Résumés
Résumé
À partir des conclusions tirées de notre thèse (consacrée à l’étude du phénomène de l’enregistrement en studio de la paranda garifuna en Amérique centrale), cet article soulève certaines des préoccupations théoriques et méthodologiques qui apparaissent quand l’ethnomusicologue contemporain décide de faire du studio d’enregistrement son principal terrain de recherche. Dans ces studios où se créent les musiques à vendre, des relations de pouvoir se déploient en permanence autour d’un enjeu principal : le contrôle de la manipulation électronique des sons enregistrés. S’il fait office de laboratoire expérimental pour ses acteurs (musiciens, ingénieurs du son, réalisateurs…), le studio d’enregistrement offre à la recherche ethnomusicologique un microcosme au sein duquel un appareillage technique sophistiqué se trouve manipulé en fonction d’interactions entre des individus. En se basant sur une revue de littérature interdisciplinaire, cet article propose une base théorique et méthodologique pour toute recherche ethnomusicologique portant sur le rôle et la place du studio d’enregistrement dans l’analyse de phénomènes musicaux contemporains.
Abstract
Drawing from the conclusions of our Ph.D thesis (which studied the phenomenon of studio recording of the garifuna paranda in Central America), this article raises some of the theoretical and methodological concerns that emerge when the contemporary ethnomusicologist decides to make the recording studio his or her main research site. In these studios where music is created, power relations are constantly deployed around a main issue: control over electronic manipulation of recorded sounds. While it acts as an experimental laboratory for its actors (musicians, sound engineers, producers…), the recording studio offers to ethnomusicological research a microcosm in which a sophisticated technical apparatus is manipulated through interactions between individuals. Based on an interdisciplinary literature review, this article will provide a theoretical and methodological basis for any ethnomusicological research that will focus on the role and place of the recording studio in the analysis of contemporary musical phenomena.
Corps de l’article
Pour moi, il n’y a pas une recette de terrain,
une façon de faire
de l’ethnomusicologie,
car tout découle du terrain qui, lui, est singulier.
La méthode
doit répondre à une pertinence
dont la portée est à la fois culturelle et scientifique.
Fernando et Desroches 2009 : 250
L’ethnomusicologie – cette science humaine née en révolte contre la suprématie ethnocentrique de la musicologie historique européenne – n’a cessé de se développer en fonction des innombrables terrains de recherche investis par ses chercheurs. Depuis les premiers enregistrements de Constantin Brăiloiu (auprès de musiciens roumains au début du siècle dernier) aux recherches expérimentales de Simha Arom (notamment dans des populations pygmées en Afrique centrale), jusqu’aux collections de disques estampillés « musiques du monde » (comme par exemple Folkways Records aux États-Unis, ou les labels Ocora et Inédit en France), les recherches ethnomusicologiques ont donné lieu à la publication de nombreux enregistrements discographiques, généralement présentés comme dénués de tout « artifice » de studio.
La plupart du temps, l’ethnomusicologue a ainsi toujours cherché à restituer de la manière la plus transparente la réalité sonore de tel ou tel phénomène musical présent sur son terrain. Pour ce faire, son appareillage technique d’enregistrement a très souvent été constitué d’un enregistreur stéréophonique portable – des premiers Nagra aux enregistreurs numériques de type Zoom. Ce faisant, l’ethnomusicologie a grandement contribué à l’établissement d’une certaine norme d’enregistrements discographiques, que l’ethnomusicologue et réalisateur de studio Christopher A. Scales appelle, à la suite de Kay Kaufman Shelemay, des « scholarly ethnic recordings » (Scales 2012 : 263). Aujourd’hui, face à la démocratisation et la miniaturisation du matériel d’enregistrement audionumérique, désormais disponible et abordable dans de plus en plus de recoins de la planète, l’ethnomusicologue contemporain se trouve face à de nouveaux phénomènes sociomusicaux qui utilisent dorénavant la technologie du studio d’enregistrement comme principal outil de création et de diffusion musicale.
À partir des conclusions tirées de notre thèse (consacrée à l’étude du phénomène de l’enregistrement en studio de la paranda garifuna en Amérique centrale), cet article soulève certaines des préoccupations théoriques et méthodologiques qui apparaissent quand l’ethnomusicologue contemporain décide de faire du studio d’enregistrement son principal terrain de recherche[1]. À partir d’une revue de travaux interdisciplinaires, nous proposons une base théorique et méthodologique pour toute recherche ethnomusicologique portant sur le rôle et la place du studio d’enregistrement dans l’analyse de phénomènes musicaux contemporains.
Définition du cadre théorique
Partant de la prémisse épistémologique selon laquelle « la musique est un système de communication impliquant des sons structurés produits par des membres d’une communauté qui communiquent avec d’autres membres » (Seeger 1992 : 89, traduction libre), l’étude ethnomusicologique du studio d’enregistrement se fonderait sur une approche qualitative en ce qu’elle vise à « rendre le sens des phénomènes, ou les interpréter, dans les termes des significations que les gens leur confèrent » (Denzin et Lincoln 1994 : 2, traduction libre).
Par conséquent, l’analyse des discours « sur » la musique – émis par ses créateurs (en situation d’enregistrement ou pendant la tenue d’entrevues semi-dirigées, individuelles ou collectives) et par les divers publics touchés (critiques de disques, auditeurs-consommateurs internationaux et musiciens-réalisateurs locaux) – devra être combinée à une approche musicologique de la construction du son en studio. Il s’agira donc d’osciller entre le concret de l’expérience de terrain et des entrevues d’une part et, de l’autre, de procéder à l’abstraction conceptuelle et théorique nécessaire à la compréhension progressive des caractéristiques fondamentales de l’objet d’étude.
En effet, la souplesse des méthodologies d’analyse qualitative permet de bâtir une méthodologie analytique hybride, adoptant une posture épistémologique fondée sur l’idéal d’une ethnomusicologie interdisciplinaire[2]. Dans le cadre d’une telle démarche, il faudra accepter l’éclairage apporté par d’autres disciplines sur le même objet, tout en mettant progressivement en place notre propre boîte à outils méthodologiques – en fonction de leur intérêt scientifique concret pour l’avancement de la recherche. C’est donc bien la volonté d’intégrer cette pensée interdisciplinaire qui formerait le leitmotiv d’une recherche ethnomusicologique centrée sur le studio d’enregistrement, qui, en plus d’emprunter des outils à l’anthropologie, la musicologie (incluant l’analyse des musiques populaires), la sociologie, l’ethnographie, l’histoire, les sciences politiques, ou encore l’électro-acoustique, s’intéresserait aussi à des aspects pratiques et techniques (liés notamment aux processus concrets de création et d’enregistrement sonores) qui font intrinsèquement partie du phénomène étudié.
Ces dernières préoccupations sont révélatrices de la diversité conséquente des outils méthodologiques et analytiques qu’un ethnomusicologue contemporain se doit d’adopter quand il aborde un sujet aussi riche que le phénomène de l’enregistrement en studio de genres musicaux « traditionnels[3] » ou non. Les nouveaux enjeux méthodologiques que pose ce type de recherche apparaissent au moment où le zeitgeist dans les sciences humaines et sociales laisse de plus en plus de place à l’interdisciplinarité et la transversalité – indiquant la nécessité d’une pensée résolument conjonctive.
La richesse d’un tel objet d’analyse impliquerait donc un nécessaire recours à une posture épistémologique fondée sur une interdisciplinarité – académique mais aussi plus largement pratique – permettant vraisemblablement de se rapprocher de réalités différentes grâce à la transversalité disciplinaire et la circularité des points de vue. Selon Denis-Constant Martin, une approche pluridisciplinaire en ethnomusicologie serait valide à condition de prendre en compte de manière systématique la spécificité du phénomène appréhendé à travers l’analyse des « techniques et des matériaux d’où surgit l’oeuvre ».
Si la multiplicité des points de vue et des techniques d’investigation est la garantie d’un résultat fécond, s’agissant de musique il est néanmoins indispensable que soit prise en compte la spécificité des phénomènes envisagés, donc les manières dont sont, acoustiquement et socialement, organisés les sons.
Martin 2005 : 21
Face à un objet de recherche contemporain impliquant nécessairement une fine analyse des processus créatifs dynamiques qui lui donneraient vie (à travers le prisme technologique du studio d’enregistrement), une telle ethnomusicologie se retrouverait donc – bien que questionnée dans ses fondements mêmes, aussi bien terminologiques qu’épistémologiques – en bonne posture pour voir son champ et ses apports s’élargir à de nouveaux objets musicaux, fruits de stratégies créatives inédites et influencés par une multitude de facteurs intrinsèques et extrinsèques. Car, comme le soutiennent Monique Desroches et Brigitte DesRosiers (1995 : 3-4), « l’histoire du terrain, c’est aussi celle de l’ethnomusicologie. Les approches de terrain, tout comme les méthodes et les techniques, ont toujours suivi le développement de la discipline ».
Le studio d’enregistrement comme laboratoire
Car ce principal terrain, le studio d’enregistrement, représente en effet pour l’ethnomusicologie un terrain nouveau[4], que l’on se doit d’aborder avec une méthodologie actualisée en fonction des spécificités techniques qui le constituent. S’il fait office de laboratoire expérimental pour ses acteurs (musiciens, ingénieurs du son, réalisateurs…), le studio offre à la recherche ethnomusicologique un microcosme au sein duquel un appareillage technique sophistiqué est manipulé en fonction d’interactions entre individus – interactions qui prennent vie selon une hiérarchie, implicite ou non, entre ces mêmes personnes –, ce qui constitue un lieu d’observation idéal pour le sociologue Antoine Hennion.
In the popular music studio, we are in a room that merits the name laboratory both for producers and for sociologists. Producers work up their musical experiments there. It is a laboratory for sociologists, if they accept the idea that what happens there can help them measure the forces at play in music, whereas normally they are confronted only with objects already constructed, hermetically sealed in their own logic, leaving no sign of their dynamic.
Hennion 1989 : 406-407
Hennion suggère ainsi que le studio d’enregistrement représenterait un laboratoire également pour le chercheur, qui pourrait y observer de l’intérieur les nombreuses interactions qui s’y nouent. Dans cet « antre du “bidouillage” […] où se concoctent les musiques à vendre » (Arom et Martin 2006 : 157), des relations de pouvoir se déploient en permanence autour de l’enjeu principal qu’est le contrôle de la manipulation électronique des sons enregistrés (Meintjes 2003). Car c’est en fait la maîtrise même des paramètres technologiques du studio qui conditionnerait le déploiement des processus créatifs et artistiques en présence – comme l’avait déjà remarqué, dès 1936, Walter Benjamin en avançant que les techniques de reproduction et d’enregistrement « s’étaient taillées une place bien à elles au sein des processus artistiques » (2008 : 21, traduction libre). Pour Trevor Pinch et Karin Bijsterveld (2004 : 635), les ingénieurs du son occuperaient dorénavant une place équivalente à celle des musiciens dans la fabrication du « son » en studio.
Le rôle et la place de l’ingénieur du son en studio a également été théorisé par Edward R. Kealy (1979), Paul Théberge (2004), et Thomas Porcello (2004 et 2005), pour qui cette activité professionnelle et artistique dépasserait largement le cadre des compétences techniques – révélant pour le chercheur qui s’y intéresse une série de fins (« sociales, politiques, économiques et esthétiques ») stratégiquement motivées.
[…] expanding the definition of « engineering » beyond the narrow confines of technological work on music invites the investigation of how individuals, corporations, industries, and governments continually mine the nexus of music, sound, and technology for strategic social, political, economic, and aesthetic ends. Engineering can no longer simply be cast as the ethereal, nitpicking, obsessive, complex activity of the sonic technogeek ; it is an everyday strategic activity demanded by living and acting in a world of mediated sound and music.
Porcello 2005: 275
Devenue « notre principal mode de réception musicale » (Gracyk 1997, cité par Pras 2012 : 88, traduction libre), la technologie de l’enregistrement en studio représenterait désormais l’unique paradigme à travers lequel l’essentiel des productions discographiques seraient formatées, en vue de leur consommation auditive, sous forme de « marchandises » circulant dans des flux de plus en plus mondialisés.
L’enregistrement, acoustique puis électro-acoustique et enfin audio-visuel, a introduit une médiation technique qui permet la prise de connaissance à distance de musiques autres ; il a accéléré la vitesse de circulation des musiques et a permis d’en faire des marchandises complètement intégrées à une économie commerciale qui se mondialisait progressivement. Les techniques d’enregistrement et de traitement du son ont fait l’objet de recherches incessantes qui se sont traduites par une amélioration continue de la qualité des sonogrammes mais aussi par la mise au point d’outils nouveaux grâce auxquels toutes les manipulations, ou presque, sont devenues possibles.
Arom et Martin 2006 : 157
Le musicologue québécois Serge Lacasse avait, dès 1995, insisté sur le fait que les paramètres technologiques du studio d’enregistrement devaient être considérés comme des paramètres musicaux à part entière. Cinq ans plus tard, dans sa thèse de doctorat, il radicalisait son propos, en avançant que les techniques d’enregistrement en studio relèvent également de compétences artistiques – soutenant lui aussi que le studio serait devenu un instrument de musique à part entière.
Not only has technology allowed the creation of sound sources which never existed before […] and therefore peculiar to the technology – but it has also provided artists with yet another musical instrument : the recording studio. […] First thought of as means of registering and storing sound, recording techniques gradually became creative tools in their own right, this process changing, in turn, our perception of engineers and producers from the status of « technician » to that of « artist ».
Lacasse 2000a : 15
Lacasse s’appuie pour cela sur les écrits de William Moylan, pour qui le studio d’enregistrement représente un nouveau paradigme compositionnel, dans lequel la maîtrise de la technologie occuperait une place centrale.
The potential of controlling sound in new ways has led to new artistic elements in music, as well as to a redefinition of the musician and of music. […] A new creative artist has evolved. This person uses the potentials of recording technology as sound resources for the creation (or recreation) of an artistic product. […] Through its detailed control of sound, the audio recording medium has resources for creative expression that are not possible acoustically. Sounds are created, altered, and combined in ways that are beyond the reality of live, acoustic performance.
Moylan 1992 : 35, cité par Lacasse 2000a : 16
Paul Théberge, spécialiste canadien de l’étude des effets de la technologie sur l’industrie de la musique, a de son côté réfléchi à l’application des catégories analytiques proposées par le théoricien de la mondialisation Arjun Appadurai – « cinq dimensions de flux culturels globalisés » (1990 : 6) –, au cas particulier du studio d’enregistrement, soutenant que ce dernier ferait partie intégrante du technoscape[5].
[…] as the production and consumption of popular music have become part of the global cultural matrix, the contemporary recording studio must be considered as a central component of the « technoscape » that supports it.
Théberge 2004 : 771
La notion de « disjonction » (entre les sphères économique, culturelle et politique) proposée par Appadurai permettrait ainsi, selon Théberge, de comprendre « comment le studio d’enregistrement, en tant que type de technoscape, permet la production de musique autant à l’échelle mondiale par des élites dominantes qu’à une échelle plus régionale ou indépendante par des groupes organisés de façon autonome » (2004 : 762, traduction libre). Mais Théberge va plus loin dans son analyse conceptuelle du studio d’enregistrement, en s’appuyant sur les travaux de Marc Augé sur les non-lieux. Le studio constituerait, selon ce dernier, une sorte de non-lieu – un espace « qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique » (Augé 1992 : 100).
[…] the recording studio, whether one thinks of the elite studios of major metropolitan centers or the modest home studios of semi-professional and amateur musicians, should perhaps also be considered as a kind of « non-place » – a world relinquished « to solitary individuality, to the fleeting, the temporary and the ephemeral ».
Augé 1995 : 78 et Théberge 2004 : 763
Si cette caractérisation paraît de prime abord contestable (le studio d’enregistrement pouvant au contraire être appréhendé comme un lieu d’interactions socialement et technologiquement motivées), une autre proposition de Théberge semble pouvoir porter ses fruits dans le cadre de l’étude ethnomusicologique du studio d’enregistrement. À partir des concepts développés par le sociologue Manuel Castells (2000 : 443), Théberge avance que chaque studio d’enregistrement représenterait, au sein d’un réseau de communication plus large, un « noeud » individuel dont la fonction principale serait d’assurer le lien entre « le local et le global » (Théberge 2004 : 772).
À la suite de l’avènement de la technologie numérique, depuis les années 1980[6], et la miniaturisation de l’appareillage technique nécessaire à l’enregistrement musical (Pras 2012 : 22), des studios allaient progressivement éclore un peu partout dans le monde, sous l’impulsion d’individus de plus en plus conscients des possibilités offertes par cet « instrument en lui-même, que les musiciens et les équipes techniques de production ont exploité pour créer de nouveaux sons au lieu de se contenter de les capter » (Horning 2004 : 704, traduction libre).
[…] in what may seem the most unlikely places in the world – from Africa to Oceania, Asia to Latin America – individual musicians are using low-cost studio technologies to cut and paste the sounds of global pop with local musics, thus living out the contradictions of « global » and « local », of culture and identity in a (super)-modern world on their own terms.
Théberge 2004 : 774
Louise Meintjes, l’une des premières ethnomusicologues à s’être intéressée au phénomène de l’enregistrement en studio en contexte « non occidental », a proposé une étude pionnière de la fabrication, dans des studios de Johannesbourg, de musiques contemporaines sud-africaines. Illustrant la prémisse selon laquelle « la technologie n’est pas uniquement construite culturellement […] mais [que] ses usages se définissent également culturellement » (Wong 2003, cité par Porcello 2005 : 270-271, traduction libre), Meintjes reconnaît dans ce qui se passe en studio une illustration des dynamiques sociales propres à la société sud-africaine de la fin de l’apartheid (Meintjes 2003). Plus encore, ce serait à travers l’étude des interactions entre les acteurs du studio que l’on pourrait faire apparaître, a posteriori et grâce à l’analyse, ces mêmes dynamiques.
In-studio sound mixing is a process of negotiation for control over the electronic manipulation of style. If style is conceived as a performed and multilayered sign that expresses, constructs and reproduces the sensibilities of the artists (Feld 1990, 1988 ; Urban 1985, 1991, among others), then recording and mixing is a dramatized struggle over signs embodying values, identities, and aspirations. In their struggle, studio music-makers rework or reaffirm their sociopolitical and professional positioning in relation to one another. These negotiations concern the creative use of the studio’s technological resources even as they happen through it. The studio represents a microcosm of the society within which it exists.
Meintjes 2003 : 8-9
Sans aller, a priori, jusqu’à affirmer comme Meintjes que « le studio représente un microcosme de la société dans laquelle il existe », l’une des spécificités d’une ethnomusicologie du studio d’enregistrement résidera dans l’analyse de ce qui se passe dans le cadre du studio : en tant que lieu d’interaction entre réalisateur, ingénieurs du son et musiciens (qui manipulent à des niveaux divers des techniques d’enregistrement et de transformation du son), et aussi en tant que lieu de fabrication d’un produit commercial lancé sur un ou plusieurs marchés. Pour Karl Neuenfeldt, auteur d’une recherche novatrice sur le travail en studio de Nigel Pegrum, réalisateur australien spécialisé dans la production de disques labellisés « world music »,
[…] the recording studio can be appreciated as not only an industrial, musical, and aesthetic space. It is also the cultural space for negotiating the complex and sometimes contradictory demands of creativity, commerce, and culture common to « world music » projects (Meintjes, 2003). It is where all of the cultural baggage that participants bring with them into the sessions is mediated through music and where all of the energies of producers such as Nigel are directed toward making music people want to hear and buy.
Neuenfeldt 2005 : 87, nous soulignons
Dans cette perspective, les processus créatifs en jeu dans l’enregistrement d’un disque seraient en partie déterminés – en plus de la maîtrise des paramètres technologiques propres au studio – par des motivations d’ordre commercial, l’objectif de toute production discographique étant de répondre à des impératifs marchands. Ainsi, il serait possible de parvenir à une modélisation[7] de ce qui se passe en studio à partir de la paramétrisation systématique des aspects technologiques du phénomène de l’enregistrement discographique – conceptualisation qui permettra la prise en compte de la particularité des stratégies créatrices en jeu dans le cas de chaque projet discographique.
Place de l’ethnographie dans la recherche
Compte tenu de l’importance de cet environnement spécifique, il paraît essentiel de réaliser une ethnographie du travail en studio en tâchant de compiler des observations provenant aussi bien de situations d’enregistrement que des nombreux et inévitables moments d’attente et de réflexion entre ces mêmes moments. Dans le cas de notre recherche doctorale (Barnat 2013), les observations que nous avons pu collecter – pendant les trois semaines qu’ont duré les sessions d’enregistrement qui allaient donner naissance au disque Laru Beya d’Aurelio[8] – proviennent tout autant de situations passives (pendant lesquelles nous nous concentrions à prendre des notes, des photographies et des enregistrements vidéo de ce qui se passait) que résolument participatives (revêtant tour à tour les rôles d’assistant du réalisateur et de l’ingénieur du son, de guitar tech[9] et parfois même de musicien invité à la basse, à la guitare, et aux percussions). Cette double position d’observateur/participant (relevant finalement plus d’une participation observante), nous a permis d’avoir accès à des moments de vie intimes d’un enregistrement en studio. En partageant le quotidien de ces quelques individus plongés dans un éphémère microcosme créé dans l’unique but d’enregistrer un disque, nous allions nous fondre dans le groupe au point de ne presque jamais ressentir la barrière observateur/observé si présente dans la recherche sur le terrain.
Pour l’ethnomusicologue états-unien Frederick Moehn, invité à conduire pendant un mois une ethnographie au sein du studio Companhia dos Técnicos, à Rio de Janeiro, les situations qu’il a pu observer lui ont offert ce qu’il considère comme le cadre idéal d’une « description dense » – reprenant le concept cher à Clifford Geertz.
This monthlong project impressed me as a remarkably dense episode of collective, mediated cultural production – a perfect opportunity for « thick description » (Geertz 1973) and an event in which technology, space, power, and aesthetics in music making intersected distinctively.
Moehn 2005 : 48
L’anthropologue Thomas Porcello, qui a également fait du studio d’enregistrement son principal terrain de recherche, voit dans le recours à l’ethnographie de l’enregistrement discographique une opportunité de comprendre « la façon dont les gens utilisent la technologie pour orchestrer (que ce soit par la production, l’écoute ou la circulation) leur vie musicale et sonore » (Porcello 2005 : 270, traduction libre). Plus encore, il soutient que cette méthode permet de « faire entendre » les voix des acteurs impliqués, l’ethnographie faisant office d’un « rectificatif nécessaire qui donne voix non en premier aux théoriciens occidentaux qui souvent reproduisent – par inadvertance ou non – le discours du “ils font, nous théorisons”, mais à ceux de ces acteurs qui possèdent une voix éloquente, théorisée, qui leur est propre » (272, traduction libre).
Car, tout comme le souligne l’ethnomusicologue, ingénieur du son et musicien Eliot Bates, auteur d’une thèse (2008) qui porte sur différents studios d’Istanbul, en Turquie, c’est bien grâce à ses compétences techniques et musicales qu’il a pu accéder à des données cruciales pour sa recherche – le studio d’enregistrement représentant un espace relativement fermé, au sein duquel les visiteurs non spécialisés ne sont pas forcément les bienvenus.
[…] observing recording sessions to any meaningful degree was impossible without being an integral participant. Many sessions are closed to visitors. […] There was no comfortable accommodation for observers. To conduct an ethnography of studio work, I had to work in Istanbul studios – as an engineer, arranger, studio musician, or soloist. My audio engineering background predetermined the logical choice among these options.
Bates 2010 : 83
Bates soutient également que le fait d’être plus ou moins « familier » du fonctionnement de l’appareillage technique du studio d’enregistrement permet au chercheur d’avoir une meilleure idée de la teneur des différents types de manipulations qui caractérisent le travail d’un ingénieur du son.
[…] there is a palpable disjuncture between the appearance of the work at hand (an outsider’s impression of the human interface between technology and art) and the actual work of producing recordings. This is exacerbated with digital workflows where « recording engineering » is difficult to visually distinguish from other computer activities utilizing a keyboard and mouse.
Bates 2010 : 83
Ce serait donc grâce à une présence quotidienne au coeur du groupe d’acteurs impliqués dans un enregistrement discographique que l’ethnomusicologue a des chances d’assister à de riches détails ethnographiques – provenant autant de fractions de secondes (dans lesquelles un essai, ou une erreur, allaient donner naissance à de nouvelles orientations créatrices), que de longs moments passés à discuter de tout et de rien, dans l’attente commune d’enregistrer. Ainsi, le compte-rendu ethnographique d’un enregistrement discographique peut faire levier de différentes techniques littéraires – comme par exemple le recours au récit à la première personne du singulier (faisant part de nos impressions, écrites sur place), la transcription telles quelles de notes de terrain (extraites de notre carnet de terrain, qui relate jour après jour les événements marquants) ou de dialogues tenus en situation d’enregistrement.
Malgré cette proximité avec notre objet d’étude, nous croyons – tout comme le criminologue Alvaro Pires – qu’il est possible de garder une distance critique par rapport à cet objet, et ce surtout grâce à l’analyse : cette dernière peut avoir « pour effet d’ouvrir un espace nouveau entre le chercheur et son objet, ou d’introduire “un élément de froid” dans la chaleur de la relation entre l’analyste et son objet » (Pires 1997 : 41). Ce sera donc notre regard analytique d’ethnomusicologue qui nous permettra de faire entendre, tout au long d’une telle recherche, notre discours de chercheur.
Grille d’analyse pour une ethnomusicologie du studio d’enregistrement
L’ethnomusicologue états-unien Eliot Bates a proposé – à partir de l’exemple de studios d’enregistrements à Istanbul, comme nous l’avons mentionné plus haut – une grille analytique destinée à l’étude des pratiques d’enregistrement en studio. Elle se fonde sur l’analyse du rapport qu’entretiennent les interactions sociales (aussi bien dans le cadre restreint du studio, « entre les arrangeurs, les techniciens du son et les musiciens de studio qui effectuent la plus grande partie du travail de la production d’enregistrement », que plus largement entre les « réseaux sociaux et la culture institutionnelle des labels, des studios et des réseaux temporaires de production ») avec l’arrangement musical et l’ingénierie du son (Bates 2008, traduction libre).
Si ce modèle de Bates incorpore les trois éléments essentiels à toute recherche ethnomusicologique prenant pour principal terrain de recherche le studio d’enregistrement, nous proposons de compléter son modèle en plaçant l’ethnographie de ce qui se passe en studio au centre d’une telle démarche analytique. Dans cette perspective, chaque événement qui participe à la création du son en studio peut se rattacher à l’un des trois cercles exposés ci-dessus – à la condition de provenir d’observations réalisées en contexte, c’est-à-dire pendant la tenue d’une ethnographie réelle et soutenue du studio d’enregistrement. En positionnant une telle approche ethnographique au centre de ce modèle, nous parvenons ainsi à la définition d’une grille analytique – adaptable à n’importe quelle recherche portant sur le phénomène de l’enregistrement audionumérique – qui fonderait les bases d’une ethnomusicologie du studio.
En ce qui concerne les outils utilisés dans le cadre de l’analyse musicologique de la construction en studio d’un produit discographique (qui inclut les « arrangements musicaux »), la particularité d’un tel objet d’étude engage à un recours – en plus de la traditionnelle notation « occidentale », pour retranscrire des rythmes ou des mélodies – à des « représentations graphiques » (Lacasse 2000a : 36) directement extraites (par capture d’écran) des interfaces de la station audionumérique (digital audio workstation, ou DAW). Ces formes d’ondes permettent au chercheur de travailler à partir de retranscriptions extrêmement précises des sons enregistrés – aussi bien au niveau de leur dynamique que de leur durée – sur chacune des pistes de la fenêtre principale du logiciel de traitement sonore utilisé[10]. Pour Serge Lacasse, l’enseignement de la musicologie « traditionnelle » comporte des écueils quant à l’étude des procédés techniques utilisés en studio.
[…] l’émergence d’une esthétique de l’enregistrement exige du musicologue de musique populaire qu’il tienne compte des différentes manifestations sonores issues de l’utilisation de la technologie ; manifestations auxquelles une formation musicologique traditionnelle nous aura cependant mal préparé
Lacasse 1998 : 77
De plus, Lacasse avance que la notation « occidentale » serait, face aux différents paramètres technologiques du studio, limitée par le fait qu’elle ne prenne pas en considération la plupart de ces mêmes paramètres, véritablement laissés pour compte par la transcription « traditionnelle ». Il cite, pour appuyer son propos, un extrait de l’ouvrage Studying Popular Music, du musicologue britannique Richard Middleton.
[traditional] musicological methods […] tend to neglect or have difficulty with parameters which are not easily notated : non-standard pitch […] ; irregular rhythms […] ; specificities (as opposed to abstractions) of timbre ; not to mention new techniques developed in the recording studio, such as fuzz, wah-wah, phasing and reverberation.
Middleton 1990 : 104-105, cité par Lacasse 1998 : 78, 2000a et 2000b
Dans son livre Any Sound You Can Imagine : Making Music/Consuming Technology, Paul Théberge (1997 : 8) réalise un parallèle entre l’avènement de la technologie et l’émergence du concept de « son » d’un producteur ou d’un studio, entendu comme « une catégorie conceptuelle, une entité concrète et une marchandise ».
Notation, and the music publishing industry that became associated with it, dominated both art and popular music during the nineteenth and early twentieth century. With the advent of technical reproduction of sound, however, a new relationship between technology, musical practice, and the capitalist organization of production began to evolve. Musical « sound », as the product of both the unique contribution of the performer and a technological process, has become a focal point of this development.
Théberge 1997 : 185
Cette conceptualisation du « son » (d’un réalisateur, groupe, label, studio, ou même ville), a été analysée par de nombreux chercheurs, qui en ont fait l’objet principal de leur recherche (comme par exemple Olivier Julien, auteur en 1998 d’une thèse sur « le son Beatles ») ou qui le placent au sommet de la « hiérarchie des pertinences musicales » (Delalande 2001). En 1995, Virgil Moorefield exposait, dans les premières lignes de son livre, The producer as composer : Shaping the sounds of popular music, l’évolution du rôle du réalisateur en studio, qui aurait progressivement étendu ses compétences techniques à des décisions d’ordre artistique, ce qui fait de lui un véritable « auteur ».
Over the last fifty years, the philosophy and technique of music production have undergone a major transformation. As the activity of recording has widened his scope from a primarily technical matter to a conceptual and artistic one as well, it has assumed a central role in areas such as instrumental arrangements and the sculpting and placement of audio samples. The concept of a sound in the sense of stylistic choice, and the ability to capture and mold it, have grown in importance as recording technology has become increasingly complex. Contemporary conceptions of the role of the producer have been broadened through the examples set by the work of a number of extraordinary figures such as Phil Spector, George Martin, and Brian Eno.
Moorefield 1995 : xiii
Dix ans plus tard, Karl Neuenfeldt se lançait, à partir d’une recherche centrée sur la spécificité du « son » de Nigel Pegrum, réalisateur australien spécialiste de l’enregistrement de disques de didgeridoo, dans une définition du « son » comme « vision esthétique particulière », interprétation qui sera reprise par Peter Greene (2005 : 16).
[…] although recording technology may be standardized worldwide (given the relatively limited number of large manufacturers and formats), individual producers or engineers may still have particular ways of recording or mixing. These arise from their particular aesthetic vision, sometimes identified as a particular « sound », such as that connected to a producer (for example, Phil Spector or George Martin) or a place (for example, Nashville or Berlin).[11]
Neuenfeldt 2005 : 89
Le « son » d’une production discographique se trouverait donc en grande partie lié au rôle et à la vision esthétique du réalisateur, dont le travail serait aujourd’hui caractérisé par une extrême polyvalence.
The profession of record producer itself lies at the intersection of music, technology, acoustics, and management. Indeed the craft of recording stands between art and sciences and requires multiple skills.
Pras 2012 : 26
Face à la « démocratisation » des techniques d’enregistrement (manifeste à travers l’apparition et la multiplication exponentielle des home studios, depuis la fin des années 1980), la plupart des « grands » studios[12] allaient peu à peu fermer boutique – phénomène qui entraîna la disparition progressive de la plupart des métiers « traditionnels » du studio. Alors que, jusqu’à la fin des années 1970, un studio d’enregistrement comptait plusieurs professionnels assurant des tâches spécialisées et hiérarchisées[13], la tendance à la centralisation de l’ensemble des tâches productives par un ou quelques individus, aux compétences élargies, semble aujourd’hui être généralisée.
The specialized studio professions, i.e. record producer, recording engineer, editor, mixing engineer, mastering engineer, each corresponding to different stages of music production eventually disappeared in favor of « multiskilled » professionals handling the entire production process.
Neuenfeldt 2007, cité par Pras 2012 : 88
Conclusion
Le studio d’enregistrement représente donc un univers spatio-temporel défini et organisé selon une hiérarchie institutionnelle au coeur de laquelle prennent vie des interactions qui viendront influer sur l’oeuvre musicale. À partir d’un idéal sonore, les processus créateurs mis en jeu dans la pratique même de l’enregistrement sont donc conditionnés dans une dynamique artistique activée par la dichotomie « essais-erreurs », les tentatives expérimentales se soldant soit par leur adoption, soit par leur rejet. L’idée de départ d’un projet d’enregistrement en studio se trouve donc bouleversée par la tenue d’interactions – qui se nouent entre les acteurs impliqués, au moment des sessions d’enregistrement – dont les effets se mesurent après-coup sur le produit musical créé. Mais le travail en studio se caractérise aussi par la présence inévitable d’imprévus, touchant à des aspects aussi bien technologiques que musicaux. Le réalisateur en charge du bon déroulement de sessions d’enregistrement se doit donc de savoir faire face à tous les imprévus, qui peuvent aussi bien avoir des conséquences désastreuses sur l’ensemble du projet, qu’au contraire donner naissance à de nouvelles orientations, éventuellement fructueuses[14].
En prenant pour objet d’étude la réalisation d’une oeuvre musicale en studio, il est possible de pointer du doigt de nouvelles préoccupations méthodologiques et épistémologiques – qui se dessinent progressivement en fonction des impératifs analytiques amenés par ce « nouveau » terrain qu’est le studio d’enregistrement pour l’ethnomusicologie contemporaine. En gardant au centre d’une telle démarche l’analyse de la relation de l’homme à l’objet musical qu’il crée, le studio apparaît – en plus du cadre spatio-temporel dans lequel cette relation s’inscrit – comme un véritable laboratoire expérimental au coeur duquel se produisent des interactions, fruits de relations de pouvoir, dont les conséquences sur la création musicale sont mesurables grâce à la combinaison d’analyses musicologiques et sociologiques.
À partir du modèle proposé par l’ethnomusicologue Eliot Bates (en 2008 puis 2010), il est donc possible de parvenir à une grille analytique, applicable à tous les enregistrements en studio, qui relierait les interactions sociales (aux niveaux micro, entre les acteurs du studio, et macro, entre les réseaux de maisons de disques et de producteurs, aussi bien locaux qu’internationaux), aux arrangements musicaux en studio (produits directs de ces interactions) et aux techniques d’ingénierie du son (dont la maîtrise représente un prérequis indispensable au contrôle de la manipulation électronique des sons enregistrés). Au coeur d’une telle démarche analytique, le recours central à l’ethnographie permettra de mieux cerner la dynamique vivante de performances et de créations musicales (qui sont cristallisées dans le résultat sonore final), dynamique qui résulte finalement de la rencontre entre l’homme et la « machine » que représente le studio d’enregistrement.
Parties annexes
Notes
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[1]
Depuis les travaux pionniers de Steven Feld en Papouasie Nouvelle-Guinée et les recherches novatrices de Jocelyne Guilbault sur le zouk dans les années 1990, puis de Paul Théberge sur les rapports entre musique et technologie (1997, 2004), plusieurs auteurs se sont intéressés aux enjeux liés à l’étude de ce qui se passe en studio : Louise Meintjes (2003), dans des studios de Johannesbourg à la fin de l’apartheid ; Paul Greene au Népal (2005) ; Karl Neuenfeldt en Australie (2005, 2007) ; Frederick Moehn dans les studios de Rio de Janeiro (2005, 2012) ; Eliot Bates en Turquie (2008) ; mais aussi Christopher A. Scales au Canada (2012) et moi-même en Amérique centrale (2013).
-
[2]
Frank Alvarez-Péreyre offre une intéressante réflexion sur « l’utopie interdisciplinaire » dans l’introduction de L’exigence interdisciplinaire. Une pédagogie de l’interdisciplinarité en linguistique, ethnologie et ethnomusicologie (2003 : 7-11), dans laquelle il constate que « l’exigence interdisciplinaire s’impose si l’on ne veut pas s’engloutir dans la complexité constitutive du regard humain sur les choses, si l’on ne veut pas se laisser dominer sans défense par le kaléidoscope des motifs – psychologiques, sociaux, intellectuels – dont dépend peu ou prou toute rationalité » (10).
-
[3]
En raison de son caractère polémique (voir notamment l’ouvrage The Invention of Tradition d’Eric Hobsbawm et Terence Ranger, paru en 1983 aux Presses de l’Université de Cambridge), le terme « traditionnel » sera toujours indiqué dans cet article entre guillemets.
-
[4]
Du moins en ce qui concerne l’étude de musiques « non occidentales », car des sociologues (Hennion, dès le début des années 1980, ou encore Denis-Constant Martin, dans ses propositions pour une « sociologie des musiques modernes de diffusion commerciale »), des anthropologues (Porcello) ou des musicologues (Middleton, Lacasse) l’ont déjà abordée dans le cas des musiques populaires. On pourrait également y rattacher les recherches menées dans le champ des musiques concrètes après la Deuxième Guerre mondiale, ou encore la posture de Glenn Gould face à la musique classique occidentale dans les années 1960.
-
[5]
Défini par Appadurai comme « la configuration globale, toujours aussi fluide, de la technologie, et le fait que la technologie, tant de pointe que rudimentaire, tant mécanique que d’information, se déplace à présent à grande vitesse entre divers types de frontières autrefois imperméables » (1990 : 8, traduction libre).
-
[6]
« The introduction of digital technologies in the 1980s enhanced possibilities of creating recording artifacts and became synonymous with limitless sound transformation using the Music Instrument Digital Interface protocol (MIDI) to generate synthetic sounds ; Digital Audio Workstations (DAW) to record, mix and edit many tracks at the same time ; digital correction tools and multi-effects (software or hardware) to change pitch, time, reverberation, and remove unwanted noise » (Pras 2012 : 20). Pour Paul Théberge, la diffusion de ces nouveaux moyens technologiques s’est faite selon des « idéaux “démocratiques” qui ont caractérisé à la fois la cyberculture et le marché de la technologie des musiques électroniques au cours des vingt dernières années » (Théberge 1997 et 2004 : 777, traduction libre).
-
[7]
Dont le but analytique serait de mettre en évidence le fonctionnement d’un système à partir duquel il serait possible d’évaluer les transformations formelles et systémiques en présence (Arom 2007).
-
[8]
Laru Beya, Aurelio, 2011, Stonetree Records (STR032), Real World Records (CDRW180) et Sub Pop Records/Next Ambiance (SBL-72002). Les sessions auxquelles j’ai participé, en tant qu’ethnomusicologue, musicien invité et assistant à la production, se sont déroulées du 20 février au 12 mars 2008 sur une plage de la communauté garifuna de San Juan, sur la côte nord du Honduras, en Amérique centrale.
-
[9]
En charge de l’accordage et de l’entretien des guitares.
-
[10]
Les plus répandus étant notamment les logiciels Pro Tools (de Digidesign), Cubase et Nuendo (de Steinberg), Logic et GarageBand (d’Apple), ou encore Digital Performer (créé par MOTU). Pour des exemples de captures d’écran de ce type de logiciels, voir Barnat (2013 : 129-132).
-
[11]
On pourrait rajouter à cette courte liste d’exemples le cas du producteur Cosimo Matassa (qui allait participer à l’édification du rhythm n’blues et du « son » de la Nouvelle-Orléans des années 1950 et 1960) ou du label Stax Records (pionnier de la soul et du « son » de Memphis).
-
[12]
Comme par exemple en 2005 Hit Factory à New York ou, en 2001, Le Studio de Morin Heights, au Québec.
-
[13]
« […] a financial producer who paid for the project, a record producer who directed the sessions artistically, an executive producer who interfaced between the financial producer and the record producer, a sound engineer responsible for the sound, and an assistant to help with anything. In addition to musicians and composers, there was also an arranger and a transcriber to copy the scores. In this hierarchy, roles were very well defined, e.g. sound engineers did not interfere with artistic decisions » (Pras 2012 : 82).
-
[14]
Le cas du disque Buena Vista Social Club (World Circuit-Nonesuch, 1996) offre une illustration emblématique de ce principe d’adaptabilité, moteur de l’avancement de tout projet discographique. Cet album, qui allait rapidement atteindre un succès international sans précédent (allant jusqu’à devenir le disque le plus vendu en world music), était prévu initialement comme le résultat d’une collaboration expérimentale entre des musiciens cubains et maliens. Ces derniers s’étant vu refuser leurs visas en route pour La Havane, le producteur Nick Gold décida – en réponse à cet imprévu majeur – de combler les réservations qu’il avait faites des studios EGREM par la tenue de sessions d’enregistrement qui, contre toute attente, allaient relancer les carrières internationales de certains musiciens cubains, pour la plupart très âgés – comme notamment Compay Segundo, Ibrahim Ferrer ou encore Rubén González.
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