Corps de l’article

-> Voir la liste des figures

Le livre de Georges E. Sioui propose de redéfinir les racines de la démocratie moderne en nous penchant sur ce qu’il affirme être la première civilisation du Canada. Pour étayer ses propos, il utilise des extraits de ses autres ouvrages, des poèmes, des discours et des écrits personnels. Sa pensée politique est influencée par ses origines wendates et est principalement axée sur le nord-est de l’Amérique. Il présente des principes universels pour les peuples autochtones, tels que l’importance du cercle et de la Terre-Mère, l’Eatenonha, qui peuvent offrir des perspectives importantes pour tous les êtres humains. Ce mot en langue wendate signifie avoir une « attitude traditionnelle d’amour, de foi et de respect envers la Terre, notre Mère à tous, ainsi qu’envers tout ce qui est de nature féminine » (p. 2). Sioui postule que les racines autochtones de la démocratie nous permettraient de vivre dans la paix et la sécurité en prenant en compte toutes les sphères du vivant. Pour lui, il n’y a pas de démocratie si nous sortons de ce cercle de la vie et encore moins si nous ne reconnaissons pas notre lien au territoire qui nourrit notre esprit, notre coeur, notre intelligence et notre corps, comme le font d’ailleurs les mères.

Avec ce livre, l’auteur présente une tout autre historiographie des origines démocratiques du Canada en y exposant une vision autochtone de celles-ci, allant ainsi à l’encontre du discours dominant : l’histoire démocratique du Canada tire ses racines des premiers colons européens qui auraient apporté avec eux des traditions démocratiques pour les transposer ici. Avec sa cosmopolitique, Sioui souhaite pouvoir offrir une solution aux différents maux dont souffrent nos sociétés, et ce, en passant par l’importance de protéger et de préserver le territoire. Il cherche également à atteindre un objectif plus spirituel. En partageant sa vision circulaire de la vie, il aspire à un meilleur bien-être global. Selon lui, sans l’Eatenonha, les humains sont voués à une fin certaine.

Le premier chapitre établit les bases de ses réflexions politiques. À travers quelques moments clés de la vie de l’auteur et de sa famille, nous en apprenons sur ses origines et nous comprenons mieux pourquoi le territoire est au centre de ses pensées. Sioui prend le temps de se positionner en abordant son identité wendate. Par le biais d’un road trip en Amérique, il nous explique que ses nombreux voyages partout sur le continent lui ont permis de ressentir beaucoup d’amour pour la Terre, qu’il qualifie de Terre-Mère. Selon l’auteur, nous gagnerions à nous inspirer de la vision des Premiers Peuples de tout le continent qui voient le territoire comme une entité vivante.

Dans le deuxième chapitre, Sioui se penche principalement sur la vie de sa famille dans la réserve wendate de Wendake. À travers quelques récits, nous arrivons à comprendre comment a pris forme certaines des aspirations de l’auteur, notamment celle de relever le défi de la vérité. Ainsi, comme ses parents et les membres de sa nation l’ont fait auparavant, il développe son esprit critique qui lui a permis de défendre le droit pour les peuples autochtones d’exister. Bien que sa famille ait été attachée au territoire, celle-ci a vécu plusieurs préjudices qui l’ont fait s’éloigner de celui-ci. Nous comprenons mieux à quoi sont attaché Sioui et ses ancêtres et pourquoi ils ont senti le besoin de faire connaître les vérités sur qui ils sont et sur l’importance que sa nation et d’autres peuples ont eu sur le Canada d’aujourd’hui.

Le chapitre trois aborde les notions de « matricentrisme » et de Voie du Cercle, concepts fondamentaux pour les traditionnalistes de la nation de Sioui. En expliquant l’histoire de sa famille, il présente sa vision holistique et interconnectée de l’univers, en opposition à la vision occidentale qui considère la nature comme une ressource à exploiter. Pour Sioui, le matricentrisme offre des solutions aux problèmes environnementaux et sociaux contemporains, encourageant une prise de conscience de la relation entre les êtres humains et la nature, ainsi que la responsabilité qui en découle. Il plaide pour la remise de la femme et de la nature féminine au centre de nos sociétés, considérant que celles-là sont les manifestations visibles de la vie et du réel pouvoir. Sioui prône également un modèle démocratique véritable, basé sur la pensée circulaire propre aux traditionnalistes, qui honore le réseau universel de relations.

Le quatrième chapitre aborde le contexte dans lequel Sioui et sa famille ont remporté une victoire devant la Cour suprême du Canada en 1990 et qui aura permis aux peuples autochtones du pays de faire reconnaître leur existence et certains de leurs droits issus de traités. L’auteur nous raconte donc que lorsqu’il a voulu organiser une cérémonie spirituelle avec des amis autochtones de l’Ouest sur son territoire traditionnel, il avait dû mentionner que les droits territoriaux de sa nation n’étaient pas reconnus et que les peuples autochtones risquaient d’être chassés par des représentants de l’État. Plusieurs aînés affirmaient pourtant à cette époque que ce territoire était le leur et qu’il fallait que les plus jeunes poursuivent la lutte et revendiquent leur droit protégé par traité en occupant le territoire. La famille Sioui s’est donc engagée devant les tribunaux afin de faire respecter leurs droits traditionnels et ainsi redécouvrir leur identité.

Le cinquième chapitre réinterprète certains fondements de l’historiographie coloniale du Canada en y injectant des perspectives autochtones pour ainsi offrir des modèles sociopolitiques hérités de la première civilisation du Canada, soit celle des Nadoueks et des Algonquiens. Sioui utilise le terme algonquien « Nadouek » qui signifie « peuple d’une autre souche » (p.127) et qui vise à remplacer le terme « Iroquois » permettant ainsi de rappeler le contexte géopolitique autochtone d’avant la colonisation. Il nous explique que cette configuration politique précoloniale avait organisé son existence en étant attentive au langage de leur Eatenonha. L’influence et l’héritage de cette première civilisation sont importants dans le développement du Canada d’aujourd’hui selon l’auteur, car elle est fondée sur une idéologie basée sur l’interculturalité et la paix. Il ajoute que le pays possède toujours cette essence spirituelle et qu’il doit s’y reconnecter afin de devenir un idéal de démocratie, c’est-à-dire la représentation de tous les êtres qui constituent le cercle de la vie.

Le dernier chapitre revient sur l’idée que la démocratie canadienne repose d’abord et avant tout sur des racines autochtones ancrées dans l’Eatenonha. Ce chapitre rappelle donc les composantes clés du matricentrisme qui positionne la femme au centre de l’organisation politique pour de nombreux peuples autochtones. Sioui va un peu plus loin en indiquant que la société doit absolument chercher une manière de permettre aux femmes de retrouver et d’occuper la place qui leur appartient. Pour lui, cela passe notamment par les cosmologies et les idéologies autochtones. À l’instar de la femme, la Terre-Mère doit également être traitée avec bienveillance et respect, car comme elle, elle détient le réel pouvoir, soit celui de la vie. Ce chapitre revient aussi sur le fait que les sociétés à pensée circulaire optent pour le consensus plutôt que pour l’autorité coercitive. Avec ces idées, Sioui souhaite démontrer que les racines de la démocratie du pays sont profondément canadiennes et autochtones.

L’essai de Sioui s’inscrit dans un mode de pensée autochtone et prend la forme d’un récit, à la fois personnel, mais également familial. À travers plusieurs moments de vie, nous arrivons à comprendre comment se sont forgé les idées politiques qu’il met de l’avant. Ainsi, ses idées ne sont pas nécessairement représentatives de l’ensemble des perspectives autochtones et ne sont pas toujours étayées par des preuves empiriques ou une recherche dite scientifique. Sioui utilise sa propre expérience et ses souvenirs pour explorer les idées politiques qu’il promeut, en les reliant à sa propre culture et à son histoire personnelle. Puisque son récit n’est pas linéaire et qu’il est également composé de poèmes et de discours symboliques, il peut être difficile d’interpréter et de contextualiser ses propos.

La perspective unique et enrichissante de Sioui demeure précieuse et pertinente en tant que représentante d’une voix autochtone dans le débat sur la démocratie et la politique. En plus d’offrir une autre vision des origines de la démocratie canadienne, Sioui permet en quelque sorte aux Premières Nations de se réapproprier un récit qui les concerne. Ses idées permettent donc de mettre en lumière l’importance qu’ont eue les différents peuples autochtones dans l’édification de nos sociétés actuelles et de mettre de l’avant l’importance des femmes et du territoire au sein de nos institutions démocratiques.

En fin de compte, tout cela nous permet de reconnaître que les perspectives autochtones ne sont pas monolithiques, et qu’il existe une grande diversité d’opinions et de perspectives au sein de ces communautés. Les idées de Sioui doivent donc être considérées comme une voix parmi d’autres dans le débat sur la politique et la démocratie, et devraient être examinées de manière critique et contextualisée. Considérer qu’il existe une somme d’idées politiques, autochtones et allochtones, permet d’avoir plusieurs modèles de pensée en vue d’imaginer un meilleur avenir commun.