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Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent.

François-René de Chateaubriand

La détérioration des ressources naturelles, l’augmentation de la pollution atmosphérique et l’évolution de l’empreinte carbone sont actuellement au coeur des préoccupations sociétales. Le milieu organisationnel est régulièrement stigmatisé pour les contraintes qu’il fait peser sur l’environnement naturel. Stern (2000) a indiqué « qu’une grande partie de l’impact environnemental de l’activité humaine résulte des actions des organisations, et non des individus, ainsi que des décisions organisationnelles concernant la production et la prestation de services, et non de la consommation » (p. 524). Davis et Challenger (2009) affirment, pour leur part, que l’impact environnemental des milieux de travail (par exemple les services, le secteur public et l’industrie) est nettement plus élevé que celui des utilisateurs résidentiels. Une récente recension de la littérature indique que les milieux de travail demeurent encore aujourd’hui significativement moins investigués en comparaison du secteur résidentiel : seulement 14 % des recherches portent sur les comportements écoresponsables en milieu de travail (Yuriev, Dahmen, Paillé, Boiral, & Guillaumie, 2020).

La transition écologique des organisations ne peut être pleinement réalisée sans l’engagement environnemental d’une majorité de leurs employés et cela à tous les niveaux décisionnels (Paul & Nilan, 2012). L’intérêt pour cet engagement environnemental fait l’objet d’une littérature abondante depuis une dizaine d’années. Depuis la première revue de littérature sur les comportements écoresponsables en milieux organisationnels (voir Lo, Peters et Kok, 2012), la liste des déterminants est régulièrement mise à jour et se raffine au fur et à mesure de l’avancement des connaissances (Katz, Rauvola, Rudolph et Zacher, 2022; Norton et al., 2015; Ones, Wiernik, Dilchert et Klein, 2018). Malgré cette abondante littérature, la recherche a négligé de considérer l’influence des variables traditionnellement associées aux conditions de travail, et plus particulièrement les conséquences de la surcharge de travail. Pourtant, il est essentiel de comprendre comment la surcharge de travail peut affecter l’engagement pro-environnemental des employés.

Plus d’un quart des travailleurs canadiens ont déclaré vivre un niveau de stress élevé à extrême sur une base quotidienne (Statistique Canada, 2017). Cette tendance qui s’accentue est causée par un surplus de travail couplé à un manque de temps propices à une augmentation de la fatigue mentale (Kudésia, Pandey & Reina, 2022). Dans cette situation, le désengagement pro-social des employés est une des conséquences néfastes la plus souvent observées (Cropanzano, Rupp & Byrne, 2003). L’effet de la surcharge de travail n’a pas encore été testé empiriquement sur les comportements écoresponsables adoptés par les employés. Toutefois, les bases théoriques ont été discutées. À ce sujet, Bissing-Olson, Fielding, et Iyer (2015) ont postulé que la motivation à agir de manière écoresponsable pouvait être fortement influencée par des facteurs stressants inhérents au contexte de travail, notamment lorsque les employés sont dans l’incapacité de mobiliser ou de recouvrer les ressources personnelles et sociales utilisées dans leur journée de travail. Zacher et Bissing-Olson (2018) ont indiqué qu’un tel contexte conduit les employés à prioriser les tâches requises de leur emploi aux dépens des tâches volontaires même si celles-ci sont associées à des enjeux sociétaux, tels que les comportements écoresponsables. L’objectif de cet article est de répondre à cette lacune en éprouvant empiriquement l’hypothèse de Bissing-Olson et al. (2015) décrite ci-haut.

Les comportements écoresponsables appartiennent à la catégorie des comportements pro-sociaux (Paillé, 2020) et sont reconnus pour contribuer à la performance environnementale aux plans organisationnels (Ciocirlan, 2017) et sociaux (Lamm, Tosti-Kharas, & Williams, 2013). En complément, comme les employés occupant des fonctions managériales sont largement reconnus pour agir comme une ressource clef afin de favoriser l’engagement pro-environnemental des employés (Paillé, Raineri & Boiral, 2019; Robertson & Barling, 2015; Zibarras & Ballinger, 2011), cela pose donc la question suivante : Dans quelle mesure le soutien du supérieur immédiat permet à ses subordonnés de maintenir leurs efforts au-delà du sentiment de fatigue en limitant les conséquences délétères de la surcharge de travail sur les comportements écoresponsables ? Cet article propose d’aborder cette question en testant un modèle de recherche (voir figure 1) qui a pour but d’étudier dans quelle mesure les ressources personnelles (fatigue citoyenne) et sociales (soutien du supérieur) modulent l’effet de la surcharge de travail (facteur de stress) sur les comportements écoresponsables en milieu de travail.

Cet article expose d’abord le cadre théorique, la littérature et les hypothèses de recherche. La méthodologie et les résultats sont ensuite présentés. Enfin, les implications théoriques et managériales sont discutées à la lumière de la littérature pertinente.

Littérature et hypothèses

Cadre théorique

Cette recherche repose sur la théorie de la conservation des ressources (CDR) développée par Hobfoll à partir des années 1990. Doane, Schumm et Hobfoll (2012) la définissent comme « une théorie motivationnelle du stress qui met en lumière le pouvoir des ressources de prédire l’expérience du stress et de la résilience au travers de l’interface complexe des gains et des pertes des ressources » (p. 301). Concrètement, le postulat de la théorie CDR est le suivant : les individus s’efforcent de conserver, de protéger et de régénérer leurs ressources (Hobfoll, 2002). Dans le contexte de la théorie CDR, une ressource se caractérise comme tout ce qu’une personne perçoit dans son environnement de travail qui lui permet d’atteindre ses objectifs (Halbesleben, Neveu, Paustian-Underdahl & Westman, 2014). Dans une journée de travail, les individus peuvent mobiliser deux types de ressources : sociales et personnelles (Hobfoll & Shirom, 2001). Les ressources sociales sont fournies potentiellement par toute personne du milieu organisationnel avec laquelle des interactions sont réalisées durant la journée de travail. Il peut s’agir des collègues proches, des membres de l’équipe de travail et des employés qui détiennent une responsabilité hiérarchique. Les ressources personnelles, quant à elles, sont celles que l’individu peut mobiliser par et pour lui-même en réponse à une demande de son environnement de travail : il peut s’agir de l’autonomie d’action, des compétences, de la latitude ou encore des processus affectifs.

Partant de cette prémisse, la théorie CDR s’appuie sur plusieurs principes clefs. Ces principes sont dérivés d’une longue tradition de recherches empiriques (Doane et al., 2012). Le premier principe est que, pour un individu donné, la ressource perdue a significativement plus d’impact sur sa capacité à engager des efforts subséquents en comparaison d’une ressource gagnée. Le deuxième principe est que, pour éviter toute forme de vulnérabilité associée à la perte d’une ressource, l’employé doit s’efforcer de préserver les ressources qu’il détient pour faire face aux contextes stressants. Le troisième principe est que, par le gain d’une ressource, une personne peut entrer dans une dynamique résiliente, et cela même si la perte d’une ressource impacte substantiellement sa capacité d’agir (Doane et al. reconnaissent le paradoxe de ce troisième principe au regard du premier).

La théorie CDR a été appliquée à de nombreuses situations pour comprendre comment la dynamique entre les ressources personnelles et sociales influence les comportements individuels, tels que les comportements déviants au travail (Penney, Hunter & Perry, 2011), les comportements de citoyenneté organisationnelle (Bolino, Harvey, & Lepine, 2015), les comportements entrepreneuriaux (Lanivich, 2015) et les comportements de retrait au travail (Jin, McDonald & Park, 2018). Dans l’état actuel des recherches, très peu d’études ont appliqué la théorie CDR aux comportements écoresponsables en milieu de travail. Pourtant, la théorie CDR offre un cadre théorique pertinent doté d’un grand potentiel pour analyser quelles ressources permettent aux individus de faire face aux facteurs stressants (ex. : surcharge de travail) dans leur milieu de travail, susceptibles de limiter leur adoption de comportements écoresponsables. En ce sens, lorsqu’un employé est confronté à un contexte de travail stressant, le soutien du supérieur représente une ressource sociale capitale lui permettant d’obtenir de l’aide salutaire en cas de difficulté. Autrement dit, l’employé peut bénéficier du soutien de son supérieur pour éviter de se sentir menacé face à la perte potentielle ou réelle de ses ressources personnelles (Marchand & Vandenberghe, 2015). Les précisions se trouvent ci-dessous.

Définition des variables de la recherche

Comportements écoresponsables

Depuis une dizaine d’années, l’étude des comportements écoresponsables en milieu de travail fait l’objet d’un intérêt soutenu et grandissant. Cet engouement est marqué par l’apparition de nombreuses conceptualisations (Francoeur & Paillé, 2022). Au fil des années, ce domaine de recherche s’est progressivement enrichi d’un grand nombre de comportements écoresponsables qui ont conduit à l’élaboration d’une typologie. Celle-ci a été réalisée à partir d’une vaste enquête auprès d’employés qui occupent différents types d’emploi et qui travaillent dans plusieurs industries en Amérique du Nord et en Europe (Ones et Dilchert, 2012). Cette typologie fait désormais consensus dans la littérature (Norton et al., 2015). Les comportements écoresponsables sont classés dans les cinq catégories suivantes : préserver les ressources, éviter les préjudices écologiques, travailler durablement, prendre des initiatives personnelles et enfin influencer les membres de son organisation. Parallèlement, des enquêtes australiennes (Crosbie et Houghton, 2011) et anglaises (Zibarras et Ballinger, 2011) sur la prévalence des comportements écoresponsables en milieu de travail montrent, sans ambiguïté, que les employés s’engagent presque exclusivement dans des comportements classés dans la catégorie « préserver les ressources », tels que la réduction de la consommation de l’énergie. Ces comportements sont décrits comme des comportements de citoyenneté environnementale que Lamm, Tosti-Kharas et Williams (2013) définissent comme des « comportements volontaires non spécifiés dans les descriptions de postes officiels qui, grâce aux efforts combinés des employés, contribuent à rendre l’organisation et/ou la société plus durable » (p. 165). Ces comportements présentent des caractéristiques similaires à celles des comportements de citoyenneté organisationnelle (Organ, 1988); ils sont le plus souvent réalisés sur une base volontaire (Francoeur et al., 2021), s’inscrivent dans le périmètre des actes valorisés, mais non explicitement requis (Norton, Parker, Zacher, & Ashkanasy, 2015) et contribuent, au niveau micro, à l’atteinte de la performance environnementale globale (Ciocirlan, 2017).

Cette similarité entre les comportements écoresponsables et ceux de citoyenneté organisationnelle s’explique à la suite de l’article de Daily, Bishop et Govindarajulu (2009) qui propose une des toutes premières définitions des comportements de citoyenneté organisationnelle envers l’environnement. Cette définition reprend les principaux éléments du concept de comportement de citoyenneté organisationnelle (Organ, 1988) dans la mesure où ces comportements sont discrétionnaires et non explicitement requis. À la suite de l’article de Daily et al. (2009), le questionnement concernant la distinction entre les comportements de citoyenneté organisationnelle et ceux envers l’environnement a rapidement émergé. L’importante question était de comprendre l’orientation des efforts individuels envers une cible : organisationnel ou environnemental (Lamm et al., 2013). Il s’agissait donc de savoir si l’organisation et l’environnement sont des cibles de citoyenneté perçues comme concurrentielles. Il a ainsi été démontré que les comportements écoresponsables sont conceptuellement apparentés aux comportements de citoyenneté organisationnelle, mais empiriquement distincts (Paillé & Boiral, 2013).

Dans les milieux organisationnels, les bureaux au sein d’immeubles et les commerces de détail représentent à eux seuls la plus grande consommation d’énergie et d’émissions de CO2 constituant 50 % de la consommation totale d’énergie au sein du secteur commercial (Pérez-Lombard, Ortiz, & Pout, 2008). Pour atténuer la consommation énergétique de ces milieux organisationnels, une possibilité est de s’appuyer sur les habitudes environnementales acquises dans le secteur residentiel. Toutefois, la recherche a établi, depuis de nombreuses années, que les individus sont susceptibles d’agir différemment en fonction des contextes dans lesquels ils se trouvent (Yuriev, Boiral, Francoeur, & Paillé, 2018). Les explications communément admises se rapportent à des raisons économiques. En ce sens, en milieu de travail, la facture énergétique est supportée par l’employeur et non les employées qui, pour leur part, peuvent adopter un comportement plus frugal dans le secteur résidentiel (Lo et al., 2012). Les explications sont également liées à l’existence d’obstacles de nature diverse agissant à différents niveaux organisationnels (Yuriev et al., 2018).

Plusieurs études indépendantes offrent des données convergentes qui montrent que les comportements de préservation d’énergie ont un avantage majeur : ils ne requièrent pas que les organisations disposent d’installations spécifiques afin que les employés s’y investissent (Ones, Wiernik, Dilchert, & Klein, 2018; Zibarras, Judson, & Barnes, 2011). Ils offrent le plus d’autonomie possible à l’employé puisque l’action d’adopter le comportement écoresponsable dépend de l’employé lui-même; il ne requiert pas l’intervention d’une tierce personne (Ciocirlan, 2017; Lo et al., 2012; Ones et al., 2018). Ces principes de base s’appliquent à tous les employés, quels que soient leur emploi et leur fonction (Paillé & Valéau, 2021). En résumé, ces comportements citoyens vont au-delà de la tâche requise (l’employé est libre de les adopter ou non) et requièrent des ressources personnelles et sociales; ces ressources sont présentées ci-dessous.

Soutien environnemental du supérieur

Cantor, Morrow and Montabon (2012) définissent le soutien environnemental du supérieur comme : « la conviction de l’employé que le supérieur lui fournit les ressources et les explications nécessaires pour sa participation aux initiatives environnementales » (p. 37). Cette croyance est principalement fondée sur la perception de la capacité ou de la volonté du supérieur immédiat de fournir une aide matérielle ou émotionnelle à ses subordonnés. Ce type de soutien signale dans quelle mesure le supérieur considère l’environnement comme une question sérieuse. Pour l’employé, cette croyance est le reflet de la cohérence entre le discours tenu par son supérieur immédiat sur les questions écologiques, ses prises de décision et ses actes quotidiens (Wehrmeyer, 2017).

Le soutien environnemental du supérieur a fait l’objet d’une littérature abondante (Lülfs & Hahn, 2014). Ce type de soutien, considéré comme une ressource sociale, s’exprime de multiples façons et peut prendre des formes variables : instrumentale (assistance matérielle et affectation de ressources), informationnelle (partage de savoir-faire et de connaissances tacites), évaluative (donner une rétroaction sur les actions des collaborateurs) ou émotionnelle (écoute, sympathie et attention) (Eisenberger & Stinglhamber, 2011).

Fatigue citoyenne

Bolino, Harvey, et Lepine (2015) définissent la fatigue citoyenne comme « un état dans lequel les employés se sentent épuisés, fatigués ou à bout de nerfs par un comportement de citoyenneté organisationnelle » (p. 57). En d’autres mots, ce concept représente la fatigue de l’employé à l’égard de tâches citoyennes. Qualifier la fatigue de « citoyenne » peut surprendre en première lecture. L’emploi du terme citoyen doit être ici replacé dans le contexte plus large de la littérature sur les comportements de citoyenneté organisationnelle qui décrivent un engagement individuel dans le travail effectué au-delà des taches prescrites, aussi appelés comportement extra-rôles (Organ, Podsakoff, & MacKenzie, 2006). Pour Bolino et Turnley (2005), la fatigue se définit comme citoyenne lorsque les employés poursuivent leurs efforts au travail en puisant dans leurs ressources personnelles malgré leur état d’épuisement. C’est le fait d’aller au-delà de sa tâche prescrite qui peut contribuer à ce sentiment de fatigue citoyenne.

Selon la théorie CDR, la fatigue citoyenne est plus susceptible d’être ressentie lorsque les demandes d’engagement dans les comportements citoyens dépassent les ressources disponibles. Les employés peuvent la ressentir à la suite d’un manque de reconnaissance de leur engagement dans les comportements de citoyenneté, à une rétroaction négative de leur comportement de citoyenneté ou à un investissement trop important dans ce type de comportement (Halbesleben, Harvey, & Bolino, 2009). Dans les faits, la fatigue citoyenne est un état psychologique négatif comprenant les affects et les cognitions (Bolino et al., 2015) et, en l’occurrence, une absence de vigueur (Shirom, 2004). Pour faire écho à la notion de ressource, centrale dans la théorie CDR, la fatigue citoyenne, intrinsèque à l’employé, est une ressource personnelle, mais puisqu’elle résulte d’un état affectif négatif, elle sera considérée ici comme un manque de ressource personnelle. La dernière variable (surcharge de travail) susceptible d’influencer l’adoption de comportements écoresponsables est présentée ci-dessous.

Surcharge de travail

Les sources de stress au travail sont variées : conflit de rôle, ambiguïté de rôle et surcharge de travail (Crawford, Lepine, & Rich, 2010). Des preuves empiriques montrent que la surcharge de travail est l’un des facteurs les plus importants pour expliquer l’émergence de problèmes de stress au travail (Bakker et al., 2004 ; Schaufeli & Salanova, 2011).

La surcharge de travail se définit quantitativement et qualitativement (Karasek, 1979). Dans le premier cas, l’employé est confronté à une trop grande quantité de travail à accomplir en un temps restreint. Dans le deuxième cas, il se sent incapable d’effectuer convenablement son travail parce que les tâches qu’il doit accomplir sont trop complexes. Bolino et al. (2015) distinguent la surcharge de travail de la fatigue citoyenne. La principale distinction est que la surcharge de travail correspond à une situation stressante dans laquelle l’employé a trop de responsabilités pour mener à terme ses tâches alors que la fatigue citoyenne reflète le sentiment que les ressources personnelles d’un individu sont diminuées lorsque celui-ci s’investit dans des tâches citoyennes (Bolino et al., 2015). La surcharge n’est pas directement liée aux comportements de citoyenneté, comme l’est la fatigue citoyenne. Il est possible pour un employé de ressentir une fatigue citoyenne sans souffrir de stress au travail, ce qui n’est généralement pas le cas pour la surcharge de travail (De Clercq, Suhail, Umer Azeem, & Ul Haq, 2019). Les hypothèses de recherches sont présentées, ci-après.

Hypothèses

Effet du soutien environnemental du supérieur sur les comportements écoresponsables

La recherche sur l’écologisation des milieux de travail fournit des résultats récurrents sur l’importance du rôle joué par le supérieur immédiat qui, par ses actions de soutien, crée les conditions favorables pour que ses subordonnés se comportent de manière écoresponsable dans leur travail (Paillé & Francoeur, 2022 ; Ramus & Killmer, 2007). Sur la base de leur revue de la littérature, Robertson et Barling (2015) établissent que le sentiment d’être soutenu sur les questions environnementales par son supérieur accroît l’engagement du salarié dans des comportements écoresponsables. En nous appuyant sur les connaissances actuelles, nous posons l’hypothèse que l’employé est encouragé à adopter des comportements écoresponsables en réponse au soutien environnemental reçu de son supérieur. Ainsi, la première hypothèse est présentée ci-dessous.

Hypothèse 1. Le soutien environnemental du supérieur influence positivement les comportements écoresponsables.

Effet modérateur de la fatigue citoyenne

La deuxième hypothèse propose de tester dans quelle mesure la fatigue citoyenne des employés atténue l’effet du soutien environnemental de leur supérieur sur les comportements écoresponsables. Bolino et al. (2015) ont montré que les employés qui ressentent une fatigue citoyenne ont tendance à réduire leur investissement dans les extra-rôles. En d’autres mots, la fatigue citoyenne a pour effet d’amener un employé à recentrer ses efforts sur les tâches qui font partie du cadre prescrit de son travail (in-rôle) et à se délester de l’obligation d’engager des efforts dans des activités situées au-delà de ses tâches prescrites (extra-rôle). Les théoriciens de la conservation des ressources postulent que les employés peuvent répondre aux exigences de leur milieu de travail en opérant une substitution de ressources entre elles (Hobfoll, 2002). Le manque ou l’absence de ressources personnelles peut être compensé, par exemple, par une ressource sociale (Marchand & Vandenberghe, 2015). Nous avons exposé, ci-haut, que les individus cherchent à préserver leurs ressources personnelles afin de ne pas se sentir fatigués et épuisés en fin de journée (Hobfoll & Shirom, 2011). Ainsi, la fatigue citoyenne nuirait à la capacité de s’engager dans des comportements écoresponsables à moins que le supérieur soutienne l’employé dans son engagement environnemental. Il semble pertinent de supposer que les ressources les moins bien adaptées à la situation (dans notre cas, la fatigue citoyenne) influencent les ressources sociales correspondant le mieux à la situation souhaitée (dans notre cas, le soutien environnemental du supérieur). Par conséquent, nous posons l’hypothèse suivante :

Hypothèse 2. La fatigue citoyenne modère la relation entre le soutien environnemental du supérieur et les comportements écoresponsables. Plus spécifiquement, la relation est plus forte lorsque les employés ressentent une fatigue citoyenne élevée comparativement à une faible fatigue citoyenne.

L’effet contingent de la surcharge de travail sur le rôle modérateur de la fatigue citoyenne

La troisième hypothèse propose de tester si la modération exercée par la fatigue citoyenne dans la relation entre le soutien environnemental du supérieur et les comportements écoresponsables est elle-même influencée par le sentiment d’une surcharge de travail. Bergeron (2007) a indiqué qu’un employé en manque de ressources personnelles peut estimer comme risqué de s’engager dans des comportements qui sortent du cadre prescrit de son travail. Jain et al. (2013) ont suggéré que les comportements effectués au-delà des tâches prescrites nécessitent de la part des employés un investissement important en termes de ressources personnelles difficilement conciliables avec une surcharge de travail. Bowling, Alarcon, Bragg, et Hartman (2015) ont montré que le sentiment d’être surchargé au travail peut affecter les effets du soutien environnemental du supérieur. Si on se base sur les fondements de la théorie CDR, ces résultats suggèrent que le soutien apporté par le supérieur n’est pas en soi suffisant, au point que les employés investissent des ressources personnelles, pour s’engager dans des comportements allant au-delà des tâches prescrites, soit dans des comportements écoresponsables. En nous appuyant sur la littérature présentée précédemment, il apparaît que le soutien environnemental, fourni par le supérieur pour promouvoir les comportements écoresponsables, peut être plus ou moins efficace selon les ressources personnelles disponibles (fatigue citoyenne) et le niveau de stress ressenti (surcharge de travail). En conséquence, il semble cohérent de proposer ce qui suit :

Hypothèse 3. La surcharge de travail conditionne l’effet de modération de la fatigue citoyenne sur la relation entre le soutien environnemental du supérieur et les comportements écoresponsables de ses subordonnés. Plus précisément, l’effet du soutien perçu du supérieur sur les comportements écoresponsables sera plus fort à un niveau de fatigue comparable pour les employés dont la surcharge de travail est faible, indépendamment du niveau ressenti de fatigue citoyenne. Enfin, les trois hypothèses sont présentées dans le modèle de recherche ci-dessous.

Figure 1

Modèle de recherche

Modèle de recherche

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Méthodologie

Échantillon et collecte de données

Pour répondre aux objectifs de recherche présentés ci-haut, une approche quantitative a été privilégiée sous forme de questionnaire. D’abord, le questionnaire utilisé a fait l’objet d’un prétest : il a été envoyé aléatoirement à 15 employés provenant de divers secteurs d’activité. Cette étape a permis de valider la compréhension et la clarté des énoncés contenus dans le questionnaire. Ensuite, pour recruter les participants, nous avons obtenu l’aide du service de placement d’une université canadienne. Celle-ci a accepté d’envoyer un courriel à ses diplômés qui sont sur le marché du travail. Le courriel comprenait les objectifs poursuivis par l’étude, les informations concernant la confidentialité des résultats et un lien URL pour répondre au questionnaire électronique. Pour pouvoir participer, les répondants devaient travailler à temps plein et occuper le même emploi depuis un minimum de trois mois. Les participants ont été invités à remplir un questionnaire comportant les variables de l’étude (c.-à-d. la surcharge de travail, le soutien environnemental du supérieur, la fatigue citoyenne et les comportements écoresponsables). La lettre d’information du questionnaire rappelait qu’il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses et que ce sont généralement les premières impressions qui reflètent le mieux la pensée. Puisque la participation à un questionnaire est volontaire, les répondants avaient le choix d’y mettre fin à tout moment.

Au total, 348 personnes ont participé à l’étude, mais 35 questionnaires ont dû être éliminés, car ils ont été jugés incomplets. L’échantillon final est de 313 employés travaillant en majorité (56 %) dans des grandes organisations (1000 employés et plus). L’âge moyen des répondants est de 39 ans. L’échantillon est majoritairement composé de femmes (65 %) et d’employés syndiqués (54,5 %). 71 % des employés sondés travaillent sous la supervision de leur supérieur depuis plus d’un an (1 à 5 ans = 56 %; 6 à 10 ans = 9,30 %; 11 à 20 ans; 3,70 %; 20 ans et plus = 2 %). Plus précisément, 35 % des employés travaillent dans des universités (parapubliques), 29 % pour des entreprises privées, 26 % pour des administrations publiques (provinciales), 7 % pour des organisations sans but lucratif et 3 % pour des administrations publiques (fédérales).

Mesures

Pour tous les éléments de mesure, une échelle d’intervalle de type Likert de cinq points a été privilégiée allant d’entièrement en désaccord (1) à entièrement d’accord (5). Chaque échelle de mesure a un alpha supérieur à 0,71 et inférieur à 0,93. Les précisions concernant les échelles de mesure et les auteurs les ayant développées et testées se trouvent dans le tableau 1.

Analyse

Le modèle de recherche représenté dans la figure 1 propose de tester une modération modérée qui fait intervenir l’effet de deux variables modératrices sur la relation entre une variable indépendante sur une variable dépendante (Hayes, 2018). Plus précisément, notre modèle de recherche suggère que le soutien environnemental du supérieur (variable indépendante), la surcharge de travail et la fatigue citoyenne (variables modératrices) interagissent entre elles pour induire leur effet sur les comportements écoresponsables (variable dépendante). La MACRO process correspondant au Modèle 3 a été utilisée[1]. Dans notre étude, la surcharge de travail conditionne l’effet modérateur de la fatigue citoyenne sur la relation entre le soutien environnemental du supérieur et les comportements écoresponsables. D’une manière générale, les MACRO process, développées par Hayes, sont basées sur le principe du rééchantillonnage aléatoire avec une remise qui consiste à recréer, à partir de données, un grand nombre d’échantillons (n = 5000 pour notre étude) de tailles équivalentes à celle de l’échantillon initial. Hayes (2018) rappelle que l’effet calculé ne correspond qu’à un point d’estimation. Qu’il soit positif ou négatif, pour être considéré comme significatif, ce point d’estimation doit être différent de zéro. Il doit donc être compris dans un intervalle de confiance qui exclut la valeur zéro, c’est-à-dire dont les valeurs basses et hautes sont toutes les deux positives ou négatives.

Résultats

Vérification de l’analyse de la variance

Plusieurs étapes sont nécessaires avant de procéder au test des hypothèses. En premier lieu, il est essentiel de vérifier si les données risquent d’être affectées par ce qui est communément appelé le biais de variance commune. Dans le cas de la présente recherche, les données ont été recueillies à l’aide d’un questionnaire autodéclaré. Le risque inhérent de l’auto-évaluation est celui du gonflement artificiel des scores susceptibles de provoquer un biais de réponse pouvant conduire à une interprétation erronée des résultats. La technique utilisée est celle du facteur latent commun (Podsakoff, Mackenzie, Lee, & Podsakoff, 2003). Cette technique consiste à ajouter un facteur latent commun non mesuré au modèle de telle sorte que toutes les variables manifestes (aussi appelées variables observables) y sont chargées, en plus d’être chargées sur leurs variables latentes, respectivement. En se basant sur les préconisations de Eichhorn (2014), le biais de variance commune ne constitue pas un risque lorsque le facteur commun représente moins de 50 % de la variance. L’indication est obtenue en portant au carré la valeur de la charge des indicateurs du facteur latent sur les variables manifestes. Ainsi, pour toutes les variables manifestes, la valeur de la charge est 0,178 et est significative (t = 4,04). La valeur au carré de 0,178 est de 0,031, reflétant ainsi que la variance calculée du facteur commun (3,1 %) est nettement inférieure à 50 %. Ce résultat suggère fortement que les données ne sont pas gonflées par un biais de variance commune.

Tableau 1

Échelles de mesures

Échelles de mesures

1. Conformément à la littérature exposée ci-haut, le choix a été fait de mesurer la préservation de l’énergie comme un type particulier de comportements écoresponsables.

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Modèle de mesure et statistiques descriptives

La deuxième étape consiste en l’examen du modèle de mesure. Le tableau 2 fournit, outre la corrélation entre chaque paire de variables, les informations de base pour la moyenne (M), l’écart-type (ET), la consistance interne (Jöreskog’s rhô, ρ) et la variance moyenne extraite (VME) pour chaque variable. La vérification du modèle de mesure reprend les préconisations définies par Anderson et Gerbing (1988). L’objectif est de s’assurer de la validité convergente, de la cohérence interne et de la validité discriminante des instruments de mesure utilisés. Cette évaluation a été effectuée avec une analyse factorielle confirmatoire.

La validité convergente est démontrée lorsque la valeur des indices CFI et NNFI est supérieure à 0,90 et également lorsque celle de RMSEA est équivalente ou inférieure à 0,05 (Medsker & Williams, 1994). En se basant sur les indices usuels, il apparaît que le modèle théorique s’ajuste très bien aux données de l’échantillon (χ2 = 305,5; df = 141; CFI = 0,96; NNFI = 0,95; RMSEA = 0,05; p <0,001).

Tableau 2

Matrice des corrélations et statistiques descriptives (N = 313)

Matrice des corrélations et statistiques descriptives (N = 313)

Notes : *p < 0,05; **p < 0,01; VME (variance moyenne extraite); La variance partagée par chaque paire de variables est indiquée entre parenthèses.

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Ainsi, la consistance interne (ρ) est comprise entre 0,81 et 0,93 et pour chaque variable elle est supérieure au seuil recommandé de 0,70 (Fornell & Larcker, 1981). Les VME s’étalent de 0,68 à 0,80 et sont également supérieures au seuil recommandé de 0,50 (Hair, Anderson, Tatham, & Black, 2006).

Enfin, la validité discriminante est démontrée lorsque pour chaque paire de variables la moyenne de la VME est supérieure à la variance partagée correspondant au carré de leur corrélation (fournie entre parenthèses dans le tableau). Les informations consignées dans le tableau 1 indiquent que cette exigence est satisfaite pour chaque paire de variables.

En résumé, cette section montre, d’une part, que les données sont peu affectées par le biais de variance commune et indique, d’autre part, que la consistance interne, la validité discriminante et convergente respectent les standards de la littérature.

Test des hypothèses

Le tableau 3 synthétise les résultats des deux premières hypothèses. Les données valident l’hypothèse 1, car l’effet du soutien environnemental du supérieur sur les comportements écoresponsables est positif et significatif (β = 0,22; ES = 0,05; t = 3,75; p < 0,001).

Tableau 3

Résultat des hypothèses 1 et 2

Résultat des hypothèses 1 et 2

Notes : ES= Erreur standard; IC= Intervalle de confiance

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L’hypothèse 2 prédisait que l’effet du soutien environnemental du supérieur sur les comportements écoresponsables est plus fort lorsque la fatigue citoyenne est élevée. Les données indiquent que le produit de l’interaction entre les termes (soutien environnemental du supérieur x fatigue citoyenne) est positif et significatif (β = 0,03; ES = 0,01; t = 2,43; ΔR 2 = 0,027) et qu’il contribue à une part additionnelle de variance expliquée de 2,7 %.

La figure 2 propose d’illustrer, par une représentation graphique, la nature de cette interaction afin de déterminer quel niveau de fatigue citoyenne agit sur l’effet du soutien environnemental du supérieur sur les comportements écoresponsables. Les pentes allant de faibles à élevées ont été fixées respectivement à un écart-type en dessous et au-dessus de la moyenne de la fatigue citoyenne (Cohen, Cohen, West et Aiken, 2003).

La pente représentant le niveau faible de fatigue citoyenne est plus plate que la pente illustrant le niveau élevé de fatigue citoyenne. En montrant que l’effet positif du soutien environnemental du supérieur sur les comportements écoresponsables est nettement plus sensible à l’influence d’un niveau élevé de fatigue citoyenne, plutôt qu’à celui d’un niveau faible, les résultats confirment notre prédiction. De plus, la différence entre les deux pentes est significative, car l’intervalle de confiance (IC) ne contient pas de zéro (0,052; 90 % IC = 0,005; 0,103). Autrement dit, l’effet positif du soutien environnemental du supérieur sur les comportements écoresponsables est significativement plus important chez les subordonnés dont le niveau de fatigue citoyenne est élevé. L’hypothèse 2 est donc validée.

Figure 2

Visualisation de l’interaction du niveau de fatigue citoyenne sur l’effet du soutien environnemental du supérieur sur les comportements écoresponsables

Visualisation de l’interaction du niveau de fatigue citoyenne sur l’effet du soutien environnemental du supérieur sur les comportements écoresponsables

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L’hypothèse 3 prévoyait que l’effet modérateur de la fatigue citoyenne sur la relation entre le soutien environnemental du supérieur et les comportements écoresponsables dépend du degré auquel les personnes interrogées estiment être surchargées dans leur travail.

Le tableau 4 présente les principaux résultats de l’analyse de modération modérée. Les résultats s’analysent en deux étapes. Il faut au préalable vérifier si la surcharge de travail contingente l’effet modérateur de la fatigue citoyenne sur la relation entre le soutien environnemental du supérieur et les comportements écoresponsables. Les résultats montrent en effet que la triple interaction entre la fatigue citoyenne, la surcharge de travail et le soutien environnemental du supérieur est significative (F (1,305)) = 5,50; p = 0,001 9) et contribue à expliquer une variance additionnelle de 1,7 % dans la prédiction des comportements écoresponsables. La deuxième étape consiste à identifier la contrainte exercée simultanément par la fatigue citoyenne et la surcharge de travail sur l’effet du soutien environnemental du supérieur sur les comportements écoresponsables. Le tableau 3 indique que parmi les quatre paires de pentes possibles seules deux sont significatives (faible surcharge de travail et fatigue citoyenne élevée; surcharge de travail élevée et fatigue citoyenne élevée). Elles sont significatives, car leur intervalle de confiance respectif ne contient pas zéro.

La figure 3 représente graphiquement les interactions entre ces deux pentes. Ainsi, en situation de fatigue élevée, l’effet du soutien environnemental du supérieur sur les comportements écoresponsables est positif aussi bien lorsque la surcharge de travail est élevée (0,17; ES= 0,08; 90 % IC = 0,044; 0,314) que lorsqu’elle est faible (0,57; ES = 0,16; 90 % IC = 0,309; 0,845). De plus, le calcul de différence entre ces deux pentes est significatif (0,40; 90 % IC = 0,298; 0,501). Enfin, comme indiqué dans le tableau 4, le test de l’effet conditionnel n’est significatif qu’à un faible niveau de surcharge de travail (F (1, 305) = 8,40; p = 0,004). En somme, ces résultats valident l’hypothèse 3.

Tableau 4

Résultat de l’analyse de la modération modérée (hypothèse 3)

Résultat de l’analyse de la modération modérée (hypothèse 3)

Note : aFaible, 1 ET en dessous de la moyenne; Élevé 1 ET au-dessus de la moyenne

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Figure 3

Visualisation de l’effet conditionnel du soutien environnemental du supérieur sur les comportements écoresponsables à un niveau faible et à un niveau élevé de fatigue citoyenne et de surcharge de travail

Visualisation de l’effet conditionnel du soutien environnemental du supérieur sur les comportements écoresponsables à un niveau faible et à un niveau élevé de fatigue citoyenne et de surcharge de travail

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Discussion

Résultats

Cette étude a testé empiriquement l’hypothèse de Bissing-Olson et al. (2015) à savoir comment des facteurs de stress et des ressources influencent les comportements écoresponsables. Nos résultats montrent que les comportements écoresponsables sont fonction du soutien environnemental du supérieur en situation de fatigue citoyenne. Pour les personnes qui ressentent un soutien environnemental faible de leur supérieur, l’interaction se produit avec un sentiment de fatigue citoyenne faible, alors que pour celles qui perçoivent un soutien élevé de leur supérieur, l’interaction se produit avec une fatigue citoyenne élevée. Ce résultat corrobore le principe de substitution, décrit dans la théorie CDR (Hobfoll & Shirom, 2001), selon lequel les ressources à la disposition de l’employé peuvent l’aider à surmonter les effets des contraintes de son contexte de travail. En conséquence, notre étude montre qu’une ressource sociale (soutien environnemental du supérieur) peut compenser le manque de ressource personnelle (fatigue citoyenne). Une piste intéressante pour mieux comprendre ce résultat est que le soutien environnemental du supérieur exerce une influence positive sur le comportement qu’adopte l’employé lorsque celui-ci évalue qu’il y a une perte réelle de ses ressources personnelles, exprimée dans cette recherche par le sentiment de fatigue citoyenne. Cela signifie que le soutien environnemental du supérieur influence davantage les employés à adopter des comportements écoresponsables seulement sous la condition que ceux-ci ressentent une fatigue citoyenne élevée en comparaison d’une faible fatigue citoyenne.

La recherche montre également que la surcharge de travail agit sur l’influence combinée du soutien environnemental du supérieur et de la fatigue citoyenne sur les comportements écoresponsables. Cet effet combiné est représenté graphiquement dans la figure 3. Seules les deux pentes significatives ont été reportées (c.-à-d. fatigue élevée et faible surcharge vs. fatigue élevée et surcharge élevée). Deux informations importantes sont fournies. La première montre que la pente 1 est plus plate que la pente 2, ce qui indique qu’en situation de fatigue citoyenne élevée, une surcharge de travail faible exerce moins de contraintes lorsque l’employé souhaite agir de manière écoresponsable, alors qu’une surcharge de travail identifiée par le subordonné comme élevée tend à exercer une contrainte supplémentaire dont l’effet réduit sa capacité à adopter des comportements écoresponsables. La deuxième information démontre qu’en considérant l’effet combiné de la surcharge de travail et de la fatigue citoyenne, les employés ont tendance à faire plus d’efforts pour adopter des comportements écoresponsables au travail lorsqu’ils ont le sentiment que leur supérieur immédiat leur apporte un soutien environnemental élevé, en comparaison à ceux qui perçoivent chez leur supérieur un soutien environnemental faible.

Implications théoriques

D’un point de vue théorique, l’étude se démarque des précédentes en abordant les questions environnementales sous l’angle des comportements individuels des employés et plus spécifiquement sur leur engagement citoyen en matière de préservation de l’énergie. Bissing-Olson et al. (2015) ont affirmé qu’une des lacunes les plus importantes de la littérature concernait le manque de recherche sur les mécanismes par lesquels les stresseurs combinés aux ressources personnelles et sociales influencent les comportements écoresponsables. Afin de contribuer à combler cet écart, nous avons suivi cette piste en intégrant à notre modèle à la fois une ressource sociale (soutien du supérieur), personnelle (fatigue citoyenne) et un stresseur (surcharge de travail), ce qui a l’avantage notable d’enrichir le caractère transversal des comportements écoresponsables.

La mobilisation de la littérature en psychologie du travail offre un nouvel éclairage pour comprendre les enjeux managériaux inhérents à la protection de l’environnement. Voilà une avenue fortement suggérée par un récent appel à une meilleure contribution des dynamiques psychologiques en la matière (Nielsen et al., 2021).

La théorie de la conservation des ressources de Hobfoll & Shirom (2001) a été largement négligée dans la littérature environnementale, bien qu’elle ait fait ses preuves en matière de modèle explicatif des comportements de citoyenneté organisationnelle (Bolino et al., 2015; Trougakos et al., 2015), et rappelons que les comportements écoresponsables sont une forme de comportements de citoyenneté organisationnelle, appliqués à l’environnement (Boiral & Paillé, 2012). Nos résultats montrent que la théorie CDR offre une nouvelle avenue prometteuse en matière d’engagement des employés envers l’environnement. Concrètement, celle-ci contribue à l’enrichissement du modèle explicatif des comportements écoresponsables qui mobilise en majeure partie la théorie des comportements planifiés (Yuriev et al., 2020).

Implications managériales

Nos résultats empiriques montrent que chaque geste quotidien peut avoir un impact significatif sur l’environnement et qu’il n’est pas nécessaire de recourir à des solutions coûteuses pour avoir une incidence significative. En effet, le soutien du supérieur envers l’environnement (ex. : affecter des ressources pour réduire la consommation d’énergie, donner de la rétroaction, fournir des conseils utiles sur les initiatives environnementales et encourager ses subordonnés à réaliser des activités environnementales) permet aux subordonnés de percevoir qu’on prend soin d’eux et qu’on cherche à satisfaire leurs besoins et leurs motivations environnementales, ce qui a pour effet de les encourager à s’investir dans des comportements positifs au travail même s’ils ressentent une fatigue citoyenne élevée. Les organisations ont tout intérêt à favoriser une culture organisationnelle pro-environnementale, comme le proposent Norton, Zacher, & Ashkanasy (2015) pour encourager les gestionnaires à être des leaders en matière environnementale et ainsi soutenir leurs employés à s’engager dans des comportements écoresponsables.

Des obstacles organisationnels peuvent tout de même empêcher les employés à s’engager de manière volontaire dans la protection de l’environnement. En effet, si la charge de travail de l’employé est trop exigeante, l’effet du soutien du supérieur se détériorera et aura moins d’impact sur l’adoption de comportements écoresponsables. Les supérieurs immédiats doivent s’assurer de réduire la charge de travail des employés afin que ceux-ci puissent investir du temps dans la protection de l’environnement. Dans le cas contraire, les contraintes de temps, le manque de ressources et les situations stressantes peuvent empêcher les employés à être dévoués dans les comportements extra-rôles, une proposition avancée par Bergeron (2007), mais jamais testée empiriquement sur les comportements écoresponsables. En théorie, ceci s’explique parce que les comportements écoresponsables sont majoritairement perçus comme des actes pro-sociaux de type extra-rôle, ils exigent du temps et nécessitent un effort supplémentaire (Ciocirlan, 2017).

Enfin, cette recherche pose plus largement la question de la considération des comportements écoresponsables et de leur intégration au sein des tâches qu’un employé réalise quotidiennement dans son travail. Une recherche récente suggère que les employés en position managériale éprouvent de la difficulté à évaluer les comportements écoresponsables de leurs collaborateurs et ont tendance à les considérer comme des actions performatives qui sortent du cadre du travail prescrit (Bohlmann, van den Bosch, & Zacher, 2018). La capacité d’agir de manière écoresponsable peut être perçue par les subordonnés comme une préoccupation de second plan, en situation de surcharge de travail, simplement parce que ces derniers répondront avant toute chose aux exigences formelles de leurs tâches de travail. Par conséquent, les organisations qui souhaitent s’engager dans la transition écologique doivent s’assurer que les managers agissent comme une ressource sociale pour permettre à leurs subordonnés d’agir de manière écoresponsable.

Limites de l’étude et recherches futures

Malgré ses apports, cette recherche présente quelques limites qui offrent autant d’avenues pour les études futures. Une première limite est liée à la constitution de l’échantillon de cette recherche. Le choix a été de sélectionner les participants parmi les almuni d’une université canadienne. Toutefois, si ce choix présente l’avantage de permettre la généralisation des résultats dans le contexte de cette recherche, il induit en contrepartie la difficulté de tirer des conclusions sur la base d’une possible influence résultant du secteur industriel dans lequel évoluaient professionnellement les participants de cette étude au moment de l’investigation. Cette limite ouvre d’intéressantes perspectives de recherche. À ce titre, une voie à explorer serait de reprendre le modèle de recherche, de constituer des échantillons plus homogènes composés d’employés travaillant dans une même organisation. Cela permettrait de tenir compte de caractéristiques structurelles de l’organisation, tels que la taille, le chiffre d’affaires, la nature de l’activité, la formalisation d’une politique environnementale ou encore l’acquisition d’une certification environnementale. Cela permettrait également, dans le cas de la constitution de plusieurs échantillons à partir d’entreprises différentes, de détecter l’existence de variations intersectorielles, susceptibles de fournir des explications supplémentaires aux variables psychologiques retenues pour l’étude des comportements écoresponsables.

Ensuite, la méthode de collecte de données a eu lieu en une seule période de temps. Par conséquent, il est impossible de confirmer avec certitude les relations causales de notre modèle. Nonobstant le fait que les relations proposées reposent sur des arguments empiriques et un cadre théorique qui a fait ses preuves, les mesures liées à la fatigue citoyenne, à la surcharge de travail, au soutien du supérieur et aux comportements écoresponsables ont été collectées simultanément. Afin d’assurer la validité interne des résultats de notre étude, les recherches futures devraient favoriser des données longitudinales afin d’écarter le doute sur la nature des relations que nous avons proposées et ainsi renforcer la rigueur méthodologique. À l’heure actuelle, il existe peu de recherche rapportant des résultats d’étude longitudinale dans le domaine (ex. : Paillé et al. 2019).

Au-delà des pistes de recherches qui résultent directement des limites décrites précédemment, plusieurs pistes complémentaires de recherche peuvent être proposées. Une première piste utile pour enrichir les connaissances, mais qui demeurent encore peu explorée, est d’aborder cette question sous une lentille qualitative (13 % des études sur le sujet ont fait l’objet d’étude qualitative contre 87 % pour le quantitatif, voir Francoeur et al., 2021). Une voie possible est de suivre l’exemple de Bissing-Olson et al. (2015) qui ont utilisé le journal de bord comme méthode d’investigation pour tenir compte de l’effet des expériences quotidiennes sur les comportements écoresponsables. Nous suggérons l’ajout d’une variable de contrôle pour comprendre les croyances environnementales des employés et voir dans quelle mesure cela affecte leur motivation à agir de manière écoresponsable (voir l’échelle de Dunlap, Van Liere, Mertig, & Jones, 2000).

Ensuite, cette recherche examine un type de comportements écoresponsables associés à la préservation de l’énergie, ce qui fait écho à la proposition de Lamm et al. (2013) qui suggèrent de se concentrer sur des comportements spécifiques. Les comportements de préservation d’énergie ont été choisis, car ce sont les plus répandus dans les milieux de travail (Crosbie & Houghton, 2011; Yuriev et al., 2020). Ainsi, cette étude ne prétend pas généraliser les résultats à tout type de comportements écoresponsables. Nous recommandons de tester nos hypothèses sur d’autres comportements, comme les comportements de recyclage, par exemple (Manika, Wells, Gregory-Smith, & Gentry, 2015).

Enfin, d’autres types de ressources sociales peuvent faire l’objet de recherche plus poussée, comme le soutien des collègues et de l’organisation pour déterminer dans quelle mesure ils sont générateurs de ressources. Dans la présente étude, le rôle du supérieur a été analysé comme une variable positive en matière de mobilisation environnementale. Les prochaines études pourraient se concentrer sur le pôle négatif, par exemple, examiner le rôle des supérieurs en tant que leader abusif. La littérature sur les leaders abusifs est bien documentée, on peut penser notamment au leadership destructif (Aasland, Skogstad, Notelaers, Nielsen, & Einarsen, 2010), machiavélique (Francoeur & Paillé, 2018) ou pathologique (Ouimet, 2018). Les études sur le sujet portent à croire qu’être traité injustement de la part de son supérieur augmente le niveau de stress de l’individu, entraînant une diminution des comportements positifs (Bakker, Demerouti, & Verbeke, 2004; Boddy, 2011). En s’inspirant de cette littérature, il serait utile de comprendre l’influence du rôle du leadership abusif dans la compréhension des comportements écoresponsables contre-productifs. Bien qu’il existe une littérature bourgeonnante à ce sujet, ce domaine de recherche a été largement négligé jusqu’à présent (Paillé, Mejía-Morelos, Raineri, & Stinglhamber, 2019).

Conclusion

En juillet 2021, l’humanité avait déjà dépensé l’ensemble des ressources que la Terre peut régénérer en un an (Global Footprint Network, 2021). Cet indice, qui a pour but d’illustrer la consommation toujours plus rapide d’une population humaine en expansion sur une planète limitée, nous presse de changer nos comportements. La majeure partie de notre vie active se déroule au travail (Ruepert, Steg, & Keizer, 2015); nous travaillerons près de 100 000 heures au courant de notre vie, il y a donc urgence d’agir dans ces milieux. Fait encourageant : nos résultats montrent que des ressources ont des répercussions importantes sur l’adoption de comportements écoresponsables à condition que les contraintes de travail, comme la surcharge, ne soient pas trop exigeantes. Nous espérons que cet article encouragera les chercheurs et les praticiens à poursuivre leurs recherches et initiatives dans le but d’enrichir la compréhension des variables psychosociales dont l’impact est majeur sur la transition écologique.