Note de chercheurs

Pertinence de la MTE pour la recherche locale : illustration avec la recherche en Afrique[Notice]

  • Demba Kane et
  • Bassirou Tidjani

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  • Demba Kane
    Université Gaston Berger de Saint-Louis, Sénégal

  • Bassirou Tidjani
    Université Cheikh Anta Diop de Dakar / École Supérieure Polytechnique, Sénégal

« La complexité inhérente à l’Afrique, en tant que sujet d’étude, suscite deux questions récurrentes : premièrement, quelle est la meilleure approche pour étudier l’Afrique? Et deuxièmement, qui est le mieux adapté pour étudier le continent? » [traduction libre] (Bob-Milliard, 2020, p. 2). Si de telles questions s’invitent dans le débat scientifique, c’est qu’elles mettent l’accent sur l’impérieuse nécessité de trouver le moyen de renseigner de façon enracinée, et donc contextualisée, les phénomènes dans la sphère sociale et organisationnelle. Une idée déjà émise en termes d’approche est de faire usage de la transdisciplinarité ou de l’interdisciplinarité. La transdisciplinarité est une source de rupture épistémologique pour la production de connaissances (Kane & Tidjani, 2022). Toutefois, au-delà de la dimension disciplinaire, il faut une méthodologie adéquate. Mom (2018), en se référant au champ particulier du management, montrait que trouver la bonne méthodologie est un défi majeur à relever, d’autant plus que les théories généralement utilisées pour l’analyse des organisations africaines sont quasiment inopérantes (Kane & Tidjani, 2022). Dans cette même veine, Bob-Milliar (2020) soutient que les méthodologies utilisées en Afrique proviennent généralement de cadres élaborés en Occident. La nécessité d’un enracinement culturel « local » est la voie à suivre pour permettre de dépasser cette conception occidentale du terrain africain et pour arriver à une théorisation pertinente qui fera de la recherche africaine une contribution à la connaissance scientifique. La complexité du problème est telle que Bob-Milliar (2020) stipule que « les questions liées aux approches de l’étude de l’Afrique pourraient ne jamais trouver de réponse » [traduction libre] (Bob-Milliar, 2020, p. 2). C’est à cette préoccupation fondamentale que nous consacrons cette réflexion dans laquelle nous voulons montrer que la méthodologie de la théorisation enracinée (MTE ou Grounded Theory en anglais) permet de répondre à ce questionnement. Luckerhoff et Guillemette (2017) rappellent que Pour étayer notre réflexion, nous allons d’abord essayer de comprendre en quoi la recherche en terrain africain nécessite une approche appropriée. Nous verrons ensuite en quoi la MTE est pertinente pour répondre aux exigences de la recherche en terrain africain. Comprendre la nécessité de théories appropriées pour un terrain africain passe par la mise en lumière de son épistémologie, la perception de ce terrain de recherche mettant en perspective sa capacité à participer à la construction d’une science universelle, mais aussi par la mise en lumière de la mesure de l’opérationnalité des théories qui y sont appliquées. Ce discours renforce la perception selon laquelle les chercheurs africains sont compétents en ce qui concerne le travail empirique, mais faibles en matière de théorisation. Par conséquent, la maîtrise des procédés et des méthodologies de théorisation devient cruciale. Les études empiriques générées par les Africains servent généralement de base à l’élaboration de théories par les universitaires du Nord. À cette perception liée à la théorisation s’ajoute celle de la réalité de la marginalisation des résultats de la recherche en Afrique. « Cela a parfois abouti à une simplification excessive des sujets explorés ou étudiés, à des conclusions stéréotypées, ainsi qu’à la marginalisation des chercheurs africains » [traduction libre] (Bob-Milliar, 2020, p. 2). Atta-Asiedu (2020) souligne aussi cette tendance occidentale à maintenir l’épistémologie africaine à l’arrière-plan et dans l’oubli. Obeng-Odoom (2019) note également l’infériorisation des connaissances et des chercheurs du Sud. L’idée est que les chercheurs africains sont des poids lourds sur le plan empirique, mais des poids légers sur le plan théorique. Cette conception traduit une situation ou les théories concernant l’Afrique sont « fabriquées » ailleurs. Elles sont alors décontextualisées, impertinentes et, par conséquent, non opérantes. L’absence de théories correctement et pleinement opérationnelles en contexte africain transparaît dans beaucoup de …

Parties annexes