Dans Sens et sensibilité, Benoist cherche à développer et améliorer la proposition pour une explication réaliste de l’intentionalité et du sens qu’il a présenté dans son précédent ouvrage, Les limites de l’intentionalité (Paris : Vrin, 2005 ; « LI »). Je commence par éclairer ce que je considère comme étant l’une des lignes de pensée les plus importantes dans la position de Benoist (§ 1), avant d’examiner certaines des interrogations soulevées par cette position (§ 2). Benoist a pour but que sa théorie de l’intentionalité et du sens soit « réaliste », c’est-à-dire qu’elle soit sensible aux difficultés auxquelles nous faisons face quand nous essayons de donner un sens aux choses, quand nous essayons de donner un sens à autrui, et quand nous essayons de donner un sens à ce que nous sommes et à ce que nous faisons. Le réalisme de Benoist est censé s’opposer à ce qu’il appelle la conception « mythologique » de l’intentionalité (p. 6), conception selon laquelle les choses qui appartiennent à cet « ordre » — essentiellement les intentions d’agir et de dire, ainsi que les buts et les sens exprimés par des actes appropriés — ont une forme « d’autonomie », constituent « un empire dans un empire » et ont, en somme, une priorité sur la référence (Bedeutung frégéenne), et sont suffisantes pour la fixer, aussi bien dans sa forme théorique que pratique (cf., chap. XII ; cf. aussi LI p. 8-11). Benoist soutient que toute conception crédible (c’est-à-dire non mythologique) de l’intentionalité doit être « sensible » à l’authentique « fragilité » qui est « intrinsèque » à notre activité mentale et linguistique (p. 197). Par là, Benoist souligne le fait qu’il n’y pas de garantie que nous réussirons à faire sens sur l’un ou l’autre de ces fronts. Selon Benoist, toute conception du sens ne prenant pas ce fait en compte dérive inévitablement vers une forme d’idéalisme, puisqu’il lui manque une authentique « sensibilité » au monde réel de l’intentionalité (p. 314 ; cf., p. 101), au monde réel de nos tentatives « finies » et « faillibles » de production de sens (p. 256), un monde dans lequel la réussite de ces tentatives est une affaire profondément « contingente » (p. 228). Benoist se fait donc défenseur de la conception selon laquelle l’ordre de l’intentionalité lui-même est marqué par une « porosité » (p. 158) due à son immersion dans une réalité qui, bien qu’elle lui soit « indifférente », détermine néanmoins profondément cet ordre (p. 166). Dans la vie de tous les jours, nous sommes surpris ou choqués par les découvertes, les nouveautés (cf., p. 316) — et pas uniquement lorsque nous apprenons que quelque chose que nous croyions vrai est en fait faux (ou vice-versa), mais aussi lorsque nous faisons face à une chose (que ce soit dans la perception ou la conversation) à propos de laquelle nous ne savons que croire, parce que nous ne savons même pas quoi en dire. Dans son précédent ouvrage, Benoist illustre ce point en empruntant à Austin l’un de ses principaux exemples : « si nous nous sommes assurés que c’est un chardonneret, et un chardonneret réel, et qu’ensuite il fait quelque chose de monstrueux (il explose, cite Virginia Woolf, ou je ne sais quoi d’autre), nous ne disons pas que nous avons tort de dire que c’était un chardonneret, nous ne savons pas quoi dire ». Dans Sens et sensibilité, Benoist revisite ce thème à travers une réflexion sur le récent roman de Cormac McCarthy, No Country for Old Men, et …
Entre sens et non-sens : Benoist sur l’explication réaliste de l’intentionalité[Notice]
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Clinton Tolley
Université de Californie
Traduit de l’anglais par Alexandre Marcellesi