Numéro 6, automne 2005 Remédier Remediation Sous la direction de Philippe Despoix et Yvonne Spielmann
Sommaire (11 articles)
Remédier / Remediation
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Présentation
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Transference and Transparency: Digital Technology and the Remediation of Cinema
Jay David Bolter
p. 13–26
RésuméEN :
New digital forms, particularly computer and video games pose a challenge to the cultural status that film has enjoyed for decades. This challenge provoked an anxiety about new media reflected in a series of films in the 1990s, including eXistenZ and The Matrix. Hollywood filmmakers have responded to the challenge with a two fold strategy: they have adopted computer-graphic special effects, while maintaining a commitment to linear narrative and transparent representation. Recently, the DVD has led the film industry to explore hybrid forms of representation and even interactivity.
FR :
Les nouveaux objets numériques, en particulier les jeux vidéos et les jeux par ordinateurs, ont remis en cause le statut culturel que le cinéma a occupé pendant des décennies. Cette remise en cause a donné lieu à une anxiété vis-à-vis des nouveaux médias, qui se trouve réfléchie dans une série de films des années 1990, notamment eXistenZ et The Matrix. Les cinéastes hollywoodiens ont répondu à ce « défi numérique » en adoptant une double stratégie: ils ont intégré les effets spéciaux générés par ordinateur, tout en maintenant une adhésion au récit linéaire narratif et à la représentation transparente. Récemment, le DVD a amené l’industrie cinématographique à explorer des formes hybrides de représentation et même d’interactivité.
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Phantasia and Technè at the Fin-de-siècle
William Uricchio
p. 27–42
RésuméEN :
The essay provides a reconsideration — both at a theoretical and at an historical level — of the televisual as a mean to extend the viewer's engagement and interaction with the world, as opposed to other media's (i.e. cinema, photography, recorded music) incapacity to afford an experience of liveness and temporal simultaneity. It engages not only in the question of the development of media and the ontological differences among media, but also the wider epistemological issue of the relevance of technology to our understanding of modernity. The essay is grounded in Husserl's and Heidegger's discussions of the relationship between technè and modernity, draws upon the historical case of Nazi television, and among other things, explores the subject-object and presence-representation dichotomies.
FR :
Cet article propose une réévaluation — sur un plan théorique et historique — du télévisuel. L’auteur avance l’hypothèse suivant laquelle le télévisuel offre un moyen d’élargir l’appréhension et l’interaction du spectateur avec le monde, à la différence d’autres médias, tels le cinéma, la photographie ou la musique enregistrée qui ne peuvent pas offrir l’expérience du « direct » et de la simultanéité. Il s’intéresse non seulement à la question du développement technologique des médias et à la différence ontologique entre les médias, mais également au problème épistémologique plus vaste que pose la technologie dans notre compréhension de la modernité. À partir des analyses husserliennes et heideggeriennes sur la relation entre technè et modernité, cet étude se penche sur l’histoire de la télévision nazie et, entre autres choses, explore les dichotomies sujet-objet et présence-représentation.
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Intermediality, Intertextuality, and Remediation: A Literary Perspective on Intermediality
Irina O. Rajewsky
p. 43–64
RésuméEN :
The concept of intermediality has come to be part of a fixed critical inventory in the debate on literature and the other arts and media. Although there is relative agreement with respect to a definition of intermediality in a broad sense, the research spectrum becomes much more complex, and often contradictory, when precise formal distinctions and the specification and definition of any one particular concept of intermediality are needed. Based on the current state of the question, the present essay specifies one particular approach to intermediality, introducing three more narrowly conceived subcategories, medial transposition, media combination, and intermedial references. By comparison with the genealogical “remediation” concept of Bolter and Grusin, it is shown with respect to which objects and specific research objectives this subdivided concept gains heuristic and practical value. This is particularly the case when detailed analyses of specific medial configurations, their respective meaning-constitutional strategies, and their overall signification are considered.
FR :
Le concept d’intermédialité fait aujourd’hui pleinement partie des débats théoriques portant sur la littérature et les autres arts et médias. En adoptant une définition générale de l’intermédialité, il est aisé de faire converger les opinions. Par contre, le spectre des recherches s’élargit considérablement, de façon contradictoire, même, dès qu’il s’agit de différencier davantage, de rendre plus claire telle ou telle vision particulière de l’intermédialité et de définir (selon les besoins) la notion d’intermédialité dans un sens plus strict. Partant d’un bilan des débats théoriques actuels, cet article propose d’élucider et de préciser une approche particulière de l’intermédialité, en introduisant trois sous-catégories plus restreintes du concept : « transposition médiatique », « combinaison médiatique » et « référence intermédiale ». En comparant ces sous-concepts avec celui de « remédiation », developpé par Bolter et Grusin, on se demandera sur quels types d’objets et d’objectifs de recherche cette conception de l’intermédialité gagne une valeur heuristique et pratique. Ceci se vérifiera tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’analyser de façon détaillée des configurations médiatiques concrètes et leurs stratégies de production de sens.
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Le travail de la caméra : une pratique intermédiale. La conception de l’image du caméraman Eugen Schüfftan (1886–1977)
Karl Prümm
p. 65–78
RésuméFR :
Cette étude vise à analyser le travail de la caméra, dans le cinéma narratif, en tant que pratique intermédiale, à partir de l’exemple d’un des plus grands opérateurs du XXe siècle, le caméraman Eugen Schüfftan. Après avoir offert un bref parcours de sa carrière artistique, l’analyse cherche à montrer la manière avec laquelle Schüfftan a développé une conception personnelle de l’image cinématographique, en s’appuyant sur les traditions de la peinture (Max Liebermann) et sur les expériences de la photographie contemporaine (László Moholy-Nagy, Otto Umbehr Umbo, Helmar Lerski).
EN :
This article aims to analyse the work of the camera, in narrative cinema, as an intermedial practice, by taking as an example the work of the cameraman Eugen Schüfftan. After a brief overview of his artistic career, the author seeks to demonstrate the way by which Schüfftan developed a personal conception of the cinematographic image, based on painterly traditions (Max Liebermann) or on experimentations of contemporary photography (László Moholy-Nagy, Otto Umbehr Umbo, Helmar Lerski).
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Un théâtre d’acteurs vidéographiques : Les aveugles de Denis Marleau
Hélène Jacques
p. 79–94
RésuméFR :
Denis Marleau conçoit, dans sa mise en scène de la pièce Les aveugles, de Maeterlinck, un dispositif scénique évoquant le procédé de la fantasmagorie, dans lequel l’acteur est remplacé par des masques et des projections vidéographiques. Ce texte aborde l’intégration des autres arts sur les scènes de théâtre, de même qu’il traite des conséquences des échanges interartistiques sur la définition de l’oeuvre théâtrale à sa réception. Le processus de création des Aveugles et les techniques du langage vidéo empruntées par le metteur en scène sont étudiés en fonction de l’approche « ethnographique » d’Antoine Hennion qui, pour analyser l’objet musical, observe les moyens techniques et humains mis à contribution dans l’élaboration de l’oeuvre.
EN :
In his mise en scène of Maeterlinck's Les aveugles, Denis Marleau imagines a stage design steeped in phantasmagoria in which the live actor is superseded by masks and video projections. The article examines the integration of other art forms into theatre and the resulting interdisciplinary effect it bears on how the play was defi ned and later received. Also, the creative process of Les aveugles is studied in terms of the director's use of the conventions of video. This process is examined using Antoine Hennion's “ethnographical” approach to musical works, in which the technical means and human contribution to the work's genesis are taken into account.
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Questions et hypothèses à partir des systèmes d’écritures : remédiation ou plurimédialité?
Philippe Despoix
p. 95–106
RésuméFR :
Le concept de « remédiation » a été jusqu’ici essentiellement exploré à partir des arts visuels et électroniques. Cette contribution vise à mettre en perspective historique et comparée l’idée de remédiation continue dans laquelle s’inscrirait chaque nouveau médium. En prenant pour champ d’enquête les types les plus divers de systèmes d’écriture (graphisme spatial, écritures linéarisées, systèmes idéographiques, syllabaires, alphabets, etc.), elle essaie de proposer quelques hypothèses concernant les figures selon lesquelles l’écrit peut « remédier » — ou pas — (à) la parole.
EN :
The concept of remediation has been essentially explored thus far from the perspective of visual arts and electronic media. This article wishes to bring into focus an historical and comparative idea of continued remediation within which each new medium could be inscribed. By taking as its field of inquiry diverse types of writing systems (visual design, linearised writing, ideographic, syllabic or alphabetic systems, etc.), this essay offers certain hypotheses concerning the figures where writing can be said to “remediate” — or not — speech.
Hors dossier / Miscellaneous
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Des vertus heuristiques de l’intermédialité
François Jost
p. 109–119
RésuméFR :
Que désigne le concept d’intermédialité et quelle est sa vertu heuristique pour la théorie? En procédant à un petit essai d’« ego-histoire », cet article propose différentes réponses à cette question. Une chose frappe d’abord : si l’intermédialité a souvent été une idéologie d’artiste nécessaire à la création (voir Eisenstein), elle ne joue presque aucun rôle dans la première sémiologie du cinéma et dans la narratologie littéraire. Elle est « une question non questionnée », comme aurait dit Bachelard. La première vertu heuristique du concept est celle de la narratologie comparée, qui consiste à faire varier en extension et en compréhension des concepts peu ou prou universels. Elle procède par allers-retours entre mediums. Ces résultats restent fragiles tant qu’ils n’ont pas été confrontés à l’épreuve de la mise en contexte médiatique. En s’appuyant sur les exemples du début du cinéma et du succès mondial d’émissions du type Big Brother, on montre que le concept d’intermédialité n’a d’efficacité réelle que lorsqu’il établit des passerelles entre des médias différents pour mieux construire une relation intelligible entre des causes et des effets.
EN :
What does the concept of intermediality refer to, and what is its heuristic value for theory? This article, built as an essay in “ego-history” (ego-histoire), proposes different answers to this question. A striking thing appears, to begin with: if intermediality has often been championed by artists as a creative output (see Eisenstein), it is absent from the first semiology of cinema and from literary narratology. It is an “unquestioned question,” as Bachelard would say. The first heuristic value of the concept is one founded on the principle of comparative narratology, which consists in showing the variations in extension and in understanding of more or less universal concepts. It proceeds in back and forth movement between mediums. But these results remain fragile as long as they are not applied to precise mediatic contexts. Using examples taken from early cinema, on the one hand, and on the world success of the Big Brother series, we show that the concept of intermediality can only gains efficiency if it bridges different medias in order to build more intelligible relations between causes and effects.
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Différenciations romanesques : l’imaginaire technique chez Balzac, Villiers de l’Isle-Adam et Jules Verne
Étienne Beaulieu
p. 121–139
RésuméFR :
À l’ère industrielle, le roman français du XIXe siècle se donne pour tâche de créer des liens entre les différentes époques techniques par le moyen du plurilinguisme. Dans l’oeuvre de Honoré de Balzac, et en particulier dans Le chef d’oeuvre inconnu, la technique demeure encore artisanale et a fortiori les techniques artistiques (peinture, musique, sculpture), qui sont néanmoins représentées de façon à mettre en jeu la finalité de toute technè : tenter de remédier à la mort en cherchant à fixer la vie dans des traces artistiques. Dans L’Ève future de Villiers de l’Isle-Adam, la technique se transforme en technologie (et même en technomythie) par l’invention d’une femme électrique imaginée par l’ingénieur Edison. Enfin, dans Le château des Carpathes de Jules Verne, le mythe de Pygmalion se voit réécrit selon une fantasmagorie technologique qui vise encore à conserver la vie d’une cantatrice aimée, la Stilla. Dans le passage d’une époque technique à une autre, le roman français crée ainsi une continuité imaginaire par le moyen de greffes narratives et successives qui mettent en jeu la différenciation romanesque.
EN :
In the industrial era, the nineteenth-century French novel sets out to create links between different technical eras through the means of plurilinguism. In the works of Honoré de Balzac, and more particularly in Le chef-d'oeuvre inconnu, technique still remains traditional and this is true a fortiriori of artistic techniques (painting, music, sculpture), which are nevertheless represented in order to shed light on the finality of all technè: attempting to defy death by capturing life through artistic forms. In Villiers de l'Isle-Adam's L'Ève future, technique is transformed into technology (one could even say it is transformed into technomythology ) through the invention of an artificial, electric woman fashioned by Thomas A. Edison. Lastly, in Jules Verne's Le château des Carpathes, the Pygmalion myth is retold according to a technological phantasmagoria in which Telek tries to bring back to life the dead opera singer, la Stilla, with whom he has fallen in love. Hence, in the transition from one technical era to another, the French novel creates an imaginary continuity through the use of successive narrative grafting that brings into play novelistic differentiation.