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Introduction

Les étudiants en situation de handicap (ESH) sont de plus en plus nombreux à effectuer des études universitaires, ce qui s’explique notamment par la démocratisation des universités depuis 1995 (Chenard et Doray, 2013). Au Québec, en 2021, ils étaient 22 014 et représentaient 5 % de tous les étudiants universitaires (AQICESH, 2021). Ces étudiants se répartissent en deux groupes distincts, ceux ayant une déficience (auditive, visuelle, motrice ou organique) et ceux ayant un trouble (apprentissage, santé mentale -TSM-, déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité -TDA/H-, spectre de l’autisme -TSA-). Cette hausse importante des ESH crée une pression sur les formateurs universitaires et de terrain impliqués dans la formation en stage (McWaine, 2012). Bien que quelques recherches portent sur le point de vue de ces formateurs (Philion et al., 2019 ; Lebel et al., 2016), peu de recherches portent sur celui des ESH quant aux stratégies d’apprentissage à déployer par ces derniers pour composer avec les défis occasionnés par leur situation de handicap (SH) en stage et à la spécificité des mesures d’accompagnement qu’ils souhaitent de la part de leurs formateurs. C’est pour combler ce manque de connaissances que nous avons mené une recherche collaborative à laquelle ont participé des ESH de trois programmes universitaires (Sciences de l’éducation, Travail social, Sciences infirmières).

Problématique

Parmi les ESH effectuant des études universitaires, plusieurs sont inscrits à des programmes professionnalisants constitués de formations en milieu de stage. Bien que la plupart des formateurs soient sensibles à la nécessité de leur offrir un accompagnement adapté, plusieurs méconnaissent les mesures d’accompagnement à leur offrir en lien avec leur stage et les obligations légales auxquelles ils sont tenus afin que ces étudiants aient une chance égale à celles de leurs pairs de réussir leur formation pratique. Comme les universités n’ont pas développé de balises spécifiques pour orienter de telles mesures (Ducharme et Montminy, 2012), il est difficile pour les formateurs de déterminer ce qui relève de mesures acceptables et de tracer les limites de leur rôle dans l’accompagnement des stagiaires. Plusieurs se disent préoccupés par cette situation et demandent à être guidés (Lebel et al., 2016). L’étude exploratoire que nous avons menée auprès des formateurs a fait ressortir cinq principaux défis des ESH en stage (Philion et al., 2019) : 1) la qualité déficiente du langage écrit ; 2) la méconnaissance ou non-maitrise des savoirs et savoir-faire ; 3) les enjeux éthiques découlant de problèmes de savoir-être ou d’attitudes ; 4) les défis personnels liés à l’anxiété et au stress, ainsi que les défis organisationnels ; 5) les enjeux relatifs à la responsabilisation professionnelle, notamment savoir nommer les défis engendrés par sa situation singulière afin d’obtenir un accompagnement ciblé. Ces défis qui concernent surtout les ESH faisant partie du second groupe (ayant un trouble) semblent magnifiés par un manque de confiance en soi, de l’anxiété de performance et de la difficulté à planifier et à s’adapter (Philion et al., 2019). Les défis identifiés dans cette étude font écho à ceux soulignés dans plusieurs études portant sur les ESH dans les programmes orientés vers les interactions humaines, comme le travail social (GlenMaye et Bolin, 2007), la psychologie (Chan et Johnson, 2011), l’enseignement (Griffiths, 2012) et les sciences infirmières (Howlin et al., 2014 ; Crouch, 2019). Ces auteurs soulèvent également des enjeux liés à l’éthique (ex., atteinte à la sécurité d’autrui) et à l’équité envers les autres étudiants et le jugement évaluatif. Sur le plan des mesures à offrir pour composer avec les défis susmentionnés, l’étude de Philion et al. (2019) a mis en évidence le fait qu’au-delà de mesures d’accommodement peu nombreuses à offrir aux stagiaires en SH, « ce sont les mesures d’accompagnement (l’effet formateur) qui se révèlent être la pierre angulaire pour relever les défis rencontrés par les stagiaires » (p.67). Ce constat est confirmé par quelques études portant sur l’expérience de stagiaires en SH (Griffiths, 2012 ; Jacobs, 2021 ; King, 2019). Ces dernières mettent en évidence la nécessité pour ces stagiaires de développer des stratégies d’apprentissage essentielles à leur réussite. À cette fin, il s’avère critique que les stagiaires soient accompagnés par des personnes ayant une attitude favorable à leur égard, afin qu’ils puissent divulguer leur condition en toute confiance et discuter de leurs besoins. Toutefois, ces études ne précisent pas quel accompagnement les formateurs offrent aux stagiaires pour développer de telles stratégies (Crouch, 2019) ni quel accompagnement ces stagiaires souhaitent obtenir de la part des formateurs universitaires dont le mandat est de les aider à établir des ponts entre leurs savoirs expérientiels et leurs savoirs théoriques, et de la part des formateurs de terrain jouant un rôle de premier plan dans le développement des compétences à acquérir en stage.

Devant ces constats, deux questions émergent : 1) quelles sont les stratégies d’apprentissage que les stagiaires déploient ou se verraient déployer pour composer avec les défis qui se présentent ? 2) Quelles sont les mesures d’accompagnement que les stagiaires souhaitent recevoir de la part de leurs formateurs pour composer avec ces mêmes défis ? Les réponses à ces deux questions sont susceptibles d’offrir un éclairage utile aux formateurs de stagiaires. Pour répondre à ces questions, nous avons donné la voix aux stagiaires en SH. Ces derniers sont invités à : 1) identifier les principaux défis qu’ils rencontrent ; 2) répertorier les stratégies d’apprentissage qu’ils déploient ou qu’ils se verraient déployer pour relever ces défis ; et 3) identifier quelles mesures d’accompagnement des formateurs de terrain et universitaires ils aimeraient recevoir en appui à leurs efforts pour relever leurs défis.

Cadre conceptuel

Sur le plan théorique, les deux concepts clés de cette recherche sont, d’une part, les mesures d’accompagnement de stagiaires en défi et, d’autre part, les stratégies d’apprentissage des stagiaires pour pallier leurs défis.

Accompagnement en stage

La complexité de l’accompagnement en stage résulte du fait que chaque accompagnement s’inscrit dans un contexte culturel précis et met en interaction des acteurs qui, selon leurs savoirs et expériences singulières, ont des représentations différentes de leurs rôles (Vivegnis, 2018). Qu’il s’agisse des formateurs de terrain ou universitaires, Lebel et al. (2016) précisent que leur travail repose sur leur savoir questionner et s’ajuster de manière à suspendre tout jugement trop hâtif tributaire de leurs représentations personnelles. Dans leur effort pour prendre en compte les critères fournis par les programmes d’études et les spécificités du milieu de stage, un jugement trop hâtif risque de compromettre la qualité et la justesse des mesures d’accompagnement adoptées. Comme le mentionnent Griffiths (2012), Jacobs (2021) et King (2019), ces mesures doivent être choisies dans un esprit d’ouverture et de bienveillance. Cet « esprit » présuppose, de leur part, une posture coconstructiviste, « entendue dans le sens d’une coreprésentation critique et éthique de la réalité entre formateur et stagiaire, susceptible de guider chacun de leurs pas de manière différenciée » (Philion et Bourassa, sous presse). Cette posture repose sur quatre composantes : 1) la confiance, qui relève de notre savoir créer un lien essentiel. 2) la bonne distance, qui permet d’entrer ensemble en curiosité sur le sens à attribuer à ce qui se passe, y compris les défis rencontrés. 3) l’exigence, celle qui tire la stagiaire vers le haut en ajustant l’accompagnement au vu de ses besoins. 4) la responsabilité de chacun (superviseur et stagiaire) quant aux actions à poser et à repenser pour cheminer en stage (Bourassa et Philion, 2020).

Stratégies d’apprentissage

Le terme stratégie est un concept polysémique qui appartient à plusieurs domaines et cadres conceptuels (Philion, 2005). Cartier (2000) définit les stratégies d’apprentissage comme « un ensemble d’actions ou de moyens observables et non observables – comportements, pensées, techniques, tactiques – employés par un individu avec une intention particulière et ajusté en fonction des variables d’une situation » (p.1). Une stratégie d’apprentissage devient, par extension, l’art de coordonner une série d’actions en vue de mieux composer avec le défi en examen (ex. : gestion du temps). Dans le contexte qui nous occupe, il s’agit de coordonner une série d’actions afin de relever de manière plus efficace les principaux défis rencontrés en stages tout en respectant les critères de performance attendus par le stage. Plusieurs auteurs (Parmentier et Romainville, 1998 ; Romainville, 2000 ; Ruph, 2010) énumèrent trois catégories de stratégies d’apprentissage, à savoir les stratégies cognitives, de gestion des ressources et métacognitives. À ces trois catégories, prenant appui sur les travaux de Saint-Pierre (1991), Philion (2005) en ajoute une quatrième, les stratégies affectives. Aux fins de la présente analyse, nous retenons ces quatre catégories, lesquelles entretiennent des liens très étroits de sorte qu’elles surviennent rarement seules (Philion, 2005). Nous les définissons comme suit :

  1. Des stratégies cognitives de traitement de l’information, lesquelles se réalisent en quatre phases : 1. utilisation des sources, prise d’information, perception et compréhension des données, 2. vérification de sa compréhension, création de liens, 3. mémorisation et rappel, 4. construction d’une réponse et réutilisation des connaissances dans une situation nouvelle (Parmentier et Romainville, 1998).

  2. Des stratégies de gestion des ressources visant l’organisation matérielle, la planification et la gestion du temps ainsi que le recours à des ressources physiques (matériels) et humaines adaptées à chaque situation (Ruph, 2010).

  3. Des stratégies métacognitives, « par lesquelles l’étudiant prend conscience de ses apprentissages et les analyse afin de les adapter » (Frenay et al., 1998, p.76).

  4. Des stratégies affectives d’engagement actif en résolution du défi, y compris l’élimination des distractions, le contrôle de l’impulsivité et la gestion des émotions, du stress et de l’anxiété.

Or, il ne suffit pas de connaitre ces stratégies, il faut savoir quand les utiliser et surtout, les examiner en adoptant une posture de réflexion introspective critique (Romainville, 2000).

Méthodologie

Au vu de nos objectifs de recherche, nous optons pour une démarche méthodologique qualitative de type collaboratif qui met l’accent sur la réflexion critique et éthique entre personnes partageant les mêmes préoccupations (Wenger et al., 2002). Ce type de recherche gagne en efficience lorsqu’au caractère narratif des outils de conversation de la recherche collaborative (groupes de discussion) s’ajoutent des outils qui, en codifiant in situ les éléments de cette conversation, magnifient leur pouvoir de transformation (Heron et Reason, 2001). Cette codification concurrente à la conversation permet de ne plus dichotomiser la collecte de l’analyse et de l’interprétation (Bourassa et al., 2007), puisque participants et chercheurs réalisent ensemble l’analyse et l’interprétation des résultats.

Les participants

Quarante-quatre stagiaires en SH ont participé à cette recherche. Leur répartition par faculté va comme suit : 21 sont en Travail social (TS), 16 en Sciences de l’éducation (SÉ) et 7 en Sciences infirmières (SI). En ce qui concerne leur condition diagnostiquée, 31 sont aux prises avec un ou plus d’un trouble de santé mentale. Parmi ces répondants, 10 ont également un TDA/H. Cet échantillon non probabiliste constitue une limite de notre recherche, car l’expérience des participantes issues de ces trois programmes n’est pas nécessairement représentative de la population des stagiaires en SH.

Instruments de collecte de données

La collecte de données a été effectuée en deux temps : d’abord par la passation d’un questionnaire suivie de groupes de discussion. Nous avons d’abord proposé aux participants de répondre à un questionnaire, portant sur les défis (choix de réponses), sur les stratégies d’apprentissage (ci-après nommées stratégies) déployées pour s’ajuster et sur les mesures d’accompagnement attendues des formateurs (questions ouvertes). Ce questionnaire, élaboré à partir de notre étude de 2019, constituait une amorce à la réflexion sur leur expérience en stage, laquelle s’est poursuivie en groupe de discussion (voir section intitulée Groupes de discussion : deux temps d’analyse). À cette fin, deux tableaux synthèses issus de l’analyse des réponses au questionnaire ont été réalisés par les chercheuses. Parmi les 44 participants ayant répondu au questionnaire, 20 ont participé à l’un ou l’autre des trois groupes de discussion (deux groupes de huit et un groupe de quatre).

Collecte et analyse des données : processus itératif

Le processus itératif de collecte et d’analyse de données a pour intention que les stagiaires établissent des liens explicites entre leurs stratégies actuelles et envisagées pour relever leurs défis en stage et les mesures d’accompagnement souhaitées de la part de leurs formateurs.

Analyse du questionnaire

Questionnés sur leurs trois principaux défis en contexte de stage, 37 des 44 participants mentionnent une difficulté à composer avec leur anxiété, y compris le stress, 34 rencontrent des difficultés à composer avec leurs émotions paralysantes et 33 à organiser et gérer leur temps. Les autres défis également soulignés par plusieurs participants sont : rédiger les travaux de stage dans les délais prescrits (n=27), démontrer leurs savoir-faire (n=18), divulguer leurs besoins (n=17), communiquer oralement (n=13) et respecter les règles écrites (n=8). Les réponses illustrent l’indéniable conscience que les répondants ont de leurs défis. Dans l’ensemble, ces défis concordent avec ceux identifiés dans l’étude exploratoire de Philion et al. (2019), à une exception près – les enjeux éthiques découlant du savoir-être et d’attitudes étant absents de la présente étude. Nous mentionnons ceci à titre informatif puisque l’intention de la présente recherche consiste à préciser, au regard de ces défis, quelles stratégies les stagiaires préconisent et quel accompagnement ils souhaitent, à cet égard, recevoir de leurs formateurs. L’analyse du questionnaire a ainsi consisté à dégager, sous forme de tableau synthèse, pour chacun des trois principaux défis, quelles stratégies ils utilisent ou envisagent utiliser pour les relever en les reliant au cadre conceptuel (voir tableau 1).

Comme susmentionné, le questionnaire a également servi à identifier les mesures d’accompagnement souhaitées par leurs formateurs (tableau synthèse 2). Les contenus de ces tableaux ont guidé le travail de réflexion en groupes de discussion.

Tableau 1

Synthèse des stratégies utilisées ou à utiliser issues de l’analyse du questionnaire

Synthèse des stratégies utilisées ou à utiliser issues de l’analyse du questionnaire

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Tableau 2

Synthèse des mesures souhaitées issue de l’analyse du questionnaire

Synthèse des mesures souhaitées issue de l’analyse du questionnaire

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Groupes de discussion : deux temps d’analyse

Les trois groupes de participants, divisés en équipes, ont effectué les tâches associées aux deux temps d’analyse proposés. Le processus itératif a permis aux groupes de discussion 2 et 3 de prendre appui sur les tableaux révisés par le ou les deux groupes précédents de manière à bonifier la réflexion.

Temps 1 : Un premier temps de coréflexion portait sur les stratégies à maintenir ou ajouter pour relever les défis examinés. En prenant appui sur le tableau synthèse 1 portant sur les stratégies utilisées ou à utiliser, les participants (en sous-groupes) devaient examiner l’un des trois défis pour : 1) identifier les stratégies utiles, quel que soit le défi ; 2) identifier les stratégies réservées aux stagiaires en SH aux prises avec le défi en examen ; 3) modifier les stratégies ou en ajouter de nouvelles susceptibles de contribuer à relever le défi. Au terme de 40 minutes de discussion, les participants présentaient l’état de leur réflexion aux autres équipes qui avaient comme intention d’écoute de demander des précisions et de proposer des ajustements.

Temps 2 : Un deuxième temps de réflexion portait sur l’accompagnement souhaité des formateurs. Prenant appui sur le tableau synthèse 2 présentant les mesures souhaitées de la part des formateurs, en équipe, la tâche consistait à lire d’abord les mesures répertoriées et à les modifier ou à en ajouter au besoin. Ensuite, les participants devaient évaluer la contribution et la faisabilité de chaque mesure offerte. Si une mesure contribuait fortement, mais était jugée peu faisable, ils étaient invités à la reformuler pour qu’elle gagne en faisabilité.

Résultats et interprétation

Cette section présente les résultats obtenus durant les groupes de discussion ainsi que leur interprétation des stratégies jugées pertinentes en stage, suivis de l’accompagnement souhaité de la part de leurs formateurs.

Les stratégies à déployer par les stagiaires pour composer avec leurs trois principaux défis

Les résultats démontrent que les stagiaires, très conscients de leurs défis, reconnaissent l’importance de développer des stratégies pour les atténuer. Le tableau 3 présente des stratégies que les stagiaires priorisent pour composer avec leurs trois principaux défis : 1) anxiété et stress ; 2) les émotions déstabilisantes ; 3) savoir organiser et gérer son temps. Elles correspondent à l’une ou l’autre des quatre catégories de stratégies présentées dans le cadre conceptuel. Les deux premiers défis et les stratégies à déployer étant analogues[1], ils ont été regroupés. Comme souligné par le 1er groupe, s’attarder à ces défis est d’autant plus important qu’ils affectent leurs savoirs et savoir-faire en contexte de stage.

Tableau 3

Les stratégies à développer pour composer avec leurs trois principaux défis

Les stratégies à développer pour composer avec leurs trois principaux défis

Tableau 3 (suite)

Les stratégies à développer pour composer avec leurs trois principaux défis

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Les stratégies métacognitives

Comme présenté au tableau 3, les participants considèrent que les stratégies métacognitives relatives au savoir composer avec l’anxiété, le stress et leurs émotions consistent à se placer en méta pour conférer du sens à la situation et à leurs actions. Ils considèrent que cette posture leur donne le recul nécessaire pour déterminer comment composer avec leur défi tout en alimentant leur savoir apprendre et mémoriser. Ils reconnaissent l’importance de revenir à leur projet de sens (pourquoi j’ai choisi mon domaine d’études) ou encore de ne pas être trop sévères envers eux-mêmes quitte à revoir à la baisse leur niveau d’exigence. Ils proposent deux stratégies métacognitives associées à l’organisation du temps : prendre conscience de leur fragilité in situ pour éviter de revivre la même situation et effectuer une réévaluation continue de leur charge de travail et des stratégies déployées.

Les stratégies cognitives

En ce qui concerne les stratégies cognitives pour composer avec leur anxiété et leurs émotions, les participants soulignent l’importance de se préparer en amont du stage en lisant à propos des caractéristiques du milieu et des contenus du programme dont ils conservent des traces (schémas, aide-mémoire), en posant des questions de clarification à leurs formateurs et en reformulant pour vérifier leur compréhension afin de s’ajuster. Pour éviter toute perte d’information lors des supervisions, ils proposent d’enregistrer lorsque possible les rencontres. Ils mentionnent aussi l’importance de parfaire leurs connaissances sur l’anxiété et le stress, conscients qu’il s’agit d’une porte d’entrée pour mieux l’apprivoiser. Ils soulignent également le travail auquel ils doivent consentir pour normaliser leur anxiété, une normalisation qui, selon eux, ne va pas de soi et pour laquelle ils soulignent leur besoin d’être accompagnés.

Stratégies affectives

Les participants proposent deux types d’actions génériques posées indifféremment des défis rencontrés : 1) savoir prendre soin de soi (autosoins) par des actions concrètes (ex., exercices, marche, respiration consciente, méditation, massage) effectuées au quotidien ou de façon régulière ; 2) savoir se choisir en mettant l’accent sur leurs forces (se faire confiance, créer des liens) ; en reconnaissant leurs limites (se donner un seul objectif par jour, abandonner ou reporter le stage) ; en optant pour un milieu ouvert à la différence (sain, respectueux et bienveillant) et en étudiant à temps partiel.

Stratégies de gestion des ressources

Leurs besoins d’accompagnement apparaissent de manière prépondérante dans la catégorie de gestion des ressources. Les participants soulignent la nécessité de recourir à un accompagnement externe à l’université tel un professionnel de la santé (psychiatre, médecin) pour obtenir ou préciser un diagnostic et le cas échéant, avoir accès à une médication et à un suivi régulier. À ces professionnels s’ajoute, pour certains étudiants, l’accès à un accompagnement psychologique (travailleur social, psychologue) et à des professionnels pouvant les guider dans le développement de stratégies d’autosoins (respiration consciente, méditation, yoga). Or, comme les impératifs du stage sont jugés très exigeants en temps, ils évaluent que ce travail doit s’effectuer en amont des stages. Ils soulignent également l’importance d’obtenir un accompagnement de la part de leurs formateurs (terrain et universitaire) pour discuter de leurs défis si ces derniers démontrent de l’ouverture à la différence. Enfin, ils reconnaissent l’importance de savoir en parler à un proche ou de participer à un groupe de soutien pour apprendre les uns des autres dans une écoute bienveillante.

En ce qui concerne les stratégies d’organisation et gestion du temps, ils reconnaissent, à l’instar de ce qui est identifié dans les études de Crouch (2019) et Griffith (2012), l’importance de préparer leur matériel à l’avance et d’apprendre à : 1) jauger le temps de manière réaliste, 2) créer des aide-mémoires en utilisant des autocollants de couleurs, 3) profiter des journées de congé pour se mettre à niveau (ex., élaborer des planifications, rédiger les notes de terrain), et 4) utiliser un agenda ou un calendrier identifiant les dates de remise des travaux. Ils souhaitent également être guidés dans l’adaptation personnalisée des notes de terrain (TS et SÉ) ou des techniques de soin (SI) comprenant l’intégration d’un code de couleurs pour identifier les types de médicaments de manière à gagner en efficacité et à éviter une surcharge cognitive. Ils savent que toute surcharge augmente leur anxiété et par effet rebond, rend difficile le rappel de leurs connaissances. De plus, les participants en SI mentionnent devoir instaurer une double vérification pour éviter toute erreur médicale lors de la prestation de soin. Il s’agit d’un enjeu de sécurité et d’éthique soulevé dans quelques recherches (Crouch, 2019; King, 2019; Rankin et al., 2010).

Ils concluent que cette réflexion collaborative leur a fait réaliser que la régulation de leurs comportements passe par le développement et le maintien de toutes les stratégies identifiées, peu importe les défis rencontrés. Deux des trois groupes soulignent également la perméabilité entre les catégories et plus particulièrement, l’interdépendance de l’affectif et du cognitif. Le processus itératif les rassure parce qu’ils constatent :

  • Que la plupart des stratégies sont pertinentes pour l’ensemble des étudiants avec ou sans SH.

  • Qu’il y a, d’un programme à l’autre, une grande similarité des défis.

  • Que, du fait que leurs défis sont exacerbés par leurs conditions, ils reconnaissent l’importance d’accepter l’accompagnement des formateurs et, lorsque requis, un accompagnement externe (professionnels de la santé).

Ce constat fait écho à l’étude de Philion et al. (2019) soulignant que les défis rencontrés par les ESH se caractérisent essentiellement par leur ampleur et leur complexité.

Accompagnement souhaité par les stagiaires de la part des formateurs

Les discussions en groupe portant sur l’accompagnement souhaité ont permis aux participants de nommer leurs expériences négatives vécues en stage (stigmatisation, jugement, négation des besoins) et de préciser certaines mesures[2] énumérées dans la liste issue du questionnaire, afin d’en assurer leur faisabilité, plutôt que d’en ajouter de nouvelles. Par ailleurs, la souffrance associée aux expériences négatives les amène à se questionner sur la pertinence de divulguer ou non leur condition et leurs besoins à leurs formateurs, une conclusion partagée par Crouch (2019) et Jacobs (2021). Alors que pour certains, c’est jouer avec le feu et encourir le risque d’être défini que par leur trouble, pour d’autres, c’est essentiel de le faire pourvu que les formateurs démontrent une attitude inclusive observable par une attitude bienveillante, de la flexibilité et un savoir écouter orientés vers la recherche de solutions. La conclusion est donc que l’université identifie des milieux de stage disposés à accueillir et accompagner des étudiants aux prises avec des défis particuliers, une mesure proposée par différents auteurs (Philion et al., 2019 ; Csoli et Gallagher, 2012).

Pour peu que les milieux offrent cet accueil et qu’en début de stage, les formateurs de terrain et universitaires soulignent leur disponibilité à les accompagner de manière à créer un lien de confiance indispensable à tout accompagnement (Bourassa et Philion, 2020), tous les stagiaires souhaitent sensiblement les mêmes mesures d’accompagnement de la part des deux formateurs. Ils estiment que toutes les mesures proposées peuvent contribuer fortement à atténuer leurs défis. Ils se disent plutôt optimistes quant à leur faisabilité. Ils proposent l’idée d’une responsabilité partagée entre formateurs et stagiaires. Ils souhaiteraient que cela implique : 1) de réviser ensemble les attentes spécifiques du stage, y compris la culture organisationnelle, les règles et les codes implicites (ex., attitude envers la direction) ; 2) des rétroactions fréquentes de la part du formateur de terrain et hebdomadaire de la part du formateur universitaire favorisant la mise en valeur de leurs forces et de l’objectif immédiat à travailler. Ils apprécient que les rétroactions positives (leurs forces) ne soient pas noyées sous les rétroactions constructives. Ils reconnaissent apprendre plus aisément de mises en situation portant sur les stratégies d’organisation (ex., notes évolutives, notes de terrain), sur la priorisation des soins au quotidien (stagiaires en SI) et sur les planifications d’activités (stagiaires en SÉ). Ces derniers souhaitent également que les formateurs valorisent leur différence auprès des élèves et dans le milieu de stage.

De plus, comme le formateur universitaire est extérieur au milieu de stage, ils considèrent qu’il lui revient d’offrir un soutien émotionnel, de l’écoute à l’égard des défis rencontrés et une aide pour développer leurs stratégies de gestion de l’anxiété, des émotions et d’organisation. Ils s’attendent également à ce que le formateur universitaire propose des mesures répondant à la singularité de leur situation par la prise en compte des défis inhérents à leur condition en lien avec les caractéristiques du stage, y compris du temps additionnel pour remettre leurs travaux, des journées de congé reprises en fin du stage et la possibilité d’interrompre leur stage lorsque l’échec semble inévitable.

En somme, les stagiaires expriment leur souhait de réfléchir avec leurs formateurs pour penser les stratégies et mesures d’accompagnement. Un stagiaire en enseignement ayant vécu la mise en place d’un plan d’action concerté où il a pu examiner les actions à poser pour pallier ses défis et les mesures offertes par ses formateurs mentionne que ce plan a été déterminant dans la réussite de son stage, un constat relevé par différentes études (Griffiths, 2012 ; King, 2019 ; Rankin et al., 2010). Cette recherche apporte les précisions pour coconstruire un tel plan d’action incluant le stagiaire et le(s) formateur(s) afin d’examiner ensemble les défis rencontrés pour les transposer en objectifs à atteindre (ex., composer avec son anxiété) puis en action à poser (ex., personnaliser les notes de soin). Dans une logique de responsabilité partagée, ce plan d’action concerté permet d’inclure les mesures d’accompagnement pouvant être offertes pour soutenir le stagiaire dans la rencontre de ses objectifs du stage (ex., rétroaction sur les notes de soin personnalisées) tout en maintenant des exigences élevées (Bourassa et Philion, 2020).

Conclusion

Notre étude met en évidence à quel point les stagiaires en SH démontrent un grand désir de réussir malgré des défis importants qui peuvent les paralyser ou atténuer leurs capacités à apprendre et à démontrer leurs compétences (savoirs, savoir-faire et savoir-être). Des défis souvent exacerbés par l’attitude des formateurs mal préparés et peu habiles à les accompagner.

Il ressort de cette étude que la régulation de leurs anxiétés et de leurs émotions, ainsi que leur savoir s’organiser et gérer leur temps passent par la mise en place d’une gamme de stratégies appropriées soutenue par un accompagnateur qui accueille leurs différences. Cet accueil constitue la prémisse pour qu’ils osent divulguer leurs défis et ainsi, ouvrir un espace de dialogue favorable à la mise en place d’un plan concerté constitué d’actions ou de mesures à poser dans une logique de responsabilités partagées. Cette approche exige une ouverture et disponibilité de part et d’autre (stagiaire, formateurs universitaires et de terrain) et un savoir accompagner éthique, capable d’allier bienveillance et exigences (Bourassa et Philion, 2020). Comme le mentionnent Kiesel et al., (2018), ce savoir accompagner est complexe et requiert la formation des formateurs. Dans la même veine, Desbiens et al. (2019) mentionnent qu’il faut se former à la complexité inhérente à tout accompagnement en stage, notamment en communautés de pratiques (Bourassa et Philion, 2020), et qu’il importe, en fait, d’affiner cette formation « lorsqu’il est question d’utiliser les difficultés rencontrées comme leviers pour construire l’apprentissage de futurs professionnels » (Desbiens et al., 2019, p. 9). En déterminant les stratégies à prioriser par les stagiaires en SH ainsi que leur besoin d’accompagnement, cette étude ajoute un jalon non seulement à la formation/réflexion des formateurs associés aux stages, mais également des conseillers des services destinés aux ESH qui peuvent les accompagner à développer ces stratégies en amont des stages. Une recherche-action réunissant ces différents acteurs permettrait de documenter la portée d’un tel accompagnement du point de vue des formateurs et des stagiaires en SH in situ, en prenant appui sur leur expérience immédiate en stage.