entre raffinement du détail et esquisse grossière, comme si l’artiste s’était lassée de son illustration en cours de route ou qu’elle était repassée sur l’oeuvre avec une gomme à effacer, nous invitant à prolonger les traits et à rêver ce qu’aurait pu être le résultat final.

Dans les décombres de l’écriture

« Nyo-morgue » rassemble des restes de l’écriture de Nyotaimori. Sarah Berthiaume y a déposé les mots qui sont autour et en dessous de ceux qui se sont retrouvés dans la pièce créée en janvier 2018 et dans laquelle l’auteure explore « le thème du travail pour voir comment il s’inscrit dans nos corps, comment il nous habite et ultimement, nous définit » (Berthiaume, 2017). Cette morgue textuelle, en rassemblant les mots que les acteurs ne diront pas, vient faire écho à ce double geste de mise au monde et de mise à mort propre à la création artistique traité plus tôt dans l’article « Tuer l’oeuvre dans l’oeuf : dés-écritures du plateau[2] ». Ce document témoigne également de l’architecture fine et complexe de l’écriture dramatique de Berthiaume.