Résumés
Résumé
Un triple clivage caractérise la société canadienne : le partage du pouvoir de légiférer entre le niveau fédéral et les provinces ; le bijuridisme, avec la présence d’une province de droit civil, le Québec, parmi des provinces de common law ; et le bilinguisme. En interagissant subtilement avec la culture et les valeurs particulières du Québec et des autres provinces, ces caractéristiques influencent les conceptions qu’ont les citoyens du crédit, des institutions de financement et de la faillite. À partir de données statistiques, l’auteur présente un aperçu de ses réflexions sur certaines différences au sein du Canada quant aux habitudes de crédit et au rôle des institutions financières. Il estime que les différences de comportement relevées s’expliquent non seulement par des motifs juridiques, mais également par des aspects historiques et culturels.
Ainsi, alors que les règles juridiques applicables aux banques et à la faillite s’appliquent uniformément au Canada, les Québécois adoptent des comportements d’épargne, de recours au crédit et d’insolvabilité différents. Ils utilisent plus fréquemment les coopératives de crédit, dont le fonctionnement repose sur des préceptes de solidarité et dont le mode de contrôle coopératif coïncide avec certaines valeurs québécoises. Les Québécois connaissent également un nombre croissant de faillites, dont la source semble résider, comme dans le reste du Canada, dans des transformations démographiques et sociales mélangeant droit, culture et valeurs.
Abstract
Three cleavages characterize Canadian society: the division of legislative power between the federal and provincial levels; bijuralism, with the presence of a civil law province, Quebec, among the common law provinces; and bilingualism. In their subtle interactions with the particular culture and values of Quebec and the other provinces, these characteristics influence citizens’ conceptions of credit, lending institutions, and bankruptcy. Using statistical data as a starting point, the author presents his reflections upon certain differences in Canada relating to credit patterns and the role of lending institutions. He hypothesizes that these differences in behaviour can be explained not only by legal motives, but equally historical and cultural factors.
Thus, while the regulations concerning banks and bankruptcy apply uniformly across Canada, the Québécois adopt distinct habits related to savings, the use of credit, and insolvency. They make more frequent use of credit unions, institutions that base their operations on the precepts of solidarity and use a model of cooperative control, which coincides with certain provincial values. The Québécois also experience a growing number of bankruptcies, whose source seems to lie, as in the rest of Canada, in demographic and social transformations that mix the law, culture, and values.
Corps de l’article
Introduction
L’objectif du présent article est de traiter du lien entre la culture et le droit dans le contexte particulier du Canada. Plus précisément, notre but est de faire part de nos réflexions à propos de l’incidence de la culture sur le droit canadien sur deux aspects spécifiques, à savoir le droit du crédit et des institutions de financement, d’une part, et le droit de la faillite, d’autre part.
Traiter du lien entre droit et culture est, à sa face même, un sujet très vaste pouvant être abordé d’une grande diversité de perspectives. À première vue, l’incidence des caractéristiques culturelles sur le crédit et le recours aux institutions de financement apparaît indirecte par rapport à l’impact des règles de droit. La question se pose dès lors de savoir si le droit est le reflet de la culture de la société dont il émane ou s’il est lui-même un facteur contribuant à forger la culture de cette société. Une telle influence du droit sur la culture et les valeurs, tant individuelles que collectives, existe-t-elle vraiment ? Ce débat n’est pas nouveau. Selon une conception positiviste du droit, celui-ci doit être dissocié de la culture. Le droit est alors étudié sur la base d’arguments rationnels, en évitant le débat émotif entourant inévitablement la définition des tenants et aboutissants de la culture propre aux citoyens d’un État, d’une nation ou d’un territoire donné. À l’inverse, le courant épistémologique considère que le droit ne sert pas seulement à mettre en place des règles et des principes neutres et que les frontières entre le droit, la morale et la culture ne sont pas hermétiques[1].
Le but premier du présent article n’est pas de prendre position dans ce débat opposant les positivistes et les tenants d’une conception élargie du droit. D’une part, le thème choisi ne cadre pas avec une conception positiviste du droit, dans laquelle la question de l’impact de la culture sur les domaines de droit relatifs au crédit, aux institutions de financement et à la faillite ne se poserait pas. D’autre part, une approche purement épistémologique exigerait que nous cherchions à circonscrire les relations complexes pouvant exister entre le droit et la culture. Or, les limites matérielles qui nous sont imposées nous en empêchent.
Nous sommes donc conscients du caractère en apparence irréductiblement dualiste de notre représentation du droit et de la culture, d’autant plus que nous cherchons à saisir les innombrables manifestations culturelles principalement à l’aide de données statistiques. Certes, la notion même de culture est trop vaste pour se résumer à quelques chiffres. Néanmoins, cette approche a l’avantage de nous permettre de présenter de façon plus concise et structurée les résultats de nos recherches et de nos réflexions. C’est pour cette raison que la notion de «culture», difficile à définir avec précision, doit ici être entendue d’une manière large, permettant ainsi un examen aussi approfondi que possible du sujet. En outre, si un tel sujet intéresse au premier chef les sociologues et les anthropologues, c’est évidemment en tant que juriste, avec les outils propres au droit, que nous nous sommes penchés sur ces questions. Toutefois, loin d’être un exposé de droit positif, le présent texte se veut avant tout un bref compte rendu de nos réflexions sur le lien entre les particularités culturelles et juridiques du Canada et le droit relatif au crédit, aux institutions de financement et à la faillite. Bien que ces questions puissent apparaître intimement liées, ces deux thèmes seront traités de façon distincte dans chacune des deux sections composant le présent article.
I. Le droit du crédit et des institutions de financement au Canada
Traiter de l’incidence de la culture sur le fonctionnement du crédit et des institutions de financement au Canada nous amène d’abord à considérer le triple clivage caractérisant à bien des égards l’ensemble de la société canadienne et de son corpus normatif.
D’une part, compte tenu de la répartition constitutionnelle des compétences législatives, les lois touchant le crédit et le fonctionnement des institutions financières relèvent à la fois du Parlement fédéral et des assemblées législatives provinciales[2]. Ainsi, si le législateur fédéral a compétence en matière de banques[3], les provinces, en vertu de leur pouvoir d’adopter des lois relatives à la propriété et aux droits civils, peuvent régir les autres formes d’institutions financières, notamment les compagnies d’assurance et les coopératives financières[4].
D’autre part, au Canada, deux traditions juridiques coexistent en matière de droit privé : le droit civil au Québec et la common law d’origine britannique dans les autres provinces[5]. Dans la mesure où ces différentes manifestations du droit privé, de compétence législative provinciale, ont une incidence sur l’accès au crédit des particuliers et des entreprises, le bijuridisme doit être pris en compte au moment de considérer l’incidence du droit et de la culture sur le crédit et les institutions de financement[6].
Enfin, puisqu’il s’agit de traiter de l’impact de la culture sur le fonctionnement du système financier canadien, nous ne pouvons passer sous silence l’aspect linguistique et le bagage culturel sous-jacent qu’il représente. Nonobstant les différences ou les similarités du système juridique en vigueur dans les différentes régions du pays, l’histoire et les particularités culturelles de chaque province ont pu contribuer à forger la perception des citoyens du crédit et des institutions de financement et la manière dont ces dernières fonctionnent[7].
Au Québec, malgré le développement économique considérable de la province, il semble que les Québécois éprouvent une certaine réserve à l’égard de l’argent comme manifestation tangible du succès. La cause de ce phénomène résiderait dans l’inconscient catholique d’une partie importante de la population, pour qui il serait difficile d’admettre qu’une personne puisse avoir de l’ambition et que son succès personnel soit néanmoins profitable à l’ensemble de la collectivité[8].
L’industrialisation du Québec, amorcée au dix-neuvième siècle, fut d’abord l’affaire des anglophones de confession protestante. Comme ailleurs en Amérique du Nord, la Seconde Guerre mondiale a contribué à l’essor d’une classe moyenne prospère. Cette époque a été particulièrement bénéfique à l’épanouissent économique des Québécois francophones. En outre, le développement du mouvement coopératif, incarné au Québec par le Mouvement Desjardins, a permis de canaliser les épargnes et de généraliser le recours aux assurances, facilitant ainsi grandement l’accès à la propriété. Parallèlement, à partir des années 1960, le développement d’une bureaucratie étatique et un meilleur accès aux études supérieures ont alimenté le développement économique de la province et ont permis à la population québécoise de s’enrichir.
Malgré ces progrès, la question de la perception de la richesse individuelle par les Québécois reste ouverte. Les réponses varieront selon les personnes consultées. À notre avis, les Québécois n’ont peut-être pas peur d’être riches, mais leurs valeurs sociales les pousseraient à entretenir un rapport différent à l’argent. Collectivement, ils demeureraient critiques quant aux moyens utilisés pour acquérir cette richesse. Par ailleurs, l’accroissement du rôle de l’État dans l’économie québécoise depuis les quelque quarante dernières années a mis en exergue l’importance de la richesse collective, peut-être au détriment de la richesse individuelle. Toutefois, à la lumière de certaines statistiques, nous pouvons néanmoins constater que les Québécois se distinguent des autres Canadiens quant à leurs habitudes d’épargne et de recours au crédit et par conséquent, quant à leur propension à devenir insolvables.
Bien qu’il soit difficile d’identifier avec précision les facteurs qui déterminent cet état de fait, les mécanismes de crédit varient de façon notable entre les différentes régions et provinces composant le Canada. Des centaines d’entreprises différentes offrent sur le marché divers produits et services financiers variés : banques, sociétés de fiducie, coopératives de crédit et caisses populaires, compagnies d’assurance, fonds communs de placement et fonds de pension, courtiers en valeurs mobilières, sociétés de crédit et de prêts hypothécaires. Toutes ces entreprises rivalisent pour offrir aux Canadiens une vaste gamme de moyens de financement et de véhicules d’investissement[9].
En ce qui concerne plus particulièrement le secteur bancaire, selon les statistiques de 2001, le Canada compte treize nationales, c’est-à-dire des banques constituées au Canada et dont le siège social est au Canada[10]. À ce nombre s’ajoutent trente-quatre filiales de banques étrangères et onze actives au Canada. Ensemble, ces institutions gèrent des actifs dont la valeur s’élève à environ 1,6 billions de dollars. Ce montant représente approximativement 70 pour cent du total des actifs détenus par le secteur des services financiers canadien. À elles seules, les six plus grandes banques canadiennes possèdent plus de 90 pour cent des actifs du secteur bancaire[11].
Les banques canadiennes exploitent un vaste réseau de plus de huit mille succursales et près de dix-huit mille guichets automatiques répartis dans toutes les régions du Canada. Tel qu’illustré par le graphique 1, cette répartition n’est toutefois pas uniforme d’un océan à l’autre. Ainsi, c’est au Québec, en Alberta et en Colombie-Britannique que la concentration des succursales bancaires est la moins élevée. Dans ces provinces, les banques font face à une importante concurrence de la part des coopératives de crédit, dont, au Québec, les caisses populaires du Mouvement Desjardins.
Le financement octroyé par les coopératives de crédit, notamment les caisses populaires, varie beaucoup d’une province à l’autre, le Québec arrivant en tête des provinces canadiennes dans les prêts consentis aux entreprises par ces institutions financières. En effet, tel qu’illustré par les graphiques 2 et 3, c’est au Québec que les coopératives financières octroient le plus de financement par emprunt auprès du plus grand nombre de clients.
En général, les petites et moyennes entreprises (PME) canadiennes se tournent vers des sources informelles de financement (prêts et épargnes personnels) afin de démarrer leur entreprise ou de financer leurs activités courantes. Il vient néanmoins un temps où les entreprises doivent avoir recours à des sources de financement externes. Sur ce point, le Québec fait figure de «société distincte» par rapport aux autres provinces. Les coopératives de crédit, dont la présence est supérieure au Québec, y jouent un rôle beaucoup plus important dans le financement des PME qu’ailleurs au Canada. Les statistiques les plus récentes que nous avons pu trouver à ce sujet remontent à 2004. Cette année-là, 22 pour cent des PME québécoises, représentant environ 22 pour cent des PME canadiennes, ont demandé un financement externe sous une forme quelconque et 18 pour cent de ces entreprises ont eu recours à un prêt commercial auprès d’une institution financière. Seulement 49 pour cent de ces demandes de prêts commerciaux ont été adressées à des banques, comparativement à 63 pour cent à l’échelle nationale, et 39 pour cent à des caisses populaires. Au contraire, dans la province voisine de l’Ontario, les PME se tournent en grande majorité vers les banques afin d’obtenir un financement par emprunt. En effet, ces institutions financières ont été privilégiées par 84 pour cent des demandeurs de crédit, ce qui est de loin supérieur à la moyenne nationale de 63 pour cent[15].
Non seulement l’importance relative des banques et des coopératives de crédit comme source de financement des entreprises varie beaucoup d’une région à l’autre, mais les moyens employés par les entreprises pour obtenir du financement auprès de ces institutions de crédit n’est pas le même partout au pays. Au Québec, en 2004, 21 pour cent des PME québécoises ont eu recours à un financement par crédit, ce qui est inférieur à la moyenne nationale de 34 pour cent et bien en deçà de la situation observée en Ontario, où 63 pour cent des entreprises ont eu recours à un tel mode de financement pour l’acquisition d’actifs.
Certes, le nombre d’entreprises, tout comme la population, varie beaucoup d’une province canadienne à l’autre, l’Ontario et le Québec étant plus populeuses que les autres provinces ou territoires canadiens[17]. Il est donc normal que le nombre de clients des coopératives de crédit et le montant des prêts qu’elles accordent varient beaucoup géographiquement. Ces données illustrent néanmoins l’importance particulière que présentent les coopératives dans l’économie québécoise.
Les variations dans l’importance relative des banques et des coopératives financières à travers le Canada semblent correspondre au clivage linguistique décrit précédemment. Toutefois, bien que le Québec se distingue des autres provinces à ce niveau, le facteur linguistique ne nous semble pas pouvoir expliquer à lui seul cet état de fait[18]. De même, la théorie juridico-financière éclaire peut-être les variations interprovinciales en cette matière sur la base du clivage entre droit civil et common law[19]. Il n’est pas certain, néanmoins, que la tradition juridique d’une province puisse déterminer la prévalence d’une forme d’institution financière par rapport à une autre.
À première vue, les coopératives financières apparaissent tout aussi avantageuses que les banques quand vient le temps de choisir une institution financière comme source de financement ou institution de dépôt. En effet, elles offrent aux épargnants les mêmes taux d’intérêt que les banques, ceux-ci étant en large partie conditionnés par des facteurs macroéconomiques. De même, s’il existe des différences entre le droit civil et la common law en matière de sûretés, banques et coopératives sont à toutes fins pratiques sur un même pied d’égalité lorsqu’il s’agit d’obtenir une garantie de la part d’un débiteur situé dans une juridiction donnée[20]. Au Québec, par exemple, le Code civil ne fait pas de distinction quant au statut juridique d’un créancier à qui un débiteur accorde une hypothèque sur un immeuble.
Toutefois, les coopératives de crédit se distinguent des banques par le fait que leurs opérations reposent sur des préceptes de solidarité entre des membres qui partagent certains intérêts communs[21]. Elles ont également un mode de formation et surtout une structure organisationnelle et un mode de gouvernance différents. Bien que tant les coopératives de crédit que les banques soient des personnes morales[22], seules les banques sont en mesure d’émettre un nombre illimité d’actions à leurs actionnaires et ceux-ci exercent alors les droits de vote afférents en fonction du nombre d’actions détenues[23]. À l’opposé, les coopératives de crédit sont des institutions financières détenues et contrôlées par leurs membres et non pas par des actionnaires. En principe, elles ne peuvent émettre d’actions et leur principal objectif est de fournir à leurs membres des services de dépôt et de prêt. Chaque client doit en devenir sociétaire, c’est-à-dire, en quelque sorte, propriétaire[24]. Chaque sociétaire a un droit de vote qu’il peut exercer peu importe le montant de ses dépôts ou la valeur du capital social qu’il détient. En outre, la propriété et la gouvernance de ces institutions reposent sur des principes de coopération.
Ne pouvant détenir une position de contrôle, chaque membre d’une coopérative financière est donc limité dans sa capacité à influencer le fonctionnement de la coopérative dont il est membre. De plus, contrairement aux actions émises par les banques, les parts des coopératives financières ne sont pas transigées sur le marché secondaire, c’est-à-dire à la bourse. Or, en permettant l’achat et la vente des actions, la bourse constitue un mécanisme par lequel les actionnaires sont en mesure de déterminer le prix des actions à la lumière de leur appréciation des performances de l’émetteur (en l’occurrence la banque) et de la qualité de son mécanisme de gouvernance. En l’absence d’un tel mécanisme de fixation de prix et malgré l’importance de la démocratie au sein des coopératives financières, celles-ci font parfois face à des problèmes d’agence entre leur direction et leurs membres[25]. Ces problèmes sont toutefois limités grâce à l’organisation des coopératives en réseau, qui leur permet de fonctionner efficacement, alors même qu’elles sont généralement trop petites prises isolément pour être en mesure de faire concurrence aux banques[26].
À notre avis, les raisons pouvant expliquer le clivage entre le Québec et le reste du Canada dans le rôle des banques et des coopératives de crédit comme source de financement[27] et dans leur rôle d’institutions de dépôt[28] ne sont pas exclusivement d’ordre juridique ; elles sont aussi d’ordre historique et culturel. En effet, les banques sont présentes partout au Canada et sont régies par la même loi, quelque soit le lieu d’établissement de leur siège social ou de leurs succursales. De même, les coopératives de crédit existent également ailleurs qu’au Québec. Dans la mesure où banques et coopératives financières offrent des produits et services similaires, ces institutions financières peuvent se concurrencer afin d’attirer de nouveaux clients. Or, malgré cette concurrence, il semble que les coopératives financières (et au premier chef, le Mouvement Desjardins) aient établi et maintenu leur prédominance au Québec, tout comme les banques se sont imposées comme principaux bailleurs de fonds et institutions de dépôt dans les autres provinces. Cet état de fait paraît découler des caractéristiques propres aux coopératives financières, lesquelles semblent mieux correspondre aux caractéristiques géographiques du Québec et aux besoins et valeurs de sa population.
Ainsi, les caisses populaires et autres coopératives de crédit desservent certaines régions, notamment de petites villes, où la caisse populaire locale ou la coopérative de crédit est souvent la seule institution financière du voisinage. Au-delà de la similarité des produits et services offerts, il se pourrait par ailleurs que les principes de coopération à la base du mouvement coopératif soient au diapason avec les valeurs sociales considérées comme représentatives de la société québécoise[29]. Quoi qu’il en soit, au Québec, la formation du Mouvement Desjardins au début du vingtième siècle a permis d’offrir des services financiers à une population non seulement francophone, mais aussi, à l’époque, essentiellement rurale. La présence locale de ces coopératives répondait à un besoin que les banques n’avaient pas su combler. Une fois les caisses populaires bien établies partout sur le territoire de la province, il a certainement été difficile pour les banques d’établir des succursales ayant la même proximité avec la clientèle locale.
Toutefois, rien n’étant immuable, le mouvement coopératif, au Québec comme ailleurs, n’est pas à l’abri des avatars de la consolidation organisationnelle et de la centralisation décisionnelle[30]. Si de tels objectifs peuvent se justifier par des motifs économiques d’efficience, ils risquent néanmoins de miner l’avantage de proximité dont pouvaient jouir traditionnellement les succursales locales de ces institutions financières. De plus, l’avenir dira si les valeurs de solidarité qui sous-tendent le mouvement coopératif sauront résister aux changements de mentalité et à l’individualisme croissant de la société québécoise[31].
II. Le droit de la faillite au Canada
Le droit canadien de la faillite tire son origine du droit anglais où, traditionnellement, la personne insolvable était considérée comme un criminel[32]. Dans ce contexte, l’intérêt des créanciers était secondaire ; le législateur cherchait avant tout à sanctionner l’état d’insolvabilité qui était, dès lors, considéré comme une infraction, sinon criminelle, du moins quasi criminelle. À bien des égards, en effet, l’insolvabilité était traitée de la même manière que la fraude.
Au fil du temps, sous l’influence vraisemblable de divers intérêts économiques et sociaux, la faillite est devenue un moyen par lequel il est possible pour une personne qui n’est plus en mesure de faire face à ses obligations de remédier à la désorganisation des droits civils qui résultent de son insolvabilité (que celle-ci soit volontaire ou forcée). Il est peu à peu devenu normal qu’une personne ait des dettes. De plus, il est désormais accepté que des circonstances souvent indépendantes, notamment une perte d’emploi ou une crise économique, puissent entraîner l’insolvabilité. Du point de vue des gens d’affaires, un droit de la faillite trop sévère, loin de favoriser le commerce, constitue par ailleurs un frein à l’économie de marché. Parallèlement, les consommateurs, souvent bombardés de publicité et enivrés par leur désir de consommer, ont vu l’avantage de profiter des facilités de crédit. Un nombre croissant d’individus se sont donc trouvés dans une situation où l’insolvabilité était possible, voire même facile. Finalement, puisque l’insolvabilité est ainsi devenue prévisible, les pertes en découlant sont devenues des risques inhérents à la pratique commerciale. Grâce aux politiques de majoration de prix et au jeu des déductions fiscales, les commerçants arrivent maintenant à faire assumer ces pertes au public en général.
C’est ainsi qu’entre 1968 et 2006, le nombre de faillites au Canada a augmenté en moyenne de 8,6 pour cent par année[33]. Cette tendance à la hausse est par ailleurs illustrée par le graphique 5 ci-dessous.
L’Ontario et le Québec connaissent le plus grand nombre de cas de faillite, notamment en raison de la taille de leur population et du nombre d’entreprises qui y opèrent. Néanmoins, pour l’année 2006, le nombre de faillites a diminué dans toutes les régions du Canada, à l’exception du Québec où il a augmenté de 6 pour cent[35].
Les fluctuations cycliques du nombre de faillites sont tributaires des mouvements de l’économie et d’une interaction complexe de facteurs. Néanmoins, ces quelques données illustrent selon nous que la faillite, même s’il s’agit d’un état juridique pouvant encore être qualifié d’«anormal» malgré sa plus grande fréquence, ne fait plus l’objet du même stigmate social que par le passé[36]. Selon certaines sources, cette absence d’opprobre social explique en partie cette tendance générale à la hausse des cas de faillite[37]. Il est intéressant de se pencher brièvement sur les facteurs qui pourraient expliquer la place peu enviable du Québec à ce chapitre, tout en évitant d’avoir recours à l’argumentaire traditionnel basé sur le jugement moral suivant lequel les personnes en faillite sont nécessairement irresponsables et malhonnêtes[38].
Les données ci-dessus semblent indiquer que les fluctuations pancanadiennes du nombre de faillites correspondent au clivage linguistique du pays[39]. Toutes choses étant égales par ailleurs, nous doutons toutefois que le seul caractère francophone du Québec puisse jouer un rôle déterminant dans la propension qu’ont les Québécois à s’endetter et à devenir insolvables. Un tel classement par province des cas de faillites est une manière pratique de percevoir l’état de la situation du Canada en matière de faillite, mais il ne permet pas de préciser en quoi les caractéristiques culturelles du Québec, au-delà de la question linguistique, sont des facteurs déterminants de l’endettement et de l’insolvabilité de sa population. Considérant les variations interprovinciales dans les modes de fonctionnement du crédit et des institutions de financement au Canada[40], il n’est pas surprenant de constater que les mécanismes légaux touchant la faillite ne soient pas partout utilisés de la même manière, même si le droit de la faillite est en principe unifié.
En effet, le pouvoir de légiférer en matière de faillite et d’insolvabilité relève du Parlement fédéral et la loi fédérale sur la faillite et l’insolvabilité[41] s’applique donc, en principe, avec la même force et de la même manière dans chacune des provinces canadiennes. L’interaction, au Québec, du droit fédéral de la faillite avec le droit civil ne peut faire en sorte, à notre avis, d’établir des rapports si différents entre débiteurs et créanciers que les ménages québécois soient plus enclins à faire faillite que les ménages habitant les juridictions de common law[42].
Par définition, la faillite et l’insolvabilité sont intiment liées à l’endettement et à la pauvreté. Or, des facteurs structurels et culturels influençant à la fois l’offre et la demande de crédit[43] permettent également d’expliquer la tendance des ménages et des entreprises au surendettement et par conséquent, à l’insolvabilité et à la faillite[44]. Un des facteurs structurels considéré comme ayant une influence sur l’offre de crédit est la dérégulation des taux d’intérêt. Il est cité dans la littérature pour tenter d’expliquer les fluctuations dans le niveau d’endettement aux États-Unis, où la dérégulation progressive de l’industrie du crédit à la consommation a modifié à la fois la culture entrepreneuriale des institutions financières et les habitudes de consommation des individus[45]. Néanmoins, cette explication ne peut être aisément transposée au Canada, puisque les institutions financières sont réglementées et structurées différemment[46]. De plus, les taux d’intérêt n’y ont pas fait l’objet d’une même libéralisation et demeurent fortement réglementés[47].
Les pertes d’emploi et les coûts des soins de santé peuvent également constituer des facteurs structurels susceptibles d’avoir une influence sur la demande de crédit. Des problèmes personnels, tels que la perte d’un emploi, la maladie ou le décès d’un proche, peuvent affecter la capacité financière des individus. Le niveau de recours au crédit ou à l’endettement dépend alors du niveau de protection sociale dont ces derniers jouissent. En matière de sécurité sociale, le Canada, à la différence des États-Unis, offre à ses chômeurs un régime d’assurance-emploi[48]. De plus, les coûts des soins de santé y sont en grande partie assumés par l’État[49]. Le système canadien de sécurité sociale connaît toutefois certaines faiblesses que le recours au crédit permet de contrer[50]. Il convient donc d’en tenir compte lors de l’analyse des facteurs ayant une incidence sur l’endettement et l’insolvabilité[51]. La seule comparaison des rapports juridiques qui s’établissent entre débiteurs et créanciers en vertu du droit de la faillite en vigueur sur un territoire donné ne permet pas nécessairement de cerner l’incidence de ces autres facteurs sociaux et mécanismes juridiques sur l’endettement et l’insolvabilité.
En plus de la distinction entre le Canada et les États-Unis quant aux facteurs structurels et culturels ayant une incidence sur la faillite et l’insolvabilité, les pratiques des consommateurs canadiens ont aussi évolué au fil du temps. Par exemple, des phénomènes, tels que le vieillissement de la population, les changements dans les moeurs personnelles et familiales et la composition ethnique de la population, ont fait en sorte que les Canadiens en général (et les Québécois en particulier) ont changé leurs habitudes en matière de consommation et de crédit. Celles-ci, tout comme leur situation financière, sont par ailleurs susceptibles de changer tout au long de leur vie. Ainsi, le vieillissement de la génération dite du «baby-boom» et le nombre croissant de départs à la retraite ont nécessairement une incidence sur les habitudes de consommation et de recours au crédit[52].
De même, la structure, la taille et les habitudes d’achat des ménages canadiens ont connu d’importants changements au cours des deux dernières décennies. De plus en plus de ménages se composent aujourd’hui de personnes vivant seules (y compris les personnes âgées dont le conjoint est décédé), de jeunes couples sans enfant, de parents dont les enfants sont partis et de personnes divorcées[53]. Si l’importance relative de ce dernier groupe résulte de l’instabilité croissante des relations conjugales actuelles[54], le nombre croissant de personnes vivant seules fait en sorte que ces personnes doivent relever des défis particuliers en matière de consommation et de crédit à la consommation. Ces personnes doivent en effet se débrouiller avec un seul revenu et elles ne peuvent profiter des économies d’échelle qui découlent de la vie à deux ou en famille[55].
Par ailleurs, puisque les taux de natalité ne cessent de diminuer, c’est l’immigration qui contribue principalement à la croissance démographique canadienne[56]. Outre leurs besoins de consommation possiblement différents, les immigrants, par définition, viennent de milieux culturels variés et différents de la majorité des citoyens canadiens, en plus de s’installer majoritairement en région métropolitaine[57]. En tenant compte de possibles barrières linguistiques, nous pouvons soupçonner qu’il puisse être difficile pour les immigrants de s’y retrouver sur le marché canadien et de bien saisir leurs droits en tant que consommateurs si de telles informations ne leur sont pas facilement accessibles[58].
Outre ces facteurs structurels permettant de décrire le comportement des Canadiens en matière de consommation, leur niveau d’endettement a également évolué. Si la proportion de Canadiens endettés est demeurée sensiblement la même entre 1984 et 1999, la valeur moyenne de l’endettement a plus que doublé[59]. De plus, si l’endettement hypothécaire demeure la principale forme d’endettement et celle qui a le plus contribué à son augmentation[60], le recours aux marges de crédit personnelles[61] et à l’endettement sur carte de crédit s’est accru[62]. De plus, les consommateurs canadiens utilisent de plus en plus d’autres services financiers d’urgence, tels que la conversion de chèques en espèces et les prêts à court terme remboursables le jour de la paie[63].
Cet élargissement de la gamme des moyens de crédit à la consommation entraîne une concurrence accrue sur le marché des services financiers. Si les institutions de crédit désirent généralement faire affaire avec des clients dont la cote de crédit est bonne, l’utilisation de données pointues sur le comportement des individus en matière de finances personnelles et de crédit permet à ces institutions d’offrir leurs services à des clients présentant de plus grands risques de crédit. Du point de vue des consommateurs, la souplesse financière supplémentaire que leur procure cet accès facile à une large gamme de sources de crédit peut être appréciée lors de temps difficiles sur le plan personnel ou professionnel[64]. Or, elle implique aussi un risque d’accumuler plus de dettes et de rendre difficile la gestion des finances personnelles. Il existe d’ailleurs une corrélation entre la facilité croissante d’accès au crédit, pour emprunter des montants toujours plus importants, et les faillites de consommateurs[65]. De plus, ces sources de crédit à court terme et non garanties, bien que faciles d’accès en apparence, présentent néanmoins des conditions d’obtention généralement plus onéreuses. Elles sont surtout soumises à des taux d’intérêt élevés[66]. Nous pouvons donc nous demander si les consommateurs qui choisissent d’avoir recours à ces formes de crédit sont renseignés sur l’existence de solutions possiblement plus avantageuses pour la gestion de leurs dettes courantes[67].
Par ailleurs, les citoyens canadiens sont de plus en plus instruits, ce qui devrait se traduire par des comportements de consommation plus rationnels[68]. Les consommateurs canadiens ne disposent pas toujours pour autant de toutes les compétences nécessaires pour prendre des décisions de consommation et de crédit éclairées. Dans la mesure où les politiques de protection des consommateurs, notamment dans le secteur des services financiers, reposent en grande partie sur le principe de divulgation, il est nécessaire que les consommateurs aient accès à ces informations et puissent les décoder. Les initiatives législatives et réglementaires visant à encadrer les pratiques commerciales en matière de crédit peuvent avoir un impact sur les habitudes (et donc la culture) des consommateurs en ces matières. Tout changement dans les habitudes de consommation et de crédit devrait aussi reposer sur des bases structurelles solides prenant la forme, par exemple, de programmes éducatifs en matière de consommation s’adressant aux enfants, dès leur jeune âge[69]. Dans un contexte de libre marché et face à la publicité intensive à laquelle sont soumis les consommateurs, de tels changements culturels risquent toutefois de prendre plusieurs années avant de prendre forme[70].
Conclusion
Force est d’admettre que le tableau que nous avons dressé ci-dessus, à grand renfort de statistiques, est essentiellement statique. Or, tant le droit que la société évoluent constamment. En introduction, nous nous demandions si un système juridique est le reflet de la culture de la société dont il émane ou si au contraire le droit est lui-même un facteur contribuant à forger la culture de cette société. Dans la mesure où une telle relation entre le droit, la culture et les valeurs individuelles et collectives existe, une telle influence nous apparaît subtile. Pourtant, si cette influence se distille lentement, elle est néanmoins réelle et aboutit à des résultats tangibles et durables. Sinon, comment expliquer des différences aussi marquées entre le Québec et les autres régions canadiennes, alors que les éléments du corpus juridique de ces territoires se rapportant aux institutions de crédit et à la faillite sont à toutes fins pratiques identiques ?
En soulignant les différences pouvant exister entre le Québec et les autres provinces canadiennes quant aux habitudes de crédit et au rôle respectif des différentes institutions de crédit, nous n’avons pas cherché à établir une relation de cause à effet entre l’état du droit en ces matières et les différences culturelles perceptibles entre les différentes régions du Canada. Du reste, de telles différences, bien que réelles, sont difficilement quantifiables. À ce sujet, le recours à des données statistiques constitue néanmoins, selon nous, un moyen d’appréhender plus facilement une réalité sous-jacente difficilement saisissable pour le juriste positiviste. Une telle difficulté nous apparaît particulièrement aiguë dans un contexte de droit comparé, où le droit doit se rattacher à un territoire, alors même que la culture est essentiellement «déterritorialisée»[71]. Le triple clivage évoqué, entre le niveau fédéral et provincial, entre le droit civil et la common law et entre les régions canadiennes à prédominance anglaise et celles à prédominance française, nous semble donc approprié pour aborder les différences juridiques et culturelles caractérisant le Canada.
Nous sommes conscients que la culture transcende les frontières géopolitiques. Malgré ses avantages pratiques indéniables, le recours à des données statistiques, elles-mêmes fortement liées à un territoire, permet difficilement de saisir les subtilités culturelles d’une population occupant un territoire aussi vaste que celui du Canada. Une piste de recherche intéressante à envisager serait de dépasser le carcan imposé par ce triple clivage et de considérer la manière dont les institutions de crédit peuvent être appelées à jouer un rôle différent dans une même province, par exemple au Québec, à travers ses différentes régions. De même, il serait opportun de considérer les différences dans l’application des règles relatives à la faillite et à l’insolvabilité en fonction de variables socioculturelles plus fines, telles que le sexe ou le statut social. Si des recherches préliminaires laissent à penser qu’il y a eu un changement d’attitude dans la société canadienne par rapport à la faillite, d’autres études seront nécessaires afin de cerner l’impact d’un certain nombre de variables sur l’insolvabilité, telles que l’expansion du crédit à la consommation et la dissolution des unités familiales à la suite d’un divorce ou d’une séparation. Pour le moment, de telles recherches dépassent largement le cadre du présent rapport, sans compter qu’elles donneront lieu à leurs propres difficultés méthodologiques, dues notamment à la rareté de données empiriques.
Parties annexes
Notes
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[*]
Ce texte a été originalement produit comme rapport national des Journées louisianaises de l’Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, qui se sont tenues à Bâton-Rouge et à la Nouvelle-Orléans en mai 2008. Ce colloque avait pour thème le rapport entre la culture de la Louisiane et son droit. Il s’agissait donc de discuter des relations de cause à effet entre la culture et le droit actuel de cet État américain. La rencontre avait également pour objectif d’élargir le débat et de comparer ces relations, vraisemblablement subtiles, entre les différents pays participants en tenant compte des éléments culturels à la base du droit de chacun de ces États.
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[1]
Voir par ex. H.L.A. Hart, «Positivism and the Separation of Law and Morals» (1958) 71 Harv. L. Rev. 593 ; Lon L. Fuller, «Positivism and Fidelity to Law — A Reply to Professor Hart» (1958) 71 Harv. L. Rev. 630.
-
[2]
Le pouvoir de légiférer en matière de banques appartient au Parlement fédéral en vertu de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3, reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 5. Les provinces peuvent promulguer des lois relatives aux institutions financières autres que les banques en vertu de leur pouvoir de légiférer en matière de propriété et droits civils prévu à l’article 92 de cette même loi.
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[3]
Voir notamment Loi sur les banques, L.C. 1991, c. 46. Modifiée et mise à jour régulièrement, cette loi fédérale fut adoptée à l’origine en 1871. Elle régit l’exercice des activités des banques au Canada et donne le pouvoir au gouvernement fédéral de réglementer le secteur bancaire. Par ailleurs, directement ou par l’entremise de filiales, les banques canadiennes ont été amenées à offrir des services de fiducies et à effectuer des opérations de valeurs mobilières, domaines régis par des lois provinciales. Une telle évolution a notamment été permise par le décloisonnement des institutions financières : avant 1991, le droit canadien établissait une cloison étanche entre les activités des banques, des sociétés d’assurance, des maisons de courtage, des coopératives et des sociétés de fiducie. La modification de la Loi sur les banques en 1991 a permis aux banques canadiennes d’offrir à leurs clients de nouveaux produits, comme des assurances ou des services de courtage en valeurs mobilières.
-
[4]
Voir par ex. Loi sur les assurances, L.R.Q. c. A-32 ; Loi sur les coopératives de services financiers, L.R.Q. c. C-67.3.
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[5]
Au Québec, si le Code civil demeure la loi fondamentale du droit privé, ce dernier est aussi composé d’une multitude de lois particulières. Il en va de même dans les autres provinces où l’élaboration jurisprudentielle des principes fondamentaux de common law doit être appréciée à la lumière des règles de droit privé à caractère législatif ou réglementaire.
-
[6]
Plusieurs études ont démontré l’existence d’un lien entre la tradition juridique d’un pays et la taille relative de son marché financier. Ainsi, selon le courant de recherche appartenant à la théorie juridico-financière (traduction de law and finance theory), les pays appartenant à la tradition de common law se caractérisent par la présence de marchés boursiers importants. Le financement au moyen de placements publics de valeurs mobilières y est le moyen privilégié de financement et un nombre élevé d’investisseurs détiennent les titres des différents émetteurs. À l’inverse, dans les pays appartenant à la tradition civiliste, le système bancaire est comparativement plus développé que le marché des valeurs mobilières et l’endettement bancaire semble constituer la source privilégiée de financement des entreprises. Outre leur rôle de bailleurs de fonds, les banques y sont aussi impliquées dans la gouvernance des entreprises qu’elles contribuent à financer. Voir par ex. Asli Demirgüç-Kunt et Ross Levine, «Bank-Based and Market-Based Financial Systems: Cross-Country Comparison» dans Asli Demirgüç-Kunt et Ross Levine, dir., Financial Structure and Economic Growth: A Cross-Country Comparison of Banks, Markets, and Development, Cambridge, Massachusetts Institute of Technology Press, 2001, 81 ; Rafael La Porta et al., «Legal Determinants of External Finance» (1997) 52 J. Fin. 1131 ; Rafael La Porta et al., «Law and Finance» (1998) 106 J. Pol. Econ. 1113 ; Amir N. Licht, «International Diversity in Securities Regulation: Roadblocks on the Way to Convergence» (1998) 20 Cardozo L. Rev. 227 ; Amir N. Licht, Chanan Goldschmidt et Shalom H. Schwartz, «Culture, Law, and Corporate Governance» (2005) 25 Int’l Rev. L. & Econ. 229. Au Canada, les entreprises québécoises cotées en bourse se distinguent des sociétés du reste du Canada par le fait que leurs actions sont concentrées entre les mains d’un actionnaire dominant. De tels résultats concordent avec les hypothèses de la théorie juridico-financière, qui démontrent une plus grande concentration de l’actionnariat dans les pays de tradition civiliste. Voir Yves Bozec, Stéphane Rousseau et Claude Laurin, «L’incidence de l’environnement juridique sur la structure de propriété des sociétés canadiennes cotées : la théorie juridico-financière revisitée» (30 mars 2006), en ligne : Chaire en droit des affaires et du commerce international, Université de Montréal <http://www.droitdesaffaires.org/pdf/incidence_environnement.pdf>. L’environnement juridique du Québec présente donc un caractère unique du fait de son appartenance à la tradition civiliste à l’intérieur d’un pays où les autres provinces sont de tradition de common law. Toutefois, outre l’étude précitée, nous ne connaissons aucune autre recherche cherchant à démontrer l’incidence de cette particularité sur le fonctionnement et le rôle des banques et des institutions de crédit, notamment auprès des sociétés privées et des particuliers.
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[7]
Le caractère francophone du Québec est un élément distinctif de sa culture et est enchâssé à l’article 1 de la Charte de la langue française, L.R.Q. c. C-11, qui fait du français la langue officielle du Québec. La langue française constitue l’un des «principaux éléments d’une “culture publique commune” ou d’un “cadre civique commun” qui a permis d’instaurer jusqu’ici une vie collective raisonnablement harmonieuse». Voir Québec, Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, Fonder l’avenir : Le temps de la conciliation par Gérard Bouchard et Charles Taylor, Québec, Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, 2008 à la p. 109.
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[8]
Voir par ex. Martin Bisaillon, «Les Québécois ont-ils peur de la richesse ?» (28 avril 2006), en ligne : Canoë <http://www.canoe.com/cgi-bin/imprimer.cgi?id=230350>.
-
[9]
Cette concurrence est d’autant plus grande que ces institutions ont des activités mixtes. Par exemple, les banques sont non seulement en concurrence entre elles, mais aussi avec d’autres institutions financières dans différents secteurs financiers, tels que les assurances, les fiducies et le courtage en valeurs mobilières.
-
[10]
Canada, Ministère des Finances Canada, «Le secteur des services financiers canadien : les banques du Canada» (août 2001), en ligne : Ministère des Finances Canada <http://www.fin.gc.ca/toc/2001/bank-fra.asp>.
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[11]
Ibid. Ces six banques sont la Banque Royale, la Banque Scotia, la Banque de Montréal, la Banque CIBC, la Banque TD Canada Trust et la Banque Nationale.
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[12]
Association des banquiers canadiens, «La référence bancaire au Canada» (2009), en ligne : <http://www.cba.ca>.
-
[13]
Statistique Canada, «Enquête auprès des fournisseurs de services de financement aux entreprises» (4 décembre 2006), en ligne : Statistique Canada <http://www.statcan.gc.ca>.
-
[14]
Ibid.
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[15]
Industrie Canada, Profils de financement des petites entreprises : les petites et moyennes entreprises du Québec par Allan Riding et Barbara Orser, Ottawa, Industrie Canada, 2007 [Riding et Orser, Québec] ; Industrie Canada, Profils de financement des petites entreprises : les petites et moyennes entreprises de l’Ontario par Allan Riding et Barbara Orser, Ottawa, Industrie Canada, 2007.
-
[16]
Statistique Canada, supra note 13.
-
[17]
Malgré l’importance de sa population, le Québec n’est pas la province canadienne comptant le plus grand nombre d’entreprises. De plus, la plupart des entreprises qui s’y trouvent sont des PME. Ce n’est pas non plus la province où le plus d’entreprise sont créées. En effet, le taux de formation d’entreprises y est inférieur à la moyenne canadienne, avec 62,5 établissements par millier d’habitants, par rapport à 71,5 établissements par millier d’habitants pour l’ensemble du pays. Voir Riding et Orser, Québec, supra note 15 à la p. 2.
Les PME sont généralement des exploitations commerciales à but lucratif. Toutefois, malgré leur prédominance, le rôle des entreprises à but non lucratif et des organismes publics dans le fonctionnement de l’économie n’est pas négligeable, notamment au Québec. Pour avoir une idée plus précise du profil de fonctionnement du crédit et des institutions de financement au Canada, il serait nécessaire de considérer les modes de financement de ces organisations, ce qui dépasse l’objet du présent rapport.
-
[18]
S’il nous semble inévitable de tenir compte du clivage linguistique, nous sommes conscients que le fait français au Canada dépasse les limites territoriales du Québec. Par conséquent, il n’existe pas nécessairement de relation directe et linéaire entre l’importance relative des banques et des autres institutions financières à travers le pays et le profil linguistique de la population sur un territoire donné à l’intérieur du Canada.
-
[19]
La recherche effectuée dans le cadre de la théorie juridico-financière a permis d’établir l’existence d’un lien entre l’appartenance d’un État à une tradition juridique et le développement des marchés financiers dans cet État. Voir supra note 6. Toutefois, à la lumière de la doctrine disponible, la théorie juridico-financière ne permet pas d’expliquer l’importance relative des banques et des autres formes d’institutions financières de dépôt et de crédit tellese les coopératives financières. Ainsi, le fait que le droit québécois tire ses origines du droit civil ne permet pas nécessairement d’expliquer pourquoi les coopératives financières semblent tenir le haut du pavé par rapport aux banques au sein de la province.
-
[20]
À ce sujet, voir par ex. Aline Grenon, «La protection du consommateur et les sûretés mobilières au Québec et en Ontario : “solutions” distinctes ?» (2001) 80 R. du B. can. 917.
-
[21]
Branko Matić et Hrvoje Serdarušić, «Models of Including Financially Inactive Population Into the Financial System» (2008) 4 Interdisciplinary Management Research 296, en ligne : Social Science Research Network <http://ssrn.com/abstract=1265648>. Au Québec, les coopératives financières sont régies par la Loi sur les coopératives de services financiers,supra note 4. En vertu de l’article 1 de cette loi, une coopérative de services financiers se définit comme «une personne morale regroupant des personnes qui ont des besoins économiques communs et qui, en vue de les satisfaire, s’associent pour former une institution de dépôts et de services financiers».
-
[22]
Loi sur les banques, supra note 3, art. 15 : «La banque a, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, la capacité d’une personne physique» ; Loi sur les coopératives de services financiers,ibid., art. 1.
-
[23]
La Loi sur les banques, ibid., art. 372 et s., limite la capacité des actionnaires d’une banque de détenir un intérêt substantiel dans une catégorie quelconque d’actions émises par cette dernière.
-
[24]
Loi sur les coopératives de services financiers, supra note 4, art. 4. En vertu de l’article 5 de cette loi, «[u]ne coopérative de services financiers a pour mission : 1° de recevoir de ses membres des dépôts en vue de les faire fructifier». Seuls les membres d’une coopérative peuvent y détenir un compte et y faire des dépôts. Toutefois, le droit de vote de chaque membre ne dépend pas de l’importance de ces derniers. Dans le cas d’une banque, au contraire, un actionnaire n’est pas nécessairement un déposant et vice versa. Outre les droits que lui accorde la Loi sur les banques, supra note 3, un déposant ne détient aucun contrôle sur la banque dans laquelle il effectue un dépôt d’argent. En revanche, en tant qu’actionnaire, le contrôle que peut exercer une personne sur le fonctionnement d’une banque par l’exercice de son droit de vote ne se limite pas à une voix et sera plutôt fonction du nombre d’actions détenues par cette personne, donc du montant investi pour acquérir ses actions.
-
[25]
Martin Desrochers et Klaus P. Fisher, «Theory and Test on the Corporate Governance of Financial Cooperative Systems: Mergers vs. Networks», Cahier de recherche/Working Paper 03-34, Centre interuniversitaire sur le risque, les politiques économiques et l’emploi (septembre 2003), en ligne : Centre interuniversitaire sur le risque, les politiques économiques et l’emploi <http://132.203.59.36/CIRPEE/cahierscirpee/2003/files/CIRPEE03-34.pdf>. Les coopératives, qu’elles soient financières ou non, ne sont pas différentes des autres personnes morales dans la mesure où il est susceptible d’exister des conflits entre les objectifs de l’entreprise et des actionnaires (ou des membres) et les objectifs personnels des dirigeants.
-
[26]
Ibid. Les coopératives financières se rapprochent des banques canadiennes, qui se distinguent des banques aux États-Unis, dont le droit a limité l’expansion territoriale et la taille. Au Canada, au contraire, le droit a favorisé l’établissement des banques d’un océan à l’autre, ce qui leur a permis de se développer au point d’atteindre une taille optimale. Les coopératives financières, grâce à leur appartenance à un réseau, ont également pu se développer et se maintenir, bien qu’à une échelle réduite et sur un territoire plus petit. Sur les différences de philosophie entre le droit américain et canadien en matière de réglementation de l’industrie bancaire, voir par ex. Christopher Nicholls, «The Characteristics of Canada’s Capital Markets and the Illustrative Case of Canada’s Legislative Regulatory Response to Sarbanes-Oxley» dans Canada Steps Up, Maintaining a Competitive Capital Market in Canada, vol. 4, Toronto, Task Force to Modernize Securities Legislation in Canada, 2006, 127.
-
[27]
Les statistiques fournies ci-dessus se rapportent aux moyens de financement utilisés par les entreprises, en particulier les PME. Nous ne pouvons rapporter de statistiques similaires concernant le rôle respectif des banques et des coopératives de crédit dans l’offre de crédit aux particuliers. Signalons toutefois que les caisses populaires et les coopératives de crédit figurent au deuxième rang des plus importantes sources de prêts hypothécaires à l’habitation au Canada après les banques. Voir Statistique Canada, «Les coopératives de crédit» (24 juin 2004), en ligne : Statistique Canada <http://www43.statcan.ca/03/03e/03e_001c_f.htm>.
-
[28]
Si les coopératives de crédit jouent un rôle prédominant comme bailleurs de fonds aux commerçants et aux particuliers, elles sont aussi fortement présentes en matière de dépôt. À défaut de pouvoir fournir des statistiques interprovinciales à ce sujet, au Québec seulement, plus de 70 pour cent de la population est membre d’une caisse populaire ou d’une coopérative de crédit. De plus, ces sociétés dominent le marché dans la province quant à la valeur des dépôts, avec environ 40 pour cent de l’actif des institutions de dépôt. Bien que chaque épargnant puisse déposer des fonds dans plusieurs institutions financières, cela illustre bien l’importance des coopératives dans la province. Voir Canada, Ministère des Finances Canada, «Les caisses populaires et les coopératives de crédit du Canada» (mars 2003), en ligne : Ministère des Finances Canada <http://www.fin.gc.ca/toc/2003/ccu_-fra.asp>.
-
[29]
Le Mouvement Desjardins énonce d’ailleurs que «[l]es valeurs fondamentales des coopératives sont la prise en charge et la responsabilité personnelles et mutuelles, la démocratie, l’égalité, l’équité et la solidarité. Les membres des coopératives adhèrent à une éthique fondée sur l’honnêteté, la transparence, la responsabilité sociale et l’altruisme». Voir Desjardins, «Qu’est-ce qu’une coopérative ?» (2009), en ligne : Desjardins <http://www.desjardins.com/fr/a_propos/qui-nous-sommes/fonctionnement-cooperatif/cooperative>.
-
[30]
La présidente du Mouvement Desjardins, Monique Leroux, en appelait récemment à une plus grande décentralisation du processus décisionnel au sein de cette institution financière. Un tel processus constituerait un renversement des tentatives de réingénierie auxquelles ce mouvement coopératif québécois s’est livré au cours des dernières années. Cette réorganisation a culminé en 2001 par la création d’une fédération unique, qui a remplacé les dix fédérations régionales des caisses populaires et la fédération provinciale des caisses d’économie Desjardins.
-
[31]
À ce sujet, voir par ex. Gilles Lipovetsky, Métamorphoses de la culture libérale : Éthique, médias, entreprise, Montréal, Liber, 2002 aux pp. 23-27. Selon l’auteur, si l’individualisme n’est pas nouveau, son influence s’intensifie néanmoins dans la société depuis quelques années.
-
[32]
Paul-Émile Bilodeau, Précis de la faillite et de l’insolvabilité, 2e éd., Brossard (Qc), CCH, 2004 à la p. 13.
-
[33]
Canada, Bureau du surintendant des faillites Canada, Un survol des statistiques sur l’insolvabilité au Canada jusqu’à 2006, Ottawa, Industrie Canada, 2007 à la p. 19.
-
[34]
Canada, Bureau de la consommation du Canada, Rapport sur les tendances en consommation : Document de recherche d’Industrie Canada, Ottawa, Industrie Canada, 2005 à la p. 157.
-
[35]
Supra note 33 à la p. 23.
-
[36]
Bilodeau, supra note 32 à la p. 13.
-
[37]
Voir par ex. Judge Edith H. Jones et Todd J. Zywicki, «It’s Time for Means-Testing» [1999] B.Y.U.L. Rev. 177 ; Todd J. Zywicki, «An Economic Analysis of the Consumer Bankruptcy Crisis» (2005) 99 Nw. U.L. Rev. 1463.
-
[38]
De tels arguments auraient été invoqués par des politiciens américains afin de justifier des modifications à la législation américaine visant à rendre moins accessible la procédure de faillite et à rendre plus lourdes les obligations incombant aux débiteurs cherchant à être libérés de leurs dettes. Voir par ex. Jean Braucher, «Increasing Uniformity in Consumer Bankruptcy: Means Testing as a Distraction and the National Bankruptcy Review Commission’s Proposals as a Starting Point» (1998) 6 Am. Bankr. Inst. L. Rev. 1.
-
[39]
Voir supra note 7 et texte correspondant.
-
[40]
Voir supra note 2, 6 et texte correspondant.
-
[41]
Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B-3.
-
[42]
La relation entre le droit civil et le droit de la faillite entraîne surtout des problèmes d’interprétation, lesquels ont été en partie réglés par l’adoption de la Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, c. 4. Si certains subsistent, ils sont peu susceptibles de transformer de façon radicale les rapports entre créanciers et débiteurs, au point où les premiers disposeraient de moins de recours contre les seconds dans un dossier de faillite se déroulant au Québec. À propos des problèmes d’interprétation soulevés par la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, ibid., voir par ex. Groupe du bijuridisme et des services d’appui à la rédaction, Direction des services législatifs, Ministère de la Justice Canada, «Présentation des propositions d’harmonisation de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité avec le droit civil québécois» (2003) 37 R.J.T. 19 ; Canada, Ministère de la Justice Canada, «L’harmonisation de la législation fédérale en matière de faillite et d’insolvabilité avec le droit civil de la province de Québec : quelques problématiques» par Alain Vauclair et Martin-François Parent dans L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Ottawa, Ministère de la Justice Canada, 2003.
-
[43]
Cette relation n’est pas nécessairement linéaire et directe dans la mesure où, par exemple, des changements dans le comportement des ménages en matière de crédit précèdent parfois les changements législatifs et structurels visant ces mêmes comportements. Voir Jason J. Kilborn, «The Innovative German Approach to Consumer Debt Relief: Revolutionary Changes in German Law, and Surprising Lessons for the United States» (2004) 24 Nw. J. Int’l L. & Bus. 257. Kilborn fait remarquer que la croissance du niveau de surendettement de la population allemande a précédé les modifications législatives visant à faciliter la libération des débiteurs insolvables au moyen de la procédure de faillite. Ces modifications législatives ne seraient donc pas totalement responsables de l’accroissement de l’endettement et du nombre de faillites personnelles.
-
[44]
Des facteurs psychologiques peuvent aussi expliquer la tendance des individus au surendettement. Des biais cognitifs peuvent les amener à sous-estimer leur niveau réel d’endettement et les conséquences qui s’y rattachent. Selon certains auteurs, dans la mesure où ces biais cognitifs individuels ne peuvent être corrigés individuellement et collectivement, ils pourraient constituer une caractéristique culturelle d’une population. Voir Jason J. Kilborn, «Behavioral Economics, Overindebtedness & Comparative Consumer Bankruptcy: Searching for Causes and Evaluating Solutions» (2005) 22 Bankr. Dev. J. 13. L’auteur suggère que le droit de la faillite est généralement mal adapté pour contrer les biais cognitifs entraînant un niveau excessif d’endettement.
-
[45]
Jean Braucher, «Theories of Overindebtedness: Interaction of Structure and Culture» (2006) 7 Theor. Inq. L. 323 [Braucher, «Theories»]. Selon Braucher, la dérégulation des taux d’intérêt aux États-Unis a permis aux institutions de crédit de se concurrencer en offrant des prêts à des taux avantageux à des couches souvent défavorisées de la population attirées par des techniques de marketing sophistiquées. Cette façon de faire devient rentable dès lors que les créanciers sont en mesure d’obtenir le remboursement de leurs créances à l’aide de moyens de plus en plus agressifs de reprise de possession, par exemple dans le cas de ventes à crédit.
-
[46]
Nicholls, supra note 26. Aux États-Unis, il existe un phénomène de recours aux subprimes, c’est-à-dire aux prêts hypothécaires où le montant dépasse souvent la valeur de l’immeuble donné en garantie. Au Canada, en revanche, les établissements de crédit, du moins ceux relevant du pouvoir législatif fédéral, ne peuvent accorder des prêts hypothécaires si le montant du prêt dépasse 80 pour cent de la valeur de la propriété ou si la mise de fonds est inférieure à 20 pour cent du prix d’achat, à moins que ce prêt ne fasse l’objet d’une assurance prêt hypothécaire. Voir Société canadienne d’hypothèques et de logement, «Qui a besoin d’une assurance prêt hypothécaire ?» (2009), en ligne : Société canadienne d’hypothèques et de logement <http://cmhc-schl.gc.ca/fr/co/asrphy/asrphy_002. cfm>.
-
[47]
Voir par ex. Règlement sur le coût d’emprunt (banques) D.O.R.S./2001-101. Les techniques de recouvrement utilisées par les créanciers sont aussi fort réglementées au Canada et en particulier au Québec. Voir par ex. Loi sur le recouvrement de certaines créances, L.R.Q. c. R-2.2.
-
[48]
Voir par ex. Richard V. Burkhauser et al., «How Exits from the Labor Force or Death Impact Household Incomes: A Four Country Comparison of Public and Private Income Support», Working Paper WP 2002-33, Retirement Research Center, University of Michigan (juillet 2002), en ligne : <http://www.mrrc.isr.umich.edu/publications/Papers/pdf/wp033.pdf>. Selon cette étude, les personnes au chômage au Canada voient une plus grande partie de leurs revenus être maintenue par des programmes publics de maintien du revenu que les personnes au statut personnel comparable (âge, sexe, situation familiale) résidant aux États-Unis. En outre, les généreux programmes sociaux canadiens favoriseraient un retour plus rapide sur le marché du travail.
-
[49]
Au Canada, il existe un partage des rôles et des responsabilités entre le gouvernement fédéral et les administrations provinciales et territoriales dans l’organisation du système de soins de santé. En vertu de la Loi canadienne sur la santé, L.R.C. 1985, c. C-6, le rôle du gouvernement fédéral est d’établir et d’appliquer des principes nationaux pour le système de soins de santé. L’art. 10 de la loi exige que tous les résidents de chaque province aient accès à l’assurance-santé publique et aux services assurés selon des modalités uniformes. De plus, en vertu de l’art. 8, le régime provincial d’assurance-santé doit être géré par une autorité publique sans but lucratif nommée ou désignée par le gouvernement de chaque province canadienne. En principe, selon l’art. 12, aucun obstacle, direct ou indirect, tel que la facturation des services reçus aux personnes bénéficiant du régime public de soins de santé, ne doit limiter l’accès de ces derniers à de tels services. Sur le partage constitutionnel des compétences législatives en matière de santé, voir par ex. Commission sur l’avenir des soins de santé au Canada, La santé et le partage des compétences au Canada, étude no 2 par André Braën, Ottawa, Gouvernement du Canada, 2002. Sur les enjeux politiques et financiers du principe d’universalité des soins de santé au Canada, voir par ex. Bibliothèque du Parlement, La Loi canadienne sur la santé : aperçu et options par Odette Madore, Ottawa, Bibliothèque du Parlement (2005), en ligne : Bibliothèque du Parlement <http://parl.gc.ca/information/library/PRBpubs/944-f.pdf>.
-
[50]
Par exemple, malgré le caractère public et universel des soins de santé au Canada, les ménages doivent payer pour les services qui ne sont pas couverts par le régime public d’assurance maladie, tels que les produits médicaux et pharmaceutiques prescrits et les services dentaires. Or, le coût de ces produits et services a tendance à augmenter au Canada, tant en valeur absolue qu’en pourcentage des dépenses totales des ménages. Voir Bureau de la consommation, supra note 34 à la p. 206.
-
[51]
Braucher, «Theories», supra note 45.
-
[52]
Voir Bureau de la consommation (supra note 34 aux pp. 89-92) pour une discussion sur l’accroissement du nombre de consommateurs âgés et les caractéristiques socioéconomiques influençant leur vulnérabilité face à la fraude marchande.
-
[53]
Ibid. à la p. 93.
-
[54]
Voir par ex. Statistique Canada, La diversification de la vie conjugale au Canada (Enquête sociale générale — Cycle 15), Ottawa, Ministre de l’Industrie, 2002, pour un portrait de l’instabilité croissante des unions conjugales.
-
[55]
Bureau de la consommation, supra note 34 à la p. 95.
-
[56]
Ibid. à la p. 98.
-
[57]
Voir Statistique Canada, Portrait ethnoculturel du Canada : une mosaïque en évolution (Recensement de 2001 : série «Analyses»), Ottawa, Ministre de l’Industrie, 2003, relativement à l’étalement géographique de la population canadienne et à l’influence du caractère urbain ou rural sur les habitudes de consommation et de crédit.
-
[58]
Par exemple, «[q]uelque 16 pour cent des immigrants non européens déclarent mal comprendre leurs droits en tant que consommateurs [...], soit deux fois la moyenne nationale». Voir Bureau de la consommation (supra note 34 à la p. 100).
-
[59]
Ibid. à la p. 143.
-
[60]
Ibid. à la p. 147. Une distinction est généralement établie dans les statistiques relatives au crédit et à l’endettement entre les dettes garanties (par ex. les prêts hypothécaires) et les dettes non garanties (par ex. les cartes de crédit).
-
[61]
Depuis une dizaine d’années, les consommateurs canadiens utilisent de manière croissante des marges de crédit personnelles. De plus, les soldes de ces marges de crédit augmentent davantage que celles des autres formes de crédit (ibid. à la p. 152).
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[62]
Au cours des deux dernières décennies, le nombre de cartes de crédit a quintuplé, passant de 10,8 millions d’unités en 1980 à quelque 50 millions en 2003. De plus, en dix ans, le crédit moyen par carte de crédit a doublé, passant de 796 $ en 1992 à 1553 $ en 2002. Ibid. à la p. 153.
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[63]
À défaut de données sur l’importance du crédit obtenu par l’entremise de ce genre de services, des statistiques quant au nombre d’établissements offrant ce type de services au Canada indiquent que ce mode de financement connaît une popularité croissante. Ainsi, Money Mart, un des plus importants fournisseurs de services de conversion de chèques en espèces, est passé de cent succursales en 1994 à près de trois cents en 2003 (ibid. à la p. 156).
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[64]
Par exemple, les cartes de crédit servent souvent de «prêteur de dernier recours» en cas de difficultés financières (ibid. à la p. 154).
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[65]
Ibid. à la p. 159.
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[66]
Les prêts sur salaire et les services de conversion de chèques en espèces, notamment, constituent généralement les façons d’emprunter les plus onéreuses pour les consommateurs. Ainsi, un prêt sur salaire peut être assorti d’un taux d’intérêt de 390 pour cent à 650 pour cent (ibid. à la p. 156).
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[67]
Peu de consommateurs connaissent le taux d’intérêt qu’ils sont tenus de payer sur leurs cartes de crédit. Ils ignorent des données essentielles concernant le mode de calcul de ces intérêts, la durée des éventuels délais de grâce ou le montant des droits annuels qu’ils doivent payer pour avoir le droit d’utiliser ces cartes (ibid. à la p. 155).
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[68]
Ibid. à la p. 108 ; Statistique Canada, L’éducation au Canada : viser plus haut (Recensement de 2001 : série «Analyses»), Ottawa, Ministre de l’Industrie, 2003 à la p. 10.
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[69]
Braucher, «Theories», supra note 45.
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[70]
Nous pouvons tracer un parallèle entre, d’une part, les campagnes d’information et d’éducation en matière de consommation et, d’autre part, la publicité contre l’usage du tabac. Le succès des publicités visant la réduction du tabagisme peut en effet s’expliquer par le fait que la population comprend bien l’effet direct du tabagisme sur la santé. En revanche, les dangers liés à la surconsommation ou à un usage inapproprié des moyens de crédit ne semblent pas affecter aussi directement les personnes envers qui ces messages sont dirigés. Par conséquent, de telles campagnes d’information n’arrivent pas nécessairement à changer aussi efficacement les habitudes des consommateurs (ibid. aux pp. 4, 14).
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[71]
Esin Örücü, The Enigma of Comparative Law: Variations on a Theme for the Twenty-First Century, Leiden (The Netherlands), Martinus Nijhoff, 2004 à la p. 131.