
Revue de droit de l'Université de Sherbrooke
Volume 53, numéro 3, 2024
Sommaire (7 articles)
Avant-propos
Articles
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La peine de perpétuité réelle en contexte d’extradition : quelle portée territoriale pour l’arrêt Bissonnette ?
Ugo Gilbert Tremblay
p. 401–441
RésuméFR :
Dans l’arrêt Bissonnette (2022), la Cour suprême a conclu qu’une peine d’emprisonnement à vie sans possibilité réaliste de libération conditionnelle avant cinquante ans était intrinsèquement contraire à la dignité humaine. Une question surgit aussitôt : cette décision aura‑t‑elle des implications en matière d’extradition, considérant que le Canada partage sa frontière avec un pays qui inflige encore massivement cette peine? Pour répondre à cette question, cet article revient sur le processus de pondération qui préside à l’évaluation de la constitutionnalité des décisions de l’exécutif lorsque celui‑ci expose un individu à une peine contraire aux valeurs canadiennes à l’étranger. Une attention spéciale sera accordée aux arguments soulevés dans l’arrêt Burns (2001), où l’extradition de deux individus passibles de la peine de mort aux États‑Unis avait été jugée inconstitutionnelle. Tout en prenant soin de souligner les différences entre les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, l’auteur montre toute la difficulté pour la philosophie pénale canadienne de se montrer à la hauteur des principes qu’elle proclame en contexte d’extradition.
EN :
In the Bissonnette case (2022), the Supreme Court concluded that a sentence of life imprisonment without realistic parole eligibility for fifty years was inherently contrary to human dignity. This immediately raises the question: will this decision have implications for extradition, considering that Canada shares a border with a country where life sentences are imposed on a regular basis? To address the question, this article delves into the balancing process that governs the assessment of the constitutionality of executive decisions when individuals are exposed to a sentence in another country that is contrary to Canadian values. Special attention will be given to the arguments raised in the Burns case (2001) in which the extradition of two individuals to the United States of America where they faced the death penalty was deemed unconstitutional. While carefully highlighting the differences between sections 7 and 12 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms, the author shows how difficult it is for Canadian penal philosophy to live up to its own standards in the context of extradition.
ES :
Para el caso Bissonnette (2022), la Corte Suprema del Canadá concluyó que una cadena perpetua sin posibilidad realista de libertad condicional antes de cincuenta años era intrínsecamente contraria a la dignidad humana. Una pregunta surge inmediatamente: ¿tendrá esta decisión implicaciones en materia de extradición, considerando que Canadá comparte frontera con un país que sigue imponiendo esta pena de forma masiva? Para responder a esta pregunta, este artículo examina el proceso de ponderación que rige la evaluación de la constitucionalidad de las decisiones del ejecutivo cuando éste expone a una persona en el extranjero a una pena contraria a los valores canadienses. Se prestará especial atención a los argumentos planteados en el caso Burns (2001), en el que se consideró inconstitucional la extradición de dos individuos que se enfrentaban a la pena de muerte en Estados Unidos. A la vez que destaca las diferencias entre los artículos 7 y 12 de la Carta Canadiense de Derechos y Libertades, el autor muestra lo difícil que resulta para la filosofía penal canadiense estar a la altura de los principios que proclama en el contexto de la extradición.
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Revue de la littérature sur les violences structurelles, institutionnelles et symboliques vécues par les femmes incarcérées au Canada
Julie Desrosiers et Alice Belleau-Blais
p. 443–512
RésuméFR :
Les femmes incarcérées subissent des violences particulières qui entravent leur accès à la justice pénale. À l’heure actuelle, ces violences structurelles, institutionnelles et symboliques demeurent peu documentées et elles sont parfois méconnues. Dans leur revue de la littérature, les autrices abordent un corpus documentaire de cinquante‑deux articles scientifiques portant plus particulièrement sur la santé physique et mentale des femmes, leurs expériences de victimisation et leurs traumatismes, leurs conditions de détention et leur traitement carcéral, leur retour dans la communauté et leur réinsertion sociale et, enfin, leur maternité. Après avoir présenté les approches et démarches méthodologiques des chercheurs et des chercheuses, les autrices mettent en exergue les violences subies par les femmes incarcérées et les leviers qui pourraient être mobilisés pour les contrer.
EN :
Incarcerated women experience specific violences that impede their access to criminal justice. Currently, these structural, institutional, and symbolic violences remain poorly documented and sometimes unrecognized. In this literature review, we examine a document base consisting of fifty‑two scientific articles focusing particularly on women’s physical and mental health, their experiences of victimization and trauma, their detention conditions and treatment, their reintegration into the community and social reinsertion, as well as their experience of motherhood. After giving an overview of the approaches and methodologies employed by researchers, we highlight the violences endured by incarcerated women and the mechanisms that could be mobilized to counteract them.
ES :
Las mujeres encarceladas sufren formas particulares de violencia que dificultan su acceso a la justicia penal. En la actualidad, estas formas de violencia estructurales, institucionales y simbólicas siguen estando poco documentadas y a veces son desconocidas. Al pasar revista a lo escrito sobre el tema, las autoras abordan un trabajo documental de cincuenta y dos artículos científicos que tratan específicamente de la salud física y mental de las mujeres, de sus experiencias de victimización y sus traumatismos, de sus condiciones de detención y tratamiento carcelario, de su regreso a la comunidad y su reinserción social y, por último, de su maternidad. Tras presentar los enfoques y planteamientos metodológicos de los investigadores, las autoras llaman la atención sobre la violencia que sufren las mujeres encarceladas y los mecanismos que podrían accionarse para afrontarla.
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L’influence des arrêts Antic, Myers et Zora sur la mise en liberté provisoire : défense des personnes marginalisées et pratiques à géométrie variable
Marianne Quirouette, Marilyn Coupienne et Cecília Batista
p. 513–553
RésuméFR :
La Cour suprême du Canada est récemment intervenue dans les arrêts Antic, Myers et Zora sur des questions entourant la mise en liberté provisoire par voie judiciaire et l’infraction d’omission de se conformer à une promesse ou une ordonnance, communément appelée « bris de condition ». Les avocat·e·s de la défense jouent un rôle important dans l’élaboration des pratiques des tribunaux de juridiction criminelle, surtout auprès des populations marginalisées. Au stade de la mise en liberté provisoire, les avocat·e·s de la défense sont en mesure d’avancer des arguments qui tiennent compte des désavantages sociaux et systémiques. Nous proposons une analyse qualitative à partir d’entretiens auprès d’avocat·e·s de la défense pratiquant en pratique privée et à l’aide juridique. À partir de deux études de cas – Montréal (n = 51) et Toronto (n = 51) – nous analysons les perceptions des avocat·e·s par rapport aux impacts des décisions majeures de la Cour suprême sur les pratiques lors de la mise en liberté provisoire, aux conditions de surveillance, et à la prise en compte des facteurs sociaux et de la marginalisation à ce stade des procédures judiciaires. Nous concluons que la mise en oeuvre du droit à ce stade du processus judiciaire reste à géométrie variable, corollaire de la discrétion octroyée aux juges et au ministère public. L’application des enseignements de la Cour suprême qui exigent de respecter les droits fondamentaux des personnes prévenues est limitée par les rapports de pouvoir au sein des tribunaux de première instance et la pression exercée par le manque de ressources, et le contexte de justice managériale.
EN :
The Supreme Court of Canada recently intervened in the Antic, Myers and Zora decisions on issues surrounding judicial interim release and the offence of failing to comply with a promise or order, commonly known as “breach of condition.” Defence lawyers play an important role in shaping the practices of criminal courts, especially for marginalized populations. At the bail stage, they are in a position to put forward arguments that take social and systemic disadvantages into account. We propose a qualitative analysis based on interviews with defence lawyers working in private practice or providing legal aid services. Based on two case studies – Montreal (n = 51) and Toronto (n = 51) – we analyze lawyers’ perceptions of the impact of major Supreme Court decisions on bail practices, conditions of supervision and the consideration of social factors and marginalization at this stage of legal proceedings. We conclude that the implementation of the law at this point in the judicial process remains variable, a corollary of the discretion granted to judges and the Public Prosecutor’s Office. The application of Supreme Court teachings requiring respect for the fundamental rights of defendants is limited by power relations within the trial courts and the pressure exerted by a lack of resources and the context of managerial justice.
ES :
La Corte Suprema del Canadá se pronunció recientemente en las decisiones de los casos Antic, Myers y Zora sobre cuestiones relacionadas con la libertad provisional judicial y la infracción de omisión o incumplimiento de una promesa o de una orden, comúnmente conocido como « incumplimiento de condición ». Los abogados defensores desempeñan un papel importante en la elaboración de las prácticas de los tribunales de la jurisdicción penal, especialmente entre las poblaciones marginadas. En la fase de libertad provisional, ellos tienen la capacidad de presentar argumentos que tengan en cuenta las desventajas sociales y sistémicas. Proponemos un análisis cualitativo basado en entrevistas con abogados defensores que trabajan en la práctica privada y en la asistencia jurídica. A partir de dos análisis de caso – Montreal (n = 51) y Toronto (n = 51) – analizamos las percepciones de los abogados respecto al impacto de las principales decisiones de la Corte Suprema sobre las prácticas de libertad provisional, las condiciones de supervisión, y cómo se tienen en cuenta los factores sociales y la marginalización en esta fase de los procedimientos judiciales. Concluimos que la aplicación del derecho en esta fase del proceso judicial sigue siendo de geometría variable, corolario de la discrecionalidad otorgada a jueces y al Ministerio Público. La aplicación de las decisiones de la Corte Suprema que exigen el respeto de los derechos fundamentales de los imputados se ve limitada por las relaciones de poder en el seno de los tribunales de primera instancia y la presión ejercida por la falta de recursos y el contexto de la justicia de gestión.
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COVID‑19, Bail, and the Jail: Trends and Responses to Harmful Conditions of Imprisonment
Jay De Santi et Marie Manikis
p. 555–602
RésuméFR :
Ce texte fait état d’une étude empirique et analyse l’impact de l’émergence de la COVID‑19 sur les décisions judiciaires de mise en liberté provisoire. Aux prises avec les risques liés à la propagation de la COVID‑19 dans les établissements carcéraux, les tribunaux ont généré une abondante jurisprudence sur la manière de traiter le virus dans le cadre de la législation existante sur la mise en liberté provisoire. En s’appuyant sur des données de cent cinquante et une décisions de mise en liberté sous caution rendues au cours des douze premières semaines de la pandémie au printemps 2020, cet article soutient que les premières réponses des tribunaux à la COVID‑19 reflètent les tendances punitives prépandémie. Entre autres résultats statistiques, cette étude souligne que plus de la moitié de ces décisions (66,23 %) ont abouti à une détention. Elle applique ensuite la typologie de Manikis sur la culpabilité et les préjudices de l’État au stade de la mise en liberté provisoire. Ce cadre offre aux décideurs des justifications juridiques et des outils pendant la mise en liberté sous caution pour reconnaître et considérer ces préjudices comme pertinents pour décider si une personne doit être détenue conformément au troisième pilier qui sert à maintenir la confiance dans l’administration de la justice. En outre, il propose des solutions de remplacement à l’emprisonnement sur la base des responsabilités de l’État et de la reconnaissance des préjudices qu’il crée.
EN :
This article undertakes an empirical study and analyzes the impact of the emergence of COVID‑19 on judicial interim release decisions. Courts dealing with the risks and realities of the spread of COVID‑19 within carceral settings prompted a flurry of jurisprudence contemplating how to deal with the virus within existing bail law. Drawing on a dataset of one hundred fifty‑one bail decisions released in the first twelve weeks of the pandemic in spring 2020, this article argues that the courts’ early responses to COVID‑19 demonstrate a continuation of pre‑pandemic punitive trends. Among other statistical findings, this study highlights that more than half (66.23%) of these decisions resulted in detention. It then proceeds to apply Manikis’ typology of state blame/harms to the bail stage. This framework offers decision‑makers legal justifications and tools in the context of bail to recognize and consider these harms as relevant to deciding whether a person should be detained according to the third prong which serves to maintain the confidence in the administration of justice. Moreover, it offers alternative options to imprisonment on the basis of state responsibilities and recognition of state created harms.
ES :
Este artículo emprende un estudio empírico y analiza el impacto de la emergencia del COVID-19 en las decisiones judiciales relacionadas con la libertad provisional. El hecho de que los tribunales tuvieran que enfrentar los riesgos y realidades de la propagación del COVID-19 en establecimientos carcelarios provocó una oleada de jurisprudencia sobre la manera de manejar el virus dentro del marco de la legislación vigente en materia de libertad bajo fianza. Basados en un conjunto de datos de ciento cincuenta y una decisiones de libertad bajo fianza emitidas en las primeras doce semanas de la pandemia en la primavera de 2020, este artículo sostiene que las primeras respuestas de los tribunales al COVID-19 demuestran una continuación de las tendencias punitivas prepandemia. Entre los resultados de las estadísticas, este estudio destaca que más de la mitad (66,23 %) de estas decisiones resultaron en una detención. A continuación, se procede a aplicar la tipología de Manikis sobre la culpabilidad y los perjuicios del Estado en la fase de libertad bajo fianza. Este marco ofrece a los responsables de la toma de decisiones justificaciones y herramientas jurídicas en el contexto de la libertad bajo fianza para reconocer y considerar estos perjuicios como relevantes a la hora de decidir si una persona debe ser detenida según el tercer pilar, que sirve para mantener la confianza en la administración de justicia. Además, se ofrecen alternativas al encarcelamiento sobre la base de las responsabilidades del Estado y el reconocimiento de los daños ocasionados por el Estado.
Note de recherche
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Le processus d’affirmation de genre pour les personnes trans au sein du Service correctionnel du Canada
Alexandra Paquette
p. 603–634
RésuméFR :
En 2017, la Loi canadienne sur les droits de la personne intègre « l’identité ou l’expression de genre » comme motif de discrimination illicite. Il s’agira d’une victoire pour les militants des droits des personnes trans, d’autant plus que cette loi s’applique à plusieurs organes gouvernementaux, dont les établissements de détention fédéraux. Pourtant, le respect des processus d’affirmation de genre et des droits fondamentaux des personnes trans détenues demeure un défi non résolu. Dans le but de mettre en lumière les obstacles auxquels fait face ce groupe, cette note de recherche vise à examiner l’évolution des politiques fédérales concernant les droits des femmes trans incarcérées au Canada. En retraçant l’historique normatif, il sera mis en évidence que les processus d’affirmation de genre et les droits fondamentaux des personnes trans détenues sont encore loin d’être pleinement respectés.
EN :
In 2017, the Canadian Human Rights Act incorporated “gender identity or expression” as a prohibited ground of discrimination. This will be a victory for trans rights activists, especially as this law applies to several government bodies, including federal detention facilities. Yet, respecting the gender‑affirming processes and fundamental rights of trans prisoners remains an unresolved challenge. In order to shed light on the obstacles faced by that particular group, this text aims to examine how federal policies relating to the rights of incarcerated trans women in Canada have developed over time. Retracing the normative history thus helps to clearly demonstrate that the gender‑affirming processes and human rights of prisoners are still far from being fully respected.
ES :
En 2017, la Ley Canadiense sobre Derechos Humanos incorporó la « identidad o expresión de género » como motivo prohibido de discriminación. Esto supondrá una victoria para los activistas de los derechos de las personas trans, especialmente porque esta ley se aplica a varios organismos gubernamentales, incluidos los centros de detención federales. Sin embargo, respetar los procesos de afirmación de género y los derechos fundamentales de los detenidos trans sigue siendo un reto sin resolver. Con el objetivo de arrojar luz sobre los obstáculos a los que se enfrenta este colectivo, este texto pretende examinar la evolución de las políticas federales relativas a los derechos de las mujeres trans encarceladas en Canadá. Al trazar la historia normativa, se pondrá de relieve que el respeto de los procesos de afirmación de género y de los derechos humanos de las personas detenidas aún dista mucho de estar plenamente realizada.