Volume 51, numéro 1, 2022 Boris Vian en son deuxième siècle Sous la direction de Marc Lapprand
Sommaire (12 articles)
Présentation
Études
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Arts mineurs et mauvais genres : de quel complot M. Boris Vian est-il le nom ?
Pascal Ory
p. 15–28
RésuméFR :
Il s’agit ici de corréler l’oeuvre de Boris Vian et, au-delà, sa double vie anthume et posthume à des structures culturelles spécifiques à la France de son temps, à commencer par une nouvelle configuration à la fois médiatique (presse écrite et maisons d’édition) et artistique (cabarets Rive-gauche, « caves » de jazz, « petits théâtres », « jeunes compagnies »), caractéristique de l’Après-guerre. On rappelle à ce stade qu’une des originalités culturelles françaises fut – et reste encore aujourd’hui – de fonctionner comme centrale internationale de légitimation (« artification ») des formes jusque-là jugées illégitimes – alias « mauvais genres » – : cinéma, roman policier, science-fiction, chanson, jazz, rock… Sur ce terrain on met en lumière le rôle originel du réseau pataphysicien et on affine la chronologie du kairos de la légitimation posthume de Vian autour de la séquence 1963-1968 – y compris au travers d’un témoignage personnel de l’auteur de cet article.
EN :
This article focuses on correlating Boris Vian’s work and, beyond that, his double life as an anthologist and posthumous artist, to cultural structures specific to the France of his time, starting with a new configuration of both media (written press and publishing houses) and art (Left Bank cabarets, jazz cellars, small theaters, young companies), characteristic of the post-war period. We recall at this point that one of the French cultural originalities was - and still remains today - to function as an international center of legitimization (“artification”) of the forms until then judged illegitimate – alias “bad genres” – : cinema, detective novels, science fiction, song, jazz, rock… On this ground we highlight the original role of the pataphysics’ network and refine the chronology of the kairos of Vian’s posthumous legitimization around the sequence 1963-1968 – including through a personal testimony of the author of this paper.
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Boris Vian oulipien potentiel
Christophe Reig
p. 29–42
RésuméFR :
Boris Vian est-il oulipien ? Naturellement, du strict point de vue de l’histoire littéraire, cette conjecture pourrait paraître fantaisiste – voire contrefactuelle. En effet, Vian disparaît en 1959 alors que l’Ouvroir ne fera officiellement ses premiers pas qu’un an plus tard. Cependant, Queneau, assisté de ses amis imminemment oulipiens, prend en charge un ethos d’écrivain abîmé dont nombre d’éléments (visibilité biographique, stratégies auctoriales…) ont bien failli obérer les conditions d’une postérité littéraire. Après avoir fait l’examen de ces efforts, on considérera les effets de son appartenance au Collège de ’Pataphysique et les traces évidentes que Vian a laissé dans l’ADN de l’OuLiPo.
EN :
Was Boris Vian a member of Oulipo ? Obviously, from a strict historical standpoint, this assertion sounds extravagant – if not counterfactual. As a matter of fact, Vian died in 1959 and the Ouvroir officially started its activities one year later. Yet, Queneau and his (soon-to-be Oulipians) friends took charge of the damaged writer’s ethos whose many key-elements (biographical visibility, auctorial strategies…) nearly prevented the requisites of literary posterity. After an in-depth analysis of these efforts, we will take a look at his membership to the Collège de ’Pataphysique and the obvious traces that Vian left in Oulipo’s DNA.
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Elles se rendent pas compte intertextuel et paratextuel : un Chinetoque peut-il en cacher un autre ?
Alistair Rolls
p. 43–56
RésuméFR :
L’oeuvre de Boris Vian a souvent été caractérisé comme dépendant fortement de son paratexte, qu’il s’agisse de la transformation de figures emblématiques du cercle germanopratin d’après-guerre en véritables personnages romanesques, de l’Affaire Vernon Sullivan, ou bien encore de la présence plus grande que nature de l’homme Vian, dans ses rôles multiples, derrière le texte. De même, l’oeuvre de Vian est aussi intrinsèquement référentiel, émaillé d’intertextes, certains flagrants, d’autres plus minutieusement dissimulés. Puisant dans le travail de feu Ross Chambers, cet article explore les différentes interconnexions du paratexte et de l’intertexte dans l’oeuvre de Vian, et la façon dont ces derniers convergent, au point de devenir indiscernables. En d’autres termes, nous voyons comment le paratexte dissimule l’intertexte, et vice versa. Ce jeu de cache-cache se prolonge dans d’autres aspects du texte. Par exemple, nous constatons que Peter Cheyney et James Hadley Chase se dissimulent réciproquement sur le plan intertextuel, et cela pose la question à savoir si Boris Vian dissimule Vernon Sullivan, ou si c’est en réalité Vernon Sullivan qui dissimule Boris Vian. Nous nous demandons alors, dans la lignée de Chambers, si la différence entre les deux auteurs ne résiderait pas plutôt dans l’idée de différance derridienne que dans celle d’altérité.
EN :
Boris Vian’s work has often been described as being heavily reliant on its paratext, be it the famous inclusion of members of the Saint-Germain-des-Prés set as characters, the Affaire Vernon Sullivan or, quite simply, the larger-than-life presence of Vian the man (in his various and multiple roles) behind the text. At the same time, it is also a highly referential body of work, riddled with intertexts, some more apparent, some more carefully concealed. Drawing on the work of Ross Chambers, this article investigates the ways in which the paratext and the intertext interfere with each other in Vian’s work, to the point of merging, becoming effectively indistinguishable. Put simply, we consider how the paratext can hide the intertext, and vice versa. This game of hide-and-seek will also extend to other aspects of the text. For example, Peter Cheyney will be shown to hide James Hadley Chase, and vice versa. More importantly, this leads us to question whether Vernon Sullivan hides Boris Vian, whether Boris Vian hides Vernon Sullivan, or whether, to think along Chambers’s lines, the difference between the two is not rather a question of différance, and thus, arguably, not a difference at all.
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Vers une typologie des espaces oniriques dans l’oeuvre romanesque et dramaturgique de Boris Vian
Lydia Couette
p. 57–75
RésuméFR :
Si l’oeuvre de Boris Vian fut souvent analysée à partir des notions de non-sens et d’étrangeté, comme au moyen de perspectives poétiques ou stylistiques en raison de sa prose inventive, l’onirisme demeure une voie moins explorée dans le paysage des études vianesques. Pourtant, les affinités des oeuvres avec les courants surréaliste, absurde et fantastique donnent à voir dans les textes des univers qui s’apparentent à des mondes rêvés, en ce qu’ils s’affichent comme des espaces de l’entre-deux. Cet article se propose, d’abord, de définir la notion d’espace onirique, puis d’observer son opérationnalité, de même que sa variété, au sein des pièces Les Bâtisseurs d’empire (1959) et L’Équarrissage pour tous (1950) ainsi que des romans L’Arrache-coeur (1953) et L’Herbe rouge (1950). Nous saisirons également l’occasion d’interroger l’oeuvre de Vian en regard de théories contemporaines sur l’onirisme en études littéraires et théâtrales, lesquelles nous jugeons plus que pertinentes pour « relire Vian, aujourd’hui ».
EN :
Because of his creative prose, Boris Vian’s work has often been analyzed in terms of nonsense and oddity, or from a poetic or stylistic viewpoint, leaving its oneiric qualities a rather unexplored avenue in the realm of Vianesque studies. Yet, Vian’s work evokes surrealist, absurdist, and fantastic movements, and reveals in the texts universes that are similar to dreamed worlds, in that they are displayed as spaces of the in-between. This article first proposes to define the notion of oneiric space, then to observe its effectiveness as well as its diversity within the plays Les Bâtisseurs d’empire (1959) and L’Équarrissage pour tous (1950) as well as the novels L’Arrache-coeur (1953) and L’Herbe rouge (1950). We will also take this opportunity to examine Vian’s work in relation to contemporary onirism theories in literary and theatrical studies, which we consider more than relevant to “rereading Vian, today”.
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Boris Vian 2.0 : humanités numériques, et traces de pluralité auctoriale
Clara Sitbon
p. 77–93
RésuméFR :
L’année 2020 marque le centenaire de la naissance de Boris Vian et les célébrations de cet événement ont mis en exergue la façon dont le nom Vian masque une oeuvre protéiforme fondée sur l’utilisation de multiples signatures. L’aube du deuxième siècle vianien coïncide également avec la démocratisation d’outils numériques et de méthodes permettant d’aborder les textes sous un nouveau jour et d’explorer des aspects de l’oeuvre vianien jusqu’alors spéculatifs. Nous nous proposons d’exploiter ces méthodes pour présenter des pistes d’analyses nouvelles qui informeront et éclaireront la pluralité auctoriale fondatrice du corpus vianien.
EN :
2020 marks the centenary of Boris Vian’s birth, and the celebrations around this event have emphasized the ways in which the name Vian hides a multifaceted oeuvre grounded in the use of multiple signatures. The dawn of Vian’s second century also coincides with the rapidly increasing availability of digital tools and methods enabling us to approach and analyze texts in a new light, and to explore aspects of Vian’s work that had until now been entirely speculative. We propose to harness these methods to offer new avenues to shed light on the founding idea of multi-authorship in Vian’s oeuvre.
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Et si la poésie de Boris Vian n’était qu’un trucage cinématographique ? Une lecture médiagénique de l’adaptation de L’Écume des jours par Michel Gondry
Thomas Carrier-Lafleur et Guillaume Lavoie
p. 95–112
RésuméFR :
Cet article propose une lecture de l’adaptation cinématographique du roman de Boris Vian L’Écume des jours par le cinéaste Michel Gondry. Reprenant le concept de « récit poétique » développé par Jean-Yves Tadié, notre analyse cherche à mettre en lumière les spécificités poétiques du roman de Vian intraduisibles en termes cinématographiques, et surtout comment Gondry a su trouver des équivalences formelles pour créer un nouvel équilibre esthétique dans son film, qui demeure inspiré du style vianesque. La solution médiagénique de Gondry se fonde essentiellement sur une exacerbation de trucages cinématographiques ostentatoires, qui remédiatise la poésie narrative de Vian à même une forme proprement filmique.
EN :
This paper proposes a reflection on the film adaptation of Boris Vian’s novel L’Écume des jours by filmmaker Michel Gondry. Taking up the concept of “poetic narrative” developed by Jean-Yves Tadié, our analysis seeks to demonstrate the poetic specificities of Vian’s novel untranslatable in cinematographic terms, and especially how Gondry was able to find formal equivalences to create a new aesthetic equilibrium in his film, which remains inspired by the Vianesque style. Gondry’s mediagenic solution is essentially based on an exacerbation of ostentatious film effects, which re-mediatizes Vian’s narrative poetry within a specific filmic form.
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La « poéthique » chez Vian. Esquisse d’une philosophie des relations internationales
Maël Foucault
p. 113–126
RésuméFR :
La présente contribution au dossier cherche à dégager, à partir du Traité de civisme, une certaine forme d’internationalisme dans la pensée de Vian. L’argument vise à situer l’émergence de considérations politiques indissociables du contexte international et de la manière dont la sphère intellectuelle française porte le discours polarisateur de la guerre froide. À partir de l’étude de la bibliothèque du Traité de civisme, l’approche contextualiste permet de faire ressortir l’évolution de cette pensée internationaliste au courant de la période 1946-1959.
EN :
The present contribution considers the Traité de civisme and seeks to identify a certain form of internationalism in Vian’s thought. The main argument seeks to locate influences on political matters that are inseparable from both the international context and the way the debate on the Cold War was framed by the French intellectual sphere. From the study of the library of Traité de civisme, the contextualist approach offers an insight on the evolution of this internationalist thought during the period 1946-1959.
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Boris Vian – Georges Delerue : Le Chevalier de Neige, opéra en trois actes
Nadège Le Lan
p. 127–141
RésuméFR :
Le Chevalier de Neige est un opéra qui a perdu sa musique. Ce seul véritable succès de Boris Vian de son vivant, « sous son propre nom pour un projet artistique d’envergure » (Marc Lapprand et François Roulmann) n’est aujourd’hui connu que sous la forme textuelle du livret, édité depuis 1974. Nous présentons le résultat des recherches entreprises dans l’ensemble des fonds, privés et nationaux, qui conservent les étapes et les états de l’oeuvre, dont les partitions manuscrites du compositeur Georges Delerue, pour établir « l’aventure de la fabrication » (Boris Vian, « Quelques mots sur Le Chevalier de Neige »), et permettre de reconsidérer Le Chevalier de Neige tel qu’il fut créé.
EN :
Le Chevalier de Neige is an opera that has lost its music. The only real success by Boris Vian during his lifetime “under his own name as a sizable artistic project” (Marc Lapprand and François Roulmann, our translation), is today only known in the textual form of the libretto, which has continuously been published since 1974. This article is the result of research undertaken in public and private archives on the work and its intermediate stages. Among those, the handwritten scores by the composer Georges Delerue, to establish “the adventure of its conception” (Boris Vian, “Quelques mots sur Le Chevalier de Neige”), and to allow us to reconsider Le Chevalier de Neige such as it was conceived.
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Les transports dans L’Automne à Pékin : le bus ou le néant ?
Christelle Gonzalo et François Roulmann
p. 143–156
RésuméFR :
Il est question d’un roman de Boris Vian dont la complexité permet encore des approches inédites ; ce roman sera L’Automne à Pékin et l’angle d’attaque en sera les transports , car il s’agira d’évoquer un bus, une automobile, un vélo, un avion, même en modèle réduit, forts présents dans la trame romanesque, autant que les transports amoureux qui seront abordés dans une deuxième partie – où il sera justement révélé des sources nouvelles et relativement intimes assez spectaculaires, après quelques révélations non moins étonnantes touchant à l’énigmatique numérotation d’un bus et d’un avion. La conclusion, ouverte sur l’oeuvre fictionnelle de Boris Vian, tentera d’être à la hauteur de l’enjeu de mots.
EN :
This paper focuses on a novel by Boris Vian, L’Automne à Pékin, whose complexity still allows for new approaches – in this case, transportation. Means of transport are omnipresent in the novelistic framework which sees a bus, an automobile, a bicycle, and an airplane, even a scale model. So are amorous transports, which will be the focus of the second part of this article, where new and relatively intimate sources will be revealed, which will be quite spectacular, after a few revelations, which are no less astonishing, concerning the enigmatic numbering of a bus and an airplane. The conclusion, open to the fictional work of Boris Vian, will try to live up to the challenge of words.