Articles

Performativité des identités noires dans l’espace publicPerformativity of Black Identity in Public Space[Notice]

  • Francine Saillant et
  • Pedro Simonard

…plus d’informations

Les communautés et cultures formées depuis l’expérience de l’esclavage dans les Amériques ont ceci en commun que leurs individus, en particulier ceux et celles qui vécurent la captivité, furent soumis à différentes formes de déshumanisation : il faut penser à la violence de la situation de captivité, aux diverses idéologies faisant des esclaves des objets de marchandages malléables et enfin, aux humiliations multiples, dont celle, fondamentale, du déni d’humanité. L’expérience de la sous-humanité attribuée des esclaves des pays d’Amérique du Sud, du Nord, des Antilles, transmise à travers les générations de captifs et d’affranchis fut le terreau d’élaborations culturelles complexes et plurielles, en chaque lieu unique, investies dans des sphères elles aussi multiples : les religions élaborées entre autres à partir de la mémoire Yoruba furent certes un lieu fondateur de création et surtout de recréation de l’Afrique en terre d’Amérique comme l’a si bien montré Bastide (1966) mais aussi plus récemment Olupona (2008). Des religions comme la santeria de Cuba, le vodou haïtien, le candomblé brésilien, pour ne nommer que ces dernières, furent entre autres au centre de la formation des cultures afro-américaines, cela parce qu’elles se sont construites en offrant un espace de résistance, de protection et d’identité pour ceux qui, injustement, furent niés même jusque dans leur identité d’humain. Leurs mots, leurs icônes, leurs images, leurs récits, leurs rythmes, leurs couleurs, leurs esthétiques traversent les cultures noires des Amériques. Les espaces sociaux et culturels de rencontre, avec tout ce que cela a comporté de violence, entre les sociétés et économies esclavagistes et les esclaves de la traite atlantique, par exemple dans les plantations, furent également le lieu d’hybridations culturelles (Glissant 2007) qui perdurent aujourd’hui. Elles ont donné lieu au jazz, à la samba, au gospel, aux carnavals de la Nouvelle Orléans ou de Rio, à la capoeira; ces hybrides vont même jusqu’à être pensés par les tenants du Tout-Monde, dont bien sûr Glissant, en tant qu’avènement de nouveaux « faits de civilisation ». Créées dans la marge et dans la douleur, elles ont permis la cohabitation de la transe, les débordements carnavalesques, les chants nostalgiques et mystiques, et tant de catégories produits d’infinis métissages, toutes formes de transcendance de cette expérience commune qui fut celle de la déshumanisation. On peut en dire de même des lieux où partout se sont retrouvés les fugitifs et les affranchis : territoires de quilombo, de marronnage et autres. De nombreuses formes de productions culturelles se sont trouvées, au fil du temps, au rendez-vous. Depuis lors, la musique, la danse, les fêtes, la littérature, le cinéma, et plus récemment, différentes formes de manifestations d’art urbain montrent l’immense vitalité des déploiements des cultures entre autres élaborées dans le contexte de l’héritage, direct ou indirect, de l’esclavage. Ces formes artistiques sont porteuses d’un message clef : même réduits à la sous-humanité, les esclaves et leurs héritiers ont sans cesse été les acteurs de leur vie et de leur avenir, au-delà des limites des conditions de vie les plus précaires du plus grand nombre. Jadis oubliés de la modernité des révolutions françaises et américaines, aujourd’hui le plus souvent laissés aux marges des cités des grandes villes des Amériques, bidonvilles, ghettos et favelas, ils ont, malgré cela, frayé le chemin d’un autre Nouveau Monde. Leur influence est immense et pénètre définitivement les cultures de masse. Leurs traces et leurs oeuvres en témoignent. Nous avons voulu traiter dans ce numéro du rapport plus particulier à l’autoreprésentation par les images, cela à travers le cinéma, la vidéo, la littérature, la bédé, en même temps qu’à travers ces images puissent se concentrer en elles, des formes d’art telles que …

Parties annexes