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L’ouvrage collectif dirigé par Sabrina Moisan, Sivane Hirsch, Marc-André Éthier et David Lefrançois porte sur les thèmes sensibles et leur place dans l’enseignement des sciences humaines et sociales. Il vise à mieux connaître et à mieux aborder les enjeux controversés en salle de classe. Différents thèmes sensibles y sont présentés, notamment le génocide des Premiers Peuples au Canada, le racisme, l’androcentrisme, la colonisation, la place des minorités, etc. L’ouvrage est destiné aux experts de l’éducation, au personnel enseignant ainsi qu’à toutes personnes qui s’intéressent à ces enjeux. L’originalité et la pertinence de cet ouvrage tiennent de la diversité des thèmes abordés ainsi que de la cohérence de ces textes regroupés en un seul recueil.
Les deux premiers chapitres sont consacrés aux définitions théoriques. Dans le premier, Lefrançois et Éthier soulignent la grande complexité à définir les sujets sensibles. Les auteurs présentent ensuite quelques obstacles à l’implantation de ce concept en classe. Dans le deuxième, Hirsch et Moisan définissent quatre dimensions comme cadres d’analyse et de lecture des thèmes sensibles pouvant être utilisés en classe.
Dans le chapitre trois, Moisan et Hirsch présentent leurs recherches portant sur le génocide des Premiers Peuples au Canada. En plus d’être un sujet sensible, le génocide des Premiers Peuples au Canada est controversé en classe puisqu’il a été et est orchestré sur le territoire où habitent les élèves. Les autrices présentent leur grille du processus génocidaire qui peut être réinvestie dans des recherches ultérieures et en classe.
Dans le chapitre quatre, Stanley aborde l’enjeu du racisme. Il s’appuie sur la situation des personnes asiatiques pendant la pandémie ainsi que sur les torts causés aux populations autochtones pour appuyer ses propos. Pour permettre au personnel enseignant de mieux comprendre le racisme et de mieux l’aborder en classe, il définit d’abord le concept de racialisation, puis décrit les formes d’exclusion. Finalement, il puise dans son expérience professionnelle pour donner quelques pistes de solution pour diminuer les actes de racisme et leurs impacts.
Dans le chapitre cinq, Brunet et Opériol définissent le concept de genre en réalisant un très bref historique de l’émergence de l’histoire des femmes et du genre (HFG). Elles présentent ensuite deux tableaux synthèses sur l’étude du genre et sur l’apport et les limites de l’enseignement de l’HFG. Les chercheuses proposent diverses stratégies d’enseignement pour travailler l’HFG en classe; elles suggèrent notamment l’enquête orale pour mieux intégrer ce thème sensible.
Dans le chapitre six, Landry et Radu présentent certaines épistémologies autochtones et établissent une distinction scientifique entre les termes de décolonisation, de réconciliation et d’autochtonisation. Elles considèrent qu’en enseignement, ce sujet est sensible, voire difficile puisqu’il peut amener la remise en cause du récit national. Le contexte de mixité dans les classes entraîne des défis pédagogiques importants dans ce contexte et les autrices proposent différentes approches pédagogiques pour les pallier.
Dans le chapitre sept, Zanazanian présente les défis rencontrés par quatre enseignants anglophones d’histoire du Québec et du Canada. Tous les témoignages présentés illustrent que les minorités sont peu présentes ou stéréotypées. Selon cette perspective, l’histoire enseignée au Québec est axée essentiellement sur la majorité francophone et donc perçue par plusieurs anglophones comme une histoire non inclusive. L’auteur soutient que l’histoire nationale au Québec doit être révisée et que les groupes minoritaires doivent être considérés et qu’en ce sens, l’histoire nationale constitue également un sujet sensible.
Dans le chapitre huit, Croteau et Lévesque présentent une recherche réalisée auprès d’élèves du secondaire au Québec et en Ontario. Les élèves interrogés présentent l’histoire comme des récits polarisés dont les groupes marginalisés sont généralement absents. Les auteurs mentionnent ensuite que l’historiographie ainsi que la didactique ont beaucoup évolué depuis les années 1980, mais que cette évolution demeure confinée aux sphères académiques.
Dans le chapitre neuf, Gani aborde la question de l’enseignement des perspectives francophones albertaines en contexte minoritaire. Gani a interrogé 19 personnes enseignantes de l’Alberta afin de mieux comprendre quels sont les facteurs permettant l’enseignement des savoirs difficiles et ce qui fait ombrage à cet enseignement. On y mentionne que l’enseignement des perspectives francophones est obligatoire pendant le cursus scolaire, mais que le personnel enseignant en contexte anglophone a de la difficulté à les incorporer dans la pratique.
Dans le dernier chapitre, Amiraux et Rea constatent un décalage entre les visées des programmes prescrits par les ministères de l’Éducation (France, Québec, Belgique) et la formation donnée et donc reçue par les futurs enseignants et futures enseignantes. Selon Amiraux et Rea, l’histoire coloniale au Québec est fusionnée au récit national, ce qui en fait un sujet sensible.
Plusieurs éléments méritent d’être soulignés par rapport à l’ouvrage de Moisan et al. (2022). Premièrement, un nombre très important de sources et de ressources ont été mentionnées tout au long de l’ouvrage et permettent de prolonger la recherche sur les différents thèmes abordés. En effet, une longue bibliographie pour chacun des chapitres a été présentée et il y a également plusieurs ressources pédagogiques à consulter. Des questions de réflexion ont été insérées et elles peuvent être utiles tant pour un apprenant autodidacte que pour des élèves ou membres du personnel enseignant.
Les trois premiers chapitres rédigés par Moisan, Hirsch, Lefrançois et Éthier sont davantage axés sur les aspects théoriques et scientifiques des concepts d’objets difficiles et thèmes sensibles. La lecture de ces trois premiers chapitres sans accompagnement peut s’avérer plus ardue. Toutefois, lorsque l’on effectue la lecture des chapitres quatre à dix, la théorie prend tout son sens et les différents exemples de sujets sensibles présentés dans chacun des chapitres se révèlent tout à fait pertinents au sein des classes de sciences humaines et sociales. À de nombreux moments, les auteurs et les autrices de l’ouvrage citent les travaux de leurs pairs et exposent des constats similaires sur la difficulté d’engager la conversation en classe autour des sujets sensibles. Une posture critique est mise de l’avant dans cet ouvrage dans un désir d’amener des changements profonds en salle de classe. Les enjeux soulevés sont constatés dans différents milieux, justifiant ainsi l’enseignement des thèmes sensibles en classe de sciences humaines et sociales.