Recensions

Les nouveaux visages du fascisme, d’Enzo Traverso, Paris, Textuel, 2017, 160 p.[Notice]

  • Michel-Philippe Robitaille

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Depuis quelques années, on assiste dans les pays occidentaux à une montée des droites radicales et extrêmes. Dans leurs quêtes pour accéder au pouvoir, ces partis et ces mouvements ont adopté de nouvelles formes, soulevant pour les observateurs, engagés ou non, des questionnements théoriques et stratégiques importants. Le Front national de Marine Le Pen, les factions du Parti républicain qui ont appuyé Donald Trump, les partisans du Brexit, etc. doivent-ils être qualifiés de fascistes ? La notion de populisme permet-elle mieux de rendre compte de ces nouvelles mutations de l’extrême-droite ? Puis, dans une perspective causale plus que descriptive, quelles sont les raisons des succès électoraux de ces partis et mouvements ? Ces succès sont-ils comparables à la vague fasciste des années 1920 et 1930 et résultent-ils de causes similaires ? Ces questions ont suscité d’importants débats depuis quelque temps. Parmi cet important corpus, la publication d’un ouvrage d’Enzo Traverso, spécialiste italien de l’histoire intellectuelle, est digne de mention. Dans un premier temps, Traverso soutient que l’analyse de la montée des droites xénophobes nécessite une distinction conceptuelle : celle entre le fascisme et le post-fascisme. Au sein du premier, il faudrait classer les cas classiques des années 1920 et 1930, en plus des néofascismes qui poursuivent le projet fasciste en adoptant une forme et des pratiques similaires après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le post-fascisme, de son côté, s’inscrirait dans la « matrice historique » fasciste tout en rompant avec ses formes traditionnelles, son discours distinctif et son mode d’organisation particulier. Si le concept est bien adapté pour rendre compte de la mutation du Front national sous la direction de Marine Le Pen, la notion de post-fascisme a été revendiquée dans les années 1990 en Italie par le parti Alleanza Nazionale pour marquer sa rupture avec son passé néofasciste sous le nom de Movimento Sociale Italiano. Bien que, comme la plupart des analystes, Traverso admette que les similitudes entre l’extrême-droite d’aujourd’hui et les fascismes historiques sont limitées, il considère la notion de fascisme comme le meilleur outil pour comprendre la trajectoire historique qui les unit. Une fois développé le concept clé de son analyse, l’historien présente trois discussions axées sur des problèmes empiriques liés à son objet. Dans un premier temps, il déconstruit l’idée que l’extrême-droite identitaire serait la contrepartie du communautarisme et de la politique de l’identité menée par certains groupes subalternes, commentant notamment les positions du Parti des Indigènes de la République. Il défend ensuite une idée controversée en procédant à une comparaison entre l’antisémitisme nazi et l’islamophobie post-fasciste. Auteur de brillants travaux sur le nazisme, l’historien italien est conscient des écueils qui guettent ceux qui procèdent à des comparaisons par convergence à partir du régime hitlérien. Aussi, il évite savamment le risque de banalisation de l’Holocauste qu’une telle entreprise comporte, sans toutefois arriver à une solution qui saurait rallier ses adversaires idéologiques. Pour lui, l’islamophobie jouerait au sein du post-fascisme un rôle similaire à celui que l’antisémitisme a joué pour le nazisme, bien que ce dernier ait été le théâtre d’une radicalisation qui va bien au-delà de ce qui peut être reproché aux populistes de droite de notre époque. Après avoir défendu la pertinence de la comparaison entre les fascismes classiques et ce qu’il qualifie de post-fascisme, tout en soulignant la portée limitée de ces comparaisons, l’historien s’attaque à une stratégie comparative très différente, souvent utilisée par les tenants de la politique identitaire. Il s’agit cette fois du rapprochement entre les fascismes classiques et l’islamisme radical. Pour Traverso, cette approche n’est pas sans bénéfice, puisqu’elle permet de mettre en évidence certaines des caractéristiques de l’extrémisme …