Recensions

Situation de la France, de Pierre Manent, Paris, Desclée de Brouwer, 2015, 173 p.[Notice]

  • Maxime Huot Couture

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À la suite des attentats de novembre 2015 en France, et plus encore après ceux du mois de janvier suivant, beaucoup se sont demandé : Que faire ? Avec son essai Situation de la France, Pierre Manent offre bien une réponse à cette question, mais son propos est beaucoup plus large : il tente de démontrer que bien qu’anodine en apparence, la question elle-même pose problème. Et ce problème se pose aux Français, aux Européens et plus généralement aux Occidentaux, trois ensembles auxquels renvoie simultanément le pronom « nous », récurrent au cours de l’ouvrage. C’est par rapport à cette possibilité de cohabitation que Manent en vient à formuler une des thèses principales de l’essai : la laïcité à la française est un échec. Il va de soi pour le philosophe que la « laïcité effective », entendue comme principe de gouvernement qui sépare le religieux et le politique, a été salutaire pour l’Europe. Mais c’est à une laïcité « imaginaire » que les Français sont confrontés aujourd’hui, une laïcité qui veut « faire disparaître la religion comme chose sociale et spirituelle » (p. 42). Un objectif néfaste selon l’auteur, puisqu’en plus de l’impossibilité de son actualisation totale, celui-ci contribue à séparer davantage l’État de la société et par conséquent à éloigner les ressources morales nécessaires au premier pour la réalisation d’actions communes significatives et ambitieuses. De plus, note ensuite Manent, cet affaiblissement de l’État est aggravé par l’effacement progressif des frontières politiques, processus qui renforce la légitimité des frontières religieuses, principalement de l’Islam, qui se présente comme un « tout significatif », dont la force est de surcroît bien palpable dans un territoire donné : la France. Devant la force de l’un et la faiblesse de l’autre, l’auteur conclut que le régime politique français n’a d’autre choix que de céder. Le régime français de laïcité doit céder, et ce, afin de répondre à trois éléments qui font pression sur l’Europe : le niveau élevé d’immigration musulmane, l’influence croissante des pays du Golfe sur cette population, ainsi que le terrorisme islamique. Dès lors, devant une situation qui n’a pas été proprement voulue par l’Europe, c’est une disposition défensive que la France devra adopter. Manent insiste sur ce point à plusieurs reprises. Dans cet esprit, les neuvième et dixième chapitres de Situation de la France émettent les propositions qui ont plus particulièrement engagé une polémique dans l’Hexagone. Elles peuvent se résumer ainsi. La seule politique possible, affirme-t-il, est le compromis entre « les rêveries d’une diversité heureuse » et les « velléités mal refoulées d’un ‘retour’ des immigrants ‘chez eux’ » (p. 71). D’une part, la France renonce à « moderniser » les moeurs des musulmans et leur fait une place concrète au sein des institutions sociales. D’autre part, elle énonce clairement des interdits afin de préserver certains traits fondamentaux de son régime. Parmi les possibilités, deux de ces traits sont formulés dans l’ouvrage : l’interdiction de la polygamie et l’interdiction du voile intégral. La philosophie politique derrière ces propositions pratiques est principalement exposée aux chapitres douze et treize qui constituent le coeur de l’ouvrage. Manent veut d’abord rappeler la nature de l’action politique. Celle-ci concerne les choses qui dépendent d’un « nous » particulier, qui sont possibles à réaliser ici et maintenant. Les thèses savantes ou les débats théoriques – comme celui du « véritable islam » – ne sont que d’un maigre secours pour la délibération. L’action doit compter avec l’incertitude inhérente aux choses humaines, mais trouve dans la référence à une histoire passée particulière un sens qui guide et motive. Un autre lieu principal de cette …