Résumés
Résumé
Dans cet article, je présente quelques-uns des enjeux du débat en philosophie contemporaine sur la photographie. Ce débat, comme cela a déjà été noté dans un certain nombre de publications récentes, est en fait hanté par une question sceptique, qui fut posée à la photographie dès son invention : si l’image photographique s’excepte du régime traditionnel de la représentation et si elle est bien le résultat d’une prise de vue automatique, en quel sens pouvons-nous encore dire qu’elle est artistique ? Il me semble que le concept goodmanien d’exemplification permet de répondre au défi lancé par le sceptique. J’essaie de montrer pourquoi. Plus encore, je m’emploie à montrer comment le concept goodmanien d’exemplification pourrait s’accommoder assez bien de la spécificité du médium photographique.
Abstract
In this paper, I present a few issues of the debate in contemporary philosophy of photography. This debate, as has already been noted in several recent publications, is in fact haunted by a skeptical question, which was addressed to photography since its invention : if photographic images are ruled out of the regime of iconic representations and if photographic images are the result of an automatic process, in what sense one can still pretend that they are artistic ? As it appeared to me, the notion of exemplification, defined by Nelson Goodman, is very helpful to meet this skeptical challenge. Furthermore, I assume that this very notion of exemplification could fit in with the need for photographic medium’s specificity.
Corps de l’article
1. Introduction : le réalisme de la photographie.
Il existe parmi les historiens de l’art un assez large consensus pour qualifier de rupture l’avènement de la technologie photographique dans le champ de la production des images. Selon des termes parfois empruntés à la sémiotique de Peirce, l’image photographique est en effet caractérisée comme une sorte d’image-empreinte qui se distingue, par son mode de production spécifique, des images que l’on place traditionnellement sous la catégorie des icônes. Sans doute la référence à la sémiotique de Peirce, qui offre de classer certains signes dans les catégories distinctes de l’icône ou de l’indice, sert-elle stratégiquement à opérer ce détachement de l’image photographique du régime traditionnel de la représentation iconique.
Ainsi, la photographie d’une chaise sera-t-elle décrite comme la marque laissée sur une surface photosensible par la lumière directement émise par la chaise et captée par le dispositif photographique. À insister ainsi sur sa fonction d’empreinte ou d’empreinte à distance, pour reprendre l’expression de Jean-Marie Schaeffer, on remarque ensuite que l’image photographique nous met d’une façon originale en présence de l’objet représenté. Peut-être est-ce pour cette raison que nous sommes réticents à qualifier la photographie d’une chaise de représentation de la chaise ? D’ailleurs, sauf à dire qu’un homme ne se ressemble pas ou qu’il n’est pas photogénique, en général nous n’emploierons pas le vocabulaire de la ressemblance pour caractériser la relation entre la photographie et ce qu’elle représente. Quand bien même l’homme ne se ressemblerait pas sur sa photographie, ce serait encore lui. La ressemblance joue en réalité un jeu trouble dans l’ontologie de l’image photographique : parfaite, certes, dans la plupart des cas, mais, aussi, contingente[1]. Comme le remarque Peirce, « les photographies, tout particulièrement les instantanés, sont très instructives parce que nous savons qu’elles sont, sous certains aspects, exactement semblables aux objets qu’elles représentent. Mais cette ressemblance est due au fait que les photographies ont été produites dans de telles circonstances qu’elles sont physiquement contraintes à correspondre point par point à la nature »[2]. Qualifier de « contrainte » cette ressemblance, c’est assumer aussi qu’elle ne joue pas un rôle fondateur dans l’identité d’une certaine classe de signes. Dans la peinture, il en va tout autrement. Quand bien même la ressemblance picturale serait construite, quand bien même il faudrait apprendre à la voir, nous considérons qu’elle est au fondement de la relation iconique et des phénomènes de reconnaissances perceptuelles qui s’y font jour.
La différence entre le portrait d’un homme réalisé à la peinture et sa photographie viendrait donc de ce que la photographie est pensée comme la trace de l’objet et que, ce faisant, elle est causalement produite par ce dernier. Ce qui caractérise pour Peirce la nature de la relation entre l’indice et l’objet qu’il représente est en effet une dépendance contrefactuelle entre le signe (ou representanem) et l’objet, dépendance absente de la relation iconique[3]. En effet, une peinture ou un dessin est une représentation qui porte la trace, non de l’objet, mais des croyances que le peintre ou le dessinateur a envers cet objet. Peindre un paysage par exemple, c’est configurer par un ensemble de marques graphiques une certaine perception de la nature déterminée par les croyances du peintre. Des historiens de l’art comme Ernst Gombrich[4] ou des théoriciens de la littérature comme Erich Auerbach ont montré de façon très convaincante de quelle façon ces croyances sont sujettes à des déterminations historiques et culturelles, y compris lorsque ces représentations sont qualifiées de « réalistes ».
Certes, nous pouvons affirmer que, si les croyances du peintre avaient été différentes (croyances relatives à la façon de peindre un arbre, de le situer par rapport à l’horizon du tableau, de rendre les couleurs), l’image aurait elle-même été différente. C’est ce qui fait tout le sel d’une approche psychologique en histoire de l’art. À cela s’ajoute le fait que bien des choses qui se trouvent présentes dans la nature à l’instant où l’a peinte l’artiste peuvent rester pour lui complètement inaperçues — tel mouvement dans les feuilles ou tel vol d’oiseau. À première vue, il n’en va pas ainsi de sa photographie. Que le photographe ait ou n’ait pas vu qu’un oiseau traversait le ciel au moment de la prise de vue, cet oiseau figurera bien sur le cliché. Cette particularité de l’image photographique est au coeur de l’intrigue du film Blow-Up d’Antonioni, lorsque le protagoniste du film (et photographe), Thomas, découvre, en agrandissant un cliché qu’il a pris d’un couple dans un parc, la scène d’un crime. Nous disons alors que la scène a bien été détectée par son appareil, quoiqu’il n’ait pas cherché à la dépeindre ou à la représenter d’une quelconque façon.
Le réalisme de la photographie serait donc de nature différente : ce serait un réalisme qui se passerait de croyances ou de conventions[5], un réalisme qui serait fondé sur l’automaticité du mode de production de l’image. Sans avoir à remonter jusqu’aux textes-pionniers des inventeurs des procédés photographiques, lesquels avaient déjà formulé l’idée d’une nature qui se représenterait elle-même par les seuls moyens de la lumière[6], nous pouvons nous référer ici aux formulations assez frappantes du théoricien du cinéma André Bazin qui lie l’originalité de la photographie à son objectivité essentielle. Comme le dit Bazin :
Pour la première fois, entre l’objet initial et sa représentation, rien ne s’interpose qu’un autre objet [l’appareil photographique]. Pour la première fois, une image extérieure du monde se forme automatiquement, sans intervention créatrice de l’homme, selon un déterminisme rigoureux. La personnalité du photographe n’entre en jeu que par le choix, l’orientation et la pédagogie du phénomène ; si visible qu’elle soit dans l’oeuvre finale, elle n’y figure pas au même titre que celle du peintre. Tous les arts sont fondés sur la présence de l’homme ; dans la seule photographie, nous jouissons de son absence[7].
Le texte d’André Bazin qui s’intitule « L’ontologie de l’image photographique » inaugure en 1945 une longue série de textes qui s’emploient à définir l’être ou la nature de l’image photographique dans sa différence essentielle avec la peinture[8].
Alors qu’une image traditionnelle, peinture, esquisse ou dessin, dépeint son objet en passant au tamis des croyances, des choix et des engagements de son auteur, une image photographique est produite par des moyens techniques qui désengagent l’homme et même, qui le rendent en partie absent du résultat final. On peut considérer comme un exemple paradigmatique le fait qu’André Bazin tire la photographie, dans une généalogie un peu fantasmatique, d’une part du côté des empreintes, moulages et masques mortuaires, d’autre part du côté des images achéiropoïètes et non faites de la main d’homme, dont le Saint-Suaire du Christ à Turin, à la croisée de cette double généalogie. Dans une sorte de surenchère qui sans doute ne doit pas être prise à la lettre et qui doit être rapportée à un programme en définitive plus psychologique qu’ontologique[9], Bazin va jusqu’à assimiler la photographie à l’objet source lui-même, puisque, affirme-t-il, « la photographie procède par sa genèse de l’ontologie du modèle : elle est le modèle »[10]. Si l’image photographie se confond avec l’objet dont elle est le signe, si elle est cet objet lui-même, nous sommes bel et bien sortis du régime de la représentation.
Kendall Walton, qui citait cette phrase de Bazin en exergue de son célèbre article de 1984, « Transparent Pictures »[11], savait ce qu’il faisait : définir la nature du réalisme photographique sur une autre base que celle qui préside à la compréhension psychologique d’un réalisme seulement iconique. Tout en se prémunissant contre une accusation de littéralisme, Walton assumait la filiation avec Bazin : le réalisme de la photographie est tout autre que celui qui régit les autres images produites par l’homme. Sans aller, donc, jusqu’à confondre la photographie avec ce qu’elle atteste et ce dont elle est l’indice, un grand nombre d’analyses convergent dans les théories contemporaines pour affirmer que l’image photographique doit plutôt être pensée sur le modèle de la détection que sur celui de la dépiction[12].
La photographie détecte des objets dans le monde dont elle garde les traces. Elle ne dépeint rien, si tant est que la dépiction implique, comme n’importe quel acte de référence, une activité intentionnelle, des engagements représentationnels, l’expression d’une pensée. Le modèle photographique implique ainsi l’idée d’un engendrement causal de l’information depuis l’objet source de la représentation[13]. Il n’est pas étonnant que ce modèle de production ait pu servir à fonder l’autorité ou l’avantage épistémique de la photographie sur d’autres types d’image, à caractériser une modalité particulière de la référence dans la lignée d’auteurs comme Russell, Kripke ou Evans, ou encore, tout récemment, d’arguments dans les débats contemporains sur le nouveau réalisme[14]. C’est bien parce que l’homme et ses croyances s’absentent en partie du procédé photographique que nous aurons tendance à tenir la photographie pour une preuve inamendable de ce qui, selon la célèbre formule de Roland Barthes dans La Chambre claire, « a été »[15]. C’est pour cette même raison que l’image photographique est pensée comme l’avènement d’un référent nécessairement réel[16] dans l’ordre de la représentation, quelque chose d’« intraitable », au fondement d’une esthétique documentaire qui peut être habilement mise au service d’une nouvelle vogue réaliste en philosophie.
2. Réalisme et scepticisme
Il y aurait bien des choses à dire sur les différences qui existent entre ces théories de la photographie — en particulier sur la manière dont elles comprennent ce qu’est le réalisme de la photographie en matière de production d’images[17]. Ce qui m’intéresse ici, c’est la façon dont ces théories, qui n’ont jamais nié que la photographie puisse être un art et qui n’ont jamais cessé de la penser comme une image, ont néanmoins fourni des arguments à la thèse sceptique que je vais maintenant présenter et à laquelle j’essaierai ensuite de donner congé.
On doit au philosophe américain Diarmuid Costello d’avoir qualifié d’« orthodoxie » les théories de la photographie qui reposent sur l’ensemble de présupposés que je viens de présenter. Les théories orthodoxes de la photographie définissent toutes la photographie par contraste avec la peinture et caractérisent la spécificité du médium photographique par ses pouvoirs spécifiques d’attestation du réel — pouvoirs qui sont occasionnés par la dimension mécanique ou automatique du mode de production de l’image photographique et sa dite « objectivité ». Il est clair que les théories orthodoxes de la photographie sont, en partie, en accord avec notre sens commun et avec le fait que, par exemple, dans un contexte médical ou juridique, nous nous en remettions avec une plus grande confiance à une image photographique qu’à un dessin croqué sur le vif ou pire, à une peinture d’atelier[18].
La thèse sceptique concernant la photographie a été la plus clairement et la plus outrancièrement formulée par le philosophe conservateur Roger Scruton dans un article de 1981 intitulé « Photography and Representation »[19]. Le titre de l’article indique déjà le projet philosophique qui y est à l’oeuvre : faire sortir la photographie du régime traditionnel de la représentation et lui dénier, après coup, son statut d’art.
Pour Roger Scruton, en effet, l’image photographique n’est pas une représentation artistique qui serait simplement spécifiée par son médium, représentation dans laquelle les croyances et intentions de l’homme s’absenteraient durant le seul moment de l’enregistrement mécanique. Scruton s’emploie à dénier à la photographie le statut de représentation. Pour Scruton, ce qui est au coeur de toute représentation est sa visée intentionnelle et dans le cadre artistique, la pensée de l’artiste qui y est à l’oeuvre. Or, selon lui, la dimension mécanique de l’image photographique (laquelle entraîne une dépendance contrefactuelle entre ce qui est photographié et la photographie) suspend cette visée intentionnelle. Tout se passe dans une photographie comme si l’image ne tenait aucun compte des intentions et croyances du photographe. Ce n’est d’ailleurs que parce que l’image photographique se trouve incidemment ressembler à son objet, qu’on la qualifie de représentation.
Il reste que la théorie scrutonienne de la photographie ne semble pas tout à fait correspondre à ce qui est habituellement en jeu lorsqu’un photographe choisit son sujet, son cadrage, l’ouverture de sa focale, la vitesse d’obturation et le traitement de l’image. Elle ne tiendrait pas compte de tout ce qui relève, même chez Bazin, des choix de l’artiste et en général de la « pédagogie du phénomène ». C’est que Scruton prend le seul moment de l’enregistrement mécanique, définitionnel du médium, comme le tout de la photographie et il forge à dessein un concept ad hoc de « photographie idéale » pour congédier toute photographie effective qui ne correspondrait pas à ce modèle, parce qu’elle serait retouchée, grattée, traitée, éditée ou parce qu’elle impliquerait une intervention plus forte de l’artiste. Cette intervention, selon Scruton, est disqualifiée par principe : elle ne ferait que trahir « la pollution » de l’idée de photographie par des moyens propres à la peinture, comme dans le mouvement du pictorialisme qui eut ses détracteurs dès la fin du 19e siècle avec la revendication d’une photographie « straight » ou « pure »[20].
Avec une photographie idéale, il n’est ni nécessaire ni même possible que l’intention du photographe puisse déterminer la manière dont l’image est vue. Celle-ci est reconnue d’un coup pour ce qu’elle est, non pas comme une interprétation de la réalité, mais comme la présentation de l’apparence d’un objet. En un sens, voir une photographie revient, sur le mode du substitut, à voir la chose elle-même[21].
La « photographie idéale » de Scruton, caractérisée par cette relation causale non intentionnelle qui unit la photographie au sujet photographié et qui suppose, d’une part, que le sujet a existé (« le ça a été » de Roland Barthes) et, d’autre part, qu’il est tel que le montre la photographie, est une photographie qui joue à fond le jeu de la « transparence photographique », pour reprendre les termes de Kendall Walton, l’autre grand théoricien de l’orthodoxie en matière de photographie[22]. Cependant, l’expression « jouer le jeu » ne doit pas nous tromper. Car la photographie ne joue pas. Dans une image photographique, il n’y aurait pas de jeu de faire-semblance, pas de relation mimétique. En bref, dans une photographie, nous verrions directement l’objet à travers l’image[23].
Roger Scruton fait d’ailleurs de l’absence de jeu fictionnel un trait important du médium photographique. C’est cette absence de jeu fictionnel qui va lui servir d’argument principal pour dénier à la photographie toute valeur artistique. Nous voici arrivés au second moment de la thèse sceptique. Quand bien même on continuerait à penser la photographie dans le régime de la représentation, « l’incompétence fictionnelle » de la photographie limiterait de fait sa signification esthétique, laquelle est pensée par Scruton dans les termes du détachement et du désintéressement, dans un sens fortement kantien.
La représentation en art a une signification particulière, précisément parce qu’il est possible de la comprendre — au sens de comprendre son contenu — tout en étant indifférent à, ou non concerné par, sa vérité littérale. C’est pourquoi la représentation fictionnelle n’est pas seulement une forme importante des arts de la représentation, mais constitue en fait sa forme originelle, la forme à travers laquelle la compréhension esthétique trouve son principal mode d’expression[24].
Puisque la photographie n’est pas, à proprement parler, une représentation, et si elle en est une, elle est de toute façon entièrement dépourvue de compétence fictionnelle, elle n’est donc pas une représentation ayant un quelconque intérêt artistique — pas davantage en tout cas qu’une image télévisuelle ou de vidéosurveillance. La transparence de la représentation photographique finit chez Scruton par jouer contre ses prétentions artistiques.
3. Critiques de la thèse sceptique : le bébé avec l’eau du bain.
La thèse sceptique a fait l’objet de nombreuses critiques portant sur l’un ou plusieurs de ses arguments : soit que l’on récuse l’identification de l’art à la compétence fictionnelle, soit que l’on rejette au contraire la thèse de l’incompétence fictionnelle de la photographie, soit que l’on refuse la thèse de la supposée transparence du médium photographique. En fait, toutes sortes de théories concurrentes de la photographie, particulièrement sensibles à des dimensions ou à des aspects de la photographie qui n’étaient pas pris en considération par la théorie orthodoxe, ont vu le jour en réaction à l’article de Scruton. Ainsi de l’article de Paloma Atencia-Linares[25] qui démontre que le médium photographique n’est pas fictionnellement incompétent et que certains procédés d’exposition (pensons par exemple aux mises en scène de Jeff Wall et à ce qu’on qualifie parfois de « photographie victorienne »[26]) ou d’impressions multiples (comme certaines photographies marines de Gustave le Gray prises dans le cadre de la mission héliographique) génèrent de véritables fictions, c’est-à-dire des artefacts photographiques auxquels on peut prêter une portée artistique. Sans même avoir besoin de convoquer les révolutions introduites par les technologies numériques, il n’y a pas de doute que la série de photographies mama恋love de Hideka Tonomura, qui représentent la mère de la photographe dans les bras de son amant, délibérément noirci lors du développement, produisent de monstrueuses fictions. Dès lors, dans les dix dernières années, certains auteurs ont rejeté les thèses sceptiques en se plaçant sous la bannière d’une « nouvelle théorie de la photographie », laquelle peut se comprendre par contraste avec les présupposés des théories orthodoxes. L’ouvrage de Dominic Lopes Four Arts of Photography[27] s’appuie par exemple sur la réfutation de chacune des chevilles argumentatives du raisonnement de Scruton pour mettre au jour, en adoptant une méthode d’isolation, différentes pratiques photographiques réellement artistiques, dont certaines s’éloignent considérablement du modèle photographique qu’ont en vue des auteurs aussi différents que Bazin, Barthes ou Scruton.
Ces nouvelles théories de la photographie, bien qu’inventives et originales et, surtout, plus informées au sujet de la production photographique passée et contemporaine, ne vont pas sans poser de nouvelles difficultés. Le problème principal réside dans le fait qu’elles vont parfois à l’encontre d’intuitions fortement enracinées que nous pouvons avoir au sujet du médium photographique et qui s’articulent principalement autour de la reconnaissance de son autorité épistémique. De fait, à vouloir enrégimenter les pratiques les plus éloignées de l’idéal photographique qu’a en vue Roger Scruton dans une définition qui serait très englobante du médium, on risque de perdre de vue ce qui fait la spécificité de l’image photographique et la confiance que nous mettons en elle. C’est ce qui peut se produire, notamment, lorsqu’on annexe la pratique d’un artiste comme Gerhard Richter au médium de la photographie, en s’appuyant du reste sur les déclarations de l’artiste[28] quand il affirme vouloir utiliser la peinture comme un moyen d’atteindre à la pureté de la photographie, à sa prétendue absence de style, de composition ou de partis pris. À la réflexion, cette déclaration de Gerhard Richter s’avère problématique à deux égards au moins : 1) en affirmant vouloir faire de la photographie avec les moyens qui sont ceux de la peinture, Richter s’appuie sur une conception du médium photographique qui se révèle dépassée ; 2) en identifiant sa pratique picturale à une pratique photographique, Richter élimine de la définition du médium le médium lui-même, à savoir l’utilisation de certains procédés physico-chimiques (l’obtention d’une image lumineuse sur une plaque photosensible), lesquels, plus encore que l’absence de partis pris ou de composition, semblent impliquer un réalisme d’une nature toute particulière.
Certes, on ne peut que trouver stimulante la stratégie visant à penser la photographie d’une autre manière que par contraste avec la peinture. En revanche, il faut se prémunir contre le risque de perdre de vue ce qui fait la particularité de la photographie et, avec elle, le caractère précieux de la confiance que nous avons en elle, en particulier dans certains contextes. Si, comme le prétend par exemple Dominic Lopes, la nouvelle théorie de la photographie, dans ses formes les plus permissives[29], ne requiert nullement que le procédé photographique préserve toutes ou même la plupart des informations enregistrées lors de l’événement photographique[30], comment savoir où fixer cette limite ? Comment faire le tri (to rule in et to rule out) entre les oeuvres qui appartiendront à ce médium et celles qu’il faudra exclure ? Après tout, une peinture de Manet qui serait faite d’après une photographie semble bien conserver une part, bien que très minimale, des informations enregistrées lors de l’événement photographique. Nous pourrions également imaginer, comme le fait Costello dans son essai, une expérience de pensée où l’artiste Gerhard Richter modifierait si considérablement l’information obtenue sur une cathédrale au moyen d’un appareil photographique, que l’image pourrait in fine difficilement être appelée une représentation ou une image de cette cathédrale[31]. En bref, comme le suggère Catherine Abell :
Si les nouvelles théories de la photographie veulent saisir ce qui est le propre de la photographie, et si elles veulent dans le même temps expliquer leur pouvoir épistémique, je pense qu’elles doivent imposer quelques restrictions sur les façons dont une information enregistrée lors d’un événement photographique peut être utilisée pour produire une image[32].
Dès lors, l’enjeu est le suivant : montrer que la photographie est un art, sans renoncer au fait que, d’une certaine façon, une photographie n’est pas une peinture et qu’elle repose bien sur une phase d’enregistrement proprement photographique, qui impose certaines restrictions sur ce qu’on doit encore appeler photographie. Ou pour le formuler autrement : montrer comment une photographie peut fonctionner de manière esthétique[33], sans jeter le soupçon sur la capacité des photographies à nous montrer ce qui a eu lieu et à constituer des preuves dans certains contextes. Cette entreprise n’a, présentée comme telle, rien de très original. Parmi les philosophes contemporains de la photographie, un certain nombre d’entre eux (Costello, Lopes, Blanc-Benon) s’accordent pour dire que c’est bien là le coeur du problème : vider l’eau du bain sceptique tout en gardant le bébé de l’autorité épistémique de la photographie. Je me propose d’apporter une modeste contribution à ce débat en mobilisant le concept goodmanien d’exemplification.
4. La photographie : une image exemplaire
Dans Langages de l’Art[34], Nelson Goodman présente deux voies distinctes de la référence (la dénotation et l’exemplification), dont l’une est construite comme la relation inverse de l’autre. Lorsqu’une image dénote quelque chose, on parlera de dépiction. Les images, le plus souvent, dépeignent des choses. Ainsi, la photographie intitulée « The Last Time Emmett Modeled Nude » de Sally Mann dépeint son fils Emmett. Pour le dire plus simplement, c’est un portrait. Il se trouve qu’une image peut également signifier quelque chose en exemplifiant une propriété. Pour reprendre les termes de Goodman, une image (et plus généralement un symbole) exemplifie une propriété lorsqu’elle fait référence à une propriété qu’elle possède. Ainsi une peinture de Soulages ne dépeint rien, mais exemplifie la propriété d’être noire et exprime quelque chose à travers cette exemplification. On a souvent fait remarquer — et Nelson Goodman le premier — que le concept d’exemplification était un outil efficace de description du fonctionnement symbolique des oeuvres d’art non représentationnelles (que ce soit la peinture et la sculpture non figuratives, la danse, l’architecture ou bien sûr, la musique). Le fait est qu’on s’est moins intéressé à la façon dont le concept d’exemplification pouvait être mobilisé pour décrire le fonctionnement esthétique des oeuvres figuratives et, ce faisant, des oeuvres photographiques[35].
Sans doute, est-ce parce que l’on comprend toutes les images, dès lors qu’on les comprend comme des images, comme les signes d’une chose absente et, de ce fait, comme des « re-présentations » ? Par contraste, l’exemplification fonctionne à partir des propriétés que possède une image ou un symbole (la possession devant être pensée comme quelque chose distinct de la représentation) et qui sont mises en avant par un dispositif de cadrage attentionnel, déterminé en contexte[36]. Or bon nombre de propriétés que possède littéralement une image figurative semblent à première vue contingentes et esthétiquement non pertinentes, comme la propriété pour une peinture d’avoir un certain poids, une certaine composition chimique ou une certaine valeur économique d’échange[37]. Goodman dirait que ce ne sont pas là des propriétés exemplifiées par l’oeuvre. Lorsque nous sommes confrontés à des images figuratives, l’exemplification semble passer de fait au second plan de l’appréciation esthétique. Cependant, peut-on congédier comme non pertinentes certaines propriétés que possède une photographie, comme le fait d’avoir été prise à telle heure de la journée, d’avoir telle dimension, d’être floue sur les bords ou surexposée ?
À l’aune de notre rapport aux photographies, il m’apparaît que ce partage entre l’accidentel et l’intentionnel (qui entre dans la définition de ce qu’est justement une exemplification) doit être retravaillé. Il n’est pas clair du tout que la propriété d’être en noir et blanc, d’avoir été prise à telle heure de la journée, avec telle lumière matinale ou vespérale, en plongée ou en contre-plongée, avec telle ou telle vitesse d’obturation, éditée et encadrée de telle ou telle façon ne soient pas des propriétés auxquelles se réfère justement une photographie, dans le contexte de son fonctionnement symbolique. À nous être ainsi focalisés, depuis l’article de Scruton, sur le rapport esthétique ou non esthétique que la photographie entretient avec ce dont elle est la photographie, on a manqué de réfléchir au rapport que la photographie entretient avec les propriétés qu’elle possède et qu’elle hérite de l’ensemble des manipulations qui encadrent l’événement photographique lui-même et qui lui donnent son sens. Pas étonnant en fait que ce soient toutes ces propriétés qui soient délibérément passées sous silence dans la définition donnée par les théoriciens sceptiques de ce qu’est une « photographie idéale », idéalement réduite au lien causal qu’elle entretient avec l’objet photographié. En dernière analyse, les théories orthodoxes de la photographie ont eu tendance à penser l’image photographique selon un modèle indiciel qui faisait aussi peu de place à la dimension réellement dépictive de l’image photographique —- pourtant irréductible à la question de son origine causale, comme en témoigne le fait que certaines photographies ne dépeignent rien, détectent ce qu’elles ne dépeignent pas ou dépeignent fictivement des choses qu’elles n’enregistrent pas[38] —- qu’à sa dimension authentiquement « exemplificationnelle ».
Il est donc possible d’opposer à la théorie sceptique, l’idée qu’une photographie exemplifie certaines propriétés ou caractéristiques qui sont le fait d’une mise en forme hautement intentionnelle à travers laquelle ni l’homme ni l’artiste ne s’absentent[39], et que cette modalité de la référence puisse être le symptôme, parmi d’autres, d’un fonctionnement réellement et pleinement esthétique[40], que seuls une attention prolongée et un regard éclairé sur l’oeuvre (éclairé en particulier par une double connaissance de la technologie photographique et de l’histoire de l’événement photographique) sont susceptibles de mettre au jour. De fait, il est esthétiquement signifiant que la photographie d’Emmett ait été prise en noir et blanc, avec une chambre de 8 x 10 pouces posée sur un trépied, installée de façon scabreuse au milieu de la rivière, par une photographe qui se trouve être aussi une mère exigeante, en octobre, à telle heure de la journée, en plongée, avec un certain cadrage, une certaine vitesse d’obturation et de profondeur de champ ; comme il est esthétiquement signifiant que cette photographie ait ce titre[41], qu’elle fasse partie de telle série et qu’elle soit exposée de telle ou telle façon. Dans l’introduction au livre Immediate Family, Sally Mann insiste sur ce point : « Le lieu est important ; c’est le temps de l’été. De n’importe quel été, mais le lieu est chez nous et les gens qu’on voit là sont des membres de ma famille »[42]. Certes, pourrait-on dire, mais ne sont-ce pas là, surtout, des propriétés que dépeint la photographie et qu’elle ne saurait exemplifier d’elle-même ? Au contraire, c’est parce que la photographie exemplifie certaines propriétés — comme d’avoir été prise depuis ce lieu, par la mère des sujets photographiés et au prix « d’efforts herculéens »[43] — qu’elle peut pleinement signifier ce qu’elle signifie.
Aucune de ces propriétés que possède réellement la photographie d’Emmett ne semble contingente ou seulement accidentelle dans le cadre de son appréciation esthétique. Et si Nelson Goodman attire notre attention sur le fait qu’un symbole exemplifie sélectivement certaines des propriétés qu’il possède (des propriétés qu’il met en avant), il est clair que cette sélection est dépendante de l’attention que l’auteur et le spectateur accordent à l’image. Le fonctionnement « exemplificationnel » des oeuvres photographiques, assorti à d’autres symptômes d’un fonctionnement esthétique[44], permet alors de congédier la thèse sceptique défendue par Scruton sur un autre fondement que la reconnaissance de la compétence fictionnelle du médium photographique[45]. Seulement, qu’avons-nous gagné par-là ? D’une part, pour reprendre la formule de Lopes, plus personne aujourd’hui ne s’inquiète réellement de savoir si la photographie est un art ou n’en est pas. Quel que soit le critère (du plus au moins institutionnel) sur lequel nous faisons reposer notre définition de l’art, il apparaîtra que la photographie est bien une pratique artistique pleinement reconnue par les mondes de l’art[46]. De fait, la question posée par Scruton a peu de chance d’intéresser les historiens de l’art, les artistes, les critiques, les amateurs, les conservateurs ou tout autre professionnel du monde de l’art. La formulation du problème sceptique, comme sa résolution, pourrait bien ressembler à un jeu pour philosophe : étant donné une certaine définition de la photographie, d’emblée très restrictive (idéale, c’est-à-dire causale et automatique), quelles conclusions philosophiques pouvons-nous en tirer sur sa valeur artistique ? [47] Le philosophe est bien le seul qui puisse être intéressé par ce jeu, lequel consiste à vouloir faire tenir ensemble deux propriétés pensées au départ comme contradictoires. De ce point de vue, le recours au concept d’exemplification comme symptôme d’un fonctionnement qui peut être à l’occasion esthétique est au mieux un détour inutile. Pour le dire autrement, nous n’avions pas besoin de lui pour nous assurer de la valeur artistique de la photographie. Par ailleurs, au regard de son fonctionnement « exemplificationnel », nous en savons encore peu sur ce qui distingue l’image photographique d’autres images. Il reste donc à préciser ce qu’apporte le concept d’exemplification pour répondre au dilemme formulé à la fin de la section 3.
Étant donné les règles du jeu philosophique formulées plus haut, l’avantage de ce recours au concept d’exemplification est qu’il fonde la dimension artistique de la photographie dans un trait qui est définitionnel du médium photographique : sa capacité à détecter des traits du monde par l’entremise d’un procédé physico-chimique, capacité qui est aussi au coeur de la reconnaissance de son autorité épistémique dans certains contextes. Ce qu’une oeuvre photographique exemplifie comme propriété correspond doublement à ce qu’elle détecte et à sa façon de le faire. Pour le formuler autrement, ce qu’une image photographique exemplifie comme propriété, relève bien du « ça a été », mais d’un « ça a été » étendu à toutes les étapes du procédé photographique. La photographie « a été » prise en noir et blanc et, de ce fait, elle exemplifie la propriété d’être en noir et blanc, elle « a été » prise avec tel appareil, tel angle de vue, tel cadrage, devant tel sujet et par tel sujet. Tout cela — et non la seule existence du sujet photographié —, en effet, a bien eu lieu. La photographie en atteste et d’une certaine façon s’y réfère (au même titre qu’à l’objet photographié lui-même). Puisque la manière dont la photographie dépeint s’identifie au geste photographique (avec ses différents cadrages intentionnels), dont elle va finir par devenir aussi l’exemple, la frontière entre dénotation et exemplification s’avère ainsi bien plus poreuse dans le cas d’une image photographique que dans le cas d’une peinture[48]. N’est-ce pas, au demeurant, une bonne façon de tracer une frontière entre peinture et photographie ?[49]
Nous pourrions immédiatement objecter qu’il est possible de trouver un équivalent de ce geste dans la peinture. Sans doute peut-on se rendre attentif également à ce qu’une image figurative (et à fortiori non figurative) exemplifie comme propriété stylistique, c’est-à-dire d’avoir été peinte d’après nature, en atelier, par tel artiste, à telle époque, etc. La différence sera que jamais une peinture ne pourra posséder la propriété d’avoir été prise avec un appareil photographique. Cette réponse pourra sembler tautologique, mais il n’est pas évident que nous ayons en fait besoin de plus pour assurer la spécificité du médium photographique. Après tout, même les théories les plus permissives s’accordent sur le fait qu’une photo contient, à un moment ou à un autre de son processus, un événement photographique.
Restent alors deux questions : comment ce concept d’exemplification permet-il de fonder notre confiance en l’autorité épistémique de la photographie dans certains contextes alors que dans d’autres contextes d’appréciation, il donne à la photographie force d’art ? Que devons-nous faire de Richter ? Rule in ou rule out ? À mon sens, la première question soulève une difficulté qui peut être levée rapidement, tandis que la seconde question est bien inoffensive.
D’abord, observons ce que certaines images exemplifient comme propriétés. Bien sûr, cela ne peut se faire qu’en contexte et au secours d’informations additionnelles sur la manière dont une image a été effectivement obtenue. Si une photographie est une image qui fait fonctionner à plein cette modalité « exemplificationnelle », nul besoin qu’elle le fasse toujours dans un contexte esthétique où certaines propriétés, plutôt que d’autres, seront mises en avant et sélectionnées. C’est que l’exemplification ne compte comme symptôme d’un fonctionnement esthétique que lorsqu’elle est conjuguée à d’autres voies de la référence et d’autres types d’attention[50]. La valeur épistémique de la photographie n’est donc pas perdue lorsqu’on insiste, par ailleurs, sur l’agentivité du photographe. Dans un contexte médico-légal, des propriétés possédées par l’image photographique seront épistémologiquement privilégiées, comme le fait pour un cliché de scène de crime d’avoir été pris avec un appareil dit plongeur, muni d’un objectif grand-angle et d’être ensuite contrecollé sur un carton préparé muni de gradations centimétriques[51]. L’exemplification littérale de ces propriétés de prise de vue ne fait pas de ces images criminologiques des oeuvres d’art ou, pour le dire en termes goodmaniens, des symboles fonctionnant esthétiquement[52]. Avec une photographie médicale, nous serons attentifs à d’autres propriétés possédées par l’image, comme celles d’avoir été colorisée, simplifiée ou agrandie. En bref, dans un contexte épistémique, l’important est qu’il n’y ait pas tromperie sur la marchandise, que nous sachions quelles sont exactement les propriétés que possède l’image et, ce faisant, à quoi elle se réfère et ce qu’elle dépeint[53]. Ce sont ces différentes propriétés de l’image photographique qui seront sélectivement mises en avant dans les manuels rédigés à l’usage de telle ou telle pratique scientifique. Alphonse Bertillon ne dit-il pas dans son manuel intitulé La photographie judiciaire, qu’« un portrait judiciaire vise, suivant les cas, l’individualité présente, passée ou future de l’inculpé » et qu’« à chacun de ces temps doivent correspondre des façons spéciales de résoudre le problème photographique, des façons spéciales de s’en servir » ?[54]
Il convient dès lors d’adopter une démarche réflexive sur ladite objectivité du procédé photographique sans la nier ou l’abandonner. S’intéresser à ce qu’une photographie exemplifie comme propriété, en tant que résultat d’un procédé technique complexe et fortement intentionnel, est une bonne façon de pallier les difficultés dans lesquelles on se trouve lorsqu’on se concentre exclusivement sur « l’objet » qui en est la cause et dont la photographie, elle, serait l’indice. Ainsi, il conviendrait d’élargir notre entente du « ça a été » ou, du moins, de l’éclairer à la lumière de ce que l’on sait de la technologie photographique dans son ensemble, laquelle peut, dans certains cas, se prolonger bien au-delà du moment de l’enregistrement. Car il est tout aussi vrai qu’une photographie exemplifie les propriétés de sa prise de vue que celle de son traitement, de ses retouches ou de son exposition.
Voyons ensuite pour quelles raisons le problème Richter est rendu inoffensif. Que l’on compte ou non cette image comme photographique, cela ne modifie en rien la confiance épistémique que nous pouvons placer dans la technologie photographique en d’autres contextes. Et pour le dire avec un peu de malice, sans doute le Richter imaginaire du texte de Costello est-il surtout l’exemple du trouble qu’il vient semer au sein de certaines théories de la photographie. Quant au Richter véritable, que risquons-nous véritablement à dire qu’il exemplifie tout à la fois des procédés photographiques et picturaux et que c’est là que réside pour partie sa valeur artistique ?
La détermination de ce dont une image est l’exemple, dans un contexte déterminé, est donc un travail qui demande une attention soutenue et prolongée, voire des informations additionnelles sur la façon dont la photographie a été réalisée. Mais qui cela dérange-t-il ? Il n’y a nul motif — ou alors une paresse coupable — à ce qu’une analyse iconique s’arrête au seuil de l’image photographique. Pour le dire en quelques mots, une photographie est moins l’indice de ce qui a été qu’exemplaire de la façon dont elle a été prise.
Parties annexes
Notes
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[1]
Pour un aperçu du rôle joué par la ressemblance dans les théories de la photographie, voir l’article de Laure Blanc-Benon, « Dépiction et détection : quel rôle pour la notion de la ressemblance dans les théories de la photographie ? », dans Philosophies de la ressemblance, dir. Alexis Anne-Braun et Alexandre Declos, Paris : Kimé, 2020. Le passage consacré par Stanley Cavell à la photographie dans La projection du monde est un exemple typique de la tendance de la philosophie à détacher la technologie de la photographie de la notion de ressemblance.
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[2]
Charles Sander Peirce, Collected Papers 2.274-302, [ma traduction]. Ce passage de Peirce est cité dans Andrew E. Hershberger, Photographic Theory, An Historical Anthology, Oxford : Wiley Blackwell, 2005, p. 102.
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[3]
Voir C. S Peirce, « Sign », Baldwin’s Dictionary of Philosophy and Psychology, Collected Papers 2.304. Voir aussi les extraits rassemblés dans Hershberger, Photographic Theory, An Historical Anthology, p. 100-104. Il reste que cette association de la photographie au régime indiciel, au fondement de tout le travail de Rosalind Krauss, est sans doute plus problématique qu’il n’y paraît au premier abord. Sur ce point, on lira l’article de François Brunet, « “A better exemple is a photograph” : On the exemplary Value of Photographs in C.S Peirce’s Reflection on Signs », dans The meaning of photography, Robin Kinsley et Blake Stimson, dir., Williamstown, MA and New Haven : Yale University Press, p. 34-49.
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[4]
Ernst Hans Gombrich, L’art et l’illusion. Psychologie de la représentation picturale, Paris : Gallimard, 1987 ; Eris Auerbach, Mimesis, Paris : Gallimard, 1969.
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[5]
Certains auteurs ont bien sûr objecté que la photographie intègre toutes sortes de conventions sur la manière de percevoir le réel, et qu’il faut apprendre à lire une photographie, comme on apprend à lire une peinture. Sur ce point, je renvoie à Nelson Goodman, Langages de l’Art, Paris : Hachette, éd. rev. 2011 ; ou encore Joel Snyder et Walsh Allen, « Photography, Vision and Representation », Critical Inquiry 2, 1975, p. 145-169.
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[6]
Voir en particulier William Henry Fox Talbot, The Pencil of Nature, London, 1844.
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[7]
André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma ? Paris, Cerf, 2016, p.13.
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[8]
Cette différence dans l’être de l’image ne doit pas masquer une continuité forte entre photographie et peinture dans un programme d’imitation des apparences qui caractériserait l’histoire de l’art depuis la peinture de la Renaissance. C’est ainsi, par exemple, que le formule André Bazin.
-
[9]
Sur ce point, je renvoie à l’article de Joel Snyder, « Photographie, ontologie, analogie, compulsion », Études photographiques, 2016.
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[10]
André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma ? Paris, Cerf, 2016, p.14.
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[11]
Kendall Walton, « Transparent Pictures : on the nature of photographic realism », Critical Enquiry 11, no 2, 1984, p. 246-277. D’où le fait qu’il ne servirait à rien selon Kendall Walton de reprocher à l’image photographique de contenir parfois des distorsions, d’être également conventionnelle, ou de remarquer qu’une peinture peut-être tout aussi ressemblante qu’une photographie. Le réalisme photographique ne doit tout simplement pas être pensé comme une affaire de ressemblance.
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[12]
Sur l’opposition entre détection et dépiction, voir Patrick Maynard, The Engine of Visualization : Thinking Trough Photography, Ithaca, New York : Cornell University Press, 2000. Voir aussi l’article de Laure Blanc Benon, « Dépiction et détection : quel rôle pour la notion de ressemblance dans les théories contemporaines de la photographie ? ».
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[13]
Bien sûr, un portrait entretient également une certaine relation causale avec l’homme qu’il dépeint. Dans le cas de la photographie, cette relation causale est parfaitement automatique, et l’artiste n’est impliqué d’aucune façon dans la transmission de l’information. Ainsi, de la manière dont Kendall Walton marque la différence entre peinture et photographie dans « Transparent Pictures : on the nature of photographic realism ».
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[14]
Voir par exemple Frédéric Pouillaude, Représentations factuelles, Paris : Le Cerf, 2021.
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[15]
Sur la relation entre le texte de Barthes et la sémiotique de Peirce, voir l’article de Geoffrey Batchen, « Camera Lucida : Another little history of photography », dans Photography Degree Zero : Reflections on Roland Barthes’s Camera Lucida, Cambridge MA and London : MIT Press, 2009.
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[16]
« J’appelle référent photographique, non pas la chose facultativement réelle, à quoi renvoie une image ou un signe, mais la chose nécessairement réelle qui a été placée devant l’objectif, faute de quoi il n’y aurait pas de photographie. La peinture, elle, peut feindre la réalité sans l’avoir vue. Le discours combine des signes qui ont certes des référents, mais ces référents peuvent être et sont le plus souvent des chimères. Au contraire de ces imitations, dans la Photographie, je ne puis jamais nier que la chose a été là », Roland Barthes, La Chambre claire, p. 119.
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[17]
Kendall Walton insiste par exemple sur le fait que la photographie n’est pas seulement un mode de production des images, mais nous offre aussi une nouvelle manière de voir et qu’en ce sens elle peut être comparée à certains dispositifs optiques (miroirs, télescopes, etc.). Voir « Transparent Pictures : on the nature of photographic realism ».
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[18]
Sur ce point, je renvoie à l’introduction de Diarmuid Costello dans son ouvrage de synthèse, On Photography, London, New York : Routledge, 2018, p. 2 ; voir aussi Walton, « Transparent Pictures : on the nature of photographic realism ».
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[19]
Roger Scruton, « Photography and Representation », Critical Inquiry 7, no 3, 1981, p. 577-603.
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[20]
Je renvoie bien sûr au mouvement anti-pictorialiste du magazine Camera Work dirigé par Alfred Stieglitz et au « West Coast Photographic Mouvement » auquel appartiennent les photographes américains du groupe F/64 (dont Edward Weston et Ansel Adams). Pour une mise en perspective historique de ce débat et le rôle que jouèrent les écrits de photographes comme Eastlake, Emerson, Stieglitz, Weston ou des philosophes et théoriciens comme Bazin ou Cavell, voir la synthèse très précieuse de Costello, On photography. Il reste que le projet de Scruton est tout autre, puisqu’il vise à dénier le statut d’art aux photographies et non à adosser les qualités esthétiques des photographies à leur dite objectivité.
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[21]
Roger Scruton, « Photography and Representation », Critical Inquiry 7, no 3, 1981, p.588.
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[22]
Théoricien orthodoxe quoique non sceptique. Sur la différence entre les positions de Kendall Walton et Roger Scruton, voir Costello, On photography.
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[23]
En réalité, la transparence n’exclut pas tout à fait le voir imaginatif. Sur ce point voir Kendall Walton, Marvelous Images, Oxford University Press, 2008, p.127.
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[24]
Scruton, « Photography and Representation », Critical Inquiry 7, no 3, 1981, p. 589.
-
[25]
Paloma Antacia-Linares, « Fiction, Non-fiction and Deceptive Photographic Representation », The Journal of Aesthetics and Art Criticism 70, n 1, 2012, p. 19-30.
-
[26]
Sur l’impur en photographie, on lira avec intérêt le texte de Michel Foucault intitulé « La peinture photogénique » dans Dits et Écrits II, Paris : Gallimard, 1984, p. 707-715. La dialectique entre image naturelle et image construite ou impure est au centre aussi de l’essai de Michel Poivert, Brève histoire de la photographie, Paris : Hazan, 2015.
-
[27]
Dominic Lopes, Four Arts of Photography, Oxford : Blackwell and Wiley, 2016. Le travail autoréflexif de certains photographes contemporains comme Patrick Tosani ou Ugo Mulas fournit une exploration saisissante des possibilités artistiques offertes par le médium photographique. Une ligne de force des nouveaux théoriciens de la photographie consiste à souligner le fait que la photographie est un art à plusieurs phases (multistages). Cette idée est par exemple à l’arrière-plan de la réfutation par Dominic Lopes de l’argument de Scruton. Dans ses Verifica, Ugo Mulas réfléchit précisément à sa pratique d’artiste et de photographe en décomposant ces étapes technologiques (le négatif, l’appareil, la planche contact, etc.). Pour un éclairage sur le travail d’Ugo Mulas, voir Qu’est-ce que la photographie ? de Clément Chéroux et Karolina Ziebinska-Lewandowska, Paris : Éditions du Centre Pompidou, 2005. Guillaume Le Gall examine le « photoconceptualisme » de Patrick Tosani dans l’article « Les dispositifs réflexifs de Patrick Tosani », Archives de Philosophie 2022, no 1.
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[28]
Gerhard Richter, « Interview with Rolf Schön », The Daily Practice of Painting : Writing 1962-1993, Londres : Thames & Hudson, 1994, p. 73, ou encore son entretien avec Irmeline Lebeer dans L’art ? C’est une meilleure idée ! (Entretiens, 1972-1984), Nîmes : Jacqueline Chambon, 1997, p. 247. Voir aussi l’essai que Jean-François Chevrier a consacré à l’oeuvre de Richter, « Gerhard Richter, peintre-photographe » dans Entre les beaux-arts et les médias : photographie et art moderne, Paris : L’Arachnéen, 2010.
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[29]
On doit à Diarmuid Costello la distinction entre versions « permissive » et « restrictive » des nouvelles théories de la photographie. Une version « permissive » est une version qui s’accommode d’une pratique comme celle de Richter et qui parvient à l’enrégimenter comme « photographique ». En bref, une version permissive de ces nouvelles théories de la photographie abandonne l’idée d’une détection de traits qui serait indépendante des croyances, au fondement de l’orthodoxie.
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[30]
Sur le statut de la pratique artistique de Richter dans la théorie de Lopes, voir Lopes, Four Arts, p. 90.
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[31]
Voir Lopes, Four Arts, p. 123-124 et Costello, On photography, p. 94. En somme, cette expérience de pensée est une radicalisation d’une pratique artistique de Richter : le recouvrement d’une information photographique par la peinture. L’oeuvre Tisch de 1962 en est un exemple.
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[32]
Catherine Abell, « Out with the Old ? The new theory of photography », Aisthesis 11, no 2, 2018. Pour Catherine Abell, l’autorité épistémique de la photographie est sauvegardée si l’on recourt au concept de « canal communicationnel ». L’information enregistrée dans la photographie devant être sauvegardée à travers un canal qui la relie à nous, et ce, de façon fiable, ce canal et sa fiabilité jouant alors un rôle dans notre appréciation de l’image. Cependant, je ne vois pas comment de si fortes restrictions permettent de penser le caractère photographique d’images ayant été retouchées, retravaillées.
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[33]
En parlant ici de « fonctionnement esthétique », je ne cherche pas à brouiller la différence qu’il y a entre artistique et esthétique, encore que je pense qu’ici elle n’a pas tellement d’importance. Il est vrai que dénier au médium photographique le statut d’art n’implique pas de refuser que certaines photographies puissent être, par ailleurs, le support d’expériences et d’appréciations esthétiques. Nous pouvons ainsi reconnaître la beauté des photographies documentaires d’Atget et refuser d’élever cette pratique au rang d’art. Je suppose néanmoins que lorsque ce fonctionnement esthétique est réfléchi dans la pratique même du photographe, la différence n’a plus cours. On pourrait alors reprocher à cet argument de présupposer ce qu’il cherche à démontrer : on présuppose l’artiste et on démontre qu’il y a art. Je pense néanmoins que cette difficulté est en réalité plus redoutable pour le sceptique que pour celui qui cherche à le réfuter.
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[34]
Nelson Goodman, Langages de l’art, Paris, Pluriel, 2011.
-
[35]
Voir à ce sujet le traitement défavorable que Pouillaude réserve à ce concept dans Représentations factuelles.
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[36]
Certains auteurs ont montré que ce cadrage attentionnel était sous-déterminé parce qu’un symbole peut en droit exemplifier n’importe laquelle de ses propriétés. C’est le ressort de l’histoire comique de Mary Tricias relatée par Goodman dans Manières de faire des mondes, Paris, Gallimard, 2006. Mary Tricias se retrouve ainsi avec quantité d’échantillons de tissus identiques après avoir commandé à son tailleur une longueur déterminée d’un tissu avec un certain motif et qui devait être « exactement identique » à l’échantillon. Savoir ce qu’est un échantillon exemplifie comme propriété est une activité qui demande un réglage social et un travail d’attention pour les contextes moins normés, mais il n’y a là nulle indétermination.
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[37]
Lorsque l’on s’intéresse à ce genre de propriétés, c’est dans des contextes très spécifiques : l’authentification des oeuvres, par exemple, ou lorsqu’on spécule sur elles.
-
[38]
Voir Antacia-Linares, « Fiction, Non-fiction and Deceptive Photographic Representation », Maynard, The Engine of Visualization, Blanc-Benon, « Dépiction et détection : quel rôle pour la notion de ressemblance dans les théories de la photographie ? ». On pourrait d’ailleurs ajouter que ces possibilités fictionnelles de la photographie ne sont même pas toujours l’indice d’un fonctionnement esthétique. Les photofinishs sportives, au même titre que les photographies publicitaires, sont fictionnelles en ce sens, bien que ce ne soient pas des photographies artistiques. Pour une analyse remarquable des photofinishs, voir Joel Snyder et Walsh Allen, « Photography, Vision and Representation », Critical Inquiry 2, 1975, p. 158-160.
-
[39]
Sur ce point, et bien qu’il précède le débat inauguré par les articles de Walton et Scruton, voir l’article de Snyder et Allen, « Photography, Vision and Representation » et sa discussion de la théorie de Bazin. On lira avec intérêt la description des choix techniques et artistiques opérés par Dennis Stock dans sa photographie « James Dean at the grave of Cal Dean ».
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[40]
Dans la théorie des symboles de Nelson Goodman, il est important que la voie de l’exemplification soit conjuguée à d’autres modalités de la référence pour compter comme symptôme d’un fonctionnement esthétique : la nature du système à laquelle appartient le symbole et l’usage de la métaphore, par exemple. Sur les symptômes de l’esthétique, je renvoie au célèbre article de Goodman, « Quand y a-t-il art ? » reproduit dans Manières de faire des mondes.
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[41]
À ce sujet, voir Sally Mann, Tiens-toi bien ! Phébus, 2022, p. 130 : « Quand il assura que c’était la dernière fois qu’il posait dans cette foutue rivière glaciale (on était en octobre), je trouvais son refus légitime et intitulai la photo “La dernière fois qu’Emmett posa nu”, même si j’estimais que la nudité n’était pas le sujet. De toute façon, cela se retourna contre moi ».
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[42]
Sally Mann, Immediate Family, “introduction”, New York : Aperture, 1992.
-
[43]
Sally Mann, Tiens-toi bien ! Phébus, 2022, p. 131.
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[44]
Outre la densité syntaxique et la saturation qui valent pour toutes les images (voir sur ce point, Alexis Anne-Braun, « La densité des images », Dialogue 59, no 1, 2020), il faudrait compter ici sur l’emploi de la métaphore et plus généralement sur le caractère complexe et contourné de la référence — la dépiction d’Emmett mais aussi l’expression (par exemplification métaphorique) d’un ennui et d’un abandon propres à l’enfance, de sa vulnérabilité et de tout ce qui est attaché à ce lieu particulier : sécurité, joie, sauvagerie, etc.
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[45]
Cette compétence fictionnelle était d’ailleurs également un enjeu des photographies de Sally Mann dont certaines sont bien, à proprement parler, des mises en scène.
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[46]
Pour un panorama de la photographie artistique contemporaine dans son rapport trouble avec l’art contemporain, voir l’ouvrage de Michel Poivert, La photographie contemporaine, Paris : Flammarion, 2010.
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[47]
C’est une chose qu’avait déjà noté Costello avec l’ironie qui convient dans son article de 2012 « Automat, automatic, automatism : Rosalind Krauss and Stanley Cavell on photography and the photographically dependant arts », Critical Inquiry 38, no 4, p. 825.
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[48]
Jeff Wall a été particulièrement sensible à cette dimension-là de la technologie photographique, et il a voulu en faire le fondement d’une esthétique moderniste de la photographie, inspiré des thèses de Michael Fried. Nous ne sommes cependant pas forcés d’adhérer à cette esthétique antithéâtrale pour remarquer qu’une photographie exemplifie bien les propriétés de son enregistrement et de sa composition. Voir Michael Fried, Pourquoi la photographie a aujourd’hui force d’art, Paris : Hazan, 2013 ; voir aussi Michel Poivert, La photographie contemporaine, Paris : Flammarion, 2010, Poivert, « Actualité des théories modernistes », p. 136-148.
-
[49]
Si l’on a quelque familiarité avec la théorie des symboles de Goodman, on pourrait être amené à considérer que la distinction goodmanienne entre autographie et allographie pourrait parfaitement remplir cette opération de discrimination. Pour autant, la question de savoir si la photographie est un art allographique est loin d’être facile à trancher. Il n’est pas évident non plus que la peinture soit un art à une phase et la photographie, un art à deux phases (prise de vue/développement), différence qui ne recoupe d’ailleurs pas la distinction entre art autographique et allographique. Certes, les théoriciens contemporains reconnaissant que la photographie est un art à plusieurs phases (en fait bien plus que deux phases !), mais certaines peintures le sont également, comme celles de Gerhart Richter.
-
[50]
Je renvoie ici aux notes 35 et 39.
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[51]
Luce Lébart, « La photographie métrique de scènes de crime » dans Images à charge. La construction de la preuve par l’image, Xavier Barral, 2015, p. 19. Voir aussi, « Un nouvel appareil de photographie métrique appliqué aux constatations judiciaires » dans Rodolphe A. Reiss, La photographie judiciaire, Paris : Charles Mendel, 1903.
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[52]
Rien n’empêche, cependant, que ces images puissent faire l’objet, dans d’autres contextes, d’une appréciation ou d’une évaluation esthétique. C’est le destin de bien des photographies documentaires, comme celles de la célèbre série Naked City de Weegee.
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[53]
On remarque donc encore que l’exemplification et la dénotation ne sont pas des modalités de la référence que l’on peut facilement distinguer dans le cas d’une photographie. En revanche, ce qui apparaît clairement ici, c’est que la voie littérale doit être privilégiée lorsqu’on compte sur l’autorité épistémique de l’image photographique.
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[54]
Alphonse Bertillon, La photographie judiciaire, Paris : Gauthier-Villars et fils, éditeurs de la bibliothèque photographique, 1890, p. 14.