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Deux grands univers[Notice]

  • Pascal Riendeau

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  • Pascal Riendeau
    Université de Toronto

Est-il possible que Michel Tremblay ait décidé de mettre un terme à cet univers familial du « fils de la grosse femme » qu’il a conçu dès 1966 avec En pièces détachées ? Cela semble difficile à croire. Pourtant, en publiant son dernier roman, La grande mêlée , l’auteur affirme en avoir bel et bien terminé avec ce qu’il appelle son « puzzle », qui s’étend sur presque tout le xxe siècle, soit de 1910 à 1998. Or La grande mêlée n’offre ni conclusion ni rétrospection. Il s’agit plutôt de ce que Tremblay nomme un « roman intercalaire » (5). Cette expression inusitée dans le vocabulaire de la critique littéraire explique bien le rôle joué par La grande mêlée, un roman qui s’insère là où il manquait une pièce et permet à l’ensemble de devenir complet. Le monde du « fils de la grosse femme », s’il inclut le cycle des Chroniques du Plateau-Mont-Royal et la plus récente trilogie de la Traversée de Nana, contient en tout quarante-quatre ouvrages (romans, récits, textes dramatiques, scénarios) liés de près ou de loin aux deux familles de l’alter ego (ou de l’alibi, terme privilégié par l’auteur) de Michel Tremblay, celles de Gabriel et de Nana. Si le nom de la famille de cette dernière (Desrosiers) est connu des lecteurs depuis longtemps, celui de Gabriel était resté un mystère ou plutôt un secret. Ce n’est qu’au moment du mariage de Gabriel et Rhéauna que, pour la première fois, un personnage mentionne le nom « Tremblay ». Ce nom ne peut surprendre tout lecteur fidèle, car son absence participait du jeu entre le réel et le fictionnel que l’auteur s’est plu à mener au moins depuis La grosse femme d’à côté est enceinte en 1978. Ce petit clin d’oeil proustien vers la fin de La grande mêlée montre, peut-être mieux que tout le reste, que Tremblay a bien achevé son puzzle. D’aucuns peuvent se demander si un autre morceau était nécessaire, si Tremblay n’avait pas déjà suffisamment exploité la source familiale. Loin d’être fortuite, une telle interrogation négligerait toutefois de considérer qu’une partie de la richesse de l’oeuvre de Tremblay vient justement de cette abondance de textes, de récits, de drames. Tremblay a construit un véritable univers, complexe et foisonnant, dont la dimension (auto)biographique n’est probablement pas la plus importante. Selon André Brochu, « [l]’imaginaire romanesque de Michel Tremblay s’avère […] d’une puissance peu commune dans notre littérature  ». La grande mêlée ne témoigne sans doute pas de la même puissance que celle des premiers tomes des « Chroniques du Plateau-Mont-Royal ». Les procédés littéraires ayant abondamment été exploités, il reste alors moins de place à la surprise. Il n’empêche que le retour vers le merveilleux — le monde de Rose, de Violette, de Mauve et de leur mère Florence, les tricoteuses ou les « parques locales », selon l’expression de Brochu — permet de raviver cette veine essentielle dans la fiction romanesque de Tremblay. Elles sont de retour à Montréal en 1922 à la recherche de Josaphat-le-Violon, qui erre dans la ville, tourmenté, désabusé. Sa nouvelle rencontre avec les quatre femmes invisibles relancera son imaginaire, lui redonnera le goût de jouer du violon et surtout le courage d’aller parler à son fils, Gabriel, juste avant son mariage avec Nana. Nana apparaît dans ce roman comme une jeune femme intelligente et très lucide, en avance sur son époque ; du moins ses idées et ses actions ne semblent pas déterminées par la morale catholique traditionnelle. Elle lit un nouveau roman de Colette, Chéri, « et qui l’intéresse d’autant plus qu’il …

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