CréationsFigures du soin

La sage-fée[Notice]

  • Louise Nayagom

Au coeur de la nuit froide, seule la maison au bout du chemin était illuminée. La clarté de la neige recouvrant jardins et allées tranchait avec la noirceur de cette obscurité sans chaleur. Le mouvement des branches des sapins, presque imperceptible, suivait le rythme de la brise légère. Ciel et terre ne s’unissaient pas comme à leur habitude. Une ligne de démarcation les séparait, noir et blanc, deux contraires impossibles à réunir. Ignorant le spectacle de l’horizon, une silhouette grise traversa le chemin d’un pas rapide, enveloppée d’un épais tissu. Ses pas étouffés par la neige molle se rapprochaient des cris émanant de la maison en contrebas. Elle poussa la porte de bois, enleva à la hâte ses lourdes bottes mouillées, ainsi que sa cape de laine. La pièce, composée de trois chaises à la peinture écaillée et d’une table sur laquelle étaient abandonnés les restes d’un repas frugal, était éclairée d’une lampe. Les contours de la silhouette se précisèrent à la lueur de la flamme. Une vieille femme mince, presque maigre, aux yeux clairs, dont les épaisses boucles grises descendaient au milieu du dos, se dirigea d’un pas pressé vers la pièce d’où provenaient les cris. Rien n’avait changé en apparence depuis sa dernière visite. Seules les odeurs du sang et de la sueur trahissaient l’événement sur le point de se produire. Elle pénétra dans la chambre, reconnut l’armoire, le coffre, le berceau, le lit, et au centre de celui-ci, une jeune femme rougeaude au ventre proéminent, assise les jambes écartées. Dans ses yeux se lisait la détresse, accentuée par une coiffure malmenée et une chemise froissée. À la vue de sa sauveuse, ses épaules contractées s’affaissèrent, elle grimaça un sourire, soupira, « enfin ». Youna prit la main de la femme luttant avec acharnement dans son lit moite. Elle murmura quelques paroles rassurantes et les cris se firent gémissements. La vieille se mouvait avec aisance dans la pièce exiguë. Elle ouvrit l’armoire, en sortit une bassine et la remplit d’eau tiède. Elle se saisit d’un tas de linges dans le coffre, les posa sur le lit. Tandis que la femme s’épongeait le visage, Youna, accroupie, se pencha au-dessus de la large bassine. Comme des centaines de fois auparavant, elle releva son épaisse chevelure en un chignon, avant de laver ses mains précautionneusement, prenant soin de sécher chaque doigt dans une serviette. Ses mains. Robustes comme celles des gens de la montagne, habituées à traire le bétail matin et soir, à effectuer les tâches ingrates réservées à ceux qui choisissent de vivre au rythme du courant clair des rivières et des migrations des oies. Son reflet ondulé mêlé à l’atmosphère moite la ramenèrent à d’autres scènes semblables, d’autres ventres qu’elle s’apprêtait à vider, d’autres cris déchirant la nuit, d’autres sexes déformés, saignants. Entre ses mains se succédaient les cuisses flasques, pâles, poilues ou bien fines comme des bras, à peine sorties de l’enfance. Celles-là, Youna préférait ne pas y penser, leurs cris la hantaient jusque dans sa couche. Une boucle se détacha de son chignon, rebondit sur sa nuque. Tirée de ses pensées, elle se plaça entre les jambes de la parturiente, posa une main assurée sur son genou et ensemble, elles se mirent au travail. D’une voix douce et ferme, Youna ordonnait, orientait, encourageait. La femme hurlait pour que tout finisse, pour pouvoir tenir son enfant, pour ne plus avoir mal. Ses cris frappaient les murs et résonnaient dans la petite pièce. Elle semblait ne pas s’entendre. Son corps pris de secousses se débattait dans le petit lit souillé. Les cris se firent plus forts, plus violents à …

Parties annexes