Résumés
Résumé
Le journal d’Yves Navarre, rédigé de 1971 à 1990, permet d’apprécier le travail du diariste comme celui de l’écrivain. Outre un intérêt esthétique et documentaire certain, il présente également une valeur littéraire indéniable et demeure jusqu’à présent inexploité. Les 43 cahiers qui composent ce journal personnel abondamment illustré recèlent en effet quantité de réflexions, de lettres, d’articles, de tapuscrits et de notes sur les textes en cours ou publiés, ce qui en fait à la fois un objet fascinant et une ressource précieuse pour le critique et le généticien. L’étude proposée se penche sur les liens dialectiques qui s’établissent entre le journal et l’oeuvre publiée, en particulier l’ouvrage intitulé Biographie (1981), texte autobiographique à la composition originale et au contrat paradoxal. La réflexion s’élargit ensuite pour saisir la pratique et les enjeux de l’écriture chez un auteur dont tous les ouvrages, par-delà les différences génériques, sont marqués au sceau de l’écriture de soi.
Abstract
Yves Navarre’s diary, written between 1971 and 1990, provides an insight into the work of both the diarist and the writer. In addition to its aesthetic and documentary interest, it also has an undeniable literary value that has been neglected to date. The 43 notebooks that make up this abundantly illustrated personal diary contain, in fact, a large number of personal thoughts, letters, articles, typescripts and notes on works both in progress and published, which makes it a fascinating object as well as a valuable resource for literary and genetic critics alike. This article concentrates on the dialectic links that are established between the writer’s diary and his published works, in particular Biographie (1981), an autobiographical work with an original structure and paradoxical reading contract. This line of investigation is pursued further to define the practice and issues of writing in the case of an author whose entire corpus, despite generic differences, is marked by self-expression.
Corps de l’article
Yves Navarre (1940-1994), romancier et dramaturge français, vécut à Montréal de 1989 à 1991[1]. Il y écrivit et publia plusieurs de ses textes [2] et fit don de son journal intime à ce qui était alors la Bibliothèque nationale du Québec. Malgré la place qu’y occupent les romans, son oeuvre, conséquente, mêle volontiers les genres et se caractérise par le souci d’exprimer une vérité personnelle. Le journal de l’auteur (1971-1990) est donc un précieux atout dans l’analyse des rapports entre textes publiés et écriture intime. Or aucun travail n’a encore été mené sur le fonds Yves Navarre de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) et, par conséquent, sur ce journal qui en est la pièce maîtresse [3]. Il s’agit pourtant d’un document étonnamment riche de sujets d’étude, qui tient à la fois de la littérature personnelle, du document de société, du témoignage sur la vie littéraire et de l’oeuvre d’art.
Nous en explorerons ici l’une des facettes : les rapports dialectiques qui se créent entre écriture diaristique et textes publiés. Après avoir évoqué ce qui fait la spécificité de ce journal, nous nous pencherons sur les techniques de composition et de montage mises en oeuvre dans Biographie (ill. 1) afin d’étudier la manière dont se décline l’écriture de soi chez Yves Navarre. Tout en s’inspirant de la génétique des textes, notre approche adopte une perspective plus large dans le but de cerner les singularités de l’élucidation personnelle par les méandres de l’écriture, que celle-ci soit de nature romanesque, autobiographique ou diaristique.
Le mot et l’image : un journal illustré [4]
Lorsqu’on ouvre l’un des 43 cahiers [5] qui composent le journal d’Yves Navarre, on ne peut manquer d’être impressionné par l’esthétique du document. Loin de se limiter aux entrées manuscrites, le journal fait en effet la part belle aux éléments insérés, et chaque cahier est gonflé de collages (ill. 2). Il s’agit d’un journal à voir et à toucher tout autant qu’à lire. À voir, pour la beauté de l’écriture et pour la composition de la page, comme s’il s’agissait d’un tableau. À toucher, car les documents – objets, lettres et cartes en particulier – invitent au contact (il faut les soulever, parfois les déplier, pour voir ce qu’ils recouvrent ou ce qu’ils contiennent). Notons que jamais ils ne masquent la partie écrite, étant soigneusement positionnés de façon à ne pas entraver la lecture (voir, plus loin, les illustrations 4, 5 et 6). Bien qu’il ne soit pas unique en son genre [6], ce journal pousse très loin le souci esthétique. Associée à l’écriture de l’auteur, la technique de présentation (collages, pliages, superpositions de documents divers) en fait un régal pour les yeux.
Une autre caractéristique de ce journal est sa variété. Il contient en effet plusieurs journaux en un : journal d’écrivain, journal de voyage [7], journal du quotidien, journal documentaire, journal d’introspection, journal-album ou « journal-herbier [8] ». Autant de facettes et de centres d’intérêt pour le chercheur, de nature esthétique (nous venons de l’évoquer), documentaire (réflexions, articles, photos sur la vie politique et sociale des années 1970 et 1980) ou littéraire (commentaires sur le milieu littéraire et sur l’écriture, qu’il s’agisse du journal ou d’autres textes de l’auteur).
Comme cela arrive souvent dans les journaux, ces divers aspects peuvent se recouper, faisant du texte un composé riche de thèmes et de pistes de réflexion : « Les cloisons ne sont naturellement pas étanches et si un journal possède une dominante, un contenu prédéterminé, on y note la fréquente infiltration d’éléments allogènes ; un journal littéraire peut devenir journal intime ou encore “choses vues” […] [9] », fait remarquer Pierre-Jean Dufief. Notons enfin la présence centrale de l’écriture et de l’oeuvre, qu’elle soit déjà publiée, en cours ou à venir. Non seulement les lettres, en particulier, mais aussi les articles et les coupures de journaux, les notes, les brouillons et les photos de l’auteur sont une dominante et un lien dans un journal de nature nécessairement fragmentaire (ill. 3). Pour le critique et le généticien, il s’agit là d’une ressource inestimable, qui permet de mieux appréhender le travail de l’écrivain et son rapport à l’écriture, un rapport charnel, voire fétichiste, au livre et au texte.
Liens entre le journal et l’oeuvre publiée
Le journal inédit s’avère capital pour une autre raison : nombre des textes publiés contiennent des parties du journal personnel de l’auteur ou reprennent des documents qui y sont consignés. Le journal peut donc éclairer l’oeuvre, non pas tant comme « lieu de préparation [10] » mais comme matériau même où l’écrivain glane des éléments qui aideront à façonner le texte destiné à la publication. Par ailleurs, le métadiscours y est omniprésent. Il concerne les textes en cours de maturation, de rédaction, de correction ou de publication ainsi que leur réception par les lecteurs et les critiques. Cette propension du diariste à gloser sur sa propre écriture – ce que Lejeune nomme « comportement “autogénéticien” [11] » – est un trait du journal intime :
Aucun genre n’est plus porté à l’auto-commentaire. La lucidité du diariste s’exerce d’abord sur son écriture, dont il est souvent le premier « généticien ». La réflexion sur le journal a été largement anticipée dans les journaux eux-mêmes, bien avant que la critique ne s’y intéresse [12].
Chez Yves Navarre, l’« auto-commentaire » remplit l’espace-temps du diariste, qui prend des notes régulières sur les textes autres que son journal et, occasionnellement, sur le journal lui-même. On observe donc « au sein même de l’écriture diariste [diaristique] un retournement réflexif sur les travaux de l’écrivain […]. Le scripteur se met en scène rédigeant un journal, mais aussi écrivant une oeuvre distincte de ce même journal [13] », pour reprendre les termes de Jean-Louis Cabanès, qui propose une classification des journaux d’écrivain selon ce critère de réflexivité.
Aux remarques et réflexions du diariste sur ses écrits s’ajoute la trace matérielle de l’oeuvre dans le journal, par ce qui y est inclus : notes prérédactionnelles (papiers collés sur la page du jour), textes manuscrits ou tapuscrits, revues de presse, lettres d’amis et de confrères sur les manuscrits ou les textes publiés, lettres des éditeurs, lettres aux éditeurs, parfois non envoyées mais conservées dans leur enveloppe cachetée et timbrée, courrier des lecteurs, couvertures d’ouvrages, etc. (ill. 4). Beaucoup de ces documents sont par ailleurs commentés par le diariste, créant ainsi un effet de stratification de l’écriture. Bien que ce ne soit pas là le sujet de notre étude (ou bien le serait-ce ? car on touche ici à la question clé de l’identité, de l’écriture et du rapport à autrui), notons que les lettres en particulier, fort nombreuses, introduisent dans le monologue du journal intime un succédané de dialogue, sans cesse repris, et toujours achoppant. Les interlocuteurs multiples restent en effet, dans la plupart des cas, des êtres de papier que le diariste ne va pas rencontrer, à la fois proches et inatteignables. « Et le cruel courrier sans visages des lecteurs et lectrices aide également », écrit Yves Navarre dans une lettre non envoyée, en date du 22 septembre 1982 [14]. Le texte publié est appelé à demeurer « la propriété privée de la lectrice ou du lecteur, privée du seul plaisir de l’effective rencontre alors qu’il y a réel partage, hommage à cette frustration et dommage […] [15] ».
Si l’oeuvre est présente dans le journal, le journal est lui aussi présent dans l’oeuvre (nous y avons fait allusion), de manière occasionnelle mais néanmoins significative, et l’on trouve dans les ouvrages publiés les commentaires métadiscursifs qui parsèment le journal. L’auteur devient en quelque sorte son propre éditeur ou, du moins, se livre sur son journal à un travail de type éditorial puisqu’il destine à la publication un texte normalement appelé à rester inédit, tout au moins de son vivant. Plusieurs cas de figure se présentent, suivant la technique de composition employée : juxtaposition, tissage ou mixage, selon nos propres termes.
Dans Romans, un roman, l’auteur juxtapose des passages du journal (Les fleurs de la mi-mai et Carnet de bord [16]) et des textes de genres variés (roman et théâtre) au sein d’une oeuvre kaléidoscopique dont les divers éléments peuvent être lus soit séparément, soit comme un ensemble, grâce au système d’échos qui les met en relation. Avec Biographie, des entrées datées sont imbriquées à un récit au sein d’une oeuvre autobiographique (mais non présentée comme telle) où alternent chapitres « journal » et chapitres « récit », tel un tissage de deux fils narratifs intrinsèques au projet de se situer. Enfin, La terrasse des audiences au moment de l’adieu, rédigé lors du départ de Paris pour Montréal, est un texte de nature hybride dans lequel prédomine l’écriture diaristique (l’auteur interrompt le journal intime lors de sa rédaction [17]), mais aux côtés de passages fictionnels, les deux se fondant parfois en un texte d’un genre incertain, ni journal, ni roman, mais à la fois l’un et l’autre, selon un procédé de mélange des genres ou mixage [18]. Ces trois techniques, à première vue différentes, représentent des déclinaisons possibles de l’écriture de soi et s’inscrivent dans le cadre d’un même projet de vie et d’écriture. Regardons de plus près la deuxième.
Biographie : le tissage de soi, au fil de l’écriture
Pourquoi Biographie plutôt qu’un autre ouvrage ? Une première raison est la place qu’occupe ce texte dans une oeuvre où prévaut la veine autobiographique. En effet, il y est pour la première fois question de l’identité personnelle (malgré l’appellation « roman » apposée sur la couverture) et de ses deux composantes majeures : le rapport aux parents et le rapport à l’écriture. En outre, le texte couvre toute la vie de l’auteur plutôt que de se concentrer sur une étape précise, comme l’ont fait Sartre ou Sarraute, par exemple. Cette vision panoramique est toutefois d’un type particulier, car l’auteur-narrateur adopte des optiques différentes qui finissent par se rejoindre : celle du récit autobiographique, distancié et analytique, et celle du journal, qui restitue le vécu au temps présent de la narration. Biographie joue donc non seulement sur les genres (roman / journal / autobiographie ; référentiel / romanesque) mais aussi sur les pronoms et sur les temps (la partie récit est rédigée à la troisième personne et au présent). Ces jeux, désormais fréquents avec l’autofiction et les « récits indécidables [19] », étaient peu répandus à l’époque (Biographie date de 1981). L’ouvrage demeure à notre avis novateur, non pas tant du fait du brouillage générique mais en raison de la technique narrative originale qu’il illustre dans le contexte précis de l’écriture de soi [20] et qui repose en partie sur la fonction singulière dont le journal est investi : indissociable du récit, il le complète. Chacun des deux éléments est partie prenante du projet d’ensemble, dont la forme mixte défie l’étiquetage. Journal et (auto)biographie participent également du processus d’élucidation personnelle, du tissage de la personnalité, au fil de l’écriture. Enfin, Biographie contient des références à sa propre genèse : l’auteur adopte une posture réflexive, commente son projet, ses méthodes, sa démarche, son écriture. L’accès au journal inédit permet de pénétrer une deuxième strate de genèse puisque Navarre y a puisé pour rédiger les chapitres journal du livre.
Il est possible de considérer le journal comme un avant-texte de Biographie : il mentionne régulièrement la progression de l’écriture du livre [21] et contient quelques tapuscrits et notes préparatoires tout en fournissant par ailleurs la matière d’un des deux fils narratifs. Précisons que notre approche n’est pas à strictement parler génétique : il ne s’agit pas de travailler sur des brouillons retraçant les étapes de la rédaction [22]. Elle s’en rapproche toutefois puisque des parties du journal et certains documents qu’il contient entrent dans la composition de Biographie. Ce sont les techniques de composition et de montage qui retiendront d’abord notre attention. Elles nous permettront d’aborder ensuite des questions plus générales sur les rapports du moi et du langage ainsi que sur l’expression d’une vérité de soi. Nous essaierons de respecter un équilibre entre l’étude analytique et une approche plus générale visant à rendre la spécificité du journal, un exercice délicat dont les critiques savent la difficulté : « J’avais des remords à faire ce tri, qui défaisait la structure du journal. Regrouper les fils de la tapisserie par couleur, c’est effacer le dessin…[23] », fait remarquer Lejeune, faisant allusion à l’une de ses analyses. L’image est tout à fait pertinente ici ; nous y reviendrons. Tâchons d’indiquer les fils de la tapisserie, sans effacer le dessin…
Nous nous intéresserons principalement à la partie journal de Biographie en la comparant au journal intime. Plusieurs questions se posent : comment s’intègre-t-elle à la partie récit ? Et quelles conclusions en tirer ? Par ailleurs, le journal dans Biographie a un destinataire et n’est donc plus intime ; ce glissement majeur change-t-il ou non la nature du texte ? Pour répondre à ces interrogations, nous analyserons les écarts de type quantitatif et qualitatif entre le journal et l’oeuvre.
Si l’on considère les titres des 94 chapitres d’un ouvrage comptant près de 700 pages (« 1. La terre d’origine » ; « 2. Mardi 1er avril » ; « 3. Bonne-Maman » ; etc.), on remarque que chapitres biographiques et chapitres journal s’intercalent à un rythme qui, sans être très régulier, imprime au texte une « cadence [24] », créant une sorte de réseau. Ce système de classification opère pour les 61 premiers chapitres. À partir du chapitre 62, bien que l’alternance demeure, les entrées datées s’immiscent à la fin de certains chapitres biographiques puis, à partir du chapitre 70, prennent de plus en plus d’importance, jusqu’à rendre la classification délicate, ce que souligne l’auteur-narrateur : « Pourquoi le journal daté, ici, petit à petit, gagne-t-il le territoire des chapitres biographiques, comme s’il voulait interrompre l’histoire à la troisième personne et imposer le “je”, le “je” d’Yves qui se détache de Navarre, notre nom ? [25] ». L’effet produit est celui d’un quadrillage qui se resserre, jusqu’à la date du 24 septembre (anniversaire de l’auteur), quand se rejoignent enfin partie biographie et partie journal. Une autre caractéristique de l’ouvrage, qui vaut d’ailleurs pour les deux composantes, journal et biographie, est l’inclusion d’autres textes : lettres, articles, nouvelles, extraits de romans et de pièces de théâtre, etc., créant un vertigineux effet d’emboîtement [26] (ill. 6).
La particularité de Biographie réside dans l’entrelacs « passé / présent », qui confère au texte son tempo, s’ajoutant au rythme interne du journal. Le sens de l’oeuvre est dans ce montage des deux éléments « journal / récit » et « présent / passé », indispensables à la composition de l’identité : l’un représente la distance à soi dont l’intimiste fait l’expérience, soulignée par l’emploi de la troisième personne ; l’autre, l’exploration intime propre à la pratique diaristique. Il s’ensuit un effet de dédoublement (distance à soi, distance au monde) et de dépendance : l’activité de tissage ou de tressage qu’évoque le va-et-vient « présent / passé » concrétise la « quête de coïncidence [27] » de l’écrivain dont elle est la forme artistique. Un tel procédé n’est nullement gratuit, ni même ludique. Il correspond à une recherche incessante pour se cerner par l’écriture, en incluant ici passé et présent dans un même ouvrage et en les faisant se rencontrer au terme du processus de rédaction. Il s’agit pour l’auteur de trouver sa place par rapport au couple des parents et de s’accepter dans le moment présent, ce qui revient à tenter de réconcilier ce qu’il a vécu et ce qu’il est en train de vivre.
Une lecture du journal intime sur la même période met en évidence le fait que ce dernier n’a été repris que de manière ponctuelle. La chronologie du journal de Biographie est très lâche, celle du journal intime, très serrée, avec des entrées quasi quotidiennes. Lorsqu’il y a pour ainsi dire double entrée, le contenu est rarement identique, et quand l’auteur reprend un passage de son journal, il est fréquent qu’il le modifie, soit en le condensant [28], soit au contraire en le développant, comme il le fait par exemple lorsqu’il évoque une visite à sa mère. Le passage du journal ne fait que quelques lignes :
Déjeuner à Maison Lafitte chez JJ et C avec papa. Sur le chemin du retour nous nous sommes arrêtés à la Malmaison. J’ai vu maman. Elle me regardait fixement, effarée. Puis elle tournait la tête. Pourquoi ? JJ m’a laissé en sanglots à la gare de Rueil. RER. Retour. Douleurs insupportables. Chapitre 30. Paris est vide. Abcès douloureux [29].
Le passage correspondant de Biographie, beaucoup plus développé, reprend les éléments du journal en les précisant, dans un style moins lapidaire. Nous en citerons un extrait à titre d’exemple :
Maman me regardait, puis sa tête chavirait. Plusieurs fois elle me regarda. Plusieurs fois elle détourna son regard. J’allais pleurer. Vite je l’ai embrassée sur le front. Comment a-t-elle pu devenir ainsi, muette, défigurée, les mains, surtout les mains, déformées, et cette manière de tourner la tête, comme un tourment ? Un nom sur un visage, elle ne sait plus, ou bien sait-elle encore. Dans la voiture, j’ai éclaté en sanglots [30].
On observe aussi que les notations sur la dimension physique du travail de l’écrivain, ce que Jean-Louis Cabanès appelle « enracinement corporel » et « retentissement de l’écrit sur la chair [31] », sont récurrentes dans le journal. Répétées sur plusieurs années, ces notations sur la douleur ainsi que sur la joie et l’exaltation associées à l’écriture sont un des éléments clés de l’écriture diaristique chez Navarre, que ne rendent pas aussi clairement les écrits publiés, y compris Biographie, où se trouvent pourtant des commentaires à cet effet.
Il s’agit donc bien de deux journaux distincts, tenus en parallèle, ce que l’auteur mentionne au détour d’une phrase : « Ce matin, dans mon journal, car je tiens aussi mon journal en écrivant Biographie, j’ai noté, “le ciel est un drap qui claque, fin, sans un pli, parfaitement tendu” [32] ». Le journal de Biographie puise néanmoins dans le journal intime, où le lecteur retrouve non seulement tous les événements mentionnés (qu’ils soient ou non personnels) mais aussi des documents ainsi que certains passages et certaines phrases, reproduits textuellement. Lettres, cartes, articles et textes divers cités dans le livre correspondent à des originaux, l’auteur ayant « rapporté » dans l’ouvrage publié des textes insérés dans son journal, selon un système de collage et d’intertextualité dont il est friand. Bien que différents, les deux journaux se recoupent donc et se répondent par la technique d’enchâssement, de façon très matérielle dans le journal intime, par le seul moyen de l’écriture dans Biographie. Les rapprochent surtout les préoccupations centrales qui s’en dégagent : l’identité et l’écriture, l’une n’allant pas sans l’autre, et l’omniprésence du texte sous toutes ses variantes, par superposition et collage dans le journal, par reprises et citations dans Biographie, par la présence d’observations métadiscursives dans l’un et l’autre.
La composition originale de Biographie, alliant écriture diaristique et récit autobiographique, révèle une profondeur de champ, un relief, qui font penser à la composition d’une toile par un peintre, tout comme le journal rappelle souvent une composition picturale. L’auteur-biographe de sa propre vie prend plusieurs fois du recul pour mieux cerner son identité : le premier recul de l’acte diaristique [33] est doublé de la reprise du journal pour la publication, geste auquel s’ajoute le recul de l’autobiographe qui retrace sa vie passée ; enfin, en bout de parcours, a lieu la mise au point sur l’image finale de soi ainsi révélée, au moins partiellement [34] : « Sachez qu’à écrire, en biographe, ma Biographie, je ne donne pas les clefs, je les découvre [35]. » La date du 24 septembre, choisie comme fin de la rédaction, correspond au 40e anniversaire de l’auteur. Tragiquement, ce sera aussi le jour de la mort de sa mère [36].
Une pratique et une éthique de l’écriture personnelle
Yves Navarre a fait de la quête d’une vérité personnelle la ligne directrice de son oeuvre et de la sincérité du propos une éthique de l’écriture, par-delà les genres et les techniques. Ainsi lit-on dans le journal : « […] mon nouveau roman (celui que j’écris celui qui s’écrit) a rejoint le journal ou bien le journal a rejoint le roman : il n’y a en fait qu’un seul et unique chemin [37] » ou encore ceci : « Le roman ne serait que le commentaire de la biographie [phrase soulignée en rouge]. Les romans écrits ou à écrire que des commentaires assourdissant l’événement simple de la vie de l’artiste. J’ai trouvé ma voix [mot souligné en bleu] pour des mois [38]. » (voir l’illustration 6 à la page 13). À ces phrases fait écho cette déclaration dans Biographie : « tout cela sera roman, au plus proche de ma vie » (p. 13), le texte étant plus loin qualifié de « roman d’origine » (p. 17). Entre les précédents romans et ce texte, la différence n’est pas de nature mais de perspective. Par et dans l’écriture, quelle qu’elle soit, l’auteur va « au plus proche » de sa vérité. Pour décrire l’ensemble de son oeuvre, la formule de Catherine Viollet sur les écrits autobiographiques nous semble tout à fait opportune : « […] fabrique de soi et fabrique du texte vont de pair [39] ».
Mais pourquoi qualifier de romanesque un texte référentiel ? Y a-t-il une part de provocation ? Une réticence à se livrer ? Ou cette décision reflète-t-elle une insistance sur les limites de l’écriture ? Autant d’hypothèses dont aucune n’est à écarter. Une vérité de soi se forge par l’écriture, qui implique distance et modification. Dans Biographie, la vérité du passé se doit d’emprunter, comme dans toute oeuvre personnelle, le tamis de la mémoire et du langage. Ce qui en reste, « entre les mots, entre les phrases, entre les lignes, entre les instants et respirations du texte », n’en est pas moins « la vie, parfois », cette « poudre d’or » tout aussi précieuse que rare [40]. Nous penchons donc pour la troisième hypothèse envisagée : le qualificatif de romanesque apposé à l’entreprise autobiographique n’a pas pour but de rendre perplexes lecteurs et critiques ; il relève de la prise en compte des limites de l’acte créatif et des contraintes de l’écriture de soi : la retranscription n’est jamais fidèle. Ceci dit, la dimension de provocation n’est pas à exclure, l’auteur ayant tenu au titre Biographie, roman, malgré le contenu autobiographique indéniable de l’oeuvre (ill. 8). Il est possible enfin qu’il y ait une part de réticence, une crainte du regard de cet autre tout autant désiré que repoussé, dont le journal intime révèle à la fois la présence (par documents interposés) et la douloureuse absence (par les commentaires à ce sujet).
Quelle que soit l’interprétation qui prévaut, le fait demeure que Navarre, dans Biographie, a mis en avant la part construite de l’autobiographie, alors qu’il est prompt à encourager une lecture référentielle de son oeuvre romanesque. Malgré son caractère paradoxal, cette position a sa logique et, de ce point de vue, le cas n’est ni isolé ni récent. « Depuis les années 1920, il est admis que la fiction dit plus vrai que l’autobiographie. C’est même devenu une idée reçue [41] », rappelle Lejeune, dont le travail sur Les mots de Sartre montre, inversement, à quel point le texte autobiographique peut être travaillé, manipulé, romancé en somme [42]. Et, de fait, bien des romanciers affirment que leurs romans les révèlent davantage que leur autobiographie, pour laquelle ils invitent eux-mêmes au soupçon [43]. En intégrant des parties de journal personnel à son (auto)biographie, Yves Navarre a créé un nouveau texte et emprunté un nouveau parcours, tant scripturaire qu’identitaire. Mais entre son journal et l’écriture destinée à la publication, ce sont les points de rencontre plus que les divergences qui frappent : d’ordre thématique (couple parental, milieu artistique, poids des conventions, etc.), structurel et stylistique (goût pour le fragmentaire et la répétition) et esthétique (rapport à l’écriture).
Dans Un journal à soi, Lejeune et Bogaert envisagent trois cas possibles de relation entre journal et oeuvre : séparation, instrumentalisation (cas du « journal-laboratoire » de l’oeuvre, fournissant projets et ébauches) et substitution (le journal est l’oeuvre principale). Chez Yves Navarre, seul le deuxième se vérifie, et uniquement de manière partielle. Aussi nous semble-t-il plus approprié de parler ici de convergence ou de confluence, mots qui traduisent la mise en rapport d’écritures appartenant à des genres différents et que Navarre emploie dans le dernier chapitre de Biographie et dans le journal (« Je reprends le fil de Biographie. […] J’ai deux beaux mois devant moi pour avoir vingt ans de plus : le journal confluera avec Biographie, ou inversement. Je me sens calme [44] »). Le point commun le plus sensible est sans doute l’alliance d’un projet esthétique (donc d’une certaine mise en scène) et d’un pacte de vérité. La présence d’un destinataire dans l’oeuvre publiée ou destinée à l’être pourrait se traduire par une construction de soi plus marquée. Or on constate que le journal intime, qui en principe n’a pas de destinataire, dénote lui aussi la conscience d’un public par l’extrême minutie apportée à la composition, donc à la construction d’une image [45].
Le journal, chambre d’écho
Au terme de cette réflexion, il nous semble justifié d’avancer qu’il n’y a pas d’étanchéité entre le journal d’Yves Navarre et l’oeuvre publiée de l’écrivain. Ce qui ressort de l’étude de ses écrits et ce que confirme la lecture du journal est la présence de liens étroits entre tous les ouvrages, par-delà des écarts génériques. On y trouve en effet les mêmes obsessions, les mêmes thèmes, un même ton, des expressions similaires ; et si l’on compare les romans aux écrits référentiels, on se rend compte à quel point la frontière qui les sépare est ténue, tant ils sont imprégnés de la vie de l’auteur et tant sont nombreux échos et reprises [46] (ill. 9).
Le fait que l’auteur ait mené de front l’écriture de son journal et celle de textes destinés à la publication (une trentaine d’ouvrages pour la période de rédaction du journal) est la preuve de cette absence de dichotomie dans ce qu’on a tendance à considérer comme essentiellement différent. « Oeuvres et journaux sont comme les deux cônes d’un sablier : l’un ne se remplit que si l’autre s’épuise [47]. » Si tant est que cette observation de Roger Martin du Gard soit exacte, Yves Navarre est l’exception qui confirme la règle : non seulement il a mené en parallèle oeuvre et journal, mais il est allé jusqu’à faire de certaines parties de son journal des ressorts, voire des éléments constitutifs de plusieurs de ses ouvrages publiés. « L’écrivain-diariste avance dans l’existence avec des mots, élabore son existence en mots au long de l’écriture d’une oeuvre – et fait une oeuvre de ces notations quotidiennes [48] », remarque Michel Braud. Cette définition peut sans nul doute s’appliquer à Yves Navarre, dont le journal rend également sensibles le caractère tragique de l’écriture personnelle et le fait que les moyens littéraires mis au service de l’élucidation de soi se révèlent insatisfaisants tout en restant les seuls envisageables. L’écriture est à la fois essentielle à la vie et génératrice de souffrance, car la vérité de soi se dérobe en même temps que s’essouffle la capacité du langage à la cerner, tout comme se dérobe la quête d’autrui. Il est révélateur que la soif d’une reconnaissance totale et inconditionnelle, donc irréalisable, soit une constante du journal, y compris quand l’auteur atteint la notoriété avec le prix Goncourt 1980 pour Le jardin d’acclimatation (journal, cahier 19 et journal, cahier 20). Elle s’adresse aussi bien aux éditeurs et aux critiques qu’aux lecteurs, aux amis, aux amants et aux connaissances. Ce besoin inassouvi d’empathie est aussi un insatiable besoin d’amour et de présence. Et l’écriture est le seul vecteur de l’appel lancé inlassablement, de texte en texte, appel qui résonne dans le journal rédigé sur une période de 20 ans, chambre d’écho des romans, des poèmes, des pièces de théâtre, de tous ces écrits personnels adressés au plus grand nombre [49].
Parties annexes
Note biographique
Sylvie Lannegrand enseigne à l’Université de Galway, en Irlande. Ses principales publications comptent une monographie, Personne et personnage – Le malaise identitaire chez Yves Navarre (Peter Lang, 2000), et plusieurs articles, dont « Réflexions sur l’écriture de soi chez Leiris, Navarre et Juliet » (Norbert Col, dir., Écritures de soi, L’Harmattan, 2007) et « S’écrire, se créer : recherche formelle et quête identitaire chez Yves Navarre » (De Nooy, Hardwick et Hanna, dir., Soi-disant – Life-Writing in French, University of Delaware Press, 2005). Sylvie Lannegrand a obtenu une bourse du Programme de soutien à la recherche de BAnQ dans le cadre du concours 2009-2010.
Notes
-
[1]
La citation du titre est tirée du journal, 18 mars 1988. Centre d’archives de Montréal, fonds Yves Navarre (MSS250/ 007/005).
-
[2]
La terrasse des audiences au moment de l’adieu, Leméac, 1990 (ci-après désigné en note par La terrasse) ; Ce sont amis que vent emporte, Flammarion, 1991 (roman écrit à Montréal) ; La vie dans l’âme, Le Jour / VLB, 1992 (recueil des « Carnets » rédigés pendant un an pour Le Devoir).
-
[3]
Plusieurs consultations du fonds Yves Navarre, dont une grâce au soutien de BAnQ, nous ont permis d’effectuer des recherches, diffusées lors de conférences au cours de l’année 2010. Nous remercions vivement les ayants droit de la confiance qu’ils nous témoignent en nous autorisant à faire usage du journal intime de l’auteur.
-
[4]
L’expression est utilisée par l’auteur pour définir 10 cahiers écrits entre le 23 février 1987 et le 22 avril 1989. Les illustrations étant omniprésentes, nous l’avons reprise pour désigner l’ensemble du journal.
-
[5]
Les cahiers se divisent en trois périodes : de 1971 à 1984 (27 cahiers), de 1987 à 1989 (10 cahiers appelés « journal illustré ») et de 1989 à 1990 (six cahiers appelés « journal de Montréal »). Une partie du journal de 1986 (du 16 janvier au 30 mars) figure dans un autre cahier contenant également le manuscrit de Villa des fleurs, pièce de théâtre publiée dans Romans, un roman (p. 567-607).
-
[6]
Voir à ce sujet le bel ouvrage de Philippe Lejeune et Catherine Bogaert sur les journaux intimes, Un journal à soi – Histoire d’une pratique (2003), dont les abondantes illustrations donnent un aperçu de la richesse et de la variété de ces écrits.
-
[7]
Voir « Le voyage en Chine et au Japon, novembre 1981 », cahier 21 (MSS250/005/004), et « Voyage en Allemagne, avril 1983 », cahier non numéroté (MSS250/006/004).
-
[8]
Le terme est de Philippe Lejeune, qui l’utilise dans Les brouillons de soi, p. 367.
-
[9]
P.-J. Dufief, « Présentation », Les journaux de la vie littéraire, p. 10.
-
[10]
B. Didier, Le journal intime, p. 199.
-
[11]
P. Lejeune, Les brouillons de soi, p. 150.
-
[12]
Ibid., p. 327.
-
[13]
J.-L. Cabanès, « L’écrivain et ses travaux au miroir des journaux intimes », dans Les journaux de la vie littéraire, p. 39 pour les deux citations. Le genre du journal, fait remarquer Cabanès, « mêle parfois dans quelques grandes oeuvres, une auto-analyse qui fait de l’écriture diariste [diaristique] le lieu d’un tête-à-tête mélancolique et le portrait de l’écrivain en instance d’oeuvres autres que celle du journal qu’il écrit » (p. 40).
-
[14]
Journal, cahier 23 (MSS250/006/001).
-
[15]
Y. Navarre, La terrasse, p. 255. Pour une réflexion sur les rapports auteur-lecteur, voir S. Lannegrand, Personne et personnage – Le malaise identitaire chez Yves Navarre, p. 375-386.
-
[16]
Voir Y. Navarre, Romans, un roman, p. 361-460 (Les fleurs de la mi-mai) et p. 609-693 (Carnet de bord).
-
[17]
Le journal personnel s’interrompt entre le 22 avril 1989 (fin du journal illustré) et le 23 septembre 1989 (début du journal de Montréal), ce qui correspond à peu près à la période de rédaction de La terrasse.
-
[18]
Plusieurs commentaires du narrateur font état du caractère hybride du texte (La terrasse, p. 38, 110, 122-123, 237 et 304).
-
[19]
Nous reprenons le titre de l’ouvrage de B. Blanckeman consacré à Jean Echenoz, Hervé Guibert et Pascal Quignard, Les récits indécidables.
-
[20]
Dans Moi aussi, P. Lejeune fait référence à plusieurs livres, dont Biographie, qui ne correspondent pas aux cas d’écriture autobiographique qu’il avait envisagés. Contrairement à Lejeune, nous ne pensons pas que les termes employés par Navarre (roman, vie, autobiographie) résultent d’une « confusion de vocabulaire » (p. 44) ; ils s’inscrivent dans un projet précis d’écriture de soi, objet de notre analyse.
-
[21]
On pourra consulter, parmi les très nombreux exemples, les entrées des 18 et 24 avril 1980 et des 1er et 5 mai 1980 (ill. 5).
-
[22]
Il est possible que de tels brouillons existent, mais nous n’en avons pas connaissance.
-
[23]
P. Lejeune, Les brouillons de soi, p. 376.
-
[24]
Y. Navarre, Biographie, p. 72 : « […] la partie datée, comme ce chapitre, qui donnera la cadence, et la notion de distance jusqu’au 24 septembre. »
-
[25]
Y. Navarre, Biographie, p. 539.
-
[26]
Une étude des pages qui précèdent le chapitre 1 de Biographie montre un emboîtement similaire. Ce long préambule est divisé en deux sections portant le même titre, « L’émotion de départ », mais des sous-titres différents : « 1. De l’unique manière de sortir de la gueule du loup » (p. 9-27) et « 2. Annexes et signal » (p. 29-41). La première section est composée d’entrées datées, la seconde, de textes divers. On y retrouve le caractère composite et fragmentaire qui caractérise l’ensemble de l’ouvrage et les fils conducteurs du livre : écriture et identité.
-
[27]
Nous empruntons l’expression à Michel Braud, qui traite des questions de dédoublement et de présence à soi chez divers diaristes : « Le sujet écartelé entre sa conscience et sa vie ne se perçoit pas de façon égale dans les deux dimensions de son être ; d’un côté il éprouve le réel et s’éprouve lui-même directement dans son corps et ses actes, mais de l’autre il se connaît et se reconnaît à distance par la médiation de sa conscience. » (« L’intime du journal : présence et altérité à soi » dans A. Montandon, dir., De soi à soi, l’écriture comme autohospitalité, p. 244.)
-
[28]
On comparera par exemple l’entrée du 1er mai 1980, que l’on peut lire à gauche sur l’illustration 5 (page précédente), au passage correspondant de Biographie « [C’]est ma vie. Rien que ma vie. Sans parure. », p. 142.
-
[29]
Journal, 25 mai 1980, cahier 15. Centre d’archives de Montréal, fonds Yves Navarre (MSS250/004/002). Dans ce passage, l’auteur se réfère au chapitre 30 de Biographie, précisément intitulé « Dimanche 25 mai ».
-
[30]
Y. Navarre, Biographie, p. 220.
-
[31]
J.-L. Cabanès, « L’écrivain et ses travaux au miroir des journaux intimes », dans Les journaux de la vie littéraire, p. 35, où il est question du Journal des Goncourt. Dans le même ouvrage, Pierre-Jean Dufief montre comment est consignée la souffrance qui préside aux diverses étapes de rédaction et de publication de l’oeuvre dans ce journal (« Le courrier des lecteurs et l’écriture du Journal des Goncourt », p. 47-61, en particulier p. 57-58).
-
[32]
Biographie, p. 72 (chapitre 7, « Vendredi 11 avril »). La phrase citée figure dans le journal intime, entrée du 11 avril 1980. Yves Navarre avait toutefois envisagé d’interrompre son journal pendant la période de rédaction de Biographie (voir entrée du 14 mars 1980).
-
[33]
Michel Braud en parle en ces termes : « L’aveu intime, dans le retrait qui est celui du journal, n’échappe pas aux paradoxes de tout discours sur soi ; celui dont je parle est déjà un autre parce que j’en parle. » (« L’intime du journal : présence et altérité à soi », dans A. Montandon, dir., De soi à soi, l’écriture comme autohospitalité, p. 246).
-
[34]
Dans Biographie, l’auteur-narrateur fait précisément référence au « recul du peintre qui brusquement observe sa toile, pinceaux et palette à la main » (p. 86).
-
[35]
Y. Navarre, Biographie, p. 75.
-
[36]
L’entrée du 24 septembre 1980 est très brève : « Maman est morte, ce matin. Je pars pour Condom, demain. » (ill. 7). Le journal s’interrompt pour reprendre le 28 septembre, jusqu’au 30. Ces dernières pages sont saturées de collages.
-
[37]
Journal, 2 août 1971, cahier 1. Centre d’archives de Montréal, fonds Yves Navarre (MSS250/001/001).
-
[38]
Journal, 22 mars 1980, cahier 15. Centre d’archives de Montréal, fonds Yves Navarre (MSS250/004/002). La première des trois phrases figure plusieurs fois dans Biographie, mais à la forme interrogative (p. 40, 46 et 73).
-
[39]
C. Viollet, « Petite cosmogonie des écrits autobiographiques », p. 39.
-
[40]
Les deux premières expressions sont tirées du chapitre 50 de Biographie, intitulé « Il » (p. 359). La troisième reprend le titre d’un roman d’Yves Navarre, Poudre d’or.
-
[41]
P. Lejeune, Les brouillons de soi, p. 129.
-
[42]
Ibid., p. 165-251.
-
[43]
Prenons l’exemple de Robbe-Grillet qui, dans Le miroir qui revient, premier volume de Romanesques, avance de manière provocatrice : « J’ai l’impression d’avoir raconté tout cela, depuis longtemps, dans mes livres comme dans mes films, et d’une façon beaucoup plus juste, plus convaincante. Il est certain qu’on ne l’y a pas vu, ou si peu. » (p. 16)
-
[44]
Voir Y. Navarre, Biographie, p. 692 et le journal, 23 juillet 1980, cahier 16. Centre d’archives de Montréal, fonds Yves Navarre (MSS250/004/003).
-
[45]
Le journal comporte de rares allusions à la publication. Toutefois, les trois premiers cahiers du journal de Montréal ont été tapés à la machine (le tapuscrit figure dans le fonds Navarre), ce qui porte à croire que l’auteur en envisageait la publication.
-
[46]
En ce qui concerne la facilité de l’auteur à changer de registre à partir d’un même socle autobiographique, Yves Navarre rappelle Violette Leduc, avec qui il a par ailleurs plusieurs autres points communs. Sur le statut des ouvrages de Leduc, voir C. Viollet, « Violette Leduc, de Ravages à La bâtarde », dans Genèses du « Je », P. Lejeune et C. Viollet (dir.), p. 105-122.
-
[47]
Cité par P.-J. Dufief, Les journaux de la vie littéraire, p. 15.
-
[48]
M. Braud, « Journal littéraire et journal d’écrivain aux xixe et xxe siècles – Essai de définition », dans Les journaux de la vie littéraire, p. 29.
-
[49]
L’expression se retrouve souvent chez Navarre, qui souligne l’universalité de l’expérience individuelle. Voir à titre d’exemples Biographie, p. 116 ; Romans, un roman, p. 661 ; La terrasse, p. 100 et 233 ; Douce France, p. 86 ; La vie dans l’âme, p. 73.
Bibliographie
- Centre d’archives de Montréal, fonds Yves Navarre (MSS250)
- Le jardin d’acclimatation, Paris, Flammarion, 1980, 392 p.
- Biographie, Paris, Flammarion, 1981, 697 p.
- Romans, un roman, Paris, Albin Michel, 1988, 693 p.
- Douce France, Montréal, Leméac, 1990, 209 p.
- La terrasse des audiences au moment de l’adieu, Montréal, Leméac, 1990, 396 p.
- Ce sont amis que vent emporte, Paris, Flammarion, 1991, 160 p.
- La vie dans l’âme – Carnets, Montréal, Le Jour / VLB, 1992, 264 p.
- Poudre d’or, Paris, Flammarion, 1993, 191 p.
- Ce sont amis que vent emporte, Le Triadou, H & O, 2009, 157 p.
- Le jardin d’acclimatation, Le Triadou, H & O, 2009, 469 p.
- Blanckeman, Bruno, Les récits indécidables – Jean Echenoz, Hervé Guibert, Pascal Quignard, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Perspectives », 2000, 222 p.
- Braud, Michel, « Journal littéraire et journal d’écrivain aux xixe et xxe siècles – Essai de définition », dans P.-J. Dufief (dir.), Les journaux de la vie littéraire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2009, p. 21-31.
- Braud, Michel, La forme des jours – Pour une poétique du journal personnel, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2006, 314 p.
- Braud, Michel, « L’intime du journal : présence et altérité à soi », dans Alain Montandon (dir.), De soi à soi, l’écriture comme autohospitalité, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, coll. « Littératures », 2004, p. 241-250.
- Cabanès, Jean-Louis, « L’écrivain et ses travaux au miroir des journaux intimes », dans P.-J. Dufief (dir.), Les journaux de la vie littéraire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2009, p. 33-46.
- Didier, Béatrice, Le journal intime, Paris, PUF, 1976, 205 p.
- Dufief, Pierre-Jean, « Le courrier des lecteurs et l’écriture du Journal des Goncourt », dans P.-J. Dufief (dir.), Les journaux de la vie littéraire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2009, p. 47-61.
- Dufief, Pierre-Jean, « Présentation », dans P.-J. Dufief (dir.), Les journaux de la vie littéraire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2009, p. 9-18.
- Lannegrand, Sylvie, Personne et personnage – Le malaise identitaire chez Yves Navarre, Berne / Berlin, Peter Lang, coll. « Publications universitaires européennes – Langue et littérature française », 2000, 394 p.
- Lejeune, Philippe, « Mathieu Galey : le moi en ricochets », dans P.-J. Dufief (dir.), Les journaux de la vie littéraire, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2009, p. 109-115.
- Lejeune, Philippe et Catherine BOGAERT, Un journal à soi – Histoire d’une pratique, Paris, Textuel, 2003, 215 p.
- Lejeune, Philippe, Les brouillons de soi, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1998, 426 p.
- Lejeune, Philippe, Moi aussi, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1986, 340 p.
- Montandon, Alain (dir.), De soi à soi, l’écriture comme autohospitalité, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, coll. « Littératures », 2004, 284 p.
- Robbe-Grillet, Alain, Le miroir qui revient, Éditions de Minuit, 1984, 231 p.
- Viollet, Catherine, « Petite cosmogonie des écrits autobiographiques », Genesis – Autobiographies (numéro spécial), n° 16, juillet 2001, p. 37-54.
- Viollet, Catherine, « Violette Leduc, de Ravages à La bâtarde », dans Philippe Lejeune et Catherine Viollet (dir.), Genèses du « Je » – Manuscrits et autobiographie, Paris, CNRS Éditions, coll. « Textes & manuscrits », 2000, p. 105-122.