Comptes rendus

Lavigne, Marie et Michèle Stanton-Jean. Joséphine Marchand et Raoul Dandurand. Amour, politique et féminisme. Montréal, Boréal, 2021, 389 p.[Notice]

  • Sophie Doucet

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  • Sophie Doucet
    Chercheuse indépendante

Même si cet ouvrage est classé « biographie » chez l’éditeur Boréal, ce n’en est pas tout à fait une. Ici, Marie Lavigne et Michèle Stanton-Jean s’attachent à nous décrire la vie non pas d’une, mais de deux personnes qui forment un couple marié, Joséphine Marchand (1861-1925) et Raoul Dandurand (1861-1942). Une démarche originale, qui permet d’approfondir la compréhension historique que l’on se fait de personnages publics, grâce à l’ouverture obligatoire vers leur vécu intime. L’approche est rendue possible par la riche documentation autobiographique que le couple Dandurand a laissée. Les historiens (en particulier des femmes et du monde politique) connaissent déjà relativement bien Marchand et Dandurand. La première, féministe et journaliste, a créé et dirigé l’ancêtre des magazines destinés aux femmes, Le Coin du feu (1893-1896). Le second, homme politique et diplomate libéral, a siégé au Sénat canadien et a été délégué du Canada à la Société des nations, qu’il a aussi présidée. (Il donne aujourd’hui son nom à une chaire de recherche en études stratégiques et diplomatiques de l’UQAM.) Tous deux ont laissé des « écrits de soi » qui se sont vus publiés bien après leur mort : Joséphine Marchand un savoureux Journal intime (Éditions de la Pleine Lune, 2000) et Raoul Dandurand des Mémoires (Presses de l’Université Laval, 2000 aussi). Les études éparses portant sur Joséphine Marchand depuis son décès, en 1925, se sont penchées essentiellement sur sa participation au féminisme et sur sa contribution littéraire. Celles concernant Raoul Dandurand se sont surtout intéressées à son apport à la diplomatie canadienne. Or, ni la femme de lettres ni le diplomate n’avait encore fait l’objet d’une biographie. Le projet des autrices Lavigne et Stanton-Jean (deux des membres du Collectif Clio, auquel on doit la publication de L’histoire des femmes depuis quatre siècles en 1982) était d’abord de faire la biographie de Joséphine Marchand, personnage qui gagnait à être revisité pour être mieux compris. Mais à la lecture de quelque 700 lettres échangées par la journaliste avec Raoul Dandurand et conservées depuis 2010 à la Société d’histoire d’Outremont, en découvrant leur « grande connivence », l’interdépendance de leurs destins leur est apparue comme un bon fil conducteur. Les autrices ont su exploiter finement leur idée. En effet, en retournant aux sources (notamment les versions originales du journal intime et des mémoires — qui diffèrent des versions publiées — et des centaines de lettres, échangées entre eux et avec des parents, amis et collègues) et en s’appuyant habilement sur les études à leur disposition (en histoire, science politique et littérature), les autrices ont su tisser un récit qui conjugue les deux destins. Joséphine Marchand et Raoul Dandurand, soutiennent-elles, n’ont pu accomplir ce qu’ils ont accompli qu’« en s’appuyant, en s’épaulant et en étant aussi visibles et engagés l’un que l’autre » (p. 11), donc en étant ensemble. Ressortent de l’ouvrage l’agentivité de Joséphine Marchand et la grande sensibilité de Raoul Dandurand, qui viennent approfondir la compréhension des rapports de genre dans la bourgeoisie libérale au tournant du 20e siècle. Certains chapitres revisitent des épisodes déjà connus ; c’était essentiel dans le cadre d’une synthèse biographique. D’autres apportent vraiment des éléments nouveaux. Nous avons particulièrement apprécié les chapitres qui éclairent les zones restées dans l’ombre de la vie de Joséphine Marchand. En effet, si ses années de jeunesse (ses angoisses face au mariage, ses débuts littéraires) étaient connues, de même que ses années de journalisme et son engagement féministe, l’importance de son engagement dans l’oeuvre des livres gratuits et le fonctionnement de l’oeuvre elle-même — un système de distribution de livres dans les campagnes — sont enfin mieux éclairés. …