Revue de droit de l'Université de Sherbrooke
Volume 47, numéro 2-3, 2017
Sommaire (9 articles)
11e édition de l’Institut d’été de jurilinguistique
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NOTE INTRODUCTIVE : INSTITUT D’ÉTÉ DE JURILINGUISTIQUE (11e édition)
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DOES THE WORLD NEED MORE CANADA? LEGAL MULTILINGUALISM AND STRATEGIC PLURALISM
Janny H. C. Leung
p. 193–226
RésuméEN :
Canada has a global reputation as a diverse and tolerant country, with linguistic duality being a proud marker of its pluralistic society and a defining feature of its nationhood. This paper evaluates the extent to which legal bilingualism as practiced in Canada provides a good and practicable model to the rest of the world, which has seen a rise in legal bilingual and multilingualism in recent decades. Through tracing convergent and divergent practices across jurisdictions, the paper probes whether the apparent embrace of linguistic diversity, in Canada and beyond, safeguards justice and liberty. By providing a realistic understanding of legal bilingual or multilingualism in the world today, this paper cautions against excessive optimism that is sometimes expressed towards the emancipatory potential of official linguistic pluralism.
FR :
Le Canada a la réputation d’être un pays tolérant, caractérisé par sa diversité, dont la dualité linguistique constitue un véritable trait national distinctif de sa société pluraliste. Cet article détermine dans quelle mesure le bilinguisme juridique, tel qu’il existe au Canada, offre une solution intéressante et transposable au reste du monde qui a vu s’accroître le bilinguisme et le multilinguisme au cours des dernières décennies. En étudiant les contours des diverses pratiques convergentes et divergentes des différents systèmes juridiques nationaux, cet article aborde la question de savoir si le fait d’avoir embrassé la diversité linguistique, au Canada et ailleurs, a permis d’y préserver les valeurs de justice et de liberté. En dressant un portrait réaliste du bilinguisme et du multilinguisme dans le monde d’aujourd’hui, le présent article sert de mise en garde contre l’optimisme débordant exprimé par certains face au potentiel émancipant d’un pluralisme linguistique officiel.
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QUEL GENRE DE DROIT? AUTOPSIE DU SEXISME DANS LA LANGUE JURIDIQUE
Michaël Lessard et Suzanne Zaccour
p. 227–298
RésuméFR :
Diriez-vous d’un tribunal dont on limite la compétence qu’on lui coupe les couilles? Diriez-vous d’une enfant violée qu’elle a vécu une « aventure sexuelle »? Diriez-vous de 30 avocates et d’un document qu’« ils » se trouvent dans la salle d’audience? Si vous avez répondu « non » à ces provocations, vous aimerez cet article. Si vous avez répondu « oui », vous en avez besoin.
Nous traquons ici le sexisme dans la langue du droit. Effacer les femmes, pathologiser les mères, banaliser les violences : tels sont quelques-uns des effets discriminatoires de ce sexisme langagier que nous entreprenons de détailler sous toutes ses coutures.
L’analyse du sexisme langagier doit devenir un champ d’étude en bonne et due forme. À cette fin, nous offrons une nomenclature des sexismes jurilinguistiques (lexical, grammatical, terminologique…), ainsi que deux nouvelles notions : la féminisation ostentatoire, un féminin marquée à l’oral, et le plafond de verre linguistique, cette obstination à nommer au masculin les femmes occupant de hautes fonctions.
Notre étude offre des outils aux juges, avocat·es, notaires, légistes et autres practicien·nes du droit pour démasquer le sexisme caché dans leurs communications et se familiariser avec les nouveaux développements en matière de rédaction inclusive.
EN :
Would you say of a court whose jurisdiction was reduced that it was “emasculated”? Would you say of a child who was raped that she enjoyed a “sexual adventure”? Would you say of a high-ranking woman that “he” got the job? If you answered “no” to these provocations, you will enjoy this article. If you answered “yes”, you need to read it.
Here we track sexism in the language of the law. Erasing women, pathologizing mothers, normalizing violence: these are but some of the discriminatory effects of the linguistic sexism that we undertake to detail in its every shape and form.
The study of linguistic sexism must become a proper area of research. To this end, we offer a nomenclature of jurilinguistic sexisms (lexical, grammatical, terminological), as well as two new notions: ostentatious feminines and the linguistic glass ceiling. The former qualifies feminine forms that are significantly different from the masculine. The latter refers to some people’s stubborn designation of women in power in the masculine form in French.
Our study offers tools for judges, lawyers, notaries, legists, and other legal practitioners to unmask the sexism hidden in their commu-nications and familiarize themselves with new developments in inclusive writing.
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LA JURILINGUISTIQUE ET L’ÉGALITÉ : LES DROITS LINGUISTIQUES EN TANT QU’ACCORDS INCOMPLÈTEMENT THÉORISÉS
Érik Labelle Eastaugh
p. 299–342
RésuméFR :
Par l’entremise de l’interprétation des lois bilingues, la jurilinguistique permet aux tribunaux de mieux protéger l’égalité des communautés de langue officielle lorsque celle-ci fait l’objet d’une garantie législative ou constitutionnelle particulière. De telles garanties traduisent souvent ce que le constitutionnaliste américain Cass R. Sunstein appelle un « accord incomplètement théorisé », en ce sens qu’elles énoncent une norme juridique dont le constituant n’aurait pas fixé à l’avance toutes les implications conceptuelles et pratiques. Or, l’existence de deux versions du même texte législatif ou constitutionnel offre un champ sémantique plus riche permettant d’apporter des nuances additionnelles qui peuvent, par la suite, aider à déterminer la conception de l’égalité la mieux adaptée à l’objet de la garantie et aux circonstances du cas d’espèce. L’importance d’une telle richesse sémantique est particulièrement bien illustrée par l’arrêt Mahe c. Alberta de la Cour suprême du Canada, décision charnière eu égard au principe d’égalité en matière de droits linguistiques, dans laquelle l’interprétation des lois bilingues a joué un rôle déterminant. Dans cette optique, l’auteur du présent article effectue un examen approfondi de l’arrêt Mahe dans le but notamment de souligner l’utilité d’une démarche qui voit dans l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés l’expression d’un accord incomplètement théorisé.
EN :
Through its role in the interpretation of bilingual legal texts, jurilinguistics enables courts to better protect the equality of official language communities when that equality is the subject of legislative or constitutional guarantees. Equality rights often represent what the American constitutional scholar Cass R. Sunstein calls “incompletely theorized agreements” in that they express a legal norm whose full conceptual and practical implications were not determined in advance by lawmakers. Constitutional or legal texts that are drafted in two different languages offer a richer semantic field which can provide greater interpretive flexibility and thereby enable courts to settle on the conception of equality that is best suited to the purpose of the guarantee and the context at issue. The value of this kind of semantic richness is well illustrated by the Supreme Court of Canada’s decision in Mahe v. Alberta, a landmark ruling with respect to equality as it pertains to official language rights in which bilingual interpretation played a critical role. The author of the present article offers an in-depth analysis of this ruling for the purpose of highlighting the analytical value of framing section 23 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms as the product of an incompletely theorized agreement.
Recension critique
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NAVIGATION JURILINGUISTIQUE
Sandy Lamalle
p. 343–363
RésuméFR :
Le commentaire qui suit porte sur l’ouvrage du professeur Jean-Claude Gémar et de la terminologue et traductrice Vo Ho-Thuy consacré aux nouvelles difficultés du langage juridique au Canada (2016). Il est présenté à la lumière des débats et réflexions du 11e Institut de jurilinguistique de l’Université McGill. Dans un contexte transsystémique et multilingue, la question de l’identité juridique culturelle et de son évolution implique non seulement la prise en considération de la diversité linguistique, juridique et culturelle, mais aussi celle de l’accessibilité de la langue et du droit, dans une perspective d’égalité. En identifiant les défis soulevés par une telle odyssée, il s’agit de mettre en relief les instruments et les approches qui caractérisent la navigation jurilinguistique.
EN :
This review of the 2016 updated reference work by Professor Jean-Claude Gémar and Vo Ho-Thuy, on the difficulties of legal language in Canada, draws on discussions and reflections from the 11th Institute of Jurilinguistics at McGill University. In a trans-systemic and multilingual context, the issue of cultural legal identity and its evolution implies taking into account not only linguistic, legal and cultural diversity, but also the accessibility of law and language, on the basis of equality. This review identifies the challenges of such an epic undertaking, and puts an emphasis on the tools and approaches that are inherent to such jurilinguistic navigation.
Articles
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QU’EST-CE QUE LA DOCTRINE EN DROIT CIVIL? UNE DÉCONSTRUCTION FÉMINISTE DE DISCOURS ENTOURANT LA CAPACITÉ JURIDIQUE DES FEMMES MARIÉES
Marie-Neige Laperrière
p. 365–429
RésuméFR :
Le présent article s’intéresse largement à la production de la connaissance en droit. Pour ce faire, il remet en question la notion de « doctrine » en droit civil et cherche à mieux comprendre ce qui distingue ce mode d’écriture d’autres discours sur le droit positif. La Loi sur la capacité juridique de la femme mariée a été adoptée en 1964 et est venue modifier la structure familiale québécoise jusqu’alors en place. Autour d’un objet commun, soit la capacité juridique des femmes mariées, l’analyse féministe ici proposée compare les textes des militantes féministes avec ceux de juristes reconnus. Cette comparaison révèle de nombreuses similitudes entre les deux groupes de textes, et également des différences significatives. L’auteure souhaite essentiellement démontrer que la différence la plus importante entre ces deux types d’écrits n’est pas leur caractère militant ou non, mais plutôt le type d’intérêts défendus. Alors que les auteures féministes affichent ouvertement leur volonté de changer le droit vers l’obtention d’une plus grande égalité entre les conjoint.es, les textes de doctrine utilisent la technique juridique pour défendre un système familial qui repose sur une hiérarchie en faveur du mari et du père.
EN :
This article is largely concerned with the production of legal knowledge. To do so, it questions the notion of doctrine in law and seeks to better understand what distinguishes this mode of writing from other discourses on positive law. The Act respecting the legal capacity of married women was adopted in 1964 and changed the established family structure in Quebec. Taking as its focus a shared theme, namely the legal capacity of married women, our feminist analysis compares the texts of feminist activists with those of some famous lawyers. This comparison reveals many similarities between the two groups of texts, but also significant differences. Essentially, our aim is to demonstrate that the most important difference between these two types of writings lies not in the presence or absence of a militant bent but rather in the type of interests defended. While feminist writers openly declare their willingness to change the Civil Code to achieve greater equality between spouses, doctrinal texts use legal technique to uphold a hierarchical family system with the husband and the father at its top.
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KRYNEIN OU L’EMPREINTE DES CORPS : À PROPOS DE LA PENSÉE CRITIQUE EN DROIT
Mark Antaki et Vincent Forray
p. 431–471
RésuméFR :
Le présent texte est la version enrichie d’une communication prononcée lors de la 6ème Journée d’étude sur la méthodologie et l’épistémologie juridiques qui s’est tenue à l’Université Laval et portait sur la pensée critique en droit. Les auteurs tiennent à remercier les professeurs Azzaria et Makela pour les avoir invités, ainsi que l’ensemble des participants pour leurs remarques et questions.
La communication avait été conçue pour être un épilogue à la journée d’étude. Les auteurs ont choisi de s’interroger sur les formes qu’emprunte la pensée critique en droit au moyen d’une tentative de pastiche. La référence est une oeuvre du 18ème siècle, prétendument « traduite de l’allemand de Mr. le docteur Ralph » et qui raconte le voyage initiatique d’un jeune homme au travers des injustices du monde pour le conduire à la sagesse. Dans le présent récit, l’héroïne rencontre diverses conceptions de la critique incarnées par différents personnages et finit, elle aussi, par trouver la sagesse en suivant, sans le savoir, cette exhortation qui pousse, de Spinoza à Nietzsche, à s’étonner de ce que peut le corps.
EN :
This article is an expanded version of the talk we gave at the 6ème Journée d’étude sur la méthodologie et l’épistémologie juridiques which was held at Laval University and concerned critical thought in law. We wish to thank professors Azzaria and Makela for inviting us, as well as all of the participants for their remarks and questions.
We conceived our talk as a kind of epilogue to the journée d’étude. We chose to revisit the question of the forms that critical thought in law tends to adopt by means of a kind of pastiche of a work which purpose to be a translation from the German of Dr. Ralph. It tells the story of the initiatory journey undertaken by a young man who finds wisdom through encountering the injustices of the world. In our parody of that eighteenth century work, the heroine encounters various conceptions of critical thought, each personified in different characters. She too finds wisdom by heeding, without realizing it, that age-old call which, from Spinoza to Nietszche, urges us to marvel at what the body can do.