Corps de l’article
En juin 2020, Faïza Kadri s’est entretenue avec Roch Lafrance, porte-parole de l’Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades (UTTAM).
Q : Monsieur Lafrance, en 2016, l’UTTAM a produit un rapport de recherche intitulé : « Quand la réadaptation professionnelle mène à l’appauvrissement et à la précarité d’emploi ». Comment est né ce mandat de recherche ?
R : Nous sommes des praticiens sur le terrain, nous ne sommes pas des chercheur.e.s dans la vie. Nous rencontrons des travailleuses et travailleurs, nous défendons leurs droits, nous intervenons dans des dossiers, que ce soit au tribunal, mais aussi en première ligne, au niveau de la CNESST, sur la question de l’indemnisation ou de la réadaptation physique, sociale et professionnelle. Lorsque nous rencontrions des personnes qui étaient à l’étape de la réadaptation professionnelle, nous constations qu’il y avait des carences majeures.
Nous constations également que beaucoup de recherche se faisait depuis une quinzaine d’années, mais principalement sur le retour au travail à court terme. Ces recherches exploraient quelles sont les meilleures pratiques pour faire en sorte que les travailleuses, travailleurs retournent rapidement sur le marché du travail, et souvent les conclusions étaient : « Plus les gens retournent rapidement sur le marché du travail ou au travail, plus la réadaptation est réussie ». Mais rien dans ces recherches ne portait sur ce qui se passe six mois plus tard, deux ans plus tard, 10 ans plus tard. De par notre expérience en réadaptation, nous nous disions qu’il risquait d’y avoir des impacts à long terme. Nous, notre travail se termine souvent lorsque le dossier est fermé : les personnes font une démarche à un moment donné, la CNESST détermine un emploi convenable, les personnes disent : « Je ne veux pas contester. Je veux l’essayer » et on les perd de vue. Nous n’avions trouvé, après recherche, qu’une étude du début des années 90 de l’Institut de recherche en santé et en sécurité du travail qui avait dressé des constats assez négatifs des impacts de la réadaptation professionnelle. Selon cette étude, quand nous regardons le parcours à long terme de ces personnes, souvent, elles terminaient leur vie sur l’aide sociale. C’était un peu le sentiment que nous avions.
Face à cette carence en informations, nous nous sommes lancés. C’est comme ça qu’est venue l’idée de creuser la question : qu’arrive-t-il avec ces travailleurs et travailleuses qui ont été réadapté.e.s par la CNESST au niveau professionnel, un an, cinq ans, 10 ans, 20 ans plus tard ? Quels ont été les impacts sur leur sécurité financière, par exemple ?
Q : Quand vous affirmez déjà dans le titre du rapport que la réadaptation professionnelle mène à l’appauvrissement et à la précarité, comment êtes-vous arrivé à cette conclusion ?
R : Avant de vous répondre, il est peut-être important de comprendre comment nous avons fait le recrutement. Depuis environ une vingtaine d’années, nous avons informatisé les dossiers, et nous nous sommes dit : « On va leur écrire, on va les inviter à participer à la recherche ». Nous parlons de milliers d’envois qui ont été faits. Sur les milliers d’envois, il y en avait des centaines qui étaient évidemment déménagés, mais il y a plus de 300 personnes qui ont répondu à l’invitation que nous leur avons faite par écrit et nous avions aussi mis des annonces sur Internet. Le questionnaire était assez imposant et, selon le parcours des répondant.e.s, contenait souvent plus d’une centaine de questions. Nous avons compté 215 personnes qui ont participé et qui ont répondu à l’entièreté de la démarche.
Quand les questionnaires sont arrivés, on s’est rendu compte que l’appauvrissement était en moyenne très, très important pour ces travailleurs. Ce dont on s’est rendu compte aussi, c’est que quand on parle de retour au travail ou de retour à un emploi durable, c’était une catastrophe. Parmi les répondant.e.s, il y en a dont le dossier avait été réglé deux ans auparavant, il y en a d’autres dont le dossier avait été réglé il y a 20 ans, mais, en moyenne, pour les gens qui ont répondu, cela faisait 10 ans que la CNESST avait déterminé qu’ils étaient capables d’occuper un emploi x. Sur une moyenne de 10 ans, on a constaté que les gens vivaient en majorité une instabilité d’emploi importante et subissaient aussi une perte de revenu importante. Le titre du rapport s’est donc imposé à nous.
Q : Comment la réadaptation professionnelle devient-elle une source d’appauvrissement et de précarité ?
R : Dans le questionnaire, on posait des questions sur le revenu de la personne, la stabilité en emploi, etc., mais chacune des personnes devait aussi répondre à des questions sur le processus de réadaptation professionnelle : à quoi a-t-elle eu droit comme mesure ? La CNESST dispose d’une panoplie de mesures. Premièrement, il faut savoir que la loi prévoit que la CNESST a le pouvoir discrétionnaire de prendre toute mesure qu’elle juge utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences de lésions professionnelles. La CNESST a aussi spécifiquement des pouvoirs de faire des adaptations aux postes de travail, de payer aux travailleuses et travailleurs des programmes de recyclage, des programmes de formation professionnelle, des services d’évaluation des possibilités professionnelles, des mesures de support en recherche d’emploi, des mesures de subvention tant à l’employeur qu’à la travailleuse ou au travailleur, des frais d’exploration du marché du travail, des frais de déménagement si la personne doit déménager à l’extérieur.
Donc, en ce qui concerne les mesures de réadaptation professionnelle, la CNESST a une large palette. Cependant, ce dont on s’est rendu compte, c’était que les gens avaient habituellement droit à pas grand-chose…
Il y a certaines catégories de gens qui étaient particulièrement désavantagées par rapport à d’autres. Par exemple, le terme n’est pas péjoratif, mais les gens les plus « maganés », les travailleurs plus âgés qui ont le corps usé par le travail, parce qu’ils sont rendus à 55, 60 ans, qu’ils ont fait un travail physique difficile toute leur vie, à un moment donné, ces personnes ne peuvent plus refaire le travail qu’elles occupaient avant leurs lésions. Avec des personnes de 55, 60 ans, que fait-on en matière de réadaptation professionnelle ? Est-ce qu’on les renvoie à l’école pour deux ou trois ans ? Pour la CNESST, cela coûterait cher pour le peu de temps que ces personnes vont rester sur le marché du travail par la suite.
On a aussi constaté le même phénomène pour les travailleurs immigrants, c’est-à-dire des personnes qui ne sont pas nées ici, et qui ont notamment des difficultés par rapport à la langue, que ce soit en français ou en anglais ; s’ils ne savent pas lire en français ou en anglais, une formation scolaire durerait des années.
Et donc, il y avait des catégories de personnes comme ça pour qui le processus de réadaptation professionnelle consistait uniquement en une ou deux rencontres avec un conseiller en réadaptation de la CNESST. On leur détermine par la suite un emploi convenable au sens de la loi, soit un emploi qui pourrait théoriquement présenter des possibilités raisonnables d’embauche, qui respecte les limitations et la capacité résiduelle de la travailleuse, du travailleur, et que la personne a les compétences pour l’exercer. Mais, pour ces personnes, généralement, le type d’emploi convenable qu’on a constaté dans la recherche, ce sont surtout des emplois sous-qualifiés qui n’exigent pas de 5e secondaire.
Q : Parce ce qu’il est plus facile de les replacer ainsi ?
R : On ne les replace pas. Parce que la loi, ce qu’elle vient dire, c’est que le seul rôle de la CNESST, c’est de rendre capable ces travailleuses et travailleurs d’occuper un emploi, et après on leur dit qu’il leur revient de trouver l’emploi. La CNESST continuera à les indemniser pendant un an, puis au bout d’un an, à eux de se débrouiller. Le problème pour ces personnes-là, c’est qu’on ne leur donne aucune formation qualifiante, et elles ont des problèmes physiques — elles ne sont plus capables de faire leur travail. La majorité des personnes qui ont participé à la recherche avaient souvent des expériences uniques de travail, elles avaient occupé le même emploi toute leur vie, des emplois souvent physiques. Elles se retrouvent donc en concurrence sur le marché du travail avec toutes celles qui n’ont pas de qualification professionnelle, mais qui n’ont pas de problèmes physiques. L’impact de cette absence de mesures concrètes de réadaptation, c’est que ces personnes-là, de bonne foi, ne contestent pas la décision et vont chercher l’emploi convenable, puis au bout d’un an, elles perdent leurs indemnités et qu’est-ce qui se passe ? Elles vont à l’aide sociale, ou si elles ont 60 ans et plus, elles vont faire leur demande de rente d’invalidité au Régime de rentes du Québec. Donc, la CNESST pellette vers d’autres programmes sociaux. La CNESST tente de ne pas payer de mesures ou alors le moins de mesures possible.
D’ailleurs, dans nos conclusions, nous relevons que des personnes qui ont eu une formation véritablement qualifiante, ont habituellement réussi à se trouver un emploi et à maintenir, grosso modo, les revenus qu’elles avaient avant leurs lésions professionnelles.
Q : Quels sont les critères que la CNESST applique pour déterminer qui va bénéficier des formations qualifiantes ?
R : Au chapitre de la réadaptation, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles donne de grandes balises quant à l’ensemble des programmes de réadaptation, soit physique, sociale ou professionnelle. La CNESST doit choisir, parmi l’ensemble des mesures accessibles, la solution appropriée la plus économique. Et cela est le guide de l’ensemble des interventions de la CNESST. Je veux qu’on soit clair : les critiques faites dans notre étude ne s’adressent pas à la conseillère ou au conseiller en réadaptation de la CNESST, elles s’adressent à la CNESST et à la loi, à la façon dont celle-ci est construite et à la façon dont elle est appliquée par la CNESST. Les conseillers en réadaptation font le travail qu’on leur demande de faire, et doivent appliquer les directives.
Donc, lorsque les conseillers établissent un plan individualisé de réadaptation, ils doivent bâtir des scénarios, scénario 1, 2, 3, etc., et dans chacun d’eux, des mesures sont prévues. Et dans le scénario, il faut également calculer les coûts, et dans ce calcul, on va utiliser les coûts des mesures de réadaptation. On calcule évidemment le coût de la formation : si la formation dure six mois, est calculé le 10 000 $ pour la formation par exemple, ainsi que les six mois d’indemnisation, parce que la CNESST va indemniser à 90 % du salaire net. Ce qui fait mal, cependant, c’est que la CNESST doit aussi calculer les coûts futurs : une fois que la CNESST détermine un emploi convenable, elle doit aussi déterminer l’indemnité de remplacement du revenu future que la personne pourrait recevoir si le salaire de l’emploi convenable est inférieur à celui de l’emploi prélésionnel. La CNESST choisira le scénario le plus économique.
Plus il y aura de mesures dans le cadre d’une réadaptation et plus ces mesures dureront longtemps, plus la solution est de moins en moins économique pour la CNESST. Or, elle doit choisir la solution appropriée la plus économique.
Ainsi, plutôt que de payer des formations, on va avoir tendance à déterminer des emplois convenables qu’on pourrait qualifier de génériques, au sens très large, des emplois très larges qui ne demandent pas de qualifications, et après ça, ils vont essayer aussi d’augmenter le salaire, parce que c’est un salaire fictif [NDLR le salaire associé à l’emploi convenable sera déduit des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à concurrence du salaire prélésionnel]. Et donc il peut y avoir aussi un enjeu en ce qui a trait aux salaires. Ce calcul économique à long terme fait en sorte qu’on va avoir tendance à payer le moins de mesures possibles dans la majorité des cas.
Il faut quand même dire qu’il y a toutefois certains cas où c’est « payant » pour la CNESST de payer des mesures de réadaptation. Encore une fois, c’est une question avant tout économique. Si, par exemple, j’ai 20 ans et que je travaillais au maximum annuel assurable [NDLR en 2020, le salaire maximum assurable était de 78 500 $] et que je suis incapable d’occuper mon emploi, et tout ce que je peux faire sans formation, ce sont des emplois au salaire minimum, dans un cas pareil pour la CNESST c’est probablement plus payant de me former, de m’envoyer à l’école pour trois ou quatre ans pour augmenter mon employabilité, pour faire en sorte que le salaire de l’emploi convenable soit plus élevé. Parce que si on détermine un emploi convenable au salaire minimum et qu’on me compense une partie de mon manque à gagner pendant 45 ans, si je coûte 35 000 $ par année, là on est dans les millions de dollars.
Il faut cependant comprendre que dans la réalité de la réadaptation de la CNESST, la vaste majorité des travailleuses et travailleurs sont âgé.e.s. Généralement quand on a 45, 50, 55 ans, ce sont surtout des personnes qu’on voit en réadaptation et la CNESST n’a pas tendance à vouloir leur payer une formation, parce que le temps qui reste à l’indemnisation par la suite n’est pas suffisant. La solution appropriée la plus économique, c’est souvent un emploi sans formation
Q : Selon vous, y a-t-il moyen de concilier cette logique comptable, comme vous l’avez nommée dans le Rapport de 2016, et une réadaptation professionnelle réussie ? Ou est-ce totalement irréconciliable ?
R : À notre niveau, nous ne sommes absolument pas dans la logique comptable. Nous travaillons avec des humains. Le régime de réparation est censé justement réparer les conséquences des lésions professionnelles et non pas uniquement les conséquences financières. Le travail définit beaucoup la personne et, pour nous, un régime qui se respecte devrait viser à remplacer le travail qu’on faisait par un autre emploi qu’on pourrait qualifier véritablement de convenable, c’est-à-dire quelque chose qui remplace correctement ce qu’on avait. Pour nous, cela devrait être un but à atteindre. C’est pour cela que je dis que nous, nous ne nous inscrivons pas tellement dans une logique comptable. Nous sommes prêts à « embarquer » dans une logique comptable, mais à un niveau sociétal. Actuellement, la CNESST regarde sa propre enveloppe, elle regarde ce qui est le plus économique pour elle. Ce faisant, elle va envoyer des gens vers d’autres programmes sociaux qui ne relèvent pas d’elle, mais qui génèrent des coûts. L’assurance-emploi génère des coûts, l’aide sociale génère des coûts, les assurances privées génèrent des coûts, le Régime de rentes du Québec, mais ce n’est pas la CNESST qui paie.
Donc, du point de vue comptable, si on veut y aller dans une approche globale, on devrait justement prendre en compte l’ensemble de ces coûts ainsi que les coûts pour la famille, parce que la personne qui n’a pas droit au Régime de rentes du Québec, qui n’a pas droit à l’aide sociale, parce que sa conjointe ou son conjoint continue de travailler, qui n’a pas droit à l’assurance-emploi, parce qu’elle n’a pas cotisé pendant qu’elle était sur la CNESST, c’est la famille qui va assumer les coûts. D’ailleurs, en Ontario, il y a un bureau indépendant de la Commission des accidents du travail qui est là pour aider justement les travailleuses et travailleurs accidentés qui ne sont pas syndiqué.e.s et un de ses mandats, c’est de défendre des travailleuses et des travailleurs pour éviter que la Commission ne transfère des coûts vers les régimes publics d’indemnisation.
Q : Vous leur demandez de revoir un peu leur vision de ce qu’est une logique comptable ?
R : Oui. C’est une de nos demandes, d’enlever le mot « économique » de cet article de la loi qui vient dire que la CNESST en matière de réadaptation doit choisir la solution appropriée la plus économique. Ce seul aspect fait en sorte que les conseillères et les conseillers en réadaptation à la CNESST ne sont pas capables de faire leur travail correctement à cause d’une logique comptable où on dit : « De toutes les tentatives de réadapter correctement une personne, dans ma colonne des scénarios, ça coute toujours trop cher, donc finalement on ne fait rien, on va les diriger vers un organisme qui va les aider à faire une recherche d’emploi », d’un emploi convenable que la personne ne trouvera jamais et qui, après cela, va finir sa vie sur l’aide sociale.
Q : Faudrait-il un changement de « paradigme » à la CNESST si l’on veut pouvoir aider les personnes qui en ont besoin efficacement ?
R : Oui. Quand la loi actuelle a été adoptée en 1985, tout le chapitre sur la réadaptation professionnelle était nouveau. Avant, il n’y avait rien dans la loi, la CNESST avait certes le pouvoir de réadapter les travailleurs, mais il n’y avait aucun droit. Et donc, je pourrais dire que dans les cinq, six, sept, huit premières années, il y avait des praticiens à l’interne qui ont fait un excellent travail, on avait beaucoup axé sur la réadaptation professionnelle. Beaucoup de formations, beaucoup de stages dans le milieu de travail, on sentait qu’il y avait des personnes qui voulaient faire un vrai travail de réadaptation. Et par la suite, à un moment donné, la CNESST a commencé à dire publiquement que pour les victimes de lésions professionnelles, la formation ça ne donne rien : ce qui était mieux, c’étaient des stages et de courtes formations. L’on voit d’ailleurs, dans notre étude, la vaste majorité des formations qui sont payées par la CNESST, souvent en école privée, durent 6, 8, 10, 12 semaines. Est-ce qu’en 12 semaines l’on est capable d’acquérir les compétences pour occuper un nouvel emploi qualifié ?
Quelqu’un qui n’a jamais touché un ordinateur de sa vie, à qui l’on dit qu’il va être réceptionniste ou commis à la comptabilité dans une entreprise, mais qui n’a jamais travaillé avec un ordinateur, on a beau payer un cours d’Excel pendant six semaines, il n’y a pas personne qui va se trouver un emploi avec ça. Ce sont les formations actuellement offertes. Au début du régime d’indemnisation actuel, il y avait des formations dans le réseau public. Et, par la suite, le discours à la CNESST s’est transformé en affirmant que la formation pour les travailleuses et travailleurs, ça ne donne rien, qu’il vaut mieux faire de petites formations d’ajustement, alors que partout ailleurs, à l’aide sociale, à l’assurance-emploi, ce qu’on dit et qu’on dit aux jeunes aussi, c’est que la formation, c’est payant.
Les gens qui passent par la réadaptation professionnelle à la CNESST, c’est parce qu’il a été documenté que physiquement, ils ne peuvent plus occuper leur emploi, et donc c’est un changement de carrière. On leur dit cependant qu’ils vont changer de carrière, mais sans formation. Il y a 20 ans, il y avait encore des personnes qui avaient accès à des formations qualifiantes. Aujourd’hui, c’est vraiment l’exception qui confirme la règle. Dans nos dossiers, nous ne voyons plus de personnes qui vont avoir droit à une formation d’un an ou deux ans ou pour finir un secondaire ou faire une technique au cégep, on ne voit plus ça, sauf exceptionnellement quand c’est quelqu’un de très, très jeune qui faisait un très, très bon salaire.
Q : Dans le Rapport de 2016, vous établissez sept constats principaux. Est-ce que vous pouvez très sommairement nous les rappeler ?
R : Il y en a qui sont plus importants que d’autres. L’objectif n’était pas nécessairement de trouver des problèmes, on a effectivement vu certaines situations qui permettaient de dire que la réadaptation fonctionnait. Je vous nomme deux mesures qui favorisent le maintien à l’emploi et le maintien du revenu prélésionnel.
Le premier, c’est évidemment le retour chez le même employeur. On a pu constater, dans les résultats de la recherche, que les personnes qui réussissent à retourner chez le même employeur, à un emploi adapté ou un emploi convenable, avaient plus de chance de garder un emploi à long terme et de maintenir un revenu à peu près comparable. Nous travaillons principalement avec les non syndiqué.e.s ; nous remarquons que les employeurs ont une réticence à l’égard de leurs travailleurs en présence d’une lésion relativement importante, qui fait en sorte qu’ils ne peuvent plus accomplir leur travail. C’est sûr que dans un nouveau travail, ce n’est pas tout le monde qui sera totalement fonctionnel non plus, à cause des problèmes physiques. Donc, d’insister sur le maintien à l’emploi, la CNESST aurait un rôle important à jouer à ce niveau. Malheureusement, aussitôt qu’un employeur déclare ne pas avoir d’emploi convenable, on entre dans le processus de détermination d’un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail. Mais c’est une mesure qui fonctionne, d’obliger le plus possible les employeurs à reprendre leurs travailleurs.
Deuxième chose qui semble fonctionner : les gens qui ont réussi justement à avoir des programmes de formation qualifiante, des formations qui mènent à un diplôme d’études professionnelles, généralement dans une école publique. Quand les personnes ont suivi une formation qualifiante, souvent assortie d’un stage de formation professionnelle, on a constaté dans les résultats de la recherche que celles-ci ont maintenu leur salaire, ou à peu près, et ont aussi eu une très bonne stabilité d’emploi par la suite.
Deuxième constat, l’on remarque que l’évaluation qui est faite par la CNESST quant à la capacité à reprendre l’emploi prélésionnel souffre de déficiences importantes. Plusieurs exemples illustrent comment on est arrivé à ce constat. Par exemple, quand on est incapable de réadapter d’aucune façon une personne, la CNESST doit rendre une décision d’inemployabilité. Dans le jargon populaire, la personne est déclarée « invalide ». La CNESST n’utilise pas ce terme, mais celui d’« inemployable ». Ces personnes vont être payées jusqu’à l’âge de 65 ans à 90 % de leur salaire. Nous avons remarqué que plusieurs personnes qui ont terminé le processus en étant déclarées inemployables avaient reçu au départ une décision à l’effet qu’elles étaient capables de reprendre leur emploi, ce qui semble à première vue contradictoire ou, à tout le moins questionnant.
Je le dis encore une fois, ce n’est pas une question de compétence, c’est une question de directive, parce que pour que les conseillers en réadaptation puissent déclarer quelqu’un « inemployable », le dossier doit passer devant un comité de chefs d’équipes. Une personne à qui l’on dit qu’elle ne pourra pas reprendre son emploi, qu’elle n’est plus capable de faire de travail physique, et [si elle est une] personne immigrante qui ne lit et n’écrit ni le français, ni l’anglais… quoi faire avec cette personne-là ? Elle a 55, 58, 62 ans, est-ce qu’on va la retourner à l’école ? C’est la vraie question.
Souvent, quand je vois quelqu’un qui ne sait ni lire ni écrire, qui a effectué un travail physique toute sa vie, puis qui a 55 ans, je me dis que c’est évident que cette personne-là a une côte raide à remonter en matière de réadaptation professionnelle et que ça va coûter cher. Je travaille dans une association de victimes de lésions professionnelles, je leur dis que l’on va se battre jusqu’au bout pour qu’elles aient droit à une réadaptation qui va leur permettre d’occuper un emploi. Ces personnes veulent travailler, elles ont encore au moins 10 ans devant elles, elles ne veulent pas être assises chez elles à ne rien faire. Mais du côté de la CNESST, parce que l’organisme est payeur, elle voit les coûts, parce que ça coûterait cher, pour quelques années de travail possible.
Q : L’on revient à la logique comptable.
R : Oui, exactement. Quand on dit que l’évaluation faite par la CNESST de la capacité d’une personne à reprendre son emploi souffre de déficience, on n’y va pas sur les motivations, on regarde les résultats du processus. Plus les personnes ont besoin de réadaptation, moins elles ont droit à la réadaptation. Les personnes les plus vulnérables, qui sont âgées, qui ont peu de formation scolaire, ce sont pourtant elles qui ont besoin d’aide.
Je vous donne juste un autre exemple : de tout.e.s les participant.e.s à la recherche, environ un tiers sont des personnes nées à l’extérieur du Canada. Elles ont des problèmes de compréhension ou d’écriture en français ou en anglais, toutes ont droit à de la réadaptation professionnelle, car la CNESST avait déterminé qu’elles n’étaient pas capables de reprendre leur emploi. Or, aucune n’a eu droit à un cours de français. Même pas les personnes qui l’ont demandé. C’est pourtant la base. Si on espère que ces personnes puissent travailler au Québec, la base, c’est au moins d’être capable de parler et peut-être aussi écrire en français, dans la langue de travail. Il y a des employeurs qui profitent de la vulnérabilité de ces personnes, il y a des ghettos d’emploi où il y a des usines québécoises qui n’embauchent presque que des travailleurs immigrants, des travailleurs qui vont travailler dans une langue autre que le français et l’anglais. Les contremaîtres parlent cette autre langue et on ne vise absolument pas à ce que ces personnes parlent français, parce qu’elles sont captives. Ces travailleurs ne peuvent plus sortir de là. Ils ne possèdent pas la langue. Alors, quand ils sont blessés, il me semble que la première chose que la CNESST devrait faire c’est de travailler sur la francisation.
Dans notre étude, on relève que les mesures de réadaptation professionnelle qui sont utilisées par la CNESST, les mesures qu’elle choisit pour les travailleurs s’avèrent totalement inefficaces à long terme. L’on a remarqué que la majorité des personnes ont subi des pertes de revenus importantes et qu’elles ont aussi des problèmes importants de stabilité d’emploi. Des participant.e.s à la recherche qui ont eu droit de bénéficier de la réadaptation professionnelle, sur une moyenne de 10 ans, 45 % n’ont jamais retravaillé depuis ce temps-là. C’est un chiffre qui frappe : 45 % qui n’ont jamais retravaillé !
Autre constat : l’appauvrissement à long terme, appauvrissement assez important. En majorité, c’est plus d’un tiers du revenu que les travailleurs, travailleuses ont perdu par suite de ces mesures de réadaptation. Parmi les personnes qui sont retournées travailler, nous avons aussi remarqué qu’il y avait un taux anormalement élevé de rechute, de récidive, d’aggravation ou de nouvelles lésions professionnelles : 42 % des répondant.e.s. Cela laisse voir que les emplois convenables que ces personnes ont occupés par la suite ne respectaient probablement pas un des critères de l’emploi convenable, soit le respect des limitations fonctionnelles.
Autre constat fait : l’existence de traitements différenciés par les services de réadaptation professionnelle à la CNESST pour certains groupes de personnes. Dans notre formulaire, nous analysions toutes les mesures offertes par la CNESST, et globalement, il en ressort que les travailleurs immigrants ont eu les mesures les moins intéressantes. Ces derniers ont beaucoup moins accès aux formations qualifiantes qui mènent à un véritable diplôme, et ils étaient davantage orientés vers de très, très courtes formations dans des écoles privées où il n’y a pas de diplôme. Nous ne disons pas qu’il s’agit de discrimination voulue, nous ne disons pas que c’est du racisme, mais le résultat, c’est qu’il y a un problème systémique à ce niveau-là. Nous pouvons dire : on n’envoie pas des travailleurs immigrants qui ne possèdent pas la langue suivre une formation qualifiante. Mais comme je vous disais tout à l’heure, si on leur avait payé un cours de français pendant que c’était évident, pendant la réadaptation physique, pendant les traitements médicaux... La lésion est tellement grave, on sait que cette personne-là ne pourra pas retourner à son emploi, alors pourquoi ne pas commencer tout de suite à lui payer des cours de français pour lui permettre d’aller suivre une vraie formation après ?
Q : Est-ce que la grande majorité de ces « travailleurs immigrants » ne parlent ni français ni anglais ? Ou y en a-t-il une petite partie quand même qui maîtrise une des deux langues ?
R : La majorité des travailleuses et des travailleurs immigrants qui ont participé à l’étude parlent français, à l’image de celles et ceux qu’on rencontre dans notre travail, mais ne l’écrivent pas. Ils ont une connaissance de base très variable. Il y en a pour qui c’est très difficile, comme il y en a d’autres qui parlent très bien. Mais la connaissance écrite est souvent plus difficile.
Q : Vous parliez de vies sacrifiées. Comment les travailleuses et travailleurs, que vous rencontrez dans le cadre de votre travail vivent-ils la réalité du processus de réadaptation ?
R : Ils trouvent cela très difficile. Il y a des personnes qui se font dire que l’objectif n’est pas l’amélioration de leur condition. Ça, on l’entend souvent, parce qu’on rencontre des centaines de personnes chaque année. C’est la phrase que j’ai entendue le plus souvent, qui choque le plus de gens. Les gens en sont abasourdis. Ils se disent : « Je ne veux pas améliorer ma condition. Je veux juste maintenir ce que j’avais ». Quand on est porteur d’un handicap, la seule façon de gagner de l’employabilité par rapport à cette masse de travailleurs en bonne santé qui n’ont pas de compétences particulières, c’est justement d’avoir une formation.
L’employeur, pour un emploi sous-qualifié, va prendre la travailleuse, le travailleur qui n’a pas de problèmes de santé, c’est évident. C’est probablement ce que les gens trouvent le plus difficile quand ils se le font dire clairement.
Les gens trouvent aussi difficile de se faire « larguer » par leur employeur. Souvent ils sont là depuis 10, 15, 20, 30 ans. Alors, il y a toutes sortes de deuils pour les gens et ils se retrouvent dans une situation complexe, difficile.
Q : Faisant appel à votre très longue expérience professionnelle, est-ce que les constats qui sont ressortis du Rapport de 2016 — les observations, les constats, les conclusions — vous ont surpris ?
R : On est peut-être naïfs, mais cela nous a surpris. Dans notre travail quotidien, on espère que ça aille bien pour les gens quand ils quittent l’organisme. Malgré les problèmes que l’on voit dans l’application des mesures de réadaptation professionnelle, on avait un petit peu d’espoir que finalement les gens puissent s’en sortir. Ce qu’on voit tous les jours, qu’on peut projeter dans l’avenir : les travailleurs et travailleuses que nous rencontrons partent d’ici avec un bagage qui ne les rend pas compétitifs sur le marché du travail. Même s’ils se trouvent un emploi à court terme, ils vont être les premiers à être mis à pied, parce qu’ils ont besoin d’aide tout le temps, ils ne sont pas capables de faire toutes les tâches. Et puis, après ça, ils vont de petit boulot en petit boulot, à l’aide sociale, à l’assurance-emploi. Mais quand on a vu les impacts à long terme, on a quand même été surpris.
Q : Est-ce que les choses ont évolué depuis le Rapport ou est-ce le statu quo ?
R : Du côté de la CNESST, ça n’a pas évolué. La chose, cependant, qui a évolué et qui nous encourage, c’est qu’on a vu récemment, dans un contexte de rareté de la main-d’œuvre, on a vu quand même plusieurs démarches du côté de la recherche scientifique. Actuellement, il y a quelques recherches qui portent sur les politiques publiques en matière de réadaptation professionnelle pour les victimes de lésions professionnelles et les effets à moyen et à long terme. Des choses bougent un peu. Le fait qu’il y ait un intérêt envers les travailleuses, travailleurs accidenté.e.s, et les impacts que ces mesures peuvent avoir sur eux, nous trouvons déjà que c’est une amélioration, parce qu’avant il n’y avait rien.
Q : Est-ce que vous anticipez une détérioration de la situation à cause de la pandémie de la COVID-19 ?
R : Oui, nous sommes assez préoccupés, pour toutes sortes de raisons. Il y a quelques secondes, je parlais de pénurie de main-d’œuvre et donc c’est sûr que les travailleurs plus âgés, les travailleurs victimes de lésions professionnelles, les travailleurs qui ont un handicap pourraient contribuer justement à régler une partie de cette pénurie de main-d’œuvre. Maintenant, on se retrouve dans une situation depuis le mois de mars 2020 où le Québec a été mis sur pause, et à peu près toutes les économies sur la planète ont été mises sur pause pendant une période, et donc on se retrouve actuellement avec un taux de chômage très important. Quel sera l’impact de ce chômage sur des travailleurs et des travailleuses qui ont des limitations fonctionnelles importantes après une lésion professionnelle ? Nous avons déjà vu par le passé pendant des périodes de crise économique, que cela avait été extrêmement difficile pour ces personnes de pouvoir espérer trouver un emploi. Dans une période comme ça, je ne suis pas sûr que la CNESST mette de l’avant des mesures qualifiantes.
L’autre élément, à court terme mais qui peut avoir des effets à long terme, pendant toute la période de confinement, depuis la mi-mars 2020 jusqu’à environ l’été, à peu près tous les processus de réadaptation professionnelle ont été stoppés. Les agents et les conseillers en réadaptation ont été assignés en télétravail. Donc, les agents d’indemnisation et les conseillers en réadaptation n’avaient pas accès au réseau interne de la CNESST, ni aux dossiers qui sont tous informatisés à la CNESST. Donc, tous les processus de réadaptation ont été stoppés pendant au moins trois mois. Ça recommence tranquillement. C’est trois mois où rien ne s’est passé ou à peu près rien ne s’est passé dans la vaste majorité des cas, il y a une grande incertitude. C’est sûr qu’à moyen terme on a un peu peur, parce que les lésions professionnelles continuent. Ce qui nous préoccupe vraiment, c’est toute la question de ce à quoi va ressembler le marché du travail dans les prochaines années. Plus il y aura un taux de chômage élevé, plus ce sera difficile pour des victimes de lésions professionnelles.
Q : Si l’on se projette, quelles solutions ou quelles pistes de réflexion proposez-vous pour faire de la réadaptation professionnelle une avenue porteuse de changement positif pour les travailleuses et les travailleurs ?
R : Il faut qu’il y ait une modification législative qui vienne soustraire de la loi toute la notion de « solution appropriée la plus économique ». Il faut que cela disparaisse, parce que tant qu’on utilise des scénarios comptables, on met de côté l’humain. Alors, tant que le système sera basé avant tout sur des mesures qui coûtent le moins cher possible pour la CNESST, il n’y aura pas de véritable réadaptation professionnelle, donc il faut que ça disparaisse.
Il y a toute la question de la formation professionnelle. Dans un monde aujourd’hui où l’on entend tous les jours que la formation, c’est très important, il faut que la loi prévoie que cette formation ne soit pas seulement qu’une formation de dernier recours. Ces travailleurs et travailleuses doivent changer de carrière. Ils ont des expériences de travail, ils ont une formation — une formation professionnelle ou technique — qui leur permettait de faire le travail qu’ils faisaient depuis plusieurs années ; s’ils doivent débuter une nouvelle carrière professionnelle, il me semble que ça devrait être une des premières choses qu’on envisage et non pas la dernière chose.
Troisième élément important, c’est clair pour nous que lorsqu’on parle de formation scolaire ou professionnelle, il faut que ce soit des formations dispensées dans le réseau public, qui mènent à de vrais diplômes. Parce que dans les écoles privées qui fonctionnent à contrat avec la CNESST, c’est soit des « diplômes maison » non reconnus, soit pas de diplôme du tout. On s’est doté d’un régime, d’un système d’éducation publique au Québec, on ne voit pas pourquoi la CNESST ne devrait pas utiliser ce réseau public. Et l’autre élément, le corollaire, c’est la question de déterminer les consultants, parce que la CNESST fonctionne beaucoup avec des consultants externes à contrat ; des contrats avec des orienteurs, des conseillers en emploi, des ressources de recherche d’emploi. Les conseillers en réadaptation n’ont pas le temps de faire un processus d’orientation professionnelle avec une travailleuse ou un travailleur qui demande plusieurs semaines ou plusieurs mois. Alors, nous, ce qu’on demande, c’est que cette sous-traitance se fasse aussi dans le réseau public, c’est-à-dire Emploi Québec.
Emploi Québec est en mesure d’orienter vers les bonnes formations, vers les bonnes ressources, son rôle ne se limite pas à payer des formations. Alors plutôt que de diriger vers des entités privées, que l’on fasse affaire avec Emploi Québec. Évidemment, la CNESST payerait, parce qu’Emploi Québec, c’est payé par nos taxes, ce n’est pas à nous à payer ça. Donc, que ce soit la CNESST qui paie, comme elle paie quand elle sous-traite avec le privé.
Q : Donc, votre idée, ce n’est pas un gain économique au final, parce qu’on fait affaire avec des entités publiques.
R : C’est plutôt un gain en matière de société. Si des travailleuses et des travailleurs peuvent avoir des services de qualité, au moins avoir la même qualité que tous les autres citoyennes et citoyens au Québec, avoir droit au même type de services que les bénéficiaires qui sont à l’aide sociale, qui ont de l’assurance-emploi. Et donc d’avoir la même base de référence sur ce dont on peut avoir besoin en matière de réadaptation professionnelle que tous les autres citoyens au Québec. Emploi Québec existe déjà, dispose des ressources nécessaires, et c’est sûr que ça pourrait renforcer nos services publics si la CNESST référait deux, trois ou quatre mille personnes de plus par année et qu’elle paie pour ces services. Et s’il manque de personnel à Emploi Québec, ils pourraient embaucher, donc tout ça fait en sorte que tout le monde pourrait être traité sur un même pied d’égalité et c’est sûr que ça pourrait régler une partie des problèmes.
Q : Toujours de votre point de vue professionnel, qu’est-ce que vous souhaitez pour l’avenir ? Et si vous aviez un message à adresser aux décideurs de politiques publiques, quel serait-il ?
R : Il faut que les choses changent. C’est sûr qu’avant la loi actuelle, les travailleurs n’avaient aucun droit en matière de réadaptation professionnelle. Alors, on peut quand même dire qu’on a fait des gains, parce que ce n’est pas arrivé dans la loi par hasard, c’est parce qu’il y a des personnes qui ont dit qu’il fallait absolument réadapter des travailleurs et des travailleuses accidenté.e.s. C’est un gain par rapport à ce qu’on avait dans les années 60, 70. On a gagné un droit, le droit d’être réadapté. Une fois qu’on a un droit, il faut être capable de le faire appliquer. Et dans son application, ce qu’on voit actuellement, c’est qu’il y a des problèmes au niveau législatif : la solution appropriée la plus économique, la formation comme mesure de dernier recours uniquement. Il y a des éléments qu’on voit dans la pratique qui causent des problèmes.
Ce qu’on veut dire aux décideurs des politiques publiques, c’est qu’il faut absolument changer ces irritants-là dans la loi. Une fois que cela sera fait, il faudra, du côté de la CNESST, que l’on change de vision, et ça aussi, ça vient du niveau décisionnel politique. Il faut qu’il y ait des ministres ou des gouvernements qui viennent dire qu’au Québec, un peu comme dans certaines provinces au Canada, la Commission doit tenir compte de l’intérêt commun, du bien commun et non pas seulement de sa caisse à elle. Et que, donc, dans les décisions qui sont prises et particulièrement sur le plan économique, il faut absolument qu’on balance les intérêts de la Commission d’une part, du fonds d’accidents, mais aussi des fonds publics d’autre part. Et que de se délester de dossiers pour que ça ne coûte pas cher à la CNESST, si on génère des coûts à côté, on n’est pas plus avancé en tant que société. Faire en sorte que globalement, quand il y a des décisions prises dans un régime d’indemnisation, on ne pellette pas les coûts vers d’autres régimes à côté. Il faut avoir une vision globale : l’appareil gouvernemental doit adopter une politique générale où chaque entité prend en considération ses coûts, mais aussi ceux des autres à côté.