Chronique sur le métier de chercheur

La grande transformation du métier de chercheur[Notice]

  • Philippe Monin

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  • Philippe Monin
    emlyon business school

Cette chronique a pour objectif de décrire les transformations en cours du métier de chercheur en sciences de gestion. J’examinerai d’abord pourquoi le décathlonien, modèle standard de l’enseignant-chercheur, est en voie d’extinction. J’indiquerai ensuite pourquoi le modèle historique de l’artisan-chercheur indépendant est menacé, et décrirai notamment la multitude des nouvelles espèces de spécialistes qui viennent peupler l’univers jadis préservé des artisans-chercheurs – et même empiéter sur ses plates-bandes. J’en tirerai un ensemble d’observations relatives aux nouvelles activités, aux nouveaux métiers et aux nouvelles identités des plus jeunes chercheurs. Au risque de caricaturer, et sans une certaine nostalgie, j’observe l’extinction lente d’une espèce d’enseignant-chercheur, le prof tout terrain, généraliste, capable d’enseigner (en français et en anglais) devant tout type de public (étudiants, jeunes cadres, dirigeants, doctorants) et de publier ses travaux dans les meilleures revues scientifiques et professionnelles au niveau mondial, tout en maîtrisant l’ensemble de la chaîne de production (maîtrise de la littérature, devis de recherche, méthodes de collecte et d’analyse des données, rédaction, etc.). Évidemment soucieux de l’impact de ses recherches (sous la pression, notamment, des parties prenantes qui financent son écosystème), il est aussi clairement engagé dans le développement de son institution. Cet enseignant-chercheur, véritable décathlonien des établissements d’enseignement supérieur et de recherche en gestion, est en voie de disparition, sous la pression de deux tendances lourdes : Cette croissance des expertises singulières pour exceller dans chaque épreuve conduit donc à une forte spécialisation des tâches, un mouvement connu aux États-Unis sous le nom d’unbundling (difficilement traduisible : décomposition des tâches / division du travail), parfois débattu, voire contesté. Bref, on observe une forme d’éclatement du modèle standard de l’enseignant-chercheur. Ainsi décrite, l’extinction progressive de l’espèce généraliste « enseignant-chercheur tout-terrain » laisse la place à une multitude d’espèces plus spécialisées, chacune en forte symbiose avec son propre écosystème de ressources spécifiques. Plus que jamais en sciences de gestion, il est donc souhaitable de s’interroger sur le métier de chercheur pleinement spécialisé dans des activités de recherche. Pourtant, lui aussi est menacé dans ses pratiques et son identité par des tendances nouvelles. [Milieu des années 1990. Mes collègues et amis Roland Calori, Michael Lubatkin et Phlippe Véry publient une série de travaux précurseurs sur les fusions et acquisitions dans les meilleures revues du champ. Leurs données sont collectées par questionnaire, en coupe, et un répondant par firme acquéreuse ou acquise (espérons que ce soit le bon !) répond à tous les items, que ceux-ci constituent les variables explicatives ou les variables à expliquer. Papiers géniaux, inspirants ! Mais solides ? Certains seraient probablement rejetés d’emblée aujourd’hui de ces revues : biais mono-méthode, endogénéité, hétérogénéité non observée, modèles simples (simplistes ?) de régressions multiples. Il faudrait aujourd’hui multiplier les sources de données ; mobiliser une/des variables instrumentales ; si possible recourir à des données de panel ; voire procéder à des modèles de double différence]. [Début des années 2000. Avec mes collègues et amis Rodolphe Durand et Hayagreeva Rao, nous publions trois manuscrits dans American Sociological Review, American Journal of Sociology et Strategic Management Journal sur la base de données relatives aux carrières et pratiques des chefs étoilés au Guide Michelin entre 1968 et 1997. Il nous aura fallu un an pour collecter les données, les trier, les coder et les analyser à l’aune de méthodes statistiques standards à l’époque (toutes disponibles sur STATA). La base de données nous semble solide, avec 18 000 observations (dyades chef* année). Début des années 2010. Nous reprenons un projet. Nous n’irons pas au bout. Nous comprenons, entre autres raisons, que les travaux sur des thèmes connexes : catégories* restaurants* performance s’appuient …

Parties annexes