Les philosophes Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, le dramaturge Bertolt Brecht, le cinéaste Fritz Lang, les écrivains Franz Werfel, Alfred Döblin et Thomas Mann et le compositeur Arnold Schoenberg ne sont que quelques-uns des artistes et des intellectuels de langue et de culture allemandes qui ont choisi de vivre leur exil américain à Los Angeles et dans ses environs, pendant les années 1930 et 1940. Le présent ouvrage est le 41e volume de l’excellente série des Presses de l’Université de Californie, « Weimar and Now : German Cultural Criticism ». Son auteur, le professeur émérite de langues germaniques Erhard Bahr, propose de faire l’histoire sociale de ce groupe d’exilés et de sa participation – et réponse – à la crise du modernisme provoquée par la chute de la République de Weimar. Afin d’étayer son propos, E. Bahr adopte la définition du modernisme de Raymond Williams, qu’il présente, à notre avis, de manière trop sommaire : le modernisme serait une réponse offerte, à la fin du xixe siècle, aux « plus grands changements jamais vus au sein du média de la production culturelle » (p. 9). R. Williams souligne le caractère central de la métropole comme pôle d’où émerge cette réponse, attirant l’étranger – exilé ou émigré – et lui permettant de créer en désavouant les frontières artistiques, sociales et politiques. Mais alors que, pour lui, c’est New York qui est la ville américaine par excellence du modernisme allemand en exil, pour E. Bahr, au contraire, c’est à Los Angeles qu’il convient d’accorder cette place. Luxuriant et vert, antithèse absolue des horreurs de la guerre qui fait rage sur le Vieux Continent, le sud de la Californie présente un paysage urbain qui incite à une nouvelle affirmation du modernisme. Il est favorable à la naissance d’une dénonciation politique et d’une lutte contre le nazisme qui est concurremment une lutte pour préserver le potentiel utopique de la littérature, de l’art et de la philosophie modernes. Cet ouvrage s’intéresse à ce qu’ont en commun les réponses provenant de « Weimar sur le Pacifique ». D’abord, il est question d’une réactivation du modernisme qui, tout en préservant sa structure expérimentale fondatrice, a une portée plus universelle. Ensuite, E. Bahr insiste sur l’utilisation soutenue, par de nombreux exilés, de la dialectique en tant que principe structurel et motif intellectuel. II est question, d’entrée de jeu, de La dialectique de la raison de M. Horkheimer et T.W. Adorno. Le premier chapitre fait une synthèse des éléments centraux de cet ouvrage sur la crise du modernisme et de la culture. E. Bahr souligne que ce livre offre aussi un cadre théorique ou une approche méthodologique qui permet d’appréhender l’expérience de la communauté des exilés allemands. Le rejet de l’industrie culturelle américaine et le refus de M. Horkheimer et de T.W. Adorno de s’assimiler à leur société d’accueil permet à la fois de poser un constat de crise et de sauvegarder une norme nécessaire au jugement critique. L’examen – parfois trop schématique – de Bahr de La dialectique de la raison et des travaux ultérieurs d’Adorno sur l’art et la musique fait état d’un type d’oeuvre d’art qui, plutôt que d’être simple imitation, est simultanément issue de la société et autonome, dans la mesure où elle se sépare de ce dont elle émerge, de ce qui n’est pas art, en le niant. De là découle une définition de l’art en tant que résistance à la société ainsi que le concept de l’identité du non-identique et apparaît aussi un sujet ou un auditeur qui est en mesure d’offrir une contribution active, une réaction à l’oeuvre qui …
Weimar on the Pacific. German Exile Culture in Los Angeles and the Crisis of Modernism d’Ehrhard Bahr, Berkeley-Los Angeles-Londres, University of California Press, 2007, 358 p.[Notice]
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Myrtô Dutrisac
Centre canadien d’études allemandes et européennes, Centre d’études et de recherches internationales, Université de Montréal