Filigrane
Écoutes psychanalytiques
Volume 32, numéro 1, 2024 Les antichambres du langage Sous la direction de Isabelle Lasvergnas
Sommaire (11 articles)
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Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux
Isabelle Lasvergnas
p. 5–15
RésuméFR :
Dans cet article qui introduit la problématique théorique et clinique dont témoignera cette monographie, l’auteur présente un résumé des quatre principales étapes qui, depuis Freud, ont constitué une systématisation de l’élaboration métapsychologique sur l’accès au langage chez le jeune enfant. L’article insiste sur le rapport entre travail de figuration et impasses, blancs et clivages, dans les processus de symbolisation. Il met également l’accent sur l’importance centrale qui est désormais accordée au travail du contre-transfert et aux mouvements internes du préconscient chez l’analyste, en particulier dans l’écoute de patients aux prises avec des failles dans l’accès à la représentation. Un exemple clinique servira d’illustration.
EN :
In this article introducing the clinical and theoretical issues attested to in this monograph, the author presents a summary of the 4 principal stages which have, since Freud, constituted a systematization of the metapsychological elaboration of the very young child’s acquisition of language. The article stresses the relation between the work of figuration, impasses, blanks, and splittings in the processes of symbolization. It also emphasizes the central importance henceforth accorded to the work of counter-transference and to internal movements of the preconscious in the analyst, in particular in listening to patients grappling with flawed acquisition of representation. A clinical example will serve to illustrate this.
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Parole dans la cure : entre agir et poésie
Laurent Danon-Boileau
p. 17–31
RésuméFR :
Dans la séance, la parole se déploie selon deux allures différentes, la parole associative et la parole compulsive, plus proche de l’agir. Chacune propose une voie d’accès à l’inconscient. La première par le recours à la représentation et l’affect, la seconde par l’agir et sa perlaboration. Toutefois le recours à la répétition dans la parole compulsive peut résulter d’un effet séducteur de l’associativité de l’analyste.
EN :
During the session, two different modes of language and speech may be at play: associative speech and compulsory speech closer to acting-in. Each has its own way to express unconscious contents. Associative speech links representation and affect, whereas compulsory speech implies the working through of acting through language. Now with compulsory speech, repetition can be due to the seductive effect of the analyst’s associativity.
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Le processus analytique entre ouverture sur l’informe et quête de sens
Jacques Press
p. 33–48
RésuméFR :
L’auteur défend l’idée que le sens n’est pas donné d’emblée, mais qu’il advient dans la cure à partir d’une ouverture sur l’informe (Winnicott), « anti-notion » pour lui essentielle, et grâce à la capacité du couple analytique de laisser l’espace nécessaire à son déploiement et à sa transformation. Il insiste sur l’importance des ratés de communication entre analysant et analyste, ratés qui suscitent chez ce dernier ce qu’il nomme à la suite de de M’Uzan un « dérangement », prélude nécessaire au changement. Il souligne combien il importe que l’analyste soit prêt à vivre ce dérangement en lui-même pour qu’il puisse éventuellement advenir chez l’analysant. À l’aide d’une vignette issue d’une supervision, l’auteur illustre ce processus, dont il met en évidence la dimension corporelle, qui prend souvent une première forme psychique à travers des signifiants formels (« ça bouge », « ça change », etc.). Il insiste enfin sur l’importance que revêt la capacité de l’analyste à « s’indifférencier » de son patient, cette indifférenciation seule permettant à certains moments cruciaux de saisir les enjeux et les visées d’une contrainte de répétition et/ou de modalités de défense à première vue mutilantes.
EN :
The author defends the idea that meaning is not given straightaway. It occurs in the cure from an opening onto formlessness (Winnicott), an “anti-notion” essential for him, resulting from the analytic couple’s capacity to leave the space necessary for its unfolding and for its transformation. He stresses the significance of failures of communication between the patient and the analyst, failures arousing in the latter what he calls, following de M’Uzan’s lead, a “disturbance,” a necessary prelude to change. He emphasizes how important it is for analysts to be ready to experience this disturbance in themselves so that it might possibly occur in the patient. Using a clinical vignette from a supervision, he illustrates this process, highlighting the bodily dimension, which often assumes an initial psychic form through formal signifiers (“something is happening,” “something is changing,” etc.). He finally stresses the importance that the analysts’ capacity to “non differentiate themselves” from their patients takes on, this undifferentiation alone making it possible at certain crucial times to grasp what is at stake in, and the aims of, a repetition constraint or/and mode of defense at first sight mutilating.
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Les formes de l’expérience psychique. Une lecture de Freud revisitée
Wilfrid Reid
p. 49–63
RésuméFR :
Le développement de la pratique analytique a mis en évidence la présence de nouveaux enjeux cliniques, en particulier la problématique de l’expérience subjective des formations psychiques. Dès lors, ont vu le jour de nouveaux modèles métapsychologiques portant sur la genèse et les destins des structures sous-jacentes au langage dans la cure, soit la représentation et l’affect. Ces nouveaux modèles ont modifié notre conception de la cure de parole. Dans ce nouveau cadre métapsychologique est apparue la nécessité d’un infléchissement des principaux paramètres de la méthode analytique.
EN :
The development of analytic practice has revealed the presence of new analytical issues, in particular that involving the subjective experience of psychic formations. Consequently, new metapsychological models have come to light concerning the genesis and destinies of the structures underlying language in analytic treatment, namely, representation and affect. These new models have modified our conception of of the therapeutic process. Within this new metapsychological framework the need for a reorientation of the principal parameters of the analytic method has appeared.
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Traductions psychiques et appareils de langage
Isabelle Lasvergnas
p. 65–79
RésuméFR :
Traitant du travail de l’entrée dans le langage chez l’enfant du premier âge, et de certains vestiges mnésiques de cette temporalité précoce qui peuvent se révéler dans la cure analytique et dans le transfert, l’auteure s’attarde sur le langage archaïque du signe, la part obscure de mots qui se situent entre l’agir et la parole (Donnet), et sur des traces informes dans le discours du patient (Winnicott, Press). La vie des mots dans l’écoute de l’analyste sera évoquée en conclusion. Trois exemples cliniques servent d’illustration.
EN :
Dealing with the infant’s earliest inner work to use language and with some mnesic vestiges belonging to this primary psychic temporality which can become apparent in the analytic cure and in the transference, the author pays particular attention to the archaic language of the sign, the obscure side of words that lie between acting and speech (Donnet), and to formless traces in the patient’s discourse (Winnicott, Press). The life of words in the analyst’s listening will be brought up in conclusion. Three clinical examples serve as illustrations.
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Liaison et déliaison dans l’oeuvre de figuration
Josée Leclerc
p. 81–91
RésuméFR :
Le texte propose une réflexion sur les enjeux de la liaison et de la déliaison dans l’oeuvre de figuration primaire qu’implique l’écoute analytique. L’attention portée aux manifestations de figuration psychique, tant verbales que visuelles, auxquelles le cadre analytique offre un lieu d’expression privilégié, présente une portée clinique essentielle, pour autant que le psychothérapeute leur donne un abri psychique temporaire le temps nécessaire à leur gestation (Bion) et avant une possible assimilation pour le patient. Deux vignettes cliniques serviront d’étayage à notre propos.
EN :
This article proposes a reflection on issues related to linking and unlinking within what psychoanalysis calls primary figuration involved in analytic listening. The attention to manifestations of psychic figuration, both verbal and visual, for which the analytic frame provides a privileged space of expression, has an essential clinical scope, in as much that the psychotherapist gives them a temporary psychic shelter the time needed for their gestation (Bion) and potential assimilation for the patient.
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Racines sensorielles et travail de l’image
Lorraine Boucher
p. 93–98
RésuméFR :
Dans un prolongement des interrogations dont témoigne le présent ouvrage, l’auteure s’attarde plus particulièrement aux textes de Lasvergnas et Leclerc et les fait dialoguer. Elle évoque son expérience de médiation improvisée au coeur de son propre parcours analytique ainsi que l’enseignement de son travail avec les enfants. Un travail crucial aux racines du sens par le recours au sensoriel, notamment visuel chez l’analyste, vient relancer un travail stagnant de figurabilité et de symbolisation chez le sujet et lui permettre la découverte d’une vitalité nouvelle de la pensée dans son alliance avec l’hallucinatoire et la sensorialité.
EN :
Furthering the process of inquiry evidenced in the present work, the author most particularly dwells on Lasvergnas’ and Leclerc’s texts and creates a dialogue between them. She brings up her experience of improvised mediation at the heart of her own analytic journey, as well as the lessons of her work with children. Work crucial to the roots of meaning through recourse to the sensorial—in particular, visual sensoriality in the analyst—lends new life to stagnant work of figurability and of symbolization in the subject and enables the discovery of a new vitality of thought in an alliance with the hallucinatory and sensoriality.
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Ouvrir le chemin des mots
Louise Grenier
p. 99–108
RésuméFR :
Pour certains analysants ou patients, la mémoire est de la matière morte, inutilisable. Les exemples présentés dans ce texte nous servent à interroger l’écart existant entre l’usage du langage en séance et l’accès, souvent pénible, à ce que Lacan appelle « lalangue ». Une langue originaire de soi en quelque sorte, singulière et qui signale l’effort de l’infans pour arracher de sa gangue originaire une demande qui le fonde, qui le distingue du monde qui l’entoure et le tient enserré.
EN :
For some analysands or patients, memory is unusable dead stuff. The examples given here serve to inquire into the gap between the use of language during the session and the often painful access to what Lacan called “lalangue,” a unique language which in a certain way originates in itself and points to the effort of the infans to wrest from its originary wrapper a demand founding it, distinguishing it from the world surrounding it and holding it in its grip.
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Avant de savoir dire
Anne Élaine Cliche
p. 109–121
RésuméFR :
Ce texte est une méditation sur l’écriture poétique à partir de l’expérience de l’écrivain, expérience qui consiste à capter ce qui, du cri à l’origine, est devenu chant, phrasé, rythme, phrase insécable, matière première du monde qui couvre la masse du vécu. En convoquant pour les décrire deux poétiques remarquables, celles de Pierre Guyotat et de Marie-Claire Blais, l’auteure montre qu’elles gardent les traces d’un combat pour faire entrer dans la parole ce qui n’a pas de mot pour se dire.
EN :
This text is a meditation on poetic writing based on the experience of the writer, experience consisting of capturing what from the original cry has become song, phrase, rhythm, indivisible phrase, the raw material of the world covering the mass of lived experience. By summoning to describe the remarkable poetical works of Pierre Guyotat and Marie-Claire Blais, the author shows that they still bear the traces of a fight to put into words what has no words to say.
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Avec le compositeur Claude Vivier : entre sonore, intime et identitaire
Louis Pinard
p. 123–133
RésuméFR :
Claude Vivier a été un compositeur de musique contemporaine québécois de génie. Son écriture musicale déroutante évoque chez le psychanalyste le monde enténébré d’une enfance d’avant les mots de la langue maternelle, marqué au sceau de tintements d’éléments percussifs et d’échos sonores dissonants au plus proche du corporel, d’où perce un ineffable parfum mélancolique. Dans la composition de la partie chantée de l’oeuvre (ainsi que peut le représenter Wo bist du Licht !), il y a l’usage singulier d’une langue inventée adressée à soi-même qui semble rejoindre la notion de jumeau paraphrénique mise de l’avant par Michel de M’Uzan. Les blessures psychiques précocissimes infligées au sujet Vivier ont généré un destin singulier de créateur sur lequel la psychanalyse peut se risquer à jeter un regard.
EN :
Claude Vivier was a genius Québecois composer of contemporary music. His disconcerting musical writing evokes for the psychoanalyst the dark world of a childhood before the words of the mother tongue, marked by the tinkling of percussive elements and dissonant sound echoes close to the body, from which an ineffable melancholic perfume pierces. In the composition of the sung part of the work, as can be represented by the opus Wo bis du Licht!, there is the singular use of an invented language addressed to oneself which seems to join the notion of paraphrenic twin put forward by Michel de M’ Uzan. The precocious psychic wounds inflicted on the subject Vivier generated a singular destiny of creator on which the psychoanalysis can risk to throw a glance.
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Le « pouvoir obscur » de la musique. Freud, la musique et la communauté
Georges Leroux
p. 135–150
RésuméFR :
La résistance de Freud à l’égard de la musique est bien connue et le distingue de collègues analystes comme Theodor Reik, qui maintenait pour sa part une attitude d’ouverture et de sensibilité. Dans cet article, l’auteur examine divers témoignages permettant de documenter les positions de Freud, notamment son analyse du « pouvoir obscur » de la musique. En relisant ces témoignages à travers la critique de Reik, il propose quelques éléments d’interprétation susceptibles d’éclairer plusieurs raisons inconscientes de cette aversion particulière de Freud qui se disait lui-même « entièrement non musical », raisons qui ont à voir avec sa conception relative à la communauté. L’auteur montrera notamment que l’on trouve dans les thèses de son anthropologie religieuse (Totem et Tabou, L’Homme Moïse, L’avenir d’une illusion) plusieurs échos de cette conception de la communauté dont la musique serait l’expression emblématique, et l’espace symbolique symétrique de l’inconscient : lieu de traces, dépôt des signifiants originaires, antichambre dramatique du langage et du sujet.
EN :
Freud’s resistance to music is well known and distinguishes him from analyst colleagues like Theodor Reik who, for his part, maintained an attitude of openness and sensitivity. In this article, the author examines diverse testimonies making it possible to document Freud’s positions, notably his analysis of the “obscure power” of music. By reinterpreting these testimonies through Reik’s criticism, some elements of interpretation are proposed that may shed light on several unconscious reasons for this particular aversion of Freud—who called himself “entirely non-musical”—having to do with his related conception of community. The author will particularly show that found in the theses of Freud’s religious anthropology (Totem and Taboo, Moses and Monotheism, The Future of an Illusion) are several echoes of this conception of community, of which music would be the emblematic expression, and the unconscious’ symmetrical symbolic space: a place of traces, depository of originary signifiers, dramatic antechamber of language and the subject.