Disputatio

La question de la justice sexuelle (et du bon sexe) en philosophie féministe — Introduction à la Disputatio[Notice]

  • Naïma Hamrouni

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  • Naïma Hamrouni
    Université du Québec à Trois-Rivières

Dans la foulée de la déferlante #MeToo des dernières années, le consentement sexuel a été remis à l’avant-scène des discussions publiques sur la sexualité et s’est imposé comme le fer de lance des campagnes féministes de sensibilisation et de prévention des violences à caractère sexuel, notamment sur les campus collégiaux et universitaires en Amérique du Nord. Le consentement sexuel, érigé en véritable principe cardinal de ce qu’il conviendrait d’appeler depuis les dernières années la justice sexuelle et intime, renferme-t-il pour autant le potentiel émancipateur qui lui est communément attribué ? Ce concept à lui seul peut-il vraiment jouer l’ensemble des rôles — juridique, éthique, social et politique — que lui reconnaissent d’emblée aussi bien des juristes que des militantes féministes ? Manon Garcia prend ces questions à bras le corps dans son deuxième livre de quelque trois cents pages La conversation des sexes. Philosophie du consentement, dont la version anglaise vient de paraître chez Harvard University Press, sous le titre plus évocateur The Joy of Consent : A Philosophy of GoodSex. La philosophe féministe d’origine française, qui a aussi vécu et enseigné une dizaine d’années aux États-Unis avant d’intégrer un nouveau poste de professeure à l’Université libre de Berlin, y développe une réflexion sur nos sexualités remarquablement bien documentée, riche et nuancée, ne proposant rien de moins qu’une nouvelle philosophie du consentement. Traitant du consentement sexuel comme d’un « problème philosophique » (p. 24) et situant sa réflexion sur le plan moral ou éthique plutôt que sur le terrain du droit, Manon Garcia développe dans son livre ce qu’elle appelle, suivant la proposition de la philosophe du MIT, Sally Haslanger, « une analyse conceptuelle méliorative » du consentement. Le volet conceptuel de cette démarche philosophique consiste à distinguer les différents sens que revêt un concept (ici, le concept de consentement), à en raffiner la compréhension et, au besoin, à le réinvestir d’un sens nouveau ; c’est ce que proposera Garcia au dernier chapitre de son livre. La démarche d’ordre analytique mélioratif met aussi cet objectif de clarification de nos concepts au service de la visée plus fondamentale d’amélioration de la justice dans notre monde. Et c’est en ce sens qu’elle est guidée par la question de savoir quelles tâches pratiques, épistémiques, ou encore quelle ambition normative, le concept en question nous permet de servir. Conformément à cette méthode de recherche analytique méliorative, Manon Garcia se donne plus précisément deux objectifs. Il s’agira, dans Laconversation des sexes, « non seulement d’analyser ce qu’est le consentement, mais aussi de voir si, et à quelles conditions, il peut effectivement être un outil d’émancipation » (p. 26, nous soulignons). À première vue, le concept de consentement renferme la promesse, pour les femmes, de valoriser notre autonomie et notre droit de choisir pour nous-mêmes notre propre vie et ce qui sera fait ou non à nos corps. Dès les premières pages de son livre, Garcia nous fait cependant réaliser qu’« en réalité, le consentement ne va pas de soi, ni au sens où il serait présent dans l’immense majorité des rapports sexuels [les études tendent à montrer que ce n’est pas le cas], ni au sens où l’on saurait exactement de quoi on parle quand on parle de consentement » (p. 20). Elle nous invite ainsi à examiner plus rigoureusement cette idée reçue, en distinguant d’abord les usages que l’on peut faire du consentement en matière de sexualité, d’un côté, des usages qui en sont faits dans les champs du droit et de la théorie politique, de l’autre côté. Ces clarifications permettent de lever mille et une confusions courantes entourant …

Parties annexes