Fernand Ouellet est sans contredit l’un des historiens les plus influents des cinquante dernières années. Avec cet ouvrage imposant, il prouve qu’il n’a rien perdu de l’iconoclasme qui, avec la rigueur et l’originalité de ses analyses, a fait sa réputation et alimenté des débats historiographiques passionnants. L’Ontario français dans le Canada français avant 1911 représente, pour emprunter au préfacier Yves Frenette, la « somme de sa ”carrière franco-ontarienne” » amorcée il y a vingt ans et apporte une contribution majeure à l’historiographie de l’Ontario français. En effet, les chercheurs ont été peu nombreux jusqu’ici à s’intéresser à l’histoire de l’Ontario français en exploitant les méthodes d’analyse quantitative et comparative et en mettant en relation des variables comme la langue, la religion, l’ethnicité, le statut socioéconomique, le taux d’alphabétisation ou la fréquentation scolaire. À partir d’une analyse des recensements publiés et nominatifs du Canada, Ouellet brosse, avec la patience et la minutie qu’on lui connaît, un portrait de l’Ontario français au XIXe siècle dont le but est d’en démonter la complexité sociodémographique. Fidèle à lui-même, Ouellet écorche au passage l’« historiographie traditionnelle » dont il tente de déconstruire quelques-uns des mythes. L’ouvrage comporte huit chapitres regroupés en deux grandes parties. La première pose un regard comparatif sur les diverses communautés canadiennes-françaises du pays au XIXe siècle (le Québec, l’Ontario français et l’Acadie, pour l’essentiel) en analysant leur composition démographique, leur participation à l’industrie agricole, leur rapport à la ville, leur taux d’urbanisation, de fréquentation scolaire, d’alphabétisation, etc. La seconde regroupe trois chapitres qui sont autant de clichés, à un moment donné, de trois régions franco-ontariennes : l’Est (Hawkesbury, Alfred et Prescott), le Sud (Malden et Sandwich) et Ottawa. Les conclusions de l’historien sont nombreuses et ne se prêtent pas facilement à l’exercice du résumé et de la synthèse. Pour l’essentiel, Ouellet démontre que la réalité sociale, démographique et économique des Canadiens français (y compris les Acadiens) au XIXe siècle est plurielle et défie les interprétations faciles. Le tout premier chapitre est d’ailleurs entièrement consacré à une critique en règle des historiens « traditionnels » qui, pour des raisons purement idéologiques, auraient réduit l’expérience historique des Canadiens français à une lutte contre la modernité en exagérant leur taux de natalité, en magnifiant leur « vocation agricole » et en faisant de leur distinction nationale et religieuse leur unique préoccupation. Ouellet soutient, au contraire, que les Canadiens français avaient adopté – graduellement – un comportement sociodémographique semblable à celui des autres groupes ethnoculturels, et ce, dès le XIXe siècle : leur taux d’urbanisation, d’alphabétisation et d’urbanisation était à la hausse, tandis que leur taux de natalité était à la baisse. Ce faisant, les Canadiens français fondaient leur action sur une logique plus matérielle que nationaliste et faisaient preuve d’une autonomie bien plus grande qu’on ne l’a cru par rapport au discours de leurs élites clérico-nationalistes (et de leurs historiens), qui cherchaient davantage à camoufler la réalité qu’à la comprendre. Cela dit, Ouellet signale qu’il existait, malgré tout, un écart considérable entre la situation canadienne-française et celle des autres groupes ethnoreligieux, en particulier celui des anglo-protestants. À presque tous les niveaux, les catholiques accusaient un retard sur les protestants. Même à l’intérieur du groupe des catholiques, les Irlandais devançaient les Canadiens français. Des trois groupes, anglo-protestant, irlando-catholique et franco-catholique, c’était le troisième qui connaissait, en règle générale, la situation économique la moins reluisante, qui se trouvait au bas de l’échelle sociale, qui était sous-représenté parmi les grands entrepreneurs, dont le rendement agricole était le plus pauvre et dont le taux de scolarité et d’alphabétisation était le plus bas. Il s’agit …
Fernand Ouellet, L’Ontario français dans le Canada français avant 1911. Contribution à l’histoire sociale, Sudbury, Prise de parole, 2005, 548 p.[Notice]
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Michel Bock
Département d’histoire,
Université d’Ottawa.