Depuis une dizaine d’années, l’enjeu de la laïcité au Québec a nourri plusieurs de nos débats sociaux et réflexions collectives. Entrecroisant la neutralité de l’État, les valeurs québécoises, l’étendue d’un « nous » collectif et national, et les devoirs d’une majorité face aux minorités, ces débats ont rendu inévitable l’émergence de conflits entre forces politiques. Diverses solutions ont effectivement été proposées afin d’orienter le plus justement la trajectoire des Québécois. Dans Laïcité et valeurs québécoises, Guillaume Lamy offre un portrait d’ensemble de ces débats. Son analyse, qui expose une « collision à trois » entre les familles de pensée que sont les républicains civiques, les républicains conservateurs et les penseurs libéraux apparaît comme la plus nuancée et la plus exhaustive à ce jour. Sébastien Lévesque, dans Penser la laïcité au Québec, rassemble quant à lui différentes propositions de ces mêmes penseurs libéraux. Si Lamy s’efforce de respecter une neutralité axiologique dans sa description analytique des événements, les auteurs qu’a conviés Lévesque prennent plutôt position en faveur d’une « laïcité ouverte », proposant ainsi un argumentaire normatif. Je présenterai d’abord une synthèse de ces deux ouvrages, et conclurai par un commentaire critique invitant à poursuivre la réflexion. Guillaume Lamy détient une maîtrise en sociologie de l’Université du Québec à Montréal et s’intéresse aux controverses idéologiques et scientifiques. Il est également le fondateur de l’Initiative pour la diffusion des essais, biographies et collectifs et anime depuis 2010 au Canal Savoir Les publications universitaires. Dans Laïcité et valeurs québécoises, il décortique les récents débats sur la laïcité au Québec. Son intention est explicite : « mettre de l’ordre dans le chaos de la controverse de la décennie » (p. 16). Pour ce faire, Lamy fait sienne la tradition de la sociologie du conflit : le conflit, plutôt que d’être considéré comme une pathologie sociale, est appréhendé au titre de processus délibératif permettant ultimement de faire société (Thériault, 2007) et au terme duquel la victoire d’un groupe sur un autre engage une orientation particulière de la trajectoire collective. Pour l’auteur, cette controverse n’est pas de nature scientifique, puisque le débat qui en émerge est global et concerne toute la société, sans comporter de restriction sur le droit de parole ni imposer de règles argumentatives. La controverse est plutôt idéologique, et en faire la description analytique revient à cartographier les forces politiques qui l’incarnent, à savoir les familles de pensée que sont a) les républicains civiques; b) les républicains conservateurs; et c) les penseurs libéraux. On peut découper Laïcité et valeurs québécoises en quatre sections. La première présente « les préliminaires à la controverse » en faisant le récit de l’enchaînement des événements qui l’ont déclenchée. Parmi ces événements, Lamy revient sur la « crise » des accommodements raisonnables, la commission Bouchard-Taylor qui l’a suivie, la mise en oeuvre du programme Éthique et culture religieuse, les débats entourant le dépôt du projet de loi n° 94 du gouvernement libéral, et enfin le dépôt du projet de Charte des valeurs du gouvernement péquiste. Avant d’entrer au coeur de son analyse et de présenter les trois familles de pensée, Lamy propose également d’appréhender l’enjeu de la laïcité au Québec comme un nouveau clivage politique, dépassant à cet égard ceux entre gauche et droite et entre souverainistes et fédéralistes, et créant de cette manière de nouvelles alliances entre certains opposants d’hier. Pour l’auteur, ce clivage prend la forme d’une « collision à trois » qui s’articule autour des réponses données à deux questions centrales : la présence du crucifix derrière le siège du président de l’Assemblée nationale est-elle légitime? Les employés de …
Parties annexes
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