En 2001 se tenait le premier Forum social mondial à Porto Alegre. Sur le coup, presque personne n’avait une idée claire de sa signification et de sa portée. Mais plusieurs avaient l’intuition que quelque chose était « dans l’air ». L’insurrection de « basse intensité » des zapatistes, les avancements du mouvement social particulièrement en Europe latine et en Amérique du Sud, les immenses manifestations antinéolibérales et antiguerre un peu partout sur la planète secouaient la chape de plomb du capitalisme « réellement existant » et tournaient en dérision les « théories » de la fin de l’histoire et du triomphe de la « civilisation occidentale ». Depuis le rassemblement inattendu en 2001 dans la capitale de l’État de Rio Grande do Sul dans le sud du Brésil à l’initiative des mouvements brésiliens et avec l’appui de la municipalité pétiste, les mouvements sociaux se projettent à travers une intelligibilité compliquée. Ils constatent qu’ils parlent des « langages » à la fois semblables et différents. Tout en étant en apparence déconnectés les uns des autres, ils sont en même temps « réseautés », si ce n’est que par les fils ténus de l’Internet. Ils commencent à saisir, au moins intellectuellement, un itinéraire de rupture partielle, ambiguë, apparemment sans horizon clair. Car pour la plupart des organisations, il ne peut être question de se réclamer d’une « méga-théorie » ou d’une « grande utopie » comme cela a été le cas avec les mouvements sociaux pendant l’essentiel du xxe siècle. Sans glisser dans un pragmatisme naïf, la majorité des mouvements pense qu’il faut prendre garde aux projets « tout englobants » et qu’il est nécessaire, parallèlement à un réinvestissement du social à travers les résistances et la construction de microalternatives, de redéfinir de nouvelles identités (au pluriel) du mouvement social. Au soleil de Porto Alegre donc, une nouvelle expérimentation est apparue « sur le tas », par de nouvelles grammaires, de nouveaux codes, de nouvelles expressions. Le mouvement social s’est interpellé lui-même et il a aussi interpellé les acteurs politiques. Six ans plus tard, qu’en est-il ? Certes on le sait, six ans dans une temporalité historique, c’est six secondes ! Il faudrait donc être très arrogants pour proposer des schémas explicatifs globaux. Dans la foulée des succès du FSM et de la ronde très intense des mobilisations sociales qui continuent de s’amplifier, le mouvement social a donc repris confiance. C’est une très grande avancée qui s’appuie, sans déterminisme, sur des transformations profondes et de longue durée à l’oeuvre dans nos sociétés, comme l’explique si bien Immanuel Wallerstein. Le rythme des changements immédiats est évident et intense en Amérique du Sud, notamment. Les classes populaires continuent de répéter basta aux dominants, dans la rue bien sûr, mais aussi par le vote. Les groupes subalternes, entre autres les autochtones et les paysans, ne veulent plus, pendant que les élites, surtout blanches et urbaines, ne peuvent plus. Plus encore, l’Amérique du Sud est devenue un vaste laboratoire où s’expérimente un nouveau dialogue entre un approfondissement démocratique et une sorte de « néo-keynésianisme de gauche. Sans cynisme ou désillusion, des masses considérables sont, d’une part, en mouvement pour changer les termes du pouvoir, sans par ailleurs naïvement espérer un quelconque miracle qui viendrait d’un « sauveur » par en haut ; d’autre part, elles pressent les interlocuteurs politiques d’entamer de vastes réformes, de façon à assurer une certaine redistribution sociale et la protection du bien commun. Est-ce que ça va marcher ? Les opinions restent très partagées, mais que l’on fasse partie des optimistes, des pessimistes ou des « optipessimistes », on constate que …
Contraintes et défis du mouvement social[Notice]
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Pierre Beaudet
École de développement international et mondialisation, Université d’Ottawa