Volume 46, numéro 1, 2024 Identités alimentaires au Québec Food Identities in Québec Sous la direction de Julia Csergo et Van Troi Tran
Sommaire (11 articles)
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Introduction : identités alimentaires au Québec
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Introduction: Food Identities in Québec
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Tradition culinaire et quête identitaire au Québec : entre ethnologie et gastronomie, jalons et analyse socio-historique des discours, 1930-1990
Julia Csergo
p. 19–56
RésuméFR :
À travers une approche qui s’appuie sur les représentations, cet article propose une exploration historiographique des discours produits sur l’identité culinaire québécoise, entre les années 1930 et les années 1990. Soulignant l’importance, durant cette période, du champ du culinaire dans la quête d’une identité canadienne-française, puis québécoise, il s’attarde sur les inventaires de recettes de cuisine à travers lesquels se distinguent deux discours qui entrent en tensions contradictoires autour de représentations différenciées de la tradition culinaire : alors que le premier, produit par les folkloristes puis par les ethnologues, tend à documenter une tradition menacée par la modernité, et dont il faut garder la trace pour faire référence culturelle commune, le second, produit par le milieu gastronomique et hôtelier, s’attache à l’idée d’une tradition vivante, recréée par l’innovation, et susceptible de produire des retombées socio-économiques pour les métiers et les territoires.
EN :
Through an approach based on representations, this article provides a historiographical exploration of the discourses produced on Quebec culinary identity, between the 1930s and the 1990s. Stressing the importance, during this period, of the culinary field in the quest for a French-Canadian and then Quebecois identity, it focuses on the inventories of cooking recipes through which two opposite discourses enter into tensions around differentiated representations of the culinary tradition: while the first, produced by folklorists, then by ethnologists, tends to document a tradition threatened by modernity, and of which it is necessary to keep track to provide a common cultural reference, the second, produced by the restaurant and hotel sector, advocates for the idea of a living tradition, recreated through innovation, and likely to produce socio-economic benefits for professions and territories.
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Perte ou renforcement de l’identité culinaire canadienne-française au Québec ? Discours des périodiques entre 1930 et 1950
Ariane Simard-Picard
p. 57–82
RésuméFR :
La cuisine d’une nation est une construction identitaire qui implique la transmission de souvenirs et de traditions, reflétant les valeurs, l’image et les aspirations auxquelles une communauté souhaite être associée. Entre les années 1930 et 1950, la société québécoise – alors appelée canadienne-française – est dans une phase de transition, de la tradition à la modernité. Également bousculée par les répercussions de la crise économique et la Seconde Guerre mondiale, la cuisine traditionnelle se transforme. Nous étudierons comment se transposent ces mutations sociétales dans le discours de la cuisine canadienne-française à travers une analyse par mot clé des périodiques informatisés de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec entre 1930 et 1950.
EN :
The cuisine of a nation is a construction of identity that involves the transmission of memories and traditions, reflecting the values, image and aspirations with which a community wishes to be associated. Between the 1930s and 1950s, Quebec society – then called French-Canadian – was in a phase of transition, from tradition to modernity. Also shaken up by the repercussions of the economic crisis and the Second World War, traditional cuisine is being transformed. We will study how these societal changes are transposed into the discourse of French-Canadian cuisine through a keyword analysis of computerized periodicals from the National Library and Archives of Quebec between 1930 and 1950.
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Les restaurants canadiens et canadiens-français dans les guides de restaurants de Montréal du Montreal Star, 1967-1976
Gwenaëlle Reyt
p. 83–115
RésuméFR :
Le restaurant est à la fois un lieu physique et une pratique culturelle et sociale. Par le tourisme gourmand, il permet un accès privilégié à la culture alimentaire de l’autre et peut devenir une destination à part entière. À Montréal, les restaurants sont au coeur de la réputation gourmande de la ville. Toutefois, peu d’établissements font référence au Québec et le registre culinaire qu’ils mobilisent semble difficilement faire consensus. Sachant que Montréal souhaite devenir une capitale gastronomique et que la valorisation des spécialités locales est une condition pour y arriver, il est pertinent de s’intéresser à la question de l’identité et de ses expressions à travers le restaurant associé au Québec. Cet article explore les représentations du restaurant « canadien et canadien-français » dans des guides de restaurants publiés dans les années 1960 et 1970 par The Montreal Star. S’inscrivant dans un contexte de quête identitaire lié à la Révolution tranquille, de changements urbains majeurs et de développement d’une nouvelle spécialité journalistique, le restaurant « canadien et canadien-français » devient le témoin des dynamiques alors en cours.
EN :
The restaurant is both a physical place and a cultural and social practice. Through gourmet tourism, it allows privileged access to the food culture of others and can become a destination in its own right. In Montreal, restaurants are at the heart of the city’s gourmet reputation. However, few establishments are identified with Quebec cuisine and there seems to be little consensus on the culinary register to which they refer. Knowing that Montreal wants to become a gastronomic capital and that promoting local specialties is one prerequisite to achieve this, it is relevant to focus on the question of identity and its expressions through the restaurant associated with Quebec. This article explores representations of the “Canadian and French-Canadian” restaurant in restaurant guides published in the 1960s and 1970s by The Montreal Star. Part of a context of the quest for identity linked to the Quiet Revolution, major urban changes and the development of a new journalistic specialty, the “Canadian and French-Canadian” restaurant gives witness to the dynamics then underway.
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Identité et ascèse alimentaire chez les Antoniennes de Marie au Québec avant et après le Concile Vatican II
Roseline Bouchard
p. 117–151
RésuméFR :
Le présent article vise à offrir une nouvelle perspective sur la construction des identités par l’étude des pratiques alimentaires d’une communauté religieuse québécoise de cuisinières. Nous envisagerons plus précisément la composante ascétique dans les pratiques alimentaires des Antoniennes de Marie, une communauté au service du clergé, de 1904 à 2013. À partir d’un travail de terrain et d’une recherche en archives, l’analyse démontre comment les voeux de pauvreté et de chasteté façonnent les pratiques de pénitences et de mortifications alimentaires ainsi que les manières de table. L’auteure constate des assouplissements importants dans ces usages après le Concile Vatican II.
EN :
This article aims to offer a new perspective on the construction of identities through the study of the food practices of a Quebec religious community of cooks. More precisely, we will consider the ascetic component in the dietary practices of the Antoniennes de Marie, a community serving the clergy, from 1904 to 2013. Based on field work and archival research, the analysis demonstrates how the vows of poverty and chastity shape practices of penance and dietary mortification as well as table manners. The author notes significant relaxations in these practices after the Second Vatican Council.
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La légende dorée de la poutine : tentative de décodage d’un récit des origines
Geneviève Sicotte
p. 153–174
RésuméFR :
Cet article cherche à comprendre pourquoi la poutine est devenue un nouveau plat identitaire au Québec. Pour ce faire, il analyse le récit des origines de ce plat tel qu’il se déploie dans diverses productions documentaires et fictionnelles contemporaines. Il postule que ce récit permet de recadrer et de positiver certaines dimensions perçues comme problématiques de l’identité québécoise. L’article examine d’abord l’espace-temps utopique du récit des origines, soit le Québec rural des années 50. Il se tourne ensuite vers les personnages colorés qu’il met en jeu, qui composent une figure archétypale de l’inventeur de la poutine où se côtoient le petit entrepreneur, le voyageur, le bricoleur et l’oncle complice. Enfin une facette spécifique de ce personnage est mise en évidence : marginal, porteur de rupture, mais sur un mode marqué par l’humour, il apparaît comme un véritable trickster. Cette dominante humoristique du récit des origines est abordée en conclusion.
EN :
This article seeks to understand why poutine has become a new identity dish in Quebec. To do this, it analyzes the story of the origins of this dish as it unfolds in various contemporary documentary and fictional productions. It postulates that this story makes it possible to reframe and consider positively certain dimensions of Quebec identity perceived as problematic. The article first examines the utopian space-time of the origins story, that is, rural Quebec in the 1950s. It then turns to the colorful characters it brings into play, who make up an archetypal figure of the inventor of poutine where the small entrepreneur, the traveler, the handyman and the conniving uncle rub shoulders. Finally, a specific facet of this character is highlighted: an outsider, the bringer of disruption, but in a humorous manner, he appears as a real trickster. This humorous aspect of the story of the origins is addressed in the conclusion.
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Sucre à la crème: Origin and Trajectory of an Authentic Québec Confection
Patrick Charbonneau
p. 175–198
RésuméEN :
Although the emergence of sucre à la crème left little paper trail, various lines of evidence point toward a late 18th -early 19th century origin in rural French-speaking communities of the St. Lawrence River Valley. Successful preparation of the confection relied on a mastery of sugar crystallization, which was common among contemporary maple sugar makers, but few others. Such humble beginnings have colored perceptions of the sweet ever since. Early Canadian cookbooks, which mostly adapted European cuisine to a local context, neglected it. Sucre à la crème nevertheless spread widely. The ubiquity and distinctness of the dish have loaded it with cultural meaning. And yet, many food historians and ethnographers have sought an exogeneous origin for it, thus perpetuating received ideas about the history of Québec eating and drinking. Using a variety of historical and ethnographic sources as well as insight from physical chemistry, this article attempts to redress the history of sucre à la crème.
FR :
Bien que l’apparition du sucre à la crème n’ait laissé que peu de traces écrites, divers éléments de preuve suggèrent que son origine remonte vers la fin du 18e siècle ou le début du 19e siècle au sein des communautés rurales francophones de la vallée du Saint-Laurent. La préparation de cette confiserie repose sur une maîtrise de la cristallisation du sucre, qui à l’époque était courante chez les producteurs de sucre d’érable et ce, quasi-exclusivement. Ces origines modestes teintent la perception de cette sucrerie depuis lors. Les premiers livres de cuisine canadiens, qui ont principalement adapté la cuisine européenne au contexte local, l’ont notamment négligée. Le sucre à la crème s’est néanmoins largement répandu. Son omniprésence et son originalité lui ont conféré une certaine importance culturelle. Malgré cela, plusieurs historiens de l’alimentation et ethnographes lui ont depuis assigné une origine exogène, perpétuant ainsi les idées reçues à propos de l’histoire du manger et du boire au Québec. À l’aide d’une variété de sources historiques et ethnographiques et de quelques notions de physico-chimie, cet article tente de rectifier l’histoire du sucre à la crème.
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Les champignons comestibles forestiers du Québec : un secteur émergent, une culture culinaire à inventer
Alain Girard et Laurence Palin
p. 199–222
RésuméFR :
Cet article situe tout d’abord le secteur des produits forestiers non ligneux (PFNL) destinés à la gastronomie en le positionnant dans l’histoire récente du secteur et dans le temps plus long de ses usages dans l’histoire du Québec. Nous relevons que ce n’est que très récemment qu’un engouement se développe dans la population et plus largement dans les milieux de la restauration. Ensuite, nous présentons une analyse des données issues d’entrevues individuelles réalisées avec des acteurs qui ont des rôles clés dans le secteur : cueilleurs, transformateurs et instances territoriales de concertation et de coordination. Parmi les transformateurs, les restaurateurs retiennent particulièrement notre attention et font l’objet d’une analyse plus détaillée. Nous concluons en soulignant qu’il n’existe pas de culture culinaire liée à ces produits au Québec et que les chefs ont devant eux une page blanche qui laisse toute la place à leur créativité afin de créer de toute pièce cette culture culinaire qui représente une vitrine exceptionnelle pour le secteur et ses produits, faisant du Québec un territoire de gastronomie nordique.
EN :
This article first considers the sector of non-timber forest products (NTFP) intended for gastronomy by positioning it in the recent history of the sector and in the longer time of its uses in the history of Quebec. We note that it is only very recently that a craze has developed among the general public and, more broadly, in catering circles. Then, we present an analysis of data from individual interviews carried out with figures who play key roles in the sector: pickers, processors, territorial consultation and coordination bodies. Among processors, restaurateurs in particular attract our attention and are the subject of a more detailed analysis. We conclude by emphasizing that there is no culinary culture linked to these products in Quebec and that chefs have in front of them a blank page which leaves plenty of room for their own inventiveness in order to create this culinary culture from scratch, representing an exceptional showcase for the sector and its products, making Quebec a territory of northern gastronomy.
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La génération de la localité : les espaces vivants des bières sauvages au Québec
Van Troi Tran
p. 223–244
RésuméFR :
Depuis l’essor exceptionnel des microbrasseries au Québec depuis les années 1990, l’importance symbolique et identitaire des productions microbrassicoles québécoises n’est aujourd’hui plus à démontrer, et elles ont d’ailleurs déjà fait l’objet de nombreuses analyses sémiotiques et sociologiques. Cet article propose de se pencher sur un nouveau phénomène, celui de l’utilisation de levures sauvages pour la production de bières à fermentation spontanée. Alors que l’encadrement réglementaire défini par l’Agence canadienne d’inspection des aliments et imposé par la Régie des alcools, des courses et des jeux du Québec (RACJ) ne permettait pas originellement l’usage de levures sauvages selon l’interprétation de la RACJ, un assouplissement dans la lecture du règlement en 2017 a permis l’émergence de nouvelles pratiques brassicoles permettant la fermentation spontanée des brassins. Nous aborderons dans ce texte trois facettes de cette nouvelle vogue, soit l’inscription de ces pratiques brassicoles dans un mouvement « post-pasteurien » qui induit ses propres formes de spatialisation étant donné les spécificités matérielles de la bière sauvage, le développement d’un savoir-faire brassicole entre science et artisanat au contact d’actants vivants et souvent imprévisibles, et la dimension identitaire de cet usage des levures sauvages qui amènent à repenser la définition de la notion de terroir pour le monde brassicole.
EN :
Since the exceptional growth of microbreweries in Quebec since the 1990s, the symbolic and identity-related importance of Quebec microbrewery productions no longer needs to be demonstrated, and they have already been the subject of numerous semiotic and sociological analyses. This article proposes to look at a new phenomenon, that of the use of wild yeasts for the production of spontaneously fermented beers. While the regulatory framework defined by the Canadian Food Inspection Agency and imposed by the Régie des alcools, des courses et des jeux du Québec (RACJ) did not originally allow the use of wild yeasts according to the interpretation of the RACJ, a relaxation in the reading of the regulation in 2017 allowed the emergence of new brewing practices allowing the spontaneous fermentation of brews. In this article we will address three facets of this new vogue, namely the inclusion of these brewing practices in a “post-Pasteurian” movement which induces its own forms of spatialization given the material specificities of wild beer, the development of a brewing know-how between science and craftsmanship in contact with living and often unpredictable agents, and the identity dimension of this use of wild yeasts which lead us to rethink the definition of the notion of terroir for the brewing world.