Dossier

L’ART DU CONTE DANS LA CULTURE CONTEMPORAINE AU QUÉBEC[Notice]

  • Luc Bonenfant et
  • Nicolas Rochette

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  • Luc Bonenfant
    Université du Québec à Montréal/Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises

  • Nicolas Rochette
    Chercheur indépendant

La nouvelle se lit, le conte se dit : bien qu’inspirée d’un théoricien du fantastique, cette sentence lapidaire semble régir l’ensemble des réflexions menées sur le conte. Aussi, au Québec, les théoricien.ne.s du conte se sont généralement arrêté.e.s à sa dimension écrite, comme s’il s’agissait de redonner ses lettres de noblesse au genre en le sortant d’un carcan trop longtemps identifié aux dimensions patrimoniale et ethnologique de son oralité. Aurélien Boivin parle par exemple de « conte littéraire », alors que Jeanne Demers et Lise Gauvin s’intéressent au « conte écrit ». Objet textuel, le conte reste aussi pour eux un objet historique, en ce sens que ce sont les contes du xixe et de la première moitié du xxe siècle qui les retiennent. On ne se formalisera pas trop de cette disposition dans la mesure où, après les années de collectes importantes qui ont été celles de folkloristes et d’ethnologues comme Édouard-Zotique Massicotte, Marius Barbeau et Luc Lacourcière, l’heure était venue pour ces spécialistes d’appréhender le conte historique à partir des outils dont disposent les études littéraires, même si une des conséquences de leurs travaux reste sans doute d’avoir implicitement rangé le conte du côté de ce qu’André Jolles nomme « les Formes savantes ». Cette conception du conte est encore aujourd’hui reconduite au sein des études littéraires, comme en témoigne le récent numéro de Voix et Images intitulé « Mémoire du conte et renouvellement du roman québécois contemporain » : Ici subordonné à l’ordre du roman, le conte peut, suivant ce raisonnement, appartenir à l’ordre de l’écriture et, ce faisant, s’arracher à la dimension passéiste qu’on lui suppose pratiquement toujours. Il peut de la sorte devenir « littéraire » au sens « noble », mais surtout institué, du terme. Car si la nouvelle « appartient de natura à la littérature, née qu’elle est avec celle-ci », il n’en va pas ainsi du conte. D’ailleurs, là où la nouvelle « problématise une situation, [le conte] la simplifie »… Jolles lui-même range le conte du côté des Formes simples, c’est-à-dire des « Formes qui ne sont saisies ni par la stylistique, ni par la rhétorique, ni par la poétique, ni même peut-être par l’“écriture”, qui ne deviennent pas véritablement des oeuvres quoiqu’elles fassent partie de l’art […] ». Pour Jolles, le conte entretient des liens privilégiés avec ces autres Formes que sont par exemple le mythe, l’épopée ou la légende, tous sortes de « gestes verbaux élémentaires ». Il nous semble toutefois que le conte dépasse ce supposé caractère élémentaire que lui attribue Jolles, pour qui ces « Formes […] se produisent dans le langage et […] procèdent d’un travail du langage lui-même, sans intervention, pour ainsi dire, d’un poète ». À l’encontre de cette perspective formaliste qui a pour effet de camper le conte dans le domaine anonyme et artisanal de la parole populaire, nous souhaitons rétablir ici le rôle central du conteur et de la conteuse dans l’art du conte : si le conte « se dit », si le conte est un art de la parole, il ne s’effectue jamais autrement que par le biais d’un conteur, d’une conteuse, qui ne lui est pas tant préalable que coïncident. En ce sens, l’art du conte produit des oeuvres, sans doute en son sens premier d’« [a]ctivité. Travail », mais sans doute surtout au sens esthétique du terme, l’oeuvre étant, comme l’écrit Paul Zumthor, « ce qui est communiqué poétiquement, ici et maintenant : texte, sonorités, rythmes, éléments visuels ; le terme embrass[ant] la totalité des facteurs de la performance ». Sa …

Parties annexes