Corps de l’article

Introduction

Les stages, moments cruciaux dans la formation professionnalisante des étudiants et étudiantes, particulièrement dans les métiers relationnels, sont empreints d’enjeux. Parmi ceux-ci, un accroissement récent de la population étudiante en situation de handicap pose des défis aux acteurs et actrices en formation pratique en travail social. Les mesures d’inclusion et les accommodements s’avèrent assez bien documentés dans les cours théoriques en contexte universitaire, mais plus complexes en contexte de stage professionnel (Philion et al., 2019). Les défis rencontrés par ces étudiants et étudiantes ont tendance à s’accentuer lorsque vient le moment des stages (Bergeron-Leclerc et Simard, 2019; St-Onge, 2017). Face à cette problématique, les autrices ont réalisé une étude exploratoire, de nature qualitative, concernant les mesures d’inclusion des stagiaires[1] au baccalauréat en travail social à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), particulièrement ceux et celles manifestant des besoins sociopédagogiques[2]. Bien que cette étude ne puisse prétendre à une généralisation de ses données, elle permet d’entrevoir un phénomène peu documenté jusqu’à maintenant. S’inspirant des résultats de leur étude, les autrices s’interrogent et posent un regard, dans le cadre de cet article, sur l’équilibre à trouver entre l’autodétermination des stagiaires ayant des besoins sociopédagogiques et l’enjeu du savoir accompagner au sein des établissements d’enseignement afin de favoriser un environnement éducatif accessible à tous et à toutes.

Problématique et mise en contexte de l’étude

Au Québec, la proportion d’étudiants et d’étudiantes en situation de handicap dans les universités est en constante progression. En effet, s’appuyant sur les statistiques de l’Association québécoise interuniversitaire des conseillers aux étudiants en situation de handicap, la tendance s’est accentuée de 15,13 % entre l’année 2020-2021 et 2021-2022, passant de 22 014 à 25 344 étudiants et étudiantes (Gagné et Bussières, 2022). Cet accroissement est perceptible principalement au premier cycle, dans les disciplines liées aux métiers relationnels (développement humain et social, santé, éducation et gestion), et concerne plus particulièrement les populations dites « émergentes » (soit celles ayant un trouble de santé mentale, un trouble d’apprentissage, un trouble déficitaire de l’attention et un trouble du spectre de l’autisme). Ces chiffres impliquent uniquement les personnes ayant fait une demande au service d’aide à la communauté étudiante de leur établissement (Gagné et Bussières, 2022). Conséquemment, ce nombre pourrait être sous-évalué, considérant que plusieurs étudiants et étudiantes nécessitant des mesures d’inclusion ne feront pas de démarches officielles pour obtenir un diagnostic (Pautel, 2017) ou, encore, demeurent réticents à s’autodéclarer auprès du service d’aide de leur établissement (St-Onge, 2017). Cette nouvelle réalité pose des défis pour le personnel enseignant et les milieux professionnels qui les accompagnent. Ces défis sont particulièrement observables et s’accentuent en contexte de stage (Godard et Jolette, 2023; Lebel et al., 2016). À titre d’exemple, parmi les abandons, les échecs ou les prolongations de stage, une majorité concerne des étudiants ou des étudiantes présentant des troubles de santé mentale ou des troubles neurodéveloppementaux, diagnostiqués ou non (Bergeron-Leclerc et Simard, 2019). S’ajoute à cela, comme le souligne le ministère de l’Enseignement supérieur (2021), une diversification des profils étudiants et, par conséquent, une diversification des besoins.

Incidemment, une augmentation des demandes de soutien de la part des étudiants et étudiantes ayant des besoins particuliers s’observe dans les universités québécoises (St-Onge, 2017). Elle suscite des réflexions sur le plan de l’enseignement, mais aussi de la formation pratique. Correspondant à plus de 20 % du programme, les stages au baccalauréat en travail social à l’UQAT constituent une activité pédagogique structurée, réalisée dans un milieu de pratique, sous la responsabilité d’une personne répondante du milieu (nommée « accompagnatrice », et qui n’est pas nécessairement formée en travail social); d’une personne qui supervise (formée en travail social et détenant un minimum de trois ans d’expérience professionnelle); d’une agente de stage qui assure le placement avant l’entrée en stage; et d’une ressource-enseignante qui s’assure du bon déroulement du stage, effectue les évaluations et détermine les actions à poser dans les situations plus complexes[3]. La Figure 1 montre les différents individus qui gravitent autour d’un ou d’une stagiaire lors de l’étape du stage (Comité de formation pratique, 2022, p. 33). L’accompagnement des étudiants et étudiantes prend donc une dimension centrale.

Figure 1

Personnes impliquées dans l’accompagnement des stagiaires en travail social à l’UQAT

Personnes impliquées dans l’accompagnement des stagiaires en travail social à l’UQAT

-> Voir la liste des figures

Cette figure illustre bien le nombre de personnes encadrant le ou la stagiaire et suppose la concertation de toutes ces personnes dans son accompagnement.

Depuis quelques années, en écho avec l’augmentation des diverses réalités étudiantes et les demandes de soutien, les personnes encadrant les stages font face à différentes difficultés dans l’accompagnement de stagiaires ayant des besoins sociopédagogiques. Parmi ces difficultés, notons celle de trouver un milieu adéquat lors du placement. Plusieurs milieux ou personnes qui supervisent se sentent démunis ou craintifs à l’idée d’accueillir ces stagiaires, ce qui engendre souvent une méconnaissance de ces réalités. De plus, lors des moments d’évaluation, distinguer les limites d’une compétence chez le ou la stagiaire de l’inadaptation du milieu d’accueil peut s’avérer ardu. Ces observations préfigurent une étude réalisée entre 2019 et 2021, et qui avait pour but d’améliorer l’expérience de stage au baccalauréat en travail social de l’UQAT des étudiants et des étudiantes, particulièrement ceux et celles manifestant des besoins sociopédagogiques, et celle des milieux qui les accueillent[4]. Le terme besoins sociopédagogiques, englobant les besoins éducatifs particuliers des étudiants et des étudiantes, est privilégié conformément à une approche inclusive, et ce, en cohérence avec les idées centrales et repères épistémologiques du paradigme de la participation sociale (Fougeyrollas et al., 2018), tel que cela est explicité dans le cadre d’analyse.

L’étude a mobilisé les différents acteurs et actrices des stages dans un processus réflexif sur la trajectoire de ces étudiants et étudiantes. À cet égard, différentes personnes impliquées dans l’encadrement de stagiaires ont été sollicitées lors d’entrevues et de groupes de codéveloppement, tout comme des stagiaires ayant des besoins sociopédagogiques afin de colliger une diversité de points de vue. À la lumière des résultats de cette présente étude, quelques questionnements perdurent quant à l’investissement de l’équipe d’encadrement et la négociation entre l’autodétermination du ou de la stagiaire, et les contraintes existantes dans les milieux de pratique, mais également dans la difficulté, pour les étudiants et les étudiantes ayant des besoins sociopédagogiques, à parfois reconnaître, comprendre ou accepter leur réalité particulière. En ce sens, comment favoriser l’autodétermination de la personne étudiante et la capacité à participer activement à sa réussite dans un contexte académique et pratique où règnent des normes et des exigences à atteindre? Comment négocier l’appréciation du cheminement de l’étudiant ou l’étudiante à travers les différentes perspectives de l’équipe d’encadrement? Jusqu’où devons-nous accompagner et soutenir l’étudiant ou l’étudiante en difficulté?

Cadre d’analyse

Le cadre d’analyse présente dans un premier temps des repères théoriques et épistémologiques du paradigme de la participation sociale (Fougeyrollas et al., 2018). S’inscrivant dans une approche inductive, les principes fondateurs du modèle de processus de production du handicap de Fougeyrollas et al. (2018) ont été utilisés dans la recherche, mais sans faire l’utilisation de ses nomenclatures ou échelles de mesure. Ces principes servent à appréhender et à analyser la situation sociale vécue par la personne étudiante. Par ailleurs, bien que les concepts d’accompagnement et d’autodétermination n’aient pas été initialement prévus dans la recherche[5], des éléments de leur définition sont présentés, nous permettant ainsi d’approfondir dans cet article certains questionnements entourant les pratiques d’accompagnement et d’inclusion des stagiaires ayant des besoins sociopédagogiques.

Situation de participation sociale

Adhérant à une approche inclusive dans cette étude, c’est le paradigme de la participation sociale (Fougeyrollas et al., 2018) qui est privilégié afin d’appréhender la notion du handicap. En s’appuyant sur les travaux de Fougeyrollas et de ses collègues (2018) – qui définissent un modèle de production du handicap fondé sur le changement social, l’interaction, la participation sociale et sur les droits de la personne –, le rôle de l’environnement devient central dans la prévention et la construction du handicap. Le milieu institutionnel éducatif, à l’instar d’autres contextes sociétaux, est lié à une mise en dialogue entre les facteurs personnels et les facteurs environnementaux dans la réponse aux demandes des étudiants et étudiantes ayant des besoins sociopédagogiques, afin de réduire les restrictions à la participation sociale.

Contrairement au modèle individualiste ou médical du handicap, centré sur les diagnostics où le handicap est perçu comme un déficit ou une incapacité, le modèle interactif et situationnel du handicap met en lumière qu’une personne étudiante tombe en situation de handicap parce qu’elle se retrouve dans un milieu éducatif inadapté ou mal adapté aux étudiants et étudiantes en situation de handicap (Fougeyrollas et al., 2016). Par conséquent, que l’étudiant ou l’étudiante détienne un diagnostic ou non, l’accent est mis sur la personne-en-contexte où les « facteurs qui influencent ces besoins peuvent être d’ordre cognitif, personnel, familial, social, socioéconomique, émotionnel, motivationnel, pouvant même découler des pratiques d’enseignement et du milieu de stage » (Godard et al., sous presse). Ce paradigme suppose notamment d’évaluer et d’agir sur les obstacles qui bloquent l’accès à une réussite éducative. La qualité de la participation sociale dépendra ainsi de l’interaction entre les caractéristiques des personnes et la qualité d’accès inclusif de leur milieu de vie (Fougeyrollas et al., 2016) ou, dans notre cas, du milieu universitaire et de leur milieu de pratique lors des stages.

Accompagnement en formation pratique

Les stages supervisés en milieux de pratique constituent une activité de premier ordre (Rousseau, 2005) concernant le développement de savoirs, d’attitudes et d’habiletés propres à un programme étudié. Ceux-ci agissent comme « catalyseur de la mise en relation des savoirs théoriques et pratiques lors de la réalisation de tâches authentiques qui se rapprochent le plus de l’exercice de la profession » (Leroux, 2019, p. 113). Dans une logique de progression pédagogique, les stagiaires ont la possibilité d’intervenir de façon autonome sous supervision, et ce, en conservant le droit à l’erreur. L’accompagnement se retrouve ainsi au coeur du processus d’apprentissage en formation pratique.

Polysémique, le terme accompagnement peut référer à une fonction, à une posture, à une relation et à une démarche, entre autres, où les personnes accompagnatrices « sont vouées à devoir s’adapter à chaque contexte et chaque matrice relationnelle » (Paul, 2009, p. 13). Le concept d’accompagnement peut également se définir, selon Beauvais, (2004, p. 101) comme « une démarche visant à aider une personne à cheminer, à se construire, à atteindre ses buts[6] ». Parallèlement, l’accompagnement évoque une mise en action pour « se joindre à quelqu’un pour aller où il va, en même temps que lui, à son rythme », où il passera d’un sujet-acteur à un sujet-auteur (Paul, 2016, p. 7). Dans tous les cas, il est question d’une dimension dialogique et intersubjective qui se crée, se développe et se transforme, en regard de contextes spécifiques, de fonctions et de postures à adopter, et selon un rythme qui lui est propre. Comme le suggère Vivegnis (2019, p. 49) c’est à travers les postures adoptées, soit les « manière[s] de s’acquitter de son rôle auprès de la personne accompagnée », que les pratiques d’accompagnement s’enchâssent dans une dynamique relationnelle. En ce sens, il semble pertinent de s’interroger quant à la posture empruntée pour faciliter, ou non, l’autodétermination de la stagiaire ou du stagiaire accompagné.

Autodétermination, vue sous l’angle de la participation sociale

Assise en travail social, l’autodétermination de la personne correspond à une valeur fondamentale (Mercier et OTSTCFQ, 2012) et à des principes éthiques (ACFTS, 2024; IASSW, 2018) sur lesquels s’appuie la profession. Balisant les actes quotidiens des travailleurs sociaux et des travailleuses[7] sociales dans le champ de l’intervention sociale, le droit à l’autodétermination suppose, entre autres, d’appréhender la personne, le groupe ou la communauté comme étant aptes et capables de faire des choix, ou encore de prendre des décisions en ce qui les concerne (ACFTS, 2024), et ce, en prenant en compte les occasions et les conditions de participation sociale.

Caouette (2020) présente différentes perspectives où l’autodétermination peut être perçue comme un construit, un droit, un besoin, un principe, un objectif ou encore une capacité. D’aucuns s’entendent pour dire que l’autodétermination, liée au pouvoir d’agir et au contrôle qu’exercent les personnes sur leur vie, renvoie au fait d’agir de façon autonome, tout en étant en mesure de se gouverner. Ainsi, Lachapelle et al. (2005) mettent de l’avant l’importance pour les personnes d’avoir la possibilité de faire des choix pour elles. Outre la capacité de réaliser des choix ou de décider, l’autodétermination implique la capacité « de mettre en oeuvre ses décisions, de les évaluer et d’en assumer les conséquences » (Masse, 2018, p. 18). En ce qui a trait plus spécifiquement aux étudiants et étudiantes ayant des besoins sociopédagogiques, l’autodétermination est associée à « l’autonomie, la participation à la prise de décision individuelle, la participation à la gestion des services offerts comme essentiels à leur participation active à la société (dont le scolaire) » (Robert et al., 2016, p. 30).

À la lumière des éléments de définition de l’accompagnement qui présuppose une dynamique relationnelle entre la personne qui accompagne et le ou la stagiaire, et de l’autodétermination comme valeur essentielle au travail social, qu’en est-il de la position ou de la posture adoptée par les personnes qui accompagnent les stagiaires tout au long du stage? De quelle manière s’acquittent-elles de leurs rôles? Quelle vision ont-elles des stagiaires? Les trois figures du travail social de Karsz (2011), au bout du compte, s’ajoutent au cadre d’analyse pour approfondir la réflexion et les questionnements du savoir accompagner des personnes encadrant les stages en travail social et de l’autodétermination. À cet effet, Kars (2011) distingue chez les personnes intervenantes la figure de prise en compte, de celles de prise en charge ou de charité. Dans la première, les personnes sont considérées comme des sujets sociodésirants et situent le rôle comme celui d’accompagnant, sans déterminer aucune méthodologie à l’avance. Cet accompagnement se détermine et se construit conjointement entre les personnes en relation, sans attente de résultats spécifiques. Alors que les deux autres figures présument des destinataires qui formulent des demandes (plus ou moins conscientes), les rôles sont alors respectivement de guider, d’orienter ou encore de secourir ou d’assister. Analyser les propos des personnes répondantes de l’étude au regard de ce cadre s’avère intéressant pour mieux comprendre les pratiques adoptées, tant par les personnes accompagnantes que par les stagiaires eux-mêmes.

Démarche méthodologique

De type exploratoire (Dolbec, 2000), l’étude visait à améliorer l’expérience de stage au baccalauréat en travail social de l’UQAT des étudiants et étudiantes, particulièrement ceux et celles manifestant des besoins sociopédagogiques, et des milieux qui les accueillent. Plus spécifiquement, elle visait à comprendre les besoins des différents acteurs et actrices des stages (stagiaires, professeures de stage, personnes répondantes du milieu et personnes superviseures); à accompagner les milieux de stage actuels et les personnes superviseures en les intégrant dans des groupes de codéveloppement professionnel[8]; puis à dégager des recommandations pour améliorer la structure des stages à l’UQAT.

Collecte de données et personnes participantes

Les chercheuses étant conscientes d’une limite de l’étude quant à son caractère ciblant uniquement le baccalauréat en travail social à l’UQAT, l’utilisation de trois outils de collecte de données (entrevue semi-dirigée, groupe de codéveloppement professionnel et questionnaire) a été privilégiée afin d’augmenter la validité et la rigueur par une triangulation des données (Robson et McCartan, 2016). Seuls les entrevues semi-dirigées et les groupes de codéveloppement, dont les données sont utilisées dans cet article, sont présentés.

Dans un premier temps, par des entrevues semi-dirigées, il a été question de récolter différentes perspectives auprès de cinq stagiaires diplômés[9] et de cinq personnes accompagnatrices à propos de thèmes ciblés : les perceptions quant au vécu en stage; l’identification de besoins, les accommodements et les mesures d’inclusion mis en place; les facteurs facilitants et les obstacles; ainsi que les propositions ou recommandations pour améliorer l’expérience de stage. L’entrevue permettait de construire du sens avec les personnes quant à leur expérience de stage, parfois plus difficile, et de dégager des recommandations. Ce sont tous des stages où des accommodements ou des mesures d’inclusion ont été déployés, dont, entre autres, une prolongation du temps de stage, une pause à la mi-temps du stage, un réajustement des heures de stage ou encore l’installation d’un logiciel sur l’ordinateur du milieu. Trois stagiaires réalisaient leur stage en milieu communautaire et deux au Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) du territoire de l’Abitibi-Témiscamingue ou des Laurentides. Majoritairement, les stagiaires interrogés étaient des étudiants et étudiantes en situation de handicap émergent[10].

Dans un deuxième temps, des groupes de codéveloppement professionnel ont également été réalisés en mode virtuel, en 2020-2021, dont un auprès de trois personnes superviseures et un deuxième auprès de trois personnes répondantes du milieu. Chacun des groupes s’est rencontré à trois reprises durant les sessions universitaires (à la mi-stage I, mi-stage II et fin de stage II). Les rencontres permettaient aux membres de partager sur des situations vécues dans le cadre des stages et de se réajuster au fur et à mesure. Ainsi, les personnes ont été en mesure d’améliorer leur expérience tout au long du stage. Les rencontres ont été enregistrées et analysées à la fin du processus en fonction des mêmes thématiques ciblées dans les entrevues.

Analyse des données

Dans le cadre de cette recherche, l’analyse du corpus de données (entrevues semi-dirigées, groupes de codéveloppement) s’est basée sur une analyse de contenu thématique (Paillé et Mucchielli, 2006), où il s’agissait de dégager les idées principales qui émanent des personnes participantes, et ce, au regard de thèmes définis précédemment. Les données recueillies ont été catégorisées et ensuite codifiées selon les grands thèmes (invariants) et les sous-thèmes émergents (variants), pour permettre ensuite une synthèse des données. Une codification interjuge entre les chercheuses a été privilégiée. Une attention a été portée à considérer tant le vécu en stage que le sens attribué à l’expérience des personnes participantes, permettant ainsi de mettre en relief des tensions et des enjeux vécus en stage lors de parcours plus singuliers ou parfois même atypiques.

Présentation des principaux résultats

Vu la richesse du matériel récolté, l’ensemble des données ne peut faire l’objet de cet article. Des données spécifiques ont été ciblées afin d’étayer les réflexions entourant l’accompagnement et l’autodétermination des stagiaires. Dans cet ordre d’idées, nous avons privilégié des résultats qui rendent compte de la manière dont l’accompagnement s’est déroulé dans les stages, à travers le regard de personnes accompagnatrices et de stagiaires.

L’accompagnement : source de questionnement

Plusieurs personnes soulignent avoir réfléchi à leur accompagnement dans le stage, et même s’être remis en question. Gage de réussite, l’autocritique, tant pour le ou la stagiaire que pour la personne qui accompagne, ressort comme idée centrale dans les témoignages. Par exemple, une superviseure énonce avoir pris du recul face à son rôle afin de bien accompagner la stagiaire :

Ça fait partie de mon travail de superviseure de supporter ces jeunes-là. Mettons que j’ai peut-être travaillé un peu plus fort que d’habitude, parce que moi aussi j’ai eu besoin de prendre du recul pis [de] regarder la situation pis [de] voir comment je pourrais supporter cette personne-là et comment… Il ne fallait pas qu’elle tombe. (Entrevue 3, superviseure)

Ce type de réflexion donne lieu à des modulations dans les façons d’accompagner les stagiaires. En ce sens, une autre superviseure juge nécessaire de s’ajuster à la réalité de l’étudiante en revoyant ses méthodes et en s’assurant de ne donner qu’une consigne à la fois (entrevue 2). Les stagiaires manifestant des besoins sociopédagogiques nécessitent des stratégies pédagogiques diversifiées. Toutefois, sur quelle base celles-ci doivent-elles se mettre en place? À cet égard, un répondant du milieu se questionne sur les contours des changements à instaurer pour faciliter les apprentissages du stagiaire :

On a starté sur un bon pied, je pense, et ça se poursuit, mais il y a encore des enjeux qui se présentent. […] Des fois, ça m’amène à me questionner sur : « Est-ce que je change ma façon d’accompagner à cause qu’on se doute par exemple qu’il a un trouble de… un déficit de l’attention, ou je me laisse-tu trop influencer par ça? » J’ai des petits dilemmes personnels dans mon rôle d’accompagnateur. Je ne veux pas changer les façons juste parce qu’on se doute qu’il a des… Puis en même temps, on veut s’adapter, s’il y a besoin de s’adapter. (Deuxième rencontre, codév. accompagnateur)

Trouver le juste équilibre ne s’avère pas toujours évident et les personnes souhaitent avoir toute l’information afin de prendre une décision éclairée.

La nécessité d’un travail concerté

Une superviseure expérimentée, connaissant les obligations légales et les enjeux liés à la divulgation[11], s’exprime quant à l’importance de connaître la situation de l’étudiant avec qui elle sera jumelée :

Mais ce développement qu’on a eu avec le début du stage, [avant] on se parlait tous au niveau de [l’étudiant] et on se parlait tous au niveau du besoin, et c’est ça qui a fait toute la différence. Tout le monde, la monitrice incluse, était préparé à ça, et on a eu le choix aussi de décider si on voulait le faire ou non. (Entrevue 9)

Ces questionnements et ces constats permettent d’adapter le projet de stage et de favoriser la réussite éducative des stagiaires. Pour y arriver, il est nécessaire de travailler de manière concertée entre toutes les personnes qui gravitent autour du ou de la stagiaire, à partir du moment où la stagiaire accepte de manière éclairée que sa situation soit divulguée, ainsi que de partager une vision commune de la situation.

Au contraire, l’écart de vision entre les personnes encadrant le ou la stagiaire est un obstacle à la réalisation du stage. À titre d’exemple, un superviseur externe a reproché au milieu de stage de ne pas être suffisamment présent pour le stagiaire, de prendre trop de stagiaires simultanément (entrevue 10). Tandis que dans une autre situation, la répondante du milieu mentionnait son impression initiale défavorable d’une superviseure, que celle-ci lui donnait l’impression que l’étudiante était un fardeau et la confrontait dans ses valeurs (entrevue 1). Ces perceptions entre les personnes qui accompagnent le ou la stagiaire peuvent nuire à la concertation et à la compréhension commune des exigences liées au stage. Elles peuvent inciter certaines personnes à réaliser des actions à la place des autres acteurs ou actrices, ou à la place de l’étudiant ou l’étudiante.

On l’a regardé ensemble, pis regardé c’est comme vite faite, parce qu’il fallait qu’elle le lise pour sa supervision, pis elle n’était pas prête, clairement, parce qu’elle n’avait pas accès au document avant. […] Fait que j’y dis : « Attends un peu, y me semble qu’il y a une fiche qui résume les étapes. Vas-y comme ça pour ta supervision, là, au moins je vais te nommer les grandes catégories, […] au moins t’arriveras pas avec rien à ta supervision parce que le document n’est pas prêt. » Mais encore une fois, j’ai pris de mon temps pour accompagner, pour dire que ça pas de bon sens qu’elle s’en aille à sa supervision. (Entrevue 1)

Les conditions pour l’identification des besoins par les stagiaires

Ces différentes manières de faire soulèvent des questionnements : quelle place prend le ou la stagiaire dans les décisions qui le ou la concerne? Et quelle place lui laisse-t-on prendre?

Les stagiaires doivent être en mesure de nommer leurs besoins et difficultés dans le cadre du stage. La majorité des personnes répondantes ont mentionné la création d’un lien de confiance qui se manifeste par l’ouverture, la flexibilité et la proximité comme facteur facilitant le bon déroulement du stage. Se sentir accueillie dans leur vécu est important pour les stagiaires ayant des besoins sociopédagogiques : « L’écoute de mon accompagnatrice, mais aussi des autres intervenantes. […] Le milieu de stage dans lequel j’étais, il a beaucoup de valeurs féministes aussi, fait que de prendre soin de l’équipe, c’est important. » (Entrevue 5, stagiaire)

En même temps, il importe de préciser que l’identification des besoins par les stagiaires eux-mêmes s’avère complexe pour certaines et certains d’entre eux. Une étudiante, habituée aux accommodements en contexte de cours traditionnel, a souligné l’incapacité d’identifier ses besoins une fois le stage commencé :

J’étais pas capable de les nommer [mes besoins]. Ouais, mais c’est une fois que tu es dans le milieu [que tu le sais]. J’avais jamais été sur un terrain, hein. […] t’sais, j’avais toujours été dans le milieu scolaire. Mes besoins, je pensais qu’ils étaient comblés. (Entrevue 4)

Tandis qu’un autre étudiant manifeste son impression d’avoir été ballotté durant le processus de placement :

[Le] fait de finir les cours théoriques et le fait de finir les stages, il y avait comme un entre-deux qui… je ne dirais pas qui n’a pas été fait, mais j’ai souvent eu l’impression dans les processus de stage que j’étais comme un sac de patates qu’on transportait, c’est-à-dire que ces accommodations-là m’ont été offerts ou parlés [sic], mais pas nécessairement en amont dans le sens comme si j’avais eu le choix de les choisir. (Entrevue 6)

En somme, les résultats montrent l’importance pour les acteurs et les actrices accompagnant le ou la stagiaire de réfléchir, de s’interroger sur leur savoir-accompagner et l’importance de se concerter au sein d’une équipe d’encadrement. Toutefois, ils soulèvent également la tension de l’équilibre à trouver entre l’autodétermination du stagiaire et l’enjeu de l’accompagnement en formation pratique. Cette tension nécessite d’être discutée plus amplement dans le cadre de cet article.

Discussion et réflexion critique

Tout d’abord, les résultats de notre étude nous amènent à interroger le rapport à l’autodétermination du stagiaire dans l’identification de ses besoins sociopédagogiques et le moment jugé approprié pour le faire. Nous nous interrogeons sur la préparation et le soutien à donner à ces étudiants et étudiantes pour y arriver. D’une part, il peut s’avérer ardu pour ceux et celles qui n’ont jamais oeuvré au sein de milieux professionnels d’identifier leurs besoins avant d’être sur le terrain, comme le montrent nos résultats; d’autre part, nous leur demandons de le faire alors qu’ils n’ont peut-être pas développé les habiletés nécessaires. En ce sens, l’étude de Robert et al. (2016) met en exergue que, pendant toutes les années du primaire et du secondaire, les élèves[12] bénéficient systématiquement de mesures d’aide par l’intermédiaire d’un plan d’intervention individualisé et, souvent, ces élèves reçoivent des services sans avoir à en faire la demande ou sans que leur participation soit nécessaire. Cela a pour effet que ces élèves sont peu habilités à soutenir le processus de demande d’aide, une fois qu’ils sont rendus aux études postsecondaires. Il peut paraître incohérent de promouvoir l’autodétermination sans s’assurer que les étudiants et les étudiantes possèdent les conditions pour l’atteindre. Pourtant, cette identification est garante d’une réponse adéquate à leurs besoins et du déploiement de mesures d’inclusion. Afin de favoriser une pleine participation sociale au monde universitaire et plus particulièrement à leur projet de stage, l’autonomie souhaitée chez les étudiants et étudiantes ne sous-entend-elle pas que ces derniers doivent bien connaître leur situation de handicap, leurs droits et les accommodements possibles et pertinents dans leur contexte de stage?

Cette méconnaissance des besoins sociopédagogiques de la part des stagiaires peut être liée à la conception des personnes qui les encadrent. Notre étude montre que les personnes accompagnant les stagiaires utilisent différentes stratégies pour combler un besoin d’accommodement non répondu ou encore pour tout simplement aider l’étudiant ou l’étudiante. Il arrive de constater que les personnes accompagnant les stagiaires font « à la place de » pour pallier certaines difficultés. Elles s’interrogent d’ailleurs sur leur rôle à tenir.

Ces stratégies nous semblent cohérentes avec les figures du travail social (Karsz, 2011) que nous retrouvons chez les personnes accompagnatrices. À cet effet, sommes-nous davantage dans une figure de prise en charge, où les stagiaires sont vus comme nécessitant support et soutien à travers des méthodologies prédéterminées dans les stages en travail social? Comment négocier avec l’institutionnalisation de la relation d’accompagnement dans un contexte de formation pratique en milieu universitaire où l’accompagnement de stagiaires se réalise au regard d’exigences d’évaluation, d’attentes des milieux de pratique, d’obligations et de différentes conceptions de notre rôle au sein d’une équipe d’encadrement? Comment notre propre posture influence-t-elle l’autodétermination du stagiaire?

Du même avis que Philion et ses collègues (2019, p. 74) qui mettent en relief que « ce sont les mesures d’accompagnement (l’effort formateur) qui se révèlent être la pierre angulaire pour relever les défis rencontrés par les stagiaires », il apparaît d’autant plus pertinent d’approfondir la question du savoir-accompagner en contexte de stage. Beauvais (2004, p. 104) souligne qu’« accompagner l’autre c’est faire un bout de chemin avec lui vers “quelque chose”, ce bout de chemin se construit en marchant et ce “quelque chose” s’invente en se faisant ». Mais de quel chemin parle-t-on? Quels rôles sont susceptibles de nous permettre de faire ce « quelque chose »? Soutenir l’idée selon laquelle l’accompagnant passera d’un rôle de formateur qui dirige, assiste, modélise à celui qui interroge et s’interroge (Philion et al., 2019), suppose une attention soutenue pour construire l’intelligence de la situation (Robin, 2007), telle qu’elle est comprise ou vécue par le ou la stagiaire qui se raconte. Pour ce faire, chercher à comprendre, favoriser l’analyse et soutenir l’identification de pistes d’action, ni en faisant à la place du stagiaire ni en assumant à sa place, suppose des qualités d’être et des compétences relationnelles (Cifali, 2015). Dans cette optique, l’accompagnement ne peut se réduire à des habiletés hors contextes, à une méthodologie et à des procédures qu’il s’agit d’appliquer. Il est possible, à l’instar de Cifali (2015), de formuler l’hypothèse que l’accompagnement nous éloignerait de la prise de pouvoir susceptible d’arriver dans les métiers relationnels, où certaines personnes intervenantes – tout comme celles qui accompagnent les stagiaires – adoptent une figure de prise en charge, désirant assister, guider, former (Karsz, 2011).

Dès lors, quelle position adopter pour porter attention à l’autodétermination souhaitée lorsque nous accompagnons un ou une stagiaire manifestant des besoins sociopédagogiques dans son parcours de stage? Nous sommes d’avis qu’accompagner le ou la stagiaire dans l’acquisition de savoirs et le développement de son identité professionnelle revient, comme le souligne Beauvais (2004, p. 107), à « l’accompagner vers davantage d’autonomie et donc davantage de responsabilité ». En ce sens, soutenir l’étudiant ou l’étudiante à se construire, dans la dernière année de sa formation initiale, engage la personne qui l’accompagne à faciliter la mise à distance de son vécu de stage pour conscientiser ses besoins et, le cas échéant, les défis ou difficultés rencontrées ainsi que les ajustements à mettre en oeuvre. Oser penser par et pour soi-même, mais avec une autre personne (inspiré de Lipman, 2003), voilà le défi à relever par le ou la stagiaire, au lieu de chercher à remplir des normes, des procédures ou encore des objectifs de stage, comme nous le constatons parfois dans nos pratiques d’enseignement et d’accompagnement. Au lieu de former par l’expérimentation où l’on s’attarde à développer et à maîtriser un savoir-faire en accomplissant des activités professionnelles, pourquoi ne pas envisager de former par l’expérience (Paul, 2022)? Du côté des accompagnants, cela suppose accompagner l’étudiant ou l’étudiante dans son parcours professionnalisant non pas pour que celui-ci s’adapte à un milieu de pratique, mais plutôt pour qu’il puisse construire du sens en lien avec son vécu et ses expériences en stage. Ce changement de paradigme dans l’approche à privilégier quant aux pratiques du savoir-accompagner les stagiaires constitue un virage intéressant à investiguer pour se situer dans une figure de prise en compte. En ce sens, est-il réaliste de penser des projets de stage sur mesure où l’équipe d’encadrement pourrait définir les objectifs et moyens de stage pour faire en sorte que l’étudiant ou l’étudiante puisse « se prendre en projet[13] » (Beauvais, 2004, p. 103)?

Conclusion

Il est impératif de poursuivre la réflexion sur l’inclusion et les pratiques d’accompagnement des stagiaires ayant des besoins sociopédagogiques dans leur parcours professionnalisant, puisque maints défis en découlent. Prenant assise sur les résultats d’une étude réalisée auprès de personnes stagiaires et de personnes accompagnatrices des stages en travail social à l’UQAT, l’importance de la création du lien dans la relation d’accompagnement en stage ainsi que l’équilibre à trouver entre autodétermination et le savoir accompagner sont mis en évidence. Dans cette perspective, cet article porte un regard critique sur le savoir-accompagner pour repenser les pratiques et les modalités de stage en travail social à l’UQAT, mais également pour favoriser l’autodétermination chez les stagiaires ayant des besoins sociopédagogiques.

En termes de limites, cette recherche qui cible exclusivement les étudiants et étudiantes en travail social de l’UQAT ne permet ni une généralisation des résultats ni une évaluation des effets. Le fait que la recherche portait initialement sur les défis de l’inclusion et les accommodements impose que les idées soulevées dans cet article soient examinées plus systématiquement dans d’autres démarches de recherche portant sur les pratiques d’accompagnement des stagiaires.

En dernier lieu, le décloisonnement de l’enseignement et des pratiques d’accompagnement, nous permettant de camper le savoir-accompagner dans un modèle plus inclusif de prise en compte, favorise l’éclatement des barrières et nous mène au-delà des pratiques actuelles basées sur le modèle médical de production du handicap et la normativité issue d’une figure de prise en charge des personnes. Il apparaît ainsi fondamental de repenser le savoir-accompagner, voire même le savoir-s’engager (Cifali, 2018) auprès des étudiants et étudiantes dans leur formation initiale, considérant l’importance de l’intersubjectivité dans les métiers relationnels, mais également dans l’enseignement, ainsi que dans l’accompagnement des stagiaires et des personnes accompagnatrices.