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L’ouvrage collectif Les défis québécois : conjoncture et transition propose d’explorer différents enjeux actuels pour le Québec selon les trois perspectives que sont l’administration publique, l’économie et la société. Une enquête d’opinion qui sert d’assises à l’ouvrage est présentée au dernier chapitre. Elle montre que les Québécois perçoivent un essoufflement de leur modèle de gouvernance et un problème de finances publiques. En préface, Nelson Michaud soutient que des choix doivent être faits à partir d’une analyse scientifique des problèmes. En introduction, le directeur, Robert Bernier, présente l’ouvrage comme une réponse à cette crise structurelle qui remet en cause les fondements de l’État québécois.
Le premier chapitre de Pierre Cliche et Mathieu Carrier aborde le thème de la taille de l’administration publique québécoise. Les auteurs comparent l’emploi public et le panier de services des provinces canadiennes. L’emploi public au Québec est équivalent à la moyenne canadienne. Toutefois, à service comparable, le Québec offre un panier de services plus étendu. Les effectifs d’emploi public seraient similaires à ceux de l’Ontario. La croissance de l’emploi public provient surtout des secteurs municipaux et parapublics. Pour ce qui est de la fonction publique, bien que le nombre d’emplois y ait diminué depuis 2004, le gouvernement n’a pas atteint ses cibles de réduction.
Marie-Claude Prémont explore, dans le chapitre suivant, la relation entre Hydro-Québec et les régions productrices d’électricité. Elle soutient qu’Hydro-Québec ne profite pas autant aux régions ressources que le laisse croire le mythe entourant sa création, avançant que la situation des centrales dans les territoires non organisés s’assimile à un évitement de paiement de la taxe foncière. De plus, les projets hydroélectriques n’ont pas freiné la délocalisation de la grande industrie en région.
Luc Bernier, pour sa part, retrace l’évolution des activités d’Hydro-Québec (chap. 3). Il présente la progression dans la vente d’électricité hors Québec. Il rappelle que la commercialisation n’est pas la privatisation. Selon l’enquête d’opinion, les Québécois y sont d’ailleurs fortement opposés. La commercialisation et la mise en concurrence avec le secteur privé s’avèrent des mécanismes utiles pour améliorer la performance d’une entreprise publique comme Hydro-Québec.
Isabelle Lacroix (chap. 4) présente le cursus éducatif au Québec et la gouvernance, pour chacun des paliers scolaires. Elle fait le point sur trois enjeux que sont la persévérance scolaire, le financement des universités et la gestion des infrastructures éducatives.
Yves Boisvert (chap. 5) s’intéresse aux infrastructures d’éthique développées au gouvernement du Québec, ce qui l’amène à faire quatre constats. La compétence éthique des agents publics est déficiente. La transgression de la norme éthique est un élément structurant de la culture organisationnelle. Les dispositifs de contrôle sont dysfonctionnels pour freiner les dérapages éthiques. Finalement, les dispositifs de régulation qui fonctionnent sont liés à des organismes indépendants, au Parlement ou à la société civile.
Pierre Cliche signe le chapitre 6 (un des plus longs du livre). Il creuse le thème de la gestion et de la budgétisation axées sur les résultats. La Loi sur l’administration publique adoptée en 2000 proposait une telle stratégie pour améliorer la production de l’État québécois. L’auteur retrace de façon précise les différents volets de la mise en oeuvre des objectifs de la loi. Il soutient que cette stratégie propose un cadre favorable à l’innovation du secteur public et que l’intensification de son implantation est incontournable.
Benjamin Lefebvre quant à lui fait, au chapitre 7, une mise en parallèle de l’évolution des politiques agricoles canadiennes et québécoises. Le Québec, dit-il, a maintenu une stratégie priorisant les productions à fort potentiel de développement. De son côté, le gouvernement fédéral s’est engagé sur la voie du soutien aux revenus agricoles. Depuis 2005, des pressions s’exercent pour une harmonisation de la politique agricole canadienne.
Stéphane Paquin, Jean-Patrick Brady, Pier-Luc Lévesque et Luc Godbout (chap. 8) comparent le Québec aux pays scandinaves. Il en ressort que 55 % des répondants de l’enquête pensent qu’il est impossible de maintenir l’État providence. Grâce à des réformes dans les années 1990, les pays scandinaves y sont pourtant parvenus. Le Québec est comparé aux pays scandinaves sur les plans de la démographie, de l’activité économique, du marché du travail, du commerce extérieur, de l’endettement et des inégalités de revenus.
Au chapitre suivant, Emmanuelle Nyahoho et Alexandre-Nicholas Rodriguez-Vigouroux évaluent les impacts possibles d’une libéralisation accrue des échanges commerciaux. Ils concluent que le secteur industriel devrait bien s’en tirer et que la perte des revenus douaniers sur cette production sera marginale. Toutefois, pour le secteur de la consommation courante, la perte des revenus douaniers devrait être légèrement supérieure.
Marcelin Joanis (chap. 10) s’intéresse à la dette publique québécoise. Il révèle que 77 % des répondants sont d’avis que la dette est trop élevée. Son analyse de différentes mesures montre que le Québec est la province la plus endettée. L’auteur propose trois pistes d’action pour remédier à cette situation : un remboursement immédiat à partir du fonds des générations, la fixation de cibles intermédiaires en vue d’atteindre celles prévues dans la Loi sur la réduction de la dette et l’ajout de différents mécanismes de contrôle.
La contribution de Nathalie St-Pierre et Robert Bernier (chap. 11) aborde l’innovation technologique dans l’économie québécoise. La part qu’occupe l’innovation technologique pour la création de la richesse dans l’économie mondiale s’intensifie. Le Québec dispose d’atouts en matière d’innovation, concentrés autour de la recherche universitaire. Les auteurs remarquent toutefois que les faiblesses du Québec se situent aux niveaux des activités de transfert technologique et de la commercialisation de la recherche.
Luc Godbout et Suzie St-Cerny (chap. 12) dressent un portrait de la fiscalité au Québec dans une perspective comparative. Cette province se distingue dans ses modes de prélèvements fiscaux en favorisant l’impôt plutôt que les taxes à la consommation. Les auteurs suggèrent des objectifs fondamentaux pour une prochaine réforme fiscale : inciter au travail, à l’épargne et à l’investissement, favoriser la croissance économique et financer les services publics d’une société vieillissante.
Jean-Thomas Bernard (chap. 13) examine la rentabilité du développement hydroélectrique au Québec. Il démontre que l’ère du développement hydroélectrique à bas coût est terminée. La hausse croissante des coûts liés aux nouveaux sites et la chute du prix du gaz naturel avec l’arrivée des gaz de schiste ont pour conséquence, explique-t-il, d’éliminer la rentabilité d’un développement axé sur l’exportation ou la croissance de la grande industrie.
Jean-Louis Denis et Johanne Préval de leur côté s’intéressent à l’organisation de la santé (chap. 14). Ils écrivent que pour répondre aux besoins de la population dans un contexte de transitions démographiques et épidémiologiques, le système de santé doit s’adapter, mais que les transformations nécessaires se butent à des obstacles d’ordres structurel et politique. Les auteurs identifient certains leviers favorisant une réorganisation du système, tels que l’innovation des modes d’organisation, le façonnement des cultures professionnelles et la participation du patient aux efforts d’amélioration.
Danis Parenteau et Ian Parenteau (chap. 15) étudient le clivage gauche-droite. La mondialisation révèlent-ils, a fait émerger les courants idéologiques du néolibéralisme et de l’altermondialisme. Même si les questions sociales ont été récemment ramenées à l’avant-plan, ces deux courants n’ont pas remis en cause la prédominance de la question nationale sur la question sociale au Québec.
Annie Chaloux (chap. 16) aborde l’enjeu des changements climatiques dans une perspective québécoise. Elle montre que les années 2000 ont permis au Québec de réaliser des gains importants. Cela s’est fait sans véritablement modifier les comportements économiques et sociaux. Mais pour que les engagements futurs soient atteints, il en sera tout autrement, surtout en ce qui concerne l’indépendance énergétique et le transport.
Martin Goyette, Céline Bellot et Marie-Ève Sylvestre réfléchissent brièvement à la gestion de l’ordre public (chap. 17). Le rétablissement de la confiance des citoyens envers les institutions, et plus particulièrement la police, nécessite de repenser la définition des problèmes pour l’ordre public. Selon les auteurs, il faut adapter la gouvernance de manière à assurer une diversité de réponses dans une logique intersectorielle et interinstitutionnelle.
Dans leur chapitre (18), Alexandra Couture Gagnon, Yves Francis Odia et Filip Palda dressent un portrait de l’immigration au Québec. Les auteurs argumentent que la politique d’immigration doit être choisie en tenant compte du marché du travail. Les questions d’efficience économique, avancent-ils devraient déterminer la sélection de certaines catégories d’immigrants. Les statuts d’immigrant temporaire et d’immigration transférable sont proposés comme mécanismes permettant une coordination entre immigration et marché du travail.
Stéphane Paquin (chap. 19) s’intéresse à la politique internationale du Québec. Le ministère des Relations internationales, de la Francophonie et du Commerce extérieur (MRIFCE) responsable est en pleine mutation. Non seulement son budget a été réduit, mais il s’est vu confier la tâche supplémentaire du commerce extérieur. L’auteur est d’avis que cette décision ne favorisera pas la cohérence, puisque le volet des négociations commerciales demeure la responsabilité du ministère des Finances. Il déplore le manque de compétence des élus en matière de politique internationale. Il propose par ailleurs la création d’une commission parlementaire sur cet enjeu afin de favoriser l’arrimage des différents volets de la politique internationale.
Anaïs Valiquette L’Heureux et Marie-Christine Therrien (chap. 20) s’intéressent aux déficits systémiques qui ont été révélés par la tragédie de Lac-Mégantic. Elles remarquent que des signes précurseurs de dysfonctionnement pointaient déjà avant cette crise : plusieurs pratiques et normes étaient dénoncées, la réglementation existante était inappliquée et la responsabilité des acteurs, diluée. La crise présente une conjoncture propice à la responsabilisation. Des enseignements tirés de cette tragédie seraient transférables à la gestion des risques pour d’autres infrastructures.
Cet ouvrage n’hésite pas à aborder une grande question qui est celle de la modernisation de l’État québécois. Le portrait systématique et nuancé qu’il propose selon les différents secteurs d’activité permet d’apprécier la situation actuelle et les perspectives d’avenir. Sur l’aspect normatif de l’exercice, les auteurs abordent diverses pistes de solutions réalistes sans être outrageusement prescriptives. Il s’en dégage une impression positive où les immenses défis semblent surmontables. Cela tranche avec le pessimisme des Québécois sur certaines questions de l’enquête. La seule faiblesse de l’ouvrage est justement la sous-utilisation de l’enquête d’opinion ; seul le dernier chapitre (de Robert Bernier et Anaïs Valiquette L’Heureux) avant la conclusion s’y consacre de manière descriptive. Il aurait été intéressant que l’utilisation de l’enquête soit plus systématique. Cela aurait permis de constater là où l’opinion contraste, ou concorde, avec la vue des experts. Il reste que Les défis québécois est un ouvrage bien vulgarisé s’adressant à qui s’intéresse à l’administration publique québécoise ou aux politiques publiques en général.