L’animal arctique au-devant de la scène : Introduction au bestiaire inuitSpotlight on Arctic Animals: Introduction to the Inuit Bestiary[Notice]

  • Frédéric Laugrand et
  • Francis Lévesque

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  • Frédéric Laugrand
    Département d’anthropologie, Université Laval, Québec, Québec, Canada
    École des sciences politiques et sociales, Université catholique de Louvain (UCL), Louvain-La-Neuve, Belgique
    Frederic.Laugrand@ulaval.ca

  • Francis Lévesque
    École d’études autochtones, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), Val d’Or, Québec, Canada
    francis.levesque2@uqat.ca

Les peuples des régions circumpolaires vivent depuis toujours au contact des animaux et ces derniers sont, sans aucun doute, les principaux responsables des différentes vagues migratoires humaines qui s’y sont succédées. Dans le Nord canadien, contrairement aux régions arctiques eurasiatiques, les chasseurs-cueilleurs prédominent. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, des Occidentaux ont investi ces espaces et tenté d’y implanter des élevages de rennes en faisant venir des Sami de Scandinavie, notamment en Alaska, dans le Nord-Ouest du Canada et en Terre de Baffin (Laugrand et Oosten 2015). Parfois, pour faire face à la pénurie des caribous et aux besoins vestimentaires des Inuit, le gouvernement canadien a importé des peaux de rennes d’élevage, comme ce fut le cas au Nunavik en 1956, selon un souvenir de l’anthropologue Bernard Saladin d’Anglure (2015). Mais ces initiatives ont remporté relativement peu de succès en ce sens qu’elles n’ont jamais convaincu les Inuit de se lancer dans l’élevage qui, aujourd’hui encore, demeure marginal dans ces régions, se limitant à quelques entreprises d’élevage de rennes et de boeufs musqués. Les peuples de l’Arctique ont cependant très tôt domestiqué le chien qui, avec le temps, est devenu un compagnon indispensable pour la chasse, le transport des biens et la protection. En raison de cette proximité de l’humain et de l’animal depuis des temps très anciens, le bestiaire des Inuit nous paraissait un thème incontournable. Il l’est d’autant plus qu’à l’heure de l’anthropocène et de la préservation des milieux, les animaux figurent au centre des préoccupations. À une époque où la vaste zone de l’Arctique est considérée comme l’un des derniers espaces « naturels » avec un environnement fragile et changeant, les animaux ne sont plus seulement des proies mais des témoins importants susceptibles de révéler bien des phénomènes et des évolutions. Des micro-organismes comme le plancton seraient des indicateurs exceptionnels. Parmi les grands mammifères, l’ours polaire est devenu une véritable icône du réchauffement climatique. Non sans paradoxe, il est le grand absent de ce numéro, ce qui s’explique aussi par la littérature abondante auquel il a donné lieu depuis la belle monographie de Vladimir Randa (1986). L’émergence de nouvelles espèces d’ours – des hybrides entre le grizzly et l’ours polaire (Rohner 2016a) – n’est du reste pas encore prouvée car dans le cas relevé, il s’agissait en fait d’un simple grizzly à la fourrure blonde (Rohner 2016b). Difficile donc de voir ici un autre signe des transformations importantes que connaissent les régions nordiques. Dans tous les cas, le Grand Nord reste un espace où l’humain ne saurait vivre sans l’animal, ce qui montre bien à quel point il est essentiel de ne pas séparer trop vite les règnes pour privilégier plutôt une approche interspécifique susceptible de mettre en lumière cette interdépendance des êtres. Pour la plupart des peuples arctiques, la question paraît évidente mais les Occidentaux ne s’en rendent pas toujours compte. Les Inuit, par exemple, se battent depuis longtemps pour faire valoir leurs droits de chasse, quitte à interpeller les groupes écologistes en leur rappelant combien l’animal leur est indispensable. On connaît l’ouvrage majeur que George Wenzel (1991) a publié en plein conflit sur la chasse au phoque entre les Inuit de l’île de Baffin et les écologistes de Greenpeace et dont le titre, Animal rights, human rights résume bien cette interdépendance des êtres, les humains n’existant pas sans les animaux. Rappelons que certains mythes inuit expliquent l’inverse, le besoin des animaux à voir leur enveloppe corporelle se renouveler par l’action du chasseur. Ainsi, comme les humains renaissent par les noms qu’ils se transmettent, les animaux renaissent par …

Parties annexes