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Introduction

À l’occasion du centenaire de la Société de protection des plantes du Québec (SPPQ), dont l’anniversaire était le 24 juin 2008, il est intéressant de regarder le chemin parcouru en pathologie forestière au Québec. Pour chacun des pathologistes forestiers ayant oeuvré dans cette discipline au Québec à ce jour, nous soulignons des faits saillants de leur carrière. Plus de détails sur les accomplissements de ces professionnels paraîtront sous peu dans un document qui sera publié par la Société canadienne de phytopathologie (http://www.cps-scp.ca/). Enfin, on souligne l’apport des pathologistes forestiers à l’organisation de la SPPQ (tableau 1).

Tableau 1

Pathologistes forestiers qui ont exercé la fonction de président à la Société de protection des plantes du Québec

Nom

Années

René Pomerleau

1958-59

Guillemond Ouellette

1979-80

Denis Lachance

1985-86

Peterjürgen Neumann

1990-91

Guy Bussières

1993-94 et 1994-95

Louis Bernier

1997-98

Richard Hamelin

1998-99

Gaston Laflamme

2001-02

Danny Rioux

2003-04

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Les forêts sont ubiquistes dans l’histoire du Québec. À l’arrivée des premiers colons, elles étaient souvent considérées comme un ennemi. Cependant, même si on a détruit de grandes surfaces forestières pour faire place à l’agriculture, les arbres ont été d’une grande utilité pour les premiers colonisateurs dans la construction des maisons, des bâtiments, des meubles et comme combustible.

Puis, au début des années 1800, nos grands pins (Partenariat innovation forêt 2008) sont devenus une richesse d’exportation (Drushka 2003). En effet, le blocus de Napoléon a engendré une pénurie de bois d’oeuvre pour la Grande-Bretagne qui ne pouvait plus s’approvisionner dans les pays de la mer Baltique. C’est alors que les grands pins, principalement le pin blanc (Pinus strobus L.), mais aussi le pin rouge (P. resinosa Ait.), ont été exploités principalement dans les vallées du Saint-Laurent et de l’Outaouais. Ce commerce du pin a fortement contribué au développement économique de la ville de Québec. En effet, le bois était flotté sur les eaux de la rivière des Outaouais, puis sur le fleuve Saint-Laurent jusqu’à Québec. Le port de Québec est devenu très actif, car c’est de là que partaient chaque année pour la Grande-Bretagne des milliers de bateaux chargés de billes de pins (Lessard 1992). Du coup, l’industrie navale s’est développée dans la construction de bateaux de bois. Ces voiliers chargés de bois traversaient l’Atlantique et revenaient au pays, parfois chargés de marchandises, par exemple de pierres servant à la construction de maisons à Québec. Après la famine causée par la maladie de la pomme de terre en Irlande, des milliers d’Irlandais se sont entassés dans les cales de ces bateaux pour traverser en Amérique. Un grand nombre de ces voyageurs ont péri en chemin alors que d’autres, atteints de maladies, ont dû débarquer à la Grosse Île, ce lieu de quarantaine où plus de 5 000 de ces Irlandais sont morts et ont été enterrés (http://www.pc.gc.ca/lhn-nhs/qc/grosseile/index_f.asp).

Même si la forêt était considérée comme une ressource inépuisable, les grands pins sont devenus plus rares comme le soulignait déjà en 1887 un rapport du ministère fédéral de l’Agriculture (Drushka 2003). Cette situation a entraîné l’exploitation d’autres essences, surtout l’épinette. C’était aussi le début de l’industrie des pâtes et papiers (Drushka 2003). À ce moment là, on ne se souciait pas des maladies d’arbres jusqu’au jour où nos grands pins ont fait face à des maladies causées par des agents pathogènes.

Sur ce fond de grands pins, nous parcourons le chemin de la pathologie forestière chez les professionnels qui l’ont façonnée, en présentant l’essentiel de leur empreinte laissée tout au long de ce siècle.

Naissance de la pathologie forestière au Québec

C’est avec la venue d’une maladie exotique affectant l’un de nos grands pins que la pathologie forestière au Québec a pris son envol. En effet, la rouille vésiculeuse du pin blanc, causée par le champignon Cronartium ribicola J.C. Fisch., a été introduite aux États-Unis vers 1900. Ensuite, elle a été détectée au Québec par W.P. Fraser du Collège Macdonald en 1917 (Conners 1972). Cette première observation de la présence de télies chez les gadeliers a été accompagnée l’année suivante par la détection d’écies, signes de la maladie chez le pin blanc. Un premier inventaire de la rouille vésiculeuse a été commandé en 1918 par G.C. Piché qui venait d’établir le Service forestier du Québec. Piché avait également été l’un des fondateurs, en 1910, de l’École forestière de l’Université Laval, devenue l’École d’arpentage et de génie forestier en 1919. Puis, à partir de Toronto, J.H. Faull a lui aussi travaillé sur la rouille vésiculeuse du pin blanc au Québec, de même que sur les champignons de carie du bois. Il a de plus développé une méthode de lutte chimique contre la brûlure printanière des semis de conifères en pépinière. Durant la même période, d’autres pathologistes forestiers se sont intéressés à l’état de santé de nos forêts. Ainsi, en 1922, W.E. Hiley, rattaché à l’Université d’Oxford en Angleterre, a étudié les conditions pathologiques de nos forêts, tandis qu’en 1923, un certain A.W. McCallum a étudié les caries du sapin au Saguenay et dans le Bas-Saint-Laurent.

L’âge d’or de la pathologie forestière au Québec

René Pomerleau, pionnier de la pathologie forestière au Québec

René Pomerleau (Fig. 1), agronome de profession, a été le premier pathologiste forestier engagé à plein temps dans cette discipline par le ministère des Terres et Forêts du Québec. Il travailla à Berthierville de 1930 à 1937, principalement sur les maladies affectant les semis de conifères en pépinière (Conners 1972), mais il organisa aussi un relevé de la rouille vésiculeuse du pin blanc qui faisait alors déjà rage dans presque toute l’aire de distribution du pin blanc. Il amorça des travaux sur une maladie des feuilles de l’orme causée par un ascomycète, le Gnomonia ulmea (Schw.) Thüm., travail qui devint plus tard son sujet de thèse de doctorat. René Pomerleau a complété sa maîtrise au Collège Macdonald en 1927 et c’est après un séjour à la Sorbonne, à Paris, puis à Nancy, de 1927 à 1930, qu’il termina son doctorat à l’Université de Montréal (Pomerleau 1938).

En 1938, René Pomerleau déménagea à Québec, toujours à l’emploi du ministère des Terres et Forêts du Québec. Il élargit alors le champ d’action de ses travaux et effectua le premier relevé général des maladies des forêts du Québec en plus d’étudier des maladies des feuillus. En 1944, il découvrit la présence de la maladie hollandaise de l’orme à Saint-Ours, comté de Richelieu, au Québec, une maladie qui allait le tenir passablement occupé dans les années qui suivirent (Pomerleau 1945). Il mit également en oeuvre une vaste étude sur la fréquence et les volumes de carie des conifères, étude basée sur la dissection de plus de 20 000 arbres et dont les résultats n’ont été publiés que beaucoup plus tard (Lavallée 1986, 1987).

Rappelons que la crise économique sévissait dans les années 1930. Le gouvernement du Canada avait donc institué différents travaux afin que les gens puissent gagner de quoi se nourrir et subvenir aux besoins essentiels de leur famille. C’est dans le cadre d’un de ces programmes que des plantations d’arbres ont été faites sur des terrains où est aujourd’hui localisée la base militaire de Valcartier, près de la ville de Québec. Les grands pins figuraient parmi les essences favorites, mais avec ces premiers reboisements apparurent les premières maladies d’arbres en plantation. L’aide de Pomerleau a été requise afin d’identifier les causes des problèmes observés. La rouille vésiculeuse causait des taux de mortalité élevés chez les jeunes pins blancs, de telle sorte que l’on a dû classer ces plantations dans la colonne des pertes totales. La cause de la mortalité des pins rouges était plus difficile à établir (Pomerleau 1961). Après des mesures de température et des observations détaillées des symptômes sur les pins malades, René Pomerleau conclut à une mort par le gel d’été (Pomerleau et Ray 1957). Par la suite, on a démontré que ces arbres pouvaient avoir été affectés dans leur jeune âge par la maladie du chancre scléroderrien (Laflamme 2006).

Arriva ensuite le dépérissement des bouleaux qui dévasta ceux-ci dans tout l’est de l’Amérique du Nord. Pomerleau s’attaqua au problème et fit des expériences qui reliaient le problème de dépérissement à des conditions climatiques d’hiver qui affectaient probablement les racines superficielles de ces essences. Malheureusement, les résultats de ses essais en laboratoire n’ont pu être publiés que quelque 30 ans plus tard dans un rapport d’information (Pomerleau 1991).

Figure 1

Chercheurs en pathologie forestière au Centre de recherches forestières des Laurentides en 1961.

Chercheurs en pathologie forestière au Centre de recherches forestières des Laurentides en 1961.

De gauche à droite, première rangée : Guillemond Ouellette, Camilien Gagnon, Edgar Smerlis, André Lavallée; deuxième rangée : Stuart Whitney, Martin Hubbes, René Pomerleau, David Etheridge, Marcel Lortie.

Photo : Archives du Centre de foresterie des Laurentides.

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René Pomerleau a enseigné la pathologie forestière à l’École d’arpentage et de génie forestier (devenue Faculté d’arpentage et de génie forestier en 1945) de l’Université Laval à partir de 1940. En 1952, il participa activement à l’installation du Laboratoire de biologie forestière qui est devenu le centre de recherche connu aujourd’hui sous le nom de Centre de foresterie des Laurentides (CFL). Après la construction du Centre, des chercheurs logés à la station forestière de Valcartier et à la Faculté d’arpentage et de génie forestier ont emménagé dans ce nouveau bâtiment. Pomerleau a continué ses travaux de recherche sur la maladie hollandaise de l’orme, entre autres, pendant que de nouveaux chercheurs étaient embauchés. En 1971, alors que la maladie du chancre scléroderrien des pins venait d’être identifiée au Canada, il publia un article indiquant que le gel d’été, et non le chancre scléroderrien, était bien la cause de la mortalité des pins rouges plantés en 1933 à Valcartier (Pomerleau 1971), ne voulant pas changer son diagnostic.

Durant sa carrière de pathologiste forestier, René Pomerleau a aussi implanté un herbier de mycologie axé sur les champignons lignicoles, saprophytes ou parasites, herbier localisé au CFL et qui porte aujourd’hui son nom. Il est le père de la mycologie au Québec et a été un mycologue actif depuis le tout début de sa carrière jusqu’à la fin de sa vie. En 1951, il publia, en français et en anglais, un premier livre sur les champignons charnus du nord-est américain (Pomerleau 1951). Il fonda, en 1950 et 1951 respectivement, les Cercles de mycologues amateurs de Montréal et de Québec qui furent une pépinière de mycologues au Québec. Pendant sa retraite active, il a publié un livre volumineux sur les champignons de l’est du Canada (Pomerleau 1980).

L’aile nord-américaine de la pathologie forestière au Québec

En ouvrant le champ de recherche de la pathologie forestière, René Pomerleau pouvait compter sur la venue de nouveaux chercheurs pour s’attaquer aux multiples problèmes de maladies d’arbres. Au Québec, Roger Gosselin fut l’un des premiers diplômés de cette discipline ayant obtenu un doctorat de Yale University; sa thèse portait sur la carie rouge alvéolaire de l’épinette (Inonotus tomentosus (Fr. : Fr.) P. Karst. Toutefois, Roger Gosselin a dû enseigner des disciplines autres que la pathologie forestière au premier cycle du génie forestier à l’Université Laval tout au long de sa carrière.

Arriva ensuite Marcel Lortie (Fig. 1), diplomé de l’Université du Wisconsin, à Madison. À cette période, cette université était le nec plus ultra de la pathologie forestière en Amérique. Lortie fut l’un des premiers pathologistes forestiers à étudier les champignons de chancres d’arbres sur ce continent; ses travaux portaient sur le chancre nectrien. Il fut chercheur au CFL, où il a travaillé principalement sur le dépérissement du bouleau. Par la suite, à titre de professeur à l’Université Laval, il fut le premier à diriger et codiriger des étudiants chercheurs en pathologie forestière. Il a alors travaillé sur l’identification de signes indicateurs de carie chez plusieurs essences forestières tant résineuses que feuillues. Il a par la suite occupé des postes administratifs tant à l’Université Laval que dans la fonction publique fédérale. Il a également publié un livre vulgarisé sur la protection des forêts (Lortie 1979).

André Lavallée (Fig. 1), qui avait terminé sa maîtrise sur le chancre cytosporéen du mélèze au Collège Macdonald de l’Université McGill, a entrepris un doctorat sous la direction de Marcel Lortie. Sa thèse portait sur les défauts indicateurs de carie des feuillus. Il a par la suite travaillé au relevé des maladies des arbres au CFL, en améliorant l’échantillonnage des spécimens prélevés sur le terrain par le personnel technique. Il a ensuite travaillé sur la rouille vésiculeuse du pin blanc, principalement sur la cartographie des zones de vulnérabilité du pin blanc à la maladie. Il a aussi occupé des fonctions de gestionnaire pour revenir à la recherche en fin de carrière.

Jean-Guy Davidson a aussi été supervisé par Marcel Lortie alors qu’il poursuivait ses études de doctorat à Syracuse, New York. Ses recherches portaient sur le processus de carie des feuillus nobles. Par la suite, Davidson a poursuivi sa carrière au ministère des Terres et Forêts du Québec, où il a d’abord organisé les relevés des maladies des arbres, mais l’épidémie de tordeuse des bourgeons de l’épinette l’a ensuite amené à occuper d’autres fonctions de gestionnaire jusqu’à la fin de sa carrière.

Dans la foulée de Marcel Lortie, Denis Lachance a étudié la pathologie forestière à l’Université du Wisconsin où il a travaillé sur le chancre eutypelléen des érables. Denis Lachance a fait carrière au CFL, occupant diverses fonctions en recherche sur les pourritures de racines et en lutte biologique. Il a été responsable du relevé des maladies des arbres et, par la suite, est devenu le chef du Relevé des insectes et des maladies des arbres (RIMA). Durant ses années au RIMA, il a été très occupé par des relevés spéciaux, notamment sur le dépérissement des érablières et sur le chancre scléroderrien. Il a aussi participé à la naissance de la Revue canadienne de phytopathologie (Lachance 2006).

Guillemond Ouellette (Fig. 1), quant à lui, a pris une route différente des cas précédents puisque c’est à Cornell University, dans l’état de New York, qu’il compléta ses études doctorales. Il a été responsable du relevé des maladies des arbres au CFL. C’est alors qu’il a identifié, en collaboration avec Edgar Smerlis, le chancre scléroderrien comme étant l’agent causal de la mort des pins rouges dans Portneuf, écartant ainsi l’hypothèse du gel d’été. En même temps, il a travaillé en taxonomie des champignons, décrivant de nouvelles espèces fongiques, dont une contribution principale fut la révision du genre Tympanis. Toutefois, ce sont ses observations sur la maladie hollandaise de l’orme ainsi que ses recherches sur les maladies de flétrissement en microscopie électronique et photonique qui sont demeurées au coeur de ses travaux. On retrouve l’essentiel de ses résultats de recherche sur ces maladies et leurs agents pathogènes sur son site Internet (www.wilt-ism.net). Comme professeur associé à l’Université Laval, Guillemond Ouellette a dirigé plusieurs étudiants chercheurs, dont les pathologistes forestiers Pierre DesRochers et Danny Rioux.

Edgar Smerlis (Fig. 1) était originaire de Lettonie, mais c’est à l’Université de Toronto qu’il a complété ses études de premier cycle en foresterie ainsi que sa maîtrise en pathologie forestière. Comme chercheur au CFL, il a travaillé sur des maladies de brûlure des aiguilles de plusieurs conifères et a décrit de nouvelles espèces fongiques. Il a aussi confirmé la présence du chancre scléroderrien sur les pins rouges de la région de Portneuf. Il a réalisé de nombreux essais afin de vérifier l’efficacité de différents produits chimiques sur la répression du chancre scléroderrien en pépinière.

Michel Dessureault a pour sa part opté pour une université de la Nouvelle-Angleterre, soit l’Université du New Hampshire, où il a obtenu un doctorat sur le sujet de la cicatrisation des blessures aux arbres. Sa carrière s’est entièrement déroulée à la Faculté de foresterie et de géodésie (Faculté de foresterie et de géomatique depuis 1989) de l’Université Laval. Il a enseigné la pathologie forestière et a dirigé des étudiants chercheurs aux deuxième et troisième cycles. Il y a occupé des fonctions administratives, soit celles de directeur de département et de doyen. Parmi les spécialistes présentement actifs en pathologie et en mycologie forestière, il a dirigé les projets de maîtrise de Guy Bussières et de Marie-Josée Mottet en pathologie forestière et les travaux de doctorat en mycologie de Jean Bérubé.

L’aile européenne de la pathologie forestière au Québec

Martin Hubbes (Fig. 1) a fait ses études en Europe et travaillait à l’École polytechnique fédérale de Zurich, internationalement reconnue en phytopathologie de par les travaux de l’équipe du professeur Ernst Gäumann, lorsqu’il fut recruté comme chercheur au CFL en 1960. Il y a travaillé sur les maladies des peupliers, sur l’approche biochimique de phénomènes de résistance, mais aussi sur la maladie hollandaise de l’orme. En 1972, il accepta le poste de professeur de pathologie forestière à l’Université de Toronto où il a dirigé plus d’une trentaine d’étudiants chercheurs, dont Louis Bernier qui est actuellement professeur à l’Université Laval.

Lors de son stage postdoctoral dans le laboratoire de Martin Hubbes au CFL, Peter Neumann, originaire d’Allemagne, a accepté une offre d’emploi au Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal. Il y a assumé une tâche assez lourde d’enseignement au premier cycle, qui incluait la mycologie et la phytopathologie. Il a aussi dirigé des étudiants chercheurs.

Vladimir Vujanovic a obtenu un doctorat de l’Université de Belgrade en Serbie. Il a travaillé à l’Institut de recherche en biologie végétale (IRBV) de l’Université de Montréal, situé au Jardin botanique de Montréal. Ses travaux de recherche, dont certains ont été réalisés en collaboration avec le Dr Neumann et le Dr Marc St-Arnaud (IRBV), couvraient un large éventail, allant de la biodiversité fongique à la pathologie forestière, en passant par la lutte biologique et la caractérisation moléculaire des champignons. Il a décrit de nouvelles espèces de champignons et a rapporté pour la première fois au Québec de nombreuses espèces pathogènes des arbres. Il est actuellement professeur au Department of Food and Bioproduct Sciences du College of Agriculture and Bioresources de l’Université de la Saskatchewan à Saskatoon.

Gaston Laflamme a complété une maîtrise en pathologie forestière sous la direction de Marcel Lortie à l’Université Laval. Encouragé par Martin Hubbes et Guillemond Ouellette du CFL, il choisit l’École polytechnique fédérale de Zürich pour faire un doctorat sous la direction d’Emil Müller, combinant la taxonomie classique des champignons et la pathologie forestière. Il a d’abord accepté un poste de chercheur sur les caries des arbres au Centre de recherche forestière à St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), puis celui de pathologiste forestier au ministère des Terres et Forêts du Québec, comme responsable du relevé des maladies des arbres. Il devint ensuite chercheur au CFL. Tout en dirigeant le relevé des maladies des arbres et l’herbier mycologique (Herbier René-Pomerleau) au CFL, il se concentra sur des projets spéciaux, dont le chancre scléroderrien et le dépérissement des érablières. Il découvrit la maladie du rond sur les pins rouges au Québec en 1989 et poursuivit les travaux d’André Lavallée sur la répression de la rouille vésiculeuse du pin blanc.

Des pathologistes forestiers en transit au Québec

Quelques pathologistes forestiers ne sont demeurés qu’un court laps de temps au CFL. Mike Boyer a travaillé sur les maladies des peupliers hybrides. Stuart Whitney (Fig. 1) s’est attaqué aux maladies des semis en pépinière et, peu de temps après, a été remplacé par Jack Sutherland. Ces deux chercheurs ont par la suite fait carrière au Centre de foresterie du Pacifique à Victoria, en Colombie-Britannique. David Etheridge (Fig. 1) a abordé le problème de carie du sapin, alors que Camilien Gagnon (Fig. 1) a pour sa part amorcé des recherches sur la maladie hollandaise de l’orme avant d’accepter un poste de chercheur à la Station de recherche d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, à Sainte-Foy.

Période de turbulence de la pathologie forestière au Québec

Dès le milieu des années 1980, on sentait qu’un questionnement sur la protection des forêts allait amener des changements importants. Le RIMA a été aboli au Service canadien des forêts pour être repris par les provinces dans certains cas. L’épizootie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette a pratiquement paralysé les autres recherches sur la protection des forêts, les ressources étant presque entièrement consacrées à cet insecte. Le dépérissement soudain de certaines érablières, que l’on sait aujourd’hui causé par un long dégel en février 1981 suivi d’un gel profond du sol imbibé d’eau, a amené les autorités à organiser un système de détection (stations d’observation) précoce des perturbations afin de pouvoir agir rapidement lors de situations critiques. Ce réseau de stations d’observation a été abandonné par la suite et nous sommes toujours en mode « réaction » face aux problèmes de protection au lieu de s’approprier une vision à long terme pour prévenir les épiphyties.

Cette période de turbulence se dessine sur un fond de coupures budgétaires ne laissant que peu de marge de manoeuvre aux gestionnaires des universités et des gouvernements provincial et fédéral; ils gèrent alors la décroissance. Aussi, les spécialistes bénéficiant d’une grande expérience partent à la retraite sans qu’une période de transition et de transfert de connaissances soit assurée, ce qui laisse refléter un manque d’enthousiasme à profiter de leur expertise.

En même temps, des technologies bouleversent les fonctionnements des institutions. L’informatisation s’installe tant dans l’organisation de la gestion que dans la recherche et dans les services, avec parfois des ratés, ce qui entraîne son lot de frustrations et des pertes de temps. Par ailleurs, la production de documents est accélérée et leur accessibilité s’ouvre à tous mondialement.

De nouveaux outils issus de la biologie moléculaire se développent à une grande vitesse, rendant souvent les nouveaux appareils aussitôt désuets; les techniques d’études évoluent aussi à un rythme accéléré. Tous les problèmes ne sont pas pour autant automatiquement résolus par la venue de ces outils dits puissants, malgré ce que certains veulent bien nous laisser croire. En pathologie forestière, la concentration de la recherche utilisant des outils moléculaires vise presque uniquement la détection en appui au diagnostic. Dans ce contexte, peu de ressources sont allouées à la biologie des ravageurs et aux relations hôtes-pathogènes, ou à l’acquisition des connaissances dont le but est de prédire le développement d’épiphyties. Mis à part certains travaux comme ceux de Danny Rioux sur le Phytophthora ramorum Werres, DeCock & Man, les projets de recherche débouchant sur un pronostic sont quasi inexistants. Enfin, en favorisant les techniques de biologie moléculaire, on a négligé des équipements de base qui font grandement défaut. Ainsi, avec la montée de la menace des ravageurs exotiques, nous n’avons pas de laboratoires à niveau de confinement 3 dans la région de Québec, là où se fait la grande majorité des recherches en pathologie forestière au Québec.

C’est dans cette période de turbulence qu’une relève émerge lentement dans nos institutions. Louise Innes est la seule pathologiste forestière pour tout le Québec au Service des relevés et des diagnostics de la Direction de l’environnement et de la protection des forêts du ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec (MRNF); elle est responsable du diagnostic des maladies et a notamment développé une expertise sur les maladies des semis. Pour le même ministère, mais à la Direction de la recherche forestière, Marie-Josée Mottet partage son temps entre les maladies des peupliers hybrides (sélection de peupliers hybrides résistants aux chancres) et d’autres tâches en dehors de la phytopathologie. Bruno Boulet, aussi du MRNF, a pu rendre à terme deux projets très importants pour la foresterie québécoise. Le premier, portant sur l’étude des polypores, a débouché sur un livre d’une grande qualité, soit la description d’un grand nombre de champignons forestiers, incluant des observations sur leur écologie (Boulet 2003). Le second, dans la foulée des premiers travaux de Marcel Lortie, consiste en la production d’un guide à l’intention des marteleurs pour évaluer la qualité des arbres en utilisant des signes extérieurs (Boulet 2005, 2007).

L’apparition des techniques moléculaires concorde avec l’embauche de deux pathologistes forestiers. Richard Hamelin, du CFL, travaille principalement sur des méthodes de détection moléculaire des champignons afin d’aider au diagnostic des maladies d’arbres. Louis Bernier est professeur de pathologie forestière à la Faculté de foresterie et de géomatique (Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique à compter du 29 avril 2009) de l’Université Laval; il partage son temps entre cette discipline et la génétique moléculaire des champignons. Ses recherches touchent entre autres les champignons de la maladie hollandaise de l’orme, ainsi que des champignons de bleuissement du bois. Richard Hamelin et Louis Bernier dirigent ou ont dirigé plusieurs étudiants des cycles supérieurs.

Guy Bussières, chargé de recherche et enseignant en pathologie forestière à l’Université Laval, a travaillé sur le chancre septorien des peupliers hybrides, sur les pourritures des racines de semis en pépinière et sur la maladie du rond affectant le pin rouge. Il se spécialise actuellement en foresterie urbaine, dont l’étude de populations de scolytes vecteurs de la maladie hollandaise de l’orme.

Deux autres professionnels qui ont complété leurs études supérieures sous la supervision de Guillemond Ouellette ont rejoint les quelques chercheurs en pathologie forestière encore présents au CFL. Ainsi, Pierre DesRochers a supervisé les activités entourant le réseau de stations d’étude pour la détection précoce des ravageurs et des problèmes abiotiques; il travaille aussi sur des projets spéciaux comme le chancre du noyer cendré. Pierre DesRochers est aussi le conservateur de l’Herbier René-Pomerleau dont il finalise l’informatisation. Danny Rioux est spécialiste des techniques microscopiques, tant en microscopie électronique que photonique; il se concentre sur l’étude des mécanismes de résistance des arbres à l’attaque des ravageurs. Son équipe participe à de nombreux projets en collaboration avec des chercheurs du CFL et des scientifiques de centres de recherche du Québec et d’Europe.

Pour sa part, Jean Bérubé a rejoint le CFL après la fermeture du Centre de recherche forestière de St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador). Son doctorat portait sur la systématique du genre Armillaria dont plusieurs espèces sont des ravageurs importants en forêt. Il se spécialise actuellement dans l’étude des champignons endophytes du feuillage des arbres.

Enfin, Jacques Tremblay a assuré un enseignement de qualité en pathologie forestière au Cégep de Sainte-Foy jusqu’en 2008, année de sa retraite. Il pilote présentement un projet de site Internet sur les maladies des arbres du Québec, site qui se veut avant tout un outil d’enseignement, mais qui est accessible à tous (www.ccdmd.qc.ca/ri/arbres).

Conclusion

Cette période de turbulence en pathologie forestière devrait un jour se terminer. Ainsi, l’interdiction d’utiliser des produits chimiques en protection des plantes au Québec devrait logiquement être encouragée par le financement de projets de recherche sur des moyens de lutte de remplacement. Les solutions aux problèmes de protection des forêts devront passer par une approche multidisciplinaire mieux intégrée qui devrait inclure des pathologistes forestiers. En attendant, l’embauche de la relève se fait toutefois attendre. On peut se consoler en se comparant à nos voisins du sud : dans une étude menée sur les données d’embauche et de perspectives d’embauche des pathologistes forestiers au USDA Forest Service pour la période de 1985 à 2010, on note une forte diminution des pathologistes forestiers américains depuis 1985 avec une disparition projetée de la profession en 2010 (Tainter 2003). Cependant, l’apparition de ravageurs exotiques, notamment P. ramorum, semble avoir fait réaliser aux autorités américaines qu’il y avait un manque de ressources en pathologie forestière et la tendance semble se redresser un peu (comm. pers., E. Hansen, APS Meeting, Minneapolis, 2008). Aux États-Unis, la crise économique n’aide pas la cause. On sait cependant que les maladies actuelles et futures ne disparaîtront pas d’elles-mêmes.