Résumés
Résumé
Les familles d’enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme (TSA) vivent des difficultés financières importantes en raison des besoins de services spécialisés de ces enfants et du faible taux d’emploi des mères. À la lumière du contexte actuel où l’indépendance financière et l’autonomie entre partenaires sont valorisés, les auteures veulent circonscrire les dynamiques économiques entre les parents d’enfant ayant un TSA. L’analyse qualitative réalisée à partir de 18 entretiens auprès de ces parents démontre que les inégalités financières dans le ménage sont courantes et que les mères sont susceptibles de s’appauvrir à court, à moyen et à long terme.
Mots-clés :
- conditions socio-économiques des femmes,
- travail du care,
- handicap,
- travail et famille,
- pauvreté des femmes
Abstract
Families of children with autism spectrum disorder (ASD) experience significant financial hardship due to the specialized service needs of these children and the low employment rate of these mothers. In light of the current context in which financial independence and spousal autonomy are valued, the authors aim, with this study, to identify the economic dynamics between spouses who are parents of children with ASD. The qualitative analysis of 18 interviews with these parents shows that financial inequalities in the household are common and that mothers are likely to be impoverished in the short, medium and long term.
Resumen
Las familias de niños con el transtorno del espectro del autismo (TEA) enfrentan grandes dificultades financieras debido a las necesidades de servicios especializados requeridos para estos niños y a la baja tasa de empleo de las madres. Este estudio tiene como objetivo identificar las dinámicas económicas entre los cónyuges que son padres de niños con el TEA, en el contexto actual en el que se valoran la independencia financiera y la autonomía entre cónyuges. El análisis cualitativo basado en 18 entrevistas ante estos padres muestra que las desigualdades financieras en el hogar son comunes y que las madres corren más riego de empobrecerse a corto, mediano y largo plazo.
Corps de l’article
Les idéaux contemporains d’indépendance financière et d’autonomie entre les deux partenaires d’un couple valorisent la présence des femmes sur le marché du travail de même qu’une gestion individualisée des ressources financières au sein des ménages. Les pratiques reflètent d’ailleurs de plus en plus ces idéaux. En effet, la mise en commun de l’ensemble des revenus correspond à la réalité d’une fraction des couples au Québec (Belleau et Lobet 2017)[2]. Dans ce contexte, il devient toujours plus clair que le concept de revenu familial ne permet plus de décrire la réalité des couples d’aujourd’hui et qu’il contribue au contraire à camoufler des inégalités et des trajectoires d’appauvrissement qui trouvent leurs sources en partie à l’intérieur même des ménages (Cantillon 2013; Phipps et Woolley 2008; Rheault et Crespo 2015). Aborder l’économie domestique du seul point de vue des ressources financières et de leur redistribution intrafamiliale présente cependant un portrait partiel de la réalité. Le temps est aussi une monnaie que l’on peut collectiviser, individualiser, comptabiliser, échanger, etc. L’importance du travail domestique et éducatif réalisé dans la sphère familiale, à la fois non rémunéré et non reconnu, n’est certes plus à démontrer.
Dans l’analyse qui suit, nous tenterons de comprendre les dynamiques de partage de l’argent à l’intérieur de couples ayant des enfants qui présentent un trouble du spectre de l’autisme (TSA), et ce, en tenant compte des enjeux de temps propres à ces familles. Ce trouble, qui touche de nos jours plus d’un ou d’une enfant sur 100 (CDC 2014) constitue le handicap le plus prévalent chez les enfants d’âge scolaire au Québec (Noiseux 2014). Si les caractéristiques et les défis des enfants touchés présentent d’importantes variations, ce trouble affecte toujours de façon marquée les sphères de la communication et du comportement (APA 2013), ce qui mène à un surplus de travail important pour les parents, et pour les mères en particulier.
Jusqu’à présent, les études qui ont porté sur les familles d’enfants ayant un TSA ont rarement abordé les dynamiques de répartition du temps et de l’argent. S’il est documenté que les mères d’enfants présentant des besoins particuliers effectuent une grande proportion du travail domestique et de soin requis pour ceux-ci et celles-ci, l’effet de cette surtâche sur la répartition de l’argent au sein des couples, tout comme l’effet différencié des difficultés financières familiales sur les hommes et les femmes, n’a jamais, à notre connaissance, été étudié. L’originalité de l’approche tient au fait que notre regard, en se posant sur les situations de ces familles particulières où les exigences en matière de temps et d’argent sont décuplées, peut servir de révélateur de dynamiques et d’enjeux vécus par de nombreuses familles, qu’elles aient ou non des enfants présentant un trouble du développement.
Les familles d’enfants ayant un TSA : travail intensif et stress financier
Prendre soin au quotidien d’un ou d’une enfant présentant un TSA constitue une tâche très lourde, qui nécessite un investissement majeur en fait de temps et une expertise particulière que les mères, généralement, sont appelées à développer (des Rivières-Pigeon et autres 2015). Les caractéristiques de ce trouble du développement font en sorte que l’engagement personnel des parents dans les tâches éducatives spécialisées est perçu comme particulièrement important et est fortement valorisé par les professionnels et les professionnelles de l’éducation et de la santé. En effet, ce trouble apparaît durant la petite enfance, et les déficits marqués en termes d’habiletés sociales et de langage qui caractérisent le TSA peuvent être atténués par des exercices ciblés s’ils sont effectués de façon précoce et intensive, soit de 20 à 40 heures par semaine. Dans certains cas, cette stimulation permet à l’enfant d’acquérir les habiletés sociales et cognitives suffisantes pour suivre avec succès un parcours scolaire ordinaire (Poirier et des Rivières-Pigeon 2013).
Au Québec, les centres de réadaptation ont le mandat d’offrir 20 heures hebdomadaires de stimulation à tous les enfants qui présentent un TSA et qui sont âgés de 5 ans ou moins (MSSS 2003). Ce service public demeure cependant peu accessible, le délai d’attente pour y accéder pouvant atteindre deux ans (Protecteur du citoyen 2009). Dans ce contexte, les parents, surtout les mères, se trouvent contraints d’effectuer personnellement cette stimulation ou de se tourner vers le réseau de services privés (Dionne et autres 2012; Protecteur du citoyen 2009). Certaines interventions, comme l’orthophonie ou l’ergothérapie, ne sont tout simplement pas offertes dans le réseau public des services de santé ou d’éducation et plusieurs familles doivent avoir recours à des services spécialisés pour le gardiennage, durant une période pouvant s’étirer jusqu’à la fin de l’adolescence et même jusqu’à l’âge adulte. Or, les services d’intervention spécialisés en autisme sont extrêmement coûteux. À titre d’exemple, un an d’intervention comportementale intensive (ICI) peut coûter de 15 000 à 55 000 $, et ce, uniquement pour les frais de personnel (Norris, Paré et Starky 2006). En conséquence, une grande proportion de familles d’enfants ayant un TSA rapportent avoir des difficultés financières. Dans une récente étude québécoise menée auprès de 180 parents, 65 % mentionnaient ressentir un stress financier important (des Rivières-Pigeon et Courcy 2014).
Il n’est donc pas étonnant de constater que le travail de soins requis par les enfants présentant un TSA engendre fréquemment une réorganisation des rôles familiaux entre les parents. Au cours des deux années suivant le diagnostic de l’enfant, près de la moitié des mères quittent leur emploi ou diminuent leurs heures de travail rémunéré pour s’occuper davantage de leurs enfants (Courcy et des Rivières-Pigeon 2014). Les changements d’emploi vécus par les pères vont, au contraire, les mener à augmenter leurs heures de travail rémunéré (Hartley et autres 2014). Cette modification dans la participation des mères au marché de l’emploi occasionne une perte de revenu non négligeable pour elles, mais aussi pour la famille. Dans une étude américaine, les mères d’enfants ayant un TSA avaient un revenu de 56 % inférieur à celui des mères d’enfants tout-venant et de 35 % inférieur à celui des mères d’enfants ayant d’autres types de limitations (Cidav, Marcus et Mandell 2012).
Des arrangements financiers peu documentés
Si certains auteurs et auteures ont mis en évidence le phénomène du stress économique dans le champ d’études des TSA, peu de recherches ont porté sur les arrangements financiers des parents et sur leurs conséquences à plus ou moins long terme. Les mère et père tentent-ils d’équilibrer les pertes de revenus subies par la mère particulièrement? Discutent-ils davantage de ces questions que ne le font les couples en général (Bennet 2013; Belleau, Lavallée et Seery 2017; Burgoyne et autres 2006)?
L’État attribue souvent une fonction redistributive plus ou moins égalitaire à la famille (Delphy 2002), fonction qui ne trouve pas toujours d’appui dans la pratique, comme le montrent les recherches empiriques récentes dans ce domaine (Cantillon 2013; Belleau et Proulx 2010; Burgoyne et Lewis 1994; Kenney 2006). Pour saisir la nature des arrangements financiers, on doit prendre en considération les dimensions suivantes : qui possède l’argent, qui a accès directement aux diverses sources d’argent qui entrent dans le ménage, qui contrôle les dépenses importantes et qui gère l’argent au quotidien (Ashby et Burgoyne 2009; Elizabeth 2001; Collavechia 2008; Woolley 2000; Belleau 2008). Ces dimensions permettent de rendre compte du marquage social de l’argent tel que l’a théorisé la sociologue Viviana Zelizer (1997). En effet, l’argent échangé dans un couple au sein de la sphère domestique ne l’est jamais de façon neutre et impersonnelle. Les deux partenaires « marquent » l’argent et dépassent ainsi la « rationalité calculatrice » qui lui est généralement associée. Son sens se trouve socialement construit en fonction de cet espace social spécifique qu’est la famille et en fonction du genre et de l’appartenance de classe de celles et ceux qui le manipulent (Zelizer 1997).
Les objectifs de l’étude
Notre analyse cherche à circonscrire les dynamiques économiques entre conjoints et conjointes qui sont parents d’enfants ayant un TSA, alors que surviennent des charges financières importantes, une diminution des revenus, une réorganisation des rôles familiaux, et ce, dans un contexte où règne un certain idéal d’autonomie et d’indépendance dans la vie conjugale.
La démarche méthodologique
Les résultats présentés dans notre article sont issus d’un projet de recherche plus large dont l’objet consistait à analyser les dynamiques et les réseaux des familles ayant un ou une enfant qui présente un TSA. Dans le contexte de ce projet, nous avons recruté 13 familles résidant majoritairement dans l’agglomération de Montréal, mais aussi en Montérégie et dans la région de Québec, par l’entremise d’un « appel à participation » publié sur trois groupes Facebook composés de parents d’enfants ayant un TSA. Cet échantillon orienté regroupait des parents de différents niveaux socioéconomiques, de niveaux de scolarité variés ainsi que de situations familiales et conjugales diverses. Parmi les 13 familles, 2 étaient recomposées et 2 étaient monoparentales (une mère et un père). De même, dans 5 des 11 familles biparentales, les mères et les pères ont tous deux acceptés de participer à l’étude. Au total, 18 entrevues semi-dirigées individuelles d’une durée variant de 1 h 30 min à 2 h 30 min ont été réalisées auprès de 11 mères, d’une belle-mère et de 6 pères. La plupart des entrevues se sont déroulées au domicile des participants et des participantes, les autres ayant été réalisées à leur lieu de travail ou à la bibliothèque. Une seule a été effectuée par l’intermédiaire du logiciel de téléphonie Skype. Tous les pères des familles de l’étude travaillaient à temps plein, excepté le père à la tête d’une famille monoparentale et un père qui était en congé de paternité au moment de l’entrevue. En contrepartie, 2 mères travaillaient à temps plein, 6 le faisaient à temps partiel, 3 n’étaient pas en emploi et une était en congé de maternité. Au total, 10 familles avaient plus d’un ou d’une enfant à charge. Le tableau ci-dessous présente les caractéristiques des familles participantes.
Notre grille d’entrevue comportait des questions sur les réseaux des parents à trois moments clés de la vie de leur enfant ayant un TSA, de même que des questions sur l’organisation des ressources financières dans leur couple. Nous avons conçu cette dernière section de la grille à partir d’un projet portant sur la gestion des finances dans les couples québécois (Belleau et Proulx 2010) et nous l’avons adaptée pour les besoins de notre étude. Nous avons basé notre analyse des entretiens sur des concepts existants dans la littérature tels que les modes de gestion des finances, l’autonomie financière, le marquage et la collectivisation de l’argent. Le marquage de l’argent renvoie à la pratique qui consiste à attribuer un sens particulier à certains montants d’argent ou à utiliser des sommes selon des modalités spécifiques. Par exemple, l’argent gagné en accomplissant un petit travail en surplus du travail ordinaire est parfois géré et dépensé séparément par son ou sa propriétaire plutôt que collectivisé dans le revenu familial. Plus les relations conjugales sont difficiles et complexes, plus on tend à créer de nouvelles catégories d’argent telles que la pension alimentaire, l’allocation ou l’héritage (Zelizer 1989). Une analyse plus inductive des entretiens nous a permis de faire ressortir les particularités des familles d’enfants ayant un TSA en ce qui a trait aux dynamiques économiques entre parents.
L’analyse des résultats
Une réalité familiale qui crée un stress financier
Comme l’indique le tableau présenté plus haut, et de façon analogue aux études citées précédemment, la majorité des mères de notre étude n’occupaient pas d’emploi ou avaient un emploi à temps partiel pour avoir le temps de s’occuper de leurs enfants ayant un TSA. Une mère raconte comment s’est prise cette décision :
Je m’étais dit que j’allais y retourner, mais là… Je n’y retournerai pas […] avec les diagnostics et tout ça. [Mon fils,] ce n’est toujours pas facile à l’école, l’école peut m’appeler deux ou trois fois par semaine, donc… Je ne vois pas quel employeur va accepter que je parte à tous les deux jours de mon travail!
Mère 1
Cette perte non prévue d’une partie ou de la totalité du revenu des mères avait pour effet de créer un stress financier important :
Elle a perdu tout revenu, elle s’est ramassée avec zéro entrée d’argent. Ce n’était pas évident. Je ne faisais pas le salaire que je fais aujourd’hui non plus, alors… On mangeait nos bas.
Père 7
Les difficultés financières des familles résultaient également du coût élevé des services requis pour l’enfant ayant un TSA. En effet, 12 des 13 familles ayant participé à notre étude ont déboursé pour obtenir un ou des services du secteur privé (orthophonie, ergothérapie, évaluation diagnostique ou ICI). Afin de payer les sommes requises pour ces services, souvent facturés plus de 100 $ la séance, certaines familles étaient prêtes à faire de grands sacrifices, à s’endetter et à mettre en péril leur sécurité financière. Par exemple, certaines familles ont diminué les dépenses liées à des sorties ou à leurs vacances familiales, mais d’autres ont été jusqu’à réhypothéquer leur maison ou ont puisé dans leurs épargnes personnelles, tandis que des familles ont fait faillite. Certaines familles ont déboursé pour une évaluation diagnostique, mais elles n’avaient pas les moyens d’aller chercher davantage de services. Une mère qui travaille et dont le revenu familial est supérieur à 100 000 $ expliquait ceci :
Parce que nous, à cause du fait qu’on a quatre enfants, on n’a pas de temps, on n’a même pas d’argent pour du tutorat et… On n’a rien, on n’a pas d’argent pour de l’orthophonie, pour de l’ergo… Tu sais, il n’a rien d’autre que sa TS [travailleuse sociale].
Mère 6
Cet exemple révèle que le stress financier peut être présent même au sein de familles dont le revenu est élevé. Il illustre également que le temps doit être pris en considération dans le choix d’accéder ou non à des services pour l’enfant. Pour une mère qui travaille et qui a plusieurs enfants, il peut être difficile d’avoir la disponibilité requise pour offrir des services supplémentaires à son enfant ayant un TSA.
Même lorsque les familles avaient contracté une assurance, les montants versés ne couvraient qu’une petite proportion du coût total engendré. Il en est de même pour les aides financières pour enfants handicapés, qu’il s’agisse des subventions, des prestations, des crédits d’impôt ou des déductions fiscales. Celles-ci n’étaient pas suffisantes pour couvrir les frais et certaines familles n’y avaient tout simplement pas accès. Une mère mentionnait ainsi ne pas avoir pu recevoir la prestation réservée aux parents d’enfants handicapés, car les limitations de sa fille n’avaient pas été jugées comme suffisamment graves pour obtenir ce supplément :
L’aide financière pour les enfants handicapés… Elle n’est pas assez handicapée, ma fille, pour avoir l’allocation.
Mère 9
L’aide octroyée par le gouvernement du Canada, quant à elle, est réservée aux seules familles ayant un revenu faible ou modeste. De plus, les démarches requises pour accéder à ces formes d’aide financière sont souvent difficiles : les parents doivent remplir divers formulaires et obtenir l’attestation d’un professionnel ou d’une professionnelle confirmant le handicap de l’enfant (Fédération québécoise de l’autisme s. d.). Certains parents de notre étude ont dû payer des frais, directement à leur médecin, pour que celui-ci ou celle-ci remplisse le formulaire nécessaire à l’obtention d’une prestation financière. Quant aux déductions fiscales qui peuvent s’appliquer sur les coûts des services spécialisés, celles-ci ne sont avantageuses que pour les familles qui payent beaucoup d’impôt.
Une perte d’autonomie financière pour les mères
Dans les familles ayant participé à notre étude, ce sont des mères, et non des pères, qui ont soit quitté leur poste, soit diminué leurs heures de travail rémunéré. Ces changements n’avaient pas uniquement pour effet de diminuer le revenu familial : ils entraînaient souvent une perte d’autonomie financière pour les femmes. En effet, alors que la réduction de leurs heures ou l’arrêt de leur travail rémunéré avait souvent fait l’objet de discussions au sein du couple, sous l’angle notamment des avantages pour la famille et l’enfant, l’impact financier de ce changement était rarement abordé. Ni la réduction des ressources financières résultant de cette situation, ni les répercussions de ces changements sur l’autonomie financière des mères n’étaient généralement discutées. Par conséquent, dans de nombreux cas, aucune stratégie n’était mise en place pour pallier la perte du revenu des mères.
Par exemple, une mère de notre étude vivait une situation financière stressante depuis qu’elle avait changé d’emploi en raison des difficultés de son enfant. Elle n’avait pas accès au revenu de son conjoint. Comme ce couple utilisait un mode de gestion basé sur le partage des dépenses moitié-moitié indépendamment des écarts de revenus, cette mère s’appauvrissait davantage que son conjoint :
J’ai fait une consolidation de dettes l’année passée. Je fais autour de 28 000 ou 30 000 et [mon conjoint,] autour de 70 000. C’est ça. Il n’arrive pas à comprendre que, lui, il fait deux fois mon salaire… Et il voudrait qu’on paie moitié-moitié… Je ne suis pas capable.
Mère 9
Une autre mère, qui, elle, avait complètement cessé son travail rémunéré, vivait une situation semblable. Elle n’avait pas accès à l’argent de son conjoint au-delà des dépenses de base de la famille comme celles qui sont liées à l’alimentation. Cette mère devait toutefois contribuer à payer les dépenses familiales avec les allocations qu’elle recevait du gouvernement. Il lui restait donc très peu d’argent pour elle-même, contrairement à son conjoint :
Le midi, il dîne au resto, mettons. Moi, je ne peux pas me le permettre. On ne peut pas vraiment comparer : moi, j’ai peut-être 300 $ par mois qui rentre et lui en a je ne sais pas trop combien…
Mère 7
Dans certaines familles, l’organisation des ressources financières s’est modifiée à la suite de la perte de revenu de la mère. Dans l’exemple suivant, cette réorganisation devait notamment simplifier la gestion de l’argent :
Pendant longtemps on avait chacun notre compte, plus un compte conjoint. Depuis un an, on a tout mis ensemble. Parce que moi, de toute façon, je n’avais pas de revenu. Pour simplifier la gestion, bien on a un seul compte maintenant.
Mère 12
Ce mode de gestion basé sur la mise en commun des revenus a permis de maintenir l’autonomie financière de cette mère malgré son absence de revenu, outre qu’il est une façon de reconnaître et de valoriser le travail domestique et de soin qu’elle effectue. Cette organisation financière était d’ailleurs préconisée par plusieurs couples de notre étude. Or, même dans ces familles qui semblent en apparence partager l’ensemble des ressources financières, on constate que des inégalités peuvent survenir. Cette situation résulte du fait que la personne qui gagne l’argent se sent plus libre de l’utiliser que celle qui n’a pas de revenu. C’est le phénomène du « marquage de l’argent » (Zelizer 1989; Belleau et Proulx 2010). Ainsi, bien que le couple ait une vision collective de l’argent et que les mères aient techniquement accès à l’argent ou au compte de leur conjoint, la provenance de l’argent n’est jamais oubliée, et cela se manifeste dans des inégalités réelles, bien qu’elles soient partiellement cachées.
Ainsi, les mères qui avaient accès à l’ensemble des ressources financières de la famille paraissaient faire moins de dépenses personnelles que leur conjoint, situation visible dans l’extrait suivant :
Souvent, je vais acheter quelque chose pour mon fils et je pense : « Ah! Je vais acheter quelque chose pour ma fille! » Je dépense plus au niveau familial que pour moi. Alors que mon conjoint, ce pour quoi il dépense le plus, ce sont ses dîners. Tu sais, il mange tout le temps à l’extérieur…
Mère 5
Il est possible que ces mères ne se sentent pas légitimes de dépenser pour elles-mêmes puisqu’elles savent que l’argent provient du salaire de leur conjoint et qu’elles veulent éviter de se sentir redevables envers lui.
La collectivisation de l’argent : les mères dépensent pour la famille malgré leur situation financière précaire
Un constat important émane des résultats de notre étude, soit la façon dont les mères utilisent l’argent auquel elles ont accès. Très souvent, ces femmes collectivisent leur argent pour la famille, c’est-à-dire qu’elles utilisent leur argent au bénéfice de la famille ou de leurs enfants plutôt que pour répondre à leurs besoins personnels. Certaines utilisaient leurs épargnes personnelles pour maintenir le niveau de vie de la famille, comme dans l’extrait suivant où une mère indique économiser afin de pouvoir emmener sa famille en vacances :
Pendant l’année, j’avais ramassé de l’argent pour aller en vacances pendant l’été, mais je vais emmener tout le monde, là! […] C’est tout le monde qui en profite, là. Ce n’est pas juste moi.
Mère 2
De son côté, son conjoint investissait dans des actions, donc hors du patrimoine familial.
De plus, les mères étaient nombreuses à débourser et même à s’endetter personnellement pour que l’enfant ayant un TSA ait accès à des services donnés par le secteur privé. Plusieurs raisons peuvent être mentionnées pour expliquer le fait que ce sont souvent les mères qui paient les services spécialisés. Les mères étant plus engagées dans l’éducation de leur enfant, elles ont peut-être davantage conscience de ses besoins de soutien. De plus, comme elles effectuent une plus grande proportion du travail domestique et de soin requis par l’enfant, elles pourraient percevoir cette aide comme une dépense personnelle car l’intervention, en soutenant l’enfant, a concrètement pour effet de les soulager d’une tâche qu’elles auraient autrement à exécuter. D’ailleurs, non seulement les pères soulignaient moins fréquemment l’importance de dépenser pour des services au privé, mais plusieurs ne semblaient même pas avoir conscience de l’ampleur des coûts que les services engendraient. Un des pères ayant participé à notre étude, qui élevait seul son enfant, constituait toutefois une exception en ce qui a trait à la collectivisation de l’argent. Dans l’extrait suivant, il explique dépenser plus volontiers pour son enfant que pour lui-même :
Je vais me priver sur d’autres affaires, ça ne me dérange pas… Il y a trois semaines, j’ai acheté un ordinateur à [mon fils]! […] Je n’hésite pas… 100 $, 200 $, 300 $ pour lui, spontanément. Mais moi, quand c’est le temps de m’acheter du linge… J’y pense.
Père 3
Ce père, qui s’occupait seul de son enfant, était particulièrement présent auprès de celui-ci et jouait un rôle très actif pour favoriser son développement. L’engagement personnel auprès de l’enfant pourrait donc être un élément clé pour expliquer ce qui pousse les parents à prioriser les dépenses susceptibles de répondre aux besoins de leurs enfants.
Le système québécois d’allocations familiales pourrait également permettre de comprendre en partie la tendance qu’ont les mères à collectiviser leur argent. Au Québec, ce sont les mères, et non les pères, qui reçoivent ces allocations. Nous avons pu constater que ce versement aux mères permettait à celles qui ont un faible revenu d’avoir un peu plus d’argent, mais il semble contribuer à maintenir l’idée selon laquelle les mères sont les principales responsables des dépenses liées aux enfants. L’analyse du propos des pères nous amène à constater que ceux-ci sont nombreux à considérer que, en raison des allocations, c’est la responsabilité des mères de payer les dépenses liées aux enfants. Dans l’extrait suivant, un père explique qu’il est en conflit avec son ex-conjointe au sujet du partage des frais liés à l’achat de services pour leur enfant :
Elle est toujours en train de nous dire : « Je n’ai pas d’argent pour payer ça. Je n’ai pas d’argent pour payer ça. Je n’ai pas d’argent pour payer ça. » Alors qu’elle a reçu 3 500 dollars du gouvernement pour… Justement pour [notre fils], donc… Ça serait à elle de gérer.
Père 8
Quoi qu’il en soit, les répercussions financières d’un accès limité aux services du système public étaient beaucoup plus marquées dans notre étude pour les mères que pour les pères. En effet, si ces derniers étaient susceptibles de s’appauvrir en raison de la situation familiale, tous occupaient encore un emploi, aucun n’avait de dette liée à la situation familiale et plusieurs d’entre eux utilisaient leur surplus d’argent pour des dépenses personnelles telles que des dîners au restaurant, l’achat d’une voiture ou des loisirs coûteux.
Le revenu familial… un indicateur biaisé de la réalité financière des mères
Pour évaluer le niveau de richesse d’une famille, le revenu familial est l’indicateur le plus fréquemment utilisé. Or, nous avons constaté que le revenu familial cachait à l’occasion de grandes inégalités dans le couple, et qu’un revenu familial élevé pouvait même parfois contribuer à les creuser (Belleau et Proulx 2011).
Comme l’indique le tableau présenté plus haut, un peu moins de la moitié des familles qui ont participé à notre étude avaient un revenu familial supérieur à 100 000 $. Or, certaines mères vivant dans ces familles « aisées » se trouvaient malgré tout dans une situation de grande précarité. De plus, nous avons observé que, lorsque le revenu familial est élevé et que la famille est relativement aisée, les discussions sur l’argent se révèlent moins nombreuses, ce qui crée des flous dans l’organisation des finances. Par exemple, dans une famille où les deux parents travaillent, les discussions sur l’organisation des finances peuvent être évitées. Or, une des mères de notre étude a remarqué durant l’entrevue qu’il existait, au sein de son couple, un flou entourant la contribution personnelle aux dépenses communes et qu’elle déboursait probablement une part plus importante de son revenu dans les dépenses familiales que son conjoint :
Au niveau financier, nous autres, c’est un peu mélangé! Tu sais, qui paie quoi… Ça marche bien, mais… c’est n’importe quoi! [En s’adressant au père] Tu paies plus, mais tu fais un plus gros salaire! Sais-tu combien [tu paies] de plus? On ne le sait pas!
Mère 2
Un revenu familial élevé peut également pénaliser les mères qui ont un faible revenu si les deux partenaires gèrent leurs finances de façon séparée puisque les déductions fiscales pour les soins médicaux et certaines formes d’aide financière gouvernementale varient selon le revenu familial. Par exemple, une mère de notre étude qui avait un revenu personnel faible et un revenu familial élevé recevait peu d’allocations familiales. Elle n’avait toutefois pas accès au revenu de son conjoint et devait payer seule l’ensemble des dépenses liées à sa fille ayant un TSA. De leur côté, les politiques gouvernementales considèrent que chaque conjoint ou conjointe a accès au même niveau de ressources financières. Toutefois, comme nos résultats l’indiquent, cela n’est pas toujours le cas.
Les impacts à long terme
Ensemble, ces dynamiques conjugales de gestion d’argent placent très souvent les mères dans une trajectoire d’appauvrissement qui se poursuit dans le temps. Les impacts à long terme de cette précarité financière peuvent être désastreux pour elles, notamment en cas de séparation. Plusieurs couples de notre étude ont rapporté vivre d’importantes difficultés conjugales et certains ont même envisagé la rupture. Dans l’éventualité où une rupture surviendrait, les mères qui ne sont pas mariées et qui sont peu investies dans le marché du travail seraient à risque financièrement, de façon notable, considérant qu’elles ne sont pas protégées par les lois du mariage[3]. C’est le risque auquel se sont exposées quelques mères de notre étude, comme l’illustre l’extrait suivant :
J’ai déclaré faillite. C’était en lien avec ma séparation […] Parce que ça m’a coûté cher, acheter un nouveau frigo, acheter… repartir…
Mère 11
Les mères qui quittent leur emploi pour s’occuper de leur enfant font donc un geste qui aura des répercussions majeures sur leur carrière actuelle mais aussi future. Dans le cas où ces femmes voudraient retourner sur le marché du travail, elles risquent de se trouver en bas de l’échelle salariale, d’obtenir un poste présentant peu d’avantages sociaux et de retarder leur départ à la retraite. Souvent, les mères sont contraintes d’accepter des emplois précaires aux exigences inférieures à leur qualification. De plus, dans de nombreuses entreprises, l’échelle salariale est calculée en fonction du nombre d’années d’expérience et les congés sans traitement ne sont pas comptabilisés. Enfin, ces mères auront beaucoup moins d’épargnes ou de revenus de pension, ou des deux à la fois, pour leur retraite que leur conjoint. L’idée implicite que le changement d’emploi des mères sera temporaire explique possiblement le fait que les couples discutent rarement des impacts à long terme de celui-ci sur la situation financière des mères. Malheureusement, l’idée d’un changement temporaire est probablement erronée.
Une famille participant à notre étude a fait exception à cette règle selon laquelle les répercussions financières à long terme ne font pas l’objet de discussions. Ce couple n’était pas marié, mais les deux partenaires étaient visiblement très conscients des risques que posait leur statut conjugal sur la situation financière de la mère. Ce couple a donc mis en place des stratégies pour conserver l’autonomie financière de cette mère et équilibrer l’épargne entre les deux parents :
Il veut compenser pour ces deux années-là où je n’ai pas travaillé [car j’étais en congé de maternité]. Je n’ai pas fait d’argent pendant deux ans alors je dois mettre 10 000, 15 000, 20 000 dollars dans mes REER [régimes enregistrés d’épargne-retraite] pour plus tard. C’est vraiment juste pour compenser, pour que tous les deux on ait le même taux de richesse s’il arrivait quelque chose, si on se séparait. Parce qu’on n’est pas mariés.
Mère 10
Malgré cet exemple encourageant, beaucoup de travail reste à faire pour provoquer une meilleure prise de conscience des inégalités et pour favoriser un meilleur partage des ressources financières entre parents dans le but d’éviter que les mères d’enfant ayant un TSA s’appauvrissent à court, à moyen et à long terme.
La discussion des résultats
Sans surprise, nos résultats révèlent que les familles d’enfants ayant un TSA ont des difficultés financières et qu’elles s’appauvrissent avec les années. Toutefois, notre étude a aussi permis de lever le voile sur les inégalités financières et les dynamiques qui se développent à l’intérieur des ménages. Plus particulièrement, on observe que ce sont très majoritairement les mères qui perdent leur autonomie financière en quittant leur emploi pour prendre soin de leurs proches. Notre analyse montre d’ailleurs à grands traits que la valeur du temps consacré aux tâches domestiques est rarement prise en considération dans les arrangements financiers des couples. La perte d’autonomie économique que vivent les mères d’enfants ayant un TSA n’est cependant pas toujours apparente au présent lorsque les deux parents mettent en commun leur revenu ou partagent les dépenses au prorata de leur revenu personnel. Ces mères s’appauvrissent néanmoins beaucoup plus que leur conjoint à court, à moyen et à long terme et celles qui ne sont pas mariées risquent fort de se trouver dans une situation très précaire dans l’éventualité d’une rupture.
Les dynamiques vécues au sein de ces familles sont analogues, à certains égards, à celles des familles d’enfants tout-venant. Au Québec, l’arrivée d’un ou d’une enfant conduit de nombreuses femmes à réduire leur temps de travail pour prendre soin de la famille, tandis que les hommes ont plutôt tendance à augmenter leurs heures de travail rémunéré. Les écarts de revenus se creusent alors à l’intérieur du couple (Belleau et Lobet 2017).
De même, plusieurs auteurs et auteures ont signalé que la nature des dépenses et les modes de gestion diffèrent selon le genre. Les femmes paient davantage pour le quotidien (Phipps et Woolley 2008) et tendent à collectiviser leurs revenus lorsqu’elles gagnent plus que leur conjoint (Tichenor 2005; Belleau, Lavallée et Seery 2017). Les dynamiques de genre traversent les relations conjugales sur le chapitre du partage du temps domestique et de l’argent et se conjuguent également aux rapports sociaux de classes. À l’instar des études sur le sujet, notre analyse montre, d’une part, que les mères que nous avons rencontrées ont aussi tendance à collectiviser davantage leur argent au bénéfice de la famille et des enfants plutôt que pour répondre à leurs besoins personnels. Parce qu’elles sont présentes au quotidien, elles paient généralement pour les biens périssables et parfois certaines tendent même à considérer les dépenses des enfants comme des dépenses personnelles. Les pères prennent en charge majoritairement les dépenses liées aux biens durables et planifient l’épargne à plus long terme. Cette spécialisation genrée du partage des dépenses se révèle problématique, particulièrement pour les mères qui vivent en union libre. Dans les milieux aisés, et contrairement aux hommes, ces dernières ont aussi plus souvent recours à une aide domestique extérieure, plutôt qu’à leur conjoint, pour gagner du temps (Palameta 2003). Le fait que les mères dépensent davantage pour les services aux enfants pourrait résulter d’une dynamique similaire, même s’il s’agit dans ce cas de services qui nécessitent une expertise spécialisée.
L’élément qui distingue véritablement les parents d’enfants ayant un TSA des autres parents est l’ampleur du phénomène. Les heures devant être consacrées à ces enfants sont beaucoup plus nombreuses, le coût des traitements est très important, la période passée hors du marché du travail est plus longue pour les mères. Lorsqu’elles ne sont pas mariées, et dans l’éventualité d’une rupture, ces dernières risquent grandement de se trouver dans une situation très précaire à court et à long terme. En regard des stratégies individuelles d’épargne des partenaires des unions libres au Québec (Belleau, Lavallée et Seery 2017), on peut penser que les conséquences d’une éventuelle rupture seront, à long terme, nettement plus dommageables pour ces mères d’enfant ayant un TSA.
Comme c’est le cas dans bien des ménages, les parents d’enfants ayant un TSA semblent peu discuter ensemble de l’impact financier de leurs arrangements. Les modes de gestion se révèlent néanmoins très variés : certains couples mettent tout en commun, tandis que d’autres partagent les dépenses moitié-moitié ou au prorata des revenus. Notre analyse nous conduit à penser que le phénomène du marquage de l’argent accentue parfois ces inégalités, comme nous l’avons vu. Si le revenu de l’homme est perçu tel un revenu personnel et que l’allocation familiale est envisagée en tant que revenu personnel de la femme, cette dernière peut être contrainte de devoir gérer les dépenses des enfants en fonction de cette allocation et de n’avoir aucun accès direct au revenu de son conjoint.
D’autre part, dans les couples dont le revenu familial est élevé, les inégalités sont toujours présentes, mais souvent simplement moins visibles. Nous avons constaté d’abord que, lorsque le revenu est relativement élevé, les parents semblent moins sentir la nécessité de discuter ensemble des questions financières et de l’impact de celles-ci sur leur autonomie économique personnelle. Les arrangements autour de l’argent peuvent alors être flous, car la marge financière permet de moins s’en préoccuper. Néanmoins, lorsque les partenaires ne fusionnent pas leurs revenus, le niveau de vie peut être véritablement moindre dans un cas que dans l’autre même en vivant sous un même toit.
Bref, malgré la réduction des écarts de revenus entre parents au cours des dernières décennies, l’arrivée des enfants dans un ménage est encore de nature à entraîner une disparité importante de revenus entre les deux partenaires (Migneault 2016) et la situation des familles où vivent des enfants ayant un TSA démontre que cette réalité est exacerbée lorsque l’enfant présente des besoins particuliers, en raison, notamment, de l’ampleur du travail domestique et de soin que nécessite son état, et de la répartition inégale de ce travail entre le père et la mère. Nos résultats révèlent donc l’urgence de préciser des pistes d’action pour contrer non seulement le phénomène d’appauvrissement des familles d’enfants présentant un trouble du développement, mais également celui de la précarisation des mères dans ces familles. Tout d’abord, l’accès aux services pour les enfants ayant un TSA devrait être facilité, ce qui aurait pour effet de favoriser le maintien des mères en emploi et de réduire le risque qu’elles et leur famille se trouvent en situation financière précaire. Une réflexion sur le caractère inapproprié de la notion de « revenu familial » pour le calcul de prestations dans un contexte comme celui des familles d’enfants avec TSA devrait être entreprise par l’appareil étatique, ainsi qu’une réflexion sur les actions législatives possibles pour protéger les couples qui vivent en union libre. En effet, l’examen des arrangements financiers au sein des couples au Québec révèle peu de différences entre ceux qui sont mariés et ceux qui vivent en union libre (Belleau et Lobet 2017). Or, ces derniers bénéficient de la protection la plus minimaliste accordée au conjoint et à la conjointe de fait au Canada (Belleau, Lavallée et Seery 2017).
D’autres recherches devront être effectuées, notamment auprès de familles dont les enfants ayant un TSA sont rendus à l’adolescence ou à l’âge adulte, pour comprendre l’impact à long terme des dynamiques financières dans les familles et l’évolution de celles-ci. Nos résultats démontrent également l’importance de poursuivre des recherches qui prennent en considération simultanément les dynamiques du partage du temps et de l’argent. Les situations vécues par les familles et par les mères d’enfants ayant un TSA permettent de bien mettre en évidence le fait que la non-reconnaissance du travail domestique et de soin effectué dans ces familles a des répercussions économiques majeures et est à l’origine d’importantes inégalités.
Parties annexes
Notes biographiques
Marie Brien-Bérard est étudiante de troisième cycle en psychologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Sa thèse porte sur les couples qui sont parents d’enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme.
Catherine des Rivières-Pigeon, professeure titulaire au département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), se spécialise dans l’étude des liens qui unissent maternité et santé. Ses travaux portent sur la santé des mères et des pères d’enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme.
Hélène Belleau est professeure titulaire au Centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). Ses travaux portent sur la famille, le couple et l’usage social de l’argent.
Notes
-
[1]
Les auteures souhaitent remercier Geneviève LaRoche et Catherine Boucher pour leur précieuse contribution à la réalisation du présent article.
-
[2]
Dans l’ensemble, au Québec, 54 % des couples mettent en commun leurs revenus. Toutefois, 21 % des couples fonctionnent par un partage des dépenses proportionnelles au revenu de chaque partenaire, 16 % partagent ces dépenses moitié-moitié indépendamment des écarts de revenus et 9 % environ ont adopté le système d’allocation domestique (9 %) (Belleau et Lobet 2017). Dans ce dernier modèle, le ou la partenaire ayant le revenu le plus élevé verse à l’autre qui n’a pas ou très peu de revenus une allocation destinée à couvrir les dépenses du ménage.
-
[3]
En cas de divorce, la valeur des biens qui font partie du patrimoine familial (ex. : résidence(s), véhicule(s), meubles, régimes de retraite) est séparée en parts égales entre les deux partenaires et celui ou celle qui a le plus faible revenu peut être admissible à une pension alimentaire personnelle, ce qui n’est pas le cas des couples vivant en union libre. Ces derniers, comme les couples mariés, peuvent avoir droit à une pension alimentaire pour les enfants seulement.
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