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L’histoire de la médecine en Nouvelle-France a été fortement marquée par la fondation de l’Hôtel-Dieu de Québec en 1637, premier hôpital d’Amérique au nord du Mexique.
Sa gestion fut confiée aux Augustines de I’Hôtel-Dieu de Dieppe dont les trois premières religieuses arrivèrent à Québec en 1639. Sa création s’inscrit dans le mouvement des oeuvres de bienfaisance destinées à secourir les pauvres et les malades en France au xviie siècle. La duchesse d’Aiguillon, nièce du Cardinal de Richelieu et membre des Dames de la Charité réunies par le futur saint Vincent-de-Paul, consacra une partie de sa fortune à la réalisation de ce projet.
Au début de la colonie, les médecins et les chirurgiens recevaient leur formation médicale en France. La loi exigeait qu’un chirurgien-barbier fasse partie de tous les équipages à bord des navires français. Plusieurs de ces chirurgiens, souvent bien formés pour l’époque, soit au Collège Royal de Saint-Côme à Paris, soit à l’École de la marine de Metz, s’établirent en Nouvelle-France. Ainsi, en 1648, la Nouvelle-France comptait 241 habitants, dont 15 chirurgiens et apothicaires. L’administration royale du roi de France tint à centraliser l’éducation supérieure au sein de la métropole. C’est pourquoi pendant longtemps, pour devenir médecin au Québec, il fallut faire son apprentissage auprès d’un praticien reconnu. Les gouverneurs de la Nouvelle-France émirent plusieurs ordonnances destinées à réglementer l’exercice de la médecine et de la chirurgie; celles-ci furent reconduites sans modifications importantes par les autorités britanniques après la Conquête. L’efficacité de ces mesures étant limitée, on observa une dégradation progressive de la qualité de la pratique médicale. Des médecins, politiciens et personnalités en vue, inquiets des abus non réprimés, suscitèrent des initiatives pour redresser la situation.
En 1819, le Dispensaire de Québec s’installe sur la rue de la Fabrique, à l’instigation du docteur Anthony von Iffland, assisté des docteurs Charles N. Perreault, Pierre de Salles Laterrière et Augustin Mercier. On y enseigne l’anatomie, la physiologie, la chirurgie, l’art de l’accouchement et la pratique médicale. Le Dispensaire constitue dans les faits la première école prodiguant un enseignement organisé de la médecine. À Montréal, grâce à la générosité de James McGill, la première faculté de médecine formellement constituée, avec Charte royale, voit le jour en 1822 au Montreal General Hospital.
Le milieu médical de Québec est dynamique. En 1825, le docteur François-Xavier Tessier crée le Journal de médecine de Québec qui publie des articles en français et en anglais. La Société médicale de Québec est fondée en 1826, avant la Royal Medical and Chirurgical Society of London qui ne reçoit sa Charte royale qu’en 1834. Vers 1835, la médecine est enseignée par les médecins de l’Hôpital de la marine et des émigrés qui accueille les malades parmi les milliers d’étrangers qui affluent à Québec. L’École de médecine et de chirurgie de Montréal est fondée en 1842. L’École de médecine de Québec est intégrée en 1845, à l’initiative notamment des docteurs Joseph Morrin, Joseph Painchaud et James Douglas; elle reçoit ses premiers étudiants en 1848. Il faut attendre la loi du 28 juillet 1847 intitulée «Acte pour incorporer les membres de la profession médicale dans le Bas-Canada, et régler l’étude et la pratique de la médecine et de la chirurgie en icelui» pour que soit institué le Collège des médecins et des chirurgiens.
Pendant plusieurs années, l’Université McGill détient, de facto, le monopole des études universitaires de médecine, tant pour les étudiants anglophones que francophones. Le recensement des médecins en 1847 montre que seulement 26 des 99 diplômés universitaires sont d’origine canadienne-française, bien que la population francophone soit la plus nombreuse au Bas-Canada. L’accès aux études médicales demeure limité pour les francophones, en outre, le clergé catholique n’accepte pas aisément que l’éducation supérieure de ses ouailles soit confiée à des protestants.
En 1663, Mgr Françoys de Montmorency Laval, premier évêque de Québec, avait fondé le Séminaire des Missions Étrangères de Québec. Cet établissement demeura longtemps le seul disponible pour l’éducation des Canadiens français. En 1852, les autorités du Séminaire de Québec adressent une pétition à la reine Victoria afin d’obtenir une charte universitaire pour leur institution. Le gouverneur général en conseil, Lord Elgin, approuve la démarche; les lettres patentes sont signées le 8décembre 1852. Elles autorisent l’Université Laval à engager des professeurs et à décerner des diplômes dans les disciplines du droit, de la médecine et des arts.
Six professeurs acceptent d’être rattachés à la future Faculté de médecine et à ne pas toucher d’émoluments durant les quatre premières années: Jean Blanchet en pathologie générale, Charles-Jacques Frémont en médecine opératoire, James Arthur Sewell en pathologie interne, Jean-Zéphyrin Nault en matière médicale, Jean-Etienne Landry en anatomie et Alfred Jackson en toxicologie. Le 16 décembre 1853, le Conseil de l’Université nomme doyen le collègue le plus âgé, Jean Blanchet: il a 58 ans.
L’école de médecine de Québec ferme ses portes le 30 avril 1854 et le 25 septembre, le doyen inaugure les cours de la nouvelle Faculté. Ayant reçu une solide formation, ce praticien renommé connaît parfaitement la médecine et entend créer une école à l’avant-garde du progrès. Après un stage de trois ans au Séminaire de Québec, Jean Blanchet avait choisi son oncle, François Blanchet, pour étudier la médecine: ce monitorat dura cinq ans. Il poursuivit ses études durant trois années d’abord à Paris, où il fut l’élève des chirurgiens Dupuytren et Larrey, puis à Londres, où il fut le disciple de Astley Cooper, William Blizard, Curry et Blundell. Il avait obtenu son diplôme du Royal College of Surgeons de Londres en 1820. Il demeura doyen jusqu’en 1856.
Au décès de Jean Blanchet, Charles-Jacques Frémont, le plus ancien de ses collègues, devint doyen en 1856 et le resta jusqu’en 1862. Il fit progresser tous les départements de la Faculté, achèva la réalisation du Musée de pathologie et créa un cours d’anatomie microscopique. De plus, il envoya plusieurs jeunes médecins étudier aux États-Unis et en Europe.
Puis, pendant 22 ans, la Faculté fut admirablement dirigée par deux doyens loyalistes (donc anglophones et protestants) qui avaient tous deux obtenus leur diplôme de médecine du Royal College of Surgeons d’Édimbourg: James Sewell, de 1863 à 1883, et Alfred Jackson, de 1883 à 1885. Le premier, né en 1810 et doyen durant 20 ans, mit sur pied l’enseignement des maladies des yeux et des oreilles et développa la bibliothèque médicale. Le second, né en 1811, et doyen durant seulement deux ans, poursuivit I’oeuvre du précédent.
Durant le décanat de James Sewell, un décret du pape PieIX recommande que l’Université Laval ouvre une filiale à Montréal sous le nom de Succursale Laval. Le 1eroctobre 1879, la Faculté de médecine de la Succursale, dirigée par le doyen Rottot, ouvre ses portes en acceptant 30étudiants. La Faculté de médecine de la Succursale et l’école de médecine et de chirurgie de Montréal formèrent toutes deux des médecins entre 1880 et 1889. En 1890, l’école fusionna avec la Faculté de médecine pour ne former qu’une seule unité, la Faculté de médecine de l’Université Laval de Montréal. La querelle universitaire entre l’école de médecine et de chirurgie de Montréal et l’Université Laval fut homérique : elle mobilisa tout l’épiscopat de la province de Québec et enflamma le corps médical de la ville de Montréal pendant environ 15 ans, soit de 1876 à 1890. La rivalité ne s’éteignit vraiment qu’avec la création de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal en 1920.
Le décanat du docteur Charles-Eusèbe Lemieux dura 14 ans, de 1885 à 1899. Né en 1824, il avait été admis à pratiquer la médecine en 1848 après avoir étudié à l’école de médecine de Québec. Il améliora la formation médicale en augmentant le nombre de cours offerts et les applications cliniques correspondantes: oto-rhino-laryngologie, maladies nerveuses et mentales, déontologie médicale, histoire de la médecine, bactériologie. En 1896, un an après la découverte de Roentgen, Mgr Clovis Laflamme, professeur de physique et recteur de l’Université Laval, présenta «la photographie d’une main d’enfant et d’un pied» obtenue avec un appareil à rayons X de son invention, le skiascope (Figure1). De plus, Lemieux participa activement à la mise en place d’un Service permanent d’hygiène publique.
Son successeur, le docteur Louis-Joseph-Alfred Simard obtint sa licence en médecine de la Faculté en 1860, et partit étudier trois ans à Paris, à Louvain et en Prusse. Il étudia avec les plus grands maîtres de son temps: Claude Bernard, Louis Pasteur, Armand Trousseau, Auguste Nélaton, Paul Bert. Par ses soins, en 1866, l’Université Laval est la première du pays à créer une chaire d’ophtalmologie et d’otologie. Il fut doyen de 1899 à 1905. Bien formé, il a beaucoup contribué à élever le niveau de l’école de médecine de Québec. Il fut suivi du docteur Laurent Catellier, brillant chirurgien, qui présida aux destinées de la Faculté, au milieu de grandes difficultés pécuniaires, de 1905 à 1910.
Le huitième doyen, Michael J. Ahern, est né à Québec en 1844 de parents venus d’Irlande. Il a brillé dans l’enseignement de l’anatomie et de la clinique chirurgicale. Dans sa pratique, il s’inspira des travaux de Pasteur et fit la promotion de l’asepsie et de l’antisepsie. Il fut doyen de 1910 à 1914.
Edwin Turcot, doyen de 1914 à 1921, obtint son doctorat en médecine à Laval en 1874. Il étudia la médecine générale en France et en Angleterre, et acheva sa formation en allant à Harvard étudier l’histologie. Sous sa direction, deux mesures importantes furent prises: la création d’une clinique de physiothérapie et l’établissement d’une chaire de sémiologie.
Arthur Rousseau, qui lui succède, fut le premier doyen élu au mérite et non pas en raison de son âge. Il a profondément marqué l’histoire de la Faculté pendant les 13années de son mandat. Médecin brillant, il avait complété sa formation dans les hôpitaux français et ouvert le laboratoire de bactériologie en 1899. En 1915, il fonda l’Hôpital Laval, un sanatorium destiné au traitement des tuberculeux. Une souscription publique lancée en 1920 et les subsides du gouvernement provincial que l’Université se résolut enfin à accepter, apportent des moyens financiers qui faisaient cruellement défaut. Le programme des études subit une réforme majeure et le contenu scientifique fut consolidé avec l’objectif «de former de vrais savants». Un nouveau Pavillon de la médecine fut inauguré en 1924. Afin de mieux répondre aux besoins de formation clinique des étudiants, l’hôpital du St-Sacrement fut créé la même année, sur le modèle des hôpitaux universitaires dirigés par des anglophones. Un premier contrat d’affiliation avec la Faculté fut signé en 1929 pour une durée de 50ans! Le doyen intensifie les échanges avec la France. Chaque année, plusieurs professeurs français furent invités à donner des cours. Il innova encore en soutenant la formation et le recrutement de plusieurs professeurs de carrière. Pour l’enseignement de la neuropsychiatrie, il fonda la Clinique Roy-Rousseau en 1926, adjacente à l’asile d’aliénés St-Michel-Archange. Louis Berger, professeur à Strasbourg prit la charge du nouvel Institut d’anatomo-pathologie.
Il y décrit notamment les cellules sympathicotropes dites «cellules de Berger» (Figure 2). Un Institut de biologie et un Institut du cancer furent également créés. Un Service de diététique vit le jour et les écoles d’infirmières de plusieurs hôpitaux furent affiliées à la Faculté. En 1929, l’American Medical Association décerna la note «A» à la Faculté de médecine de Laval.
La Société médicale des hôpitaux universitaires de Québec fut organisée en 1931. Les résultats de ses travaux parurent dans «le Bulletin de la Société médicale des hôpitaux universitaires» puis, à partir de 1936, dans le «Laval médical».
Pendant la Deuxième Guerre mondiale les échanges avec la France sont interrompus. Les jeunes médecins se tournent vers le Canada anglophone et les États-Unis pour compléter leur formation. C’est une époque charnière pour la Faculté de médecine qui s’ouvre davantage aux courants scientifiques nord-américains.
Étranglée à l’intérieur des murs du Vieux-Québec, l’Université Laval n’est pas en mesure de s’agrandir pour répondre au boom démographique de l’après-guerre (Figures 3 et 4). À partir de 1944, on élabore le projet de créer une Cité universitaire sur le plateau de Ste-Foy, à l’ouest de Québec. À la suite du rapport Massey, en 1951, le gouvernement fédéral institue le University Development Fund destiné à financer les universités. L’éducation étant de juridiction provinciale, le premier ministre du Québec, Maurice Duplessis, manifeste quelque temps son opposition en refusant ces subsides qui finiront quand même par arriver à l’Université. Les plans d’un pavillon de médecine vaste et moderne sont proposés en 1952. La Faculté de médecine emménage dans le Pavillon Vandry érigé sur le nouveau campus en 1957 (Figure 5).
L’instauration de l’Assurance hospitalisation en 1960, puis celle de l’Assurance santé en 1970, la réforme du système de santé en 1995 et, plus récemment, la restructuration des hôpitaux universitaires qui n’est toujours pas achevée sont à l’origine de métamorphoses que subit le réseau hospitalier avec à chaque fois des répercussions tantôt positives, tantôt négatives sur la mission universitaire.
Vers 1970, les programmes de formation spécialisée («résidences») qui relevaient traditionnellement du Collège des médecins du Québec sont confiés aux Facultés de médecine. L’enseignement clinique est encouragé et connaît un essor particulier. La Faculté recrute de nombreux professeurs cliniciens qui reçoivent désormais une rémunération et négocient leurs conditions de travail. Sous l’impulsion du doyen Jean Beaudoin, la Faculté innove en ouvrant un des premiers bureaux de pédagogie médicale au Canada. Sa direction est confiée à Gilles Cormier qui a suivi les cours de pédagogie de la Case Western University. Le curriculum prend la forme d’un enseignement intégré par systèmes, largement influencé par le modèle développé dans cette université. Outre la médecine, de nouveaux programmes de formation professionnelle s’ajoutent: ergothérapie, kinésiologie, orthophonie et physiothérapie.
À partir de 1960, la recherche scientifique s’implante solidement avec le recrutement de pionniers exceptionnels comme Claude Fortier en endocrinologie, Roger Gaudry, Louis Berlinguet et Jean-Marie Loiselle en biochimie, Car Iton Auger et Jean-Louis Bonenfant en anatomo-pathologie. Faute de fonds, l’hôpital universitaire qui devait être construit en annexe à l’édifice de la Faculté de médecine ne se réalise pas comme prévu. En 1960, l’Hôpital des vétérans de Ste-Foy, cédé à l’Université Laval pour un montant symbolique, devient le Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL) où s’est développé depuis un vaste Centre de recherche sous la direction de Fernand Labrie (Figure6). Grâce au dynamisme de ses chercheurs, ce secteur d’activité connaît un développement accéléré dans tout le réseau hospitalier avec la constitution de centres de recherche en cancérologie (Luc Bélanger, Hôtel-Dieu de Québec), en santé de la mère et de l’enfant (Jean-Claude Forest, Hôpital St-François d’Assise), en maladies cardio-respiratoires (Denis Richard, Hôpital Laval), en psychiatrie (Michel Maziade, Hôpital Robert-Giffard), en épidémiologie et génie tissulaire (François Auger, Centre hospitalier affilié St-Sacrement-Enfant-Jésus) et en réadaptation (Carole Richard, Institut de réadaptation des déficiences physiques de Québec). Presqu’absente de la recherche médicale dans les années cinquante, la Faculté de médecine de l’Université Laval se classe maintenant au cinquième rang parmi les 16facultés canadiennes pour ses dépenses de recherche.
Nourrie des influences culturelles francophone et anglophone, tirant parti des mouvements scientifiques européens et nord-américains, la Faculté de médecine de l’Université Laval a développé un caractère qui la distingue. Héritière d’une riche tradition, elle s’acquitte avec brio de sa mission qui est de former des professionnels de la santé hautement qualifiés pour répondre aux besoins de la population en majorité francophone de l’est du Québec et de contribuer au progrès des connaissances.
Parties annexes
Pour en savoir plus
- 1. Boissonnault CM. Histoire de la Faculté de médecine de l’Universit Laval. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1953.
- 2. Heagerty JJ. Four centuries of medical history in Canada, vol. II. Toronto : McMillan, 1928 : 113-8.
- 3. Quelques notes historiques sur la Faculté de médecine de l’Université Laval. Laval Med 1944 ; 10 : 453-9.
- 4. Numéro spécial sur la Faculté de médecine. Laval Med 1957; 23 : 7-455.
- 5. McPhedran NT. Canadian medical schools. Two centuries of medical history 1822-1992. Montreal : Harvest House, 1993.