Recensions

Le trésor perdu de la politique. Espace public et engagement citoyen, de Diane Lamoureux, Montréal, Éditions Écosociété, 2013, 112 p.[Notice]

  • Jérôme Melançon

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Pour Diane Lamoureux, « la philosophie politique a des visées pratiques et critiques, éclairées par un regard historique » (p. 19). Elle permet de s’orienter dans une politique toujours concrète, locale et provisoire en effectuant un déplacement du regard, un décentrement qui permet d’envisager des solutions autres (p. 19). Dans Le trésor perdu de la politique, Lamoureux se place au sein de la tradition française de l’engagement intellectuel, mais en la révisant à la lumière de son propre engagement en tant qu’universitaire québécoise, féministe et militante. Elle pose ainsi la question de l’action de l’intellectuelle, spécifiquement et en réaction au sexisme de l’université et de la philosophie politique. En tant qu’activiste, elle cherche aussi à déprofessionnaliser la politique et à valoriser la contribution des opprimées et des subalternes à une politique qui ne saurait exclusivement être le domaine des politiciens et des universitaires, et qui doit être concertée et collective. L’introduction fonctionne surtout comme un rappel de ce qu’est la philosophie politique critique, tradition déjà bien établie et dont l’auteure rappelle les axiomes principaux, mais aussi comme un recadrage de cette tradition à partir de la situation des universitaires québécoises féministes. Lamoureux inscrit donc ses textes dans un courant critique du néolibéralisme et de la réduction de la démocratie à la représentation, et reprend surtout les idées de Hannah Arendt, Jacques Rancière, Gayatri Spivak, Iris Young, Axel Honneth, Rosa Luxemburg, Nancy Fraser, Claude Lefort, ou encore Étienne Tassin (dont elle emprunte le titre) et Françoise Collin. Lamoureux rend de cette manière le livre accessible à un jeune public québécois qui n’aurait pas encore eu la chance de rencontrer cette tradition critique (ainsi qu’à un public français qui n’aurait entendu que des échos des questions politiques québécoises). L’ouvrage présente d’ailleurs six courts textes de conférences réécrits afin de mieux s’adresser aux citoyennes et citoyens plutôt qu’à un public universitaire, notamment en faisant de nombreuses références à des événements contemporains. Chaque texte, issu d’expériences militantes et de soucis théoriques, est précédé d’une présentation qui en retrace l’historique. Pour penser la politique de manière positive plutôt que comme seule critique de l’État et de la domination, Lamoureux se tourne vers la politique des associations communautaires et des autres organisations de la société civile qui créent, entretiennent et développent le lien de concitoyenneté plutôt que de le détruire. Au-delà de l’auto-organisation et de la création de sens dans la vie des citoyennes qui y développent une capacité d’agir – aspects non négligeables de leur contribution à la vie politique –, ces organisations proposent aussi des modèles d’actions politiques collectives qui sont reprises ailleurs dans la société civile, mais aussi par l’État. Lamoureux rappelle ainsi que « les groupes féministes ont été à l’origine des transformations législatives importantes qui ont changé la vie des femmes au cours des 40 dernières années » (p. 33) et ont aussi contribué à diminuer l’emprise du racisme et du sexisme sur les moeurs. Plutôt que de créer une communauté homogène, les associations communautaires comme les mouvements féministes ou le Réseau de vigilance contre le gouvernement Charest tendent à créer des liens de citoyenneté par l’entremise de la diversité et des conflits, qui ne peuvent être éliminés de la vie politique, et à dévoiler la multiplicité des enjeux politiques et des luttes sociales en rejetant la pratique de la hiérarchisation des idéaux. De telles conception et pratique de la politique tendront à favoriser l’égalité tant sociale et économique que politique en ne privilégiant pas les appartenances sociales. Cette subjectivation politique se produit suivant trois formes : le refus de l’identité assignée par l’État ; la démonstration d’un tort subi, …