Résumés
Résumé
L’oeuvre de Roland Barthes est tendue entre un désir de reconnaissance et un désir de déprise. Ceci explique sans doute la grande dissension interne relativement à la question des images et de leur puissance. Ne pas être dupe de leur construction mythologique est la devise de la première partie de la recherche sémiologique triomphante de Barthes. Ne pas devenir mythe soi-même, y compris comme figure mythique de la démystification : telle l’autre urgence bio-graphique de la seconde partie de sa recherche embarquée vers le Neutre et partant vers la neutralisation de sa propre “paradigmatisation”.
Loin d’être uni, le désir de savoir (en tant que véritable libido sciendi) suit une série de mouvements étonnamment disparates entre le haut de la positivité et le neutre de la suspension. Car, le point important dans la compréhension de l’oeuvre tient à la place de la négativité. La négativité ne relève pas de la négation ni de la contradiction mais du négatif, au sens quasi photographique du terme, celui qui hantera de ses “poignances” la fin de l’oeuvre (La chambre claire). Ce qui s’oppose à la positivité, ce n’est pas le moins, mais le neutre. Telle est la leçon théorique, existentielle et surtout gnoséologique de la recherche intime d’une oeuvre-homme. Il est impossible, en effet, de nier la “Méthode” en proposant la jouissance de l’anarchie épistémologique. Il n’est possible que de la désamorcer en lui préférant la “Culture”, c’est-à-dire la nuance infinie des mots et des métonymies. En écho, on entendrait presque l’art théorique et littéraire de Michel Foucault : “ce qui s’oppose à la vérité, ce n’est pas le mensonge, mais la mort.”. La mort vivante, voilà l’autre nom possible du Neutre ou de la culture, si l’on lui restitue sa pleine signification.
C’est en cela que Roland Barthes doit nous accompagner de sa “maîtrise” (au double sens du terme), paradoxale : il devient notre maître en déprise et en courage de l’interprétation ouverte face aux diktats de la Vérité et de ses injonctions. Dans l’analyse culturelle, médiatique et visuelle de notre époque, la Vérité qui écrase, s’appelle le “décryptage” ou dans une version moins agressive, le “dévoilement”. Version affadie de la démystification, elle en est néanmoins le triste avatar contemporain.
Barthes est le mal et le remède. Sa tension interne procède de la prise de conscience, me semble-t-il, de cette dualité. Le Neutre pourrait être une dernière fois paraphrasé comme le désir de suspendre la terrorisante dialectique entre “cacher” et “révéler”, entre “dissimuler” et “dévoiler”, entre “encrypter” et “décrypter”.
Aussi Barthes devient-il le pharmakos de sa propre caricature, qu’il voyait se profiler dès l’écriture de ses grands ouvrages sur l’idéologie. Une remédiation possible par le langage, par l’écriture, par le pouvoir de l’éclat “mat” des miroitements du sens caressés comme des fragments. Barthes est notre maître pour échapper au monstre qu’il a enfanté : la méthode sémiologique.
Abstract
Roland Barthes’s oeuvre is drawn tightly between a desire for recognition and a desire for underestimation. This undoubtedly explains the great internal dissonance with respect to images and their power. Not being fooled by their mythological construction was the watchword of the first part of Barthes’ triumphal semiotic research. Not becoming a myth himself, including as a mythical figure of demystification : such was the other bio-graphical urgency of the second part of his research, on which he embarked towards Neutrality in the direction of the neutralization of his own paradigmatic status.
Far from being united, the desire for knowledge (as a true libido sciendi) follows a series of astonishingly disparate movements between the high point of positivity and the neutrality of suspension. For the important point in understanding Barthes’s oeuvre lies in negativity. Negativity is not a question of negation or contradiction, but rather of the negative, in the almost photographic sense of the term, which in its poignancy would haunt the late stages of Barthes’s oeuvre (Camera Lucida). The opposite of positivity is not the minus sign; it is the neuter. That is the theoretical, existential and above all gnosiological lesson of the intimate research of a person-oeuvre. Indeed it is impossible to deny “Method” by proposing the jouissance of epistemological anarchy. It is only possible to disarm it in favour of “Culture,” meaning the infinite nuance of words and metonyms. One almost hears an echo of the theoretical and literary art of Michel Foucault : “the opposite of truth is not a lie, but death.” Living death : here is the other possible name for the Neuter or for culture, if we restore its full meaning to it.
This is how Roland Barthes must guide us with his paradoxical “mastery” (in both senses of the term) : he becomes our master of underestimation and of having the courage of open interpretation in the face of the diktats of Truth and its injunctions. In cultural, media and visual analyses of our times, Truth which crushes is called “decoding” or, in a less aggressive version, “unveiling.” An insipid version of demystification, it is nevertheless our sad contemporary avatar.
Barthes is the illness and the cure. His internal tension, it appears to me, derives from his act of becoming conscious of this duality. The Neuter can be paraphrased a final time as a desire to suspend the dialectical terrorism between “conceal” and “reveal,” between “dissimulate” and “unveil,” and between “encode” and “decode.”
Barthes, therefore, becomes the pharmakós of his own caricature, which he saw loom up right from his major works on ideology. A possible remediation through language, through writing, through the “dull” brilliance of the glimmering of meanings caressed like fragments. Barthes is our master for escaping the monster to which he gave birth: the semiotic method.
Parties annexes
Bibliographie
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