Comptes rendus

Augustin, Jean Ronald. L’esclavage en Haïti. Entrecroisement des mémoires et enjeux de la patrimonialisation. Québec, Presses de l’Université Laval, 2020, 550 p.[Notice]

  • Dominique Rogers

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  • Dominique Rogers
    Laboratoire AIHP-Geode, Université des Antilles

L’ouvrage de Jean Ronald Augustin s’intéresse à la patrimonialisation de l’esclavage atlantique en Haïti, c’est-à-dire aux processus par lesquels la population haïtienne s’est appropriée ou non l’expérience de l’esclavage vécue par ses ancêtres dans la colonie française de Saint-Domingue. L’étude, menée sur le temps long, de 1804 à nos jours, s’attache à mettre en valeur aussi bien les choix de l’État haïtien que celui des élites et masses populaires. La démarche se justifie pleinement dans un pays où le divorce entre l’État et « le pays en dehors » est encore trop souvent patent. Le résultat est un véritable tour de force, qui offre une relecture éclairante et stimulante des deux premiers siècles de l’histoire d’Haïti et une approche très riche de la diversité des points de vue des habitants d’un pays né de la seule révolte d’esclaves de l’histoire ayant abouti à la création d’un État indépendant. Les 70 interviews, qui nourrissent l’ouvrage d’une multitude d’exemples d’expériences d’appropriation et de valorisation portées par des individus, des communautés et des groupes divers, parfois rattrapés par les contingences économiques ou le manque de connaissances historiques, témoignent avec éclat de l’importance de cette thématique dans la population haïtienne, parallèlement aux choix troublants des gouvernements haïtiens successifs, entre amnésie, instrumentalisation et indifférence. L’analyse s’appuie sur des études incluant aussi bien la littérature et les programmes scolaires (chapitre 3) que les sites muséaux et patrimoniaux (chapitres 4 et 5) et les pratiques culturelles et sociales en usage dans la population haïtienne contemporaine (chapitre 6). Ce dernier chapitre s’attarde plus particulièrement au vaudou mais explore également les productions picturales et musicales ainsi que les mots, les expressions, les contes et les proverbes évoquant l’Afrique ou l’expérience esclavagiste. Bien plus qu’un catalogue des sites, des textes, des tableaux, des musiques et des mots témoignant de cette histoire et de la diversité des mémoires s’y rattachant, l’ouvrage de Jean Ronald Augustin offre des analyses critiques et explicatives des différentes démarches de patrimonialisation entreprises entre 1804 et 2016. Il est donc également un précieux outil pour les acteurs professionnels du patrimoine, en Haïti et ailleurs, et cela, tant au niveau concret et pratique qu’au niveau réflexif. L’ouvrage comprend d’ailleurs une étude des formes de patrimonialisation de l’expérience servile à l’échelle globale qui intéressera de nombreux lecteurs (chapitre 2) et est servi par une bibliographie internationale de très bonne tenue. On pourra bien sûr ne pas être d’accord avec telle ou telle analyse, mais Jean Ronald Augustin a le mérite de poser toutes les questions fondamentales sur un sujet majeur, et d’offrir, dans un format réduit, des matériaux, des idées, des solutions que chacun adaptera en fonction des contraintes particulières des sites qu’il aura à gérer et de l’évolution des connaissances scientifiques. Les chapitres 7 et 8 reviennent sur les enjeux et les difficultés de la valorisation des mémoires de cette histoire en Haïti. Face à des mémoires de fierté, de culpabilité, de victimisation et de réconciliation, l’auteur invite à privilégier la quête identitaire et l’impératif d’améliorer le vivre-ensemble, au-delà du développement touristique, même si celui-ci n’est pas oublié. Le chapitre 8 s’attarde plus particulièrement aux trente années d’actions de valorisation réalisées en Haïti, avec des succès divers, par le programme local de la Route de l’esclave. Il offre un panorama des interventions qui ont été menées, des recommandations qui ont été faites et des intentions des acteurs internationaux et locaux. La dimension critique n’est pas oubliée, et de nouvelles propositions sont faites pour développer notamment des « actions plus inclusives et participatives » associant davantage les communautés locales au-delà des seuls intellectuels. L’auteur invite à mettre en valeur …