Corps de l’article

Dans un éditorial, Leclercq et Lecompte (2017) écrivaient :

Confiance. Quel travailleur social n’a jamais énoncé ce mot, brandi ce concept, pour décrire sa pratique et en particulier la relation d’aide avec ses bénéficiaires? Mais si, dans les champs du social, tout le monde s’accorde à reconnaître son importance, on constate qu’une fois les généralités passées, on peine à la penser, la définir, à en préciser le contenu comme d’en cerner les contours. Que signifie-t-elle? Comment se construit-elle?

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Aussi anodin que puisse sembler à première vue cet ensemble de questions, elles apparaissent pourtant, à y regarder de plus près, comme autant d’interrogations qui continuent de se poser aux professionnels et professionnelles du travail social. Elles se posent d’autant plus que la confiance prend corps dans des contextes où les relations que les individus entretiennent entre eux et avec leur environnement (communautés, réseaux sociaux, organisations, institutions, etc.) sont marquées par de forts degrés d’incertitude, de complexité et de vulnérabilité (Luhmann, 2001; Putnam, 2007; Zucker, 1986).

Bien qu’ayant fait l’objet de très nombreuses recherches (par exemple : Deutsch, 1960; Karsenty, 2011; Lewicki et coll., 2006; Li, 2007), la confiance demeure un concept difficile à définir (Laurent, 2009; Ogien et Quéré, 2006; Quéré, 2001; Rodriguez et Wachsberger, 2009). Comme le souligne Li (2007; voir aussi Li, 2012), il n’existe à ce jour aucun cadre intégré sur la nature, les caractéristiques, le contenu, les processus, les antécédents et les conséquences de la confiance. Pour certains auteurs et autrices, « la confiance se présente comme un donné préexistant à sa mobilisation, comme un déjà-là. C’est un élément de notre stock cognitif qui délimite l’espace des représentations possibles du monde » (Girard et Roussel, 2003, p. 177). Pour d’autres, la confiance se construit dans les « interstices » de la pratique (Karsenty, 2011; Seligman, 1997; Smith, 2001) et convoque trois registres : cognitif, affectif et social. Dans de tels contextes, soutiennent Ogien et Quéré (2006), la meilleure approche d’étude de la confiance observe ses fonctions sociales, qui découlent des pratiques d’accommodement des individus qui la mobilisent.

Si la mise en perspective théorique autour du concept de confiance donne à penser que l’on ne peut séparer cette réflexion de celle de sa mise en oeuvre située (Lallement, 2000), la question clé au coeur du présent article est celle que pose Breviglieri (2008, p. 92) : « De quelles compétences le travailleur social [et la travailleuse sociale] devra-t-il [ou elle] faire preuve pour construire une relation d’aide basée sur la confiance? » Si cet auteur répond à cette question en situant son analyse sur trois échelles de confiance — la « confiance dans le proche », la « crédibilité dans la parole » et la « confiance dans l’institution » —, ces différents niveaux ne recoupent pas en tout point la conception théorique de la notion même de « compétence » (Coulet, 2011; Le Boterf, 2002). En effet, à la question « À quoi reconnaît-on une compétence ? » (Bellier, 2000; Le Boterf, 2002; voir aussi Coulet, 2011) répond que c’est à la capacité qu’a un professionnel ou une professionnelle de sélectionner et combiner les savoirs, savoir-faire et savoir-être qui lui permettront de résoudre les problèmes auxquels elle ou il se trouve confronté sur le terrain de sa pratique.

C’est dans cette perspective que s’inscrit le présent article. Il vise à examiner les compétences (savoirs, savoir-faire et savoir-être) que les professionnels et professionnelles mobilisent et combinent pour accomplir leurs activités dans deux domaines clés du travail social : l’aide aux femmes requérantes d’asile victimes de violence sexuelle et les curatelles d’adultes; notons que ceux-ci ont fait l’objet de plusieurs transformations au cours de ces dernières années dans beaucoup de pays occidentaux, y compris en Suisse où a eu lieu notre étude.

La relation de confiance dans un contexte d’aide aux femmes requérantes d’asile victimes de violence sexuelle

L’actualité internationale de ces dernières années autour de la crise migratoire amène à se confronter régulièrement aux images de millions de personnes migrantes, parmi lesquelles de plus en plus de femmes, tentant de rejoindre les pays occidentaux. Si les motifs de fuite sont de divers ordres, les résultats de plusieurs recherches et rapports attestent que ceux liés à des violences sexuelles ou sexistes et à des viols subis au sein du pays d’origine sont parmi les motifs les plus importants de la décision des femmes de migrer (Conseil de l’Europe, 2019; Freedman, 2016; Keygnaerta et coll., 2012; Pannetier et coll., 2020).

En dépit de la visibilité mondiale des questions relatives aux violences sexuelles, grâce entre autres au mouvement mondialement connu #MeToo, la reconnaissance des violences sexuelles « en tant que motif[s] valable[s] pour l’obtention du statut de réfugié [ou réfugiée] demeure une préoccupation majeure pour les organismes internationaux de défense des droits de la personne et de défense des droits des femmes » (Lacroix et Sabbah, 2007, p. 20). Au niveau européen, plusieurs dispositions légales ont été prises au cours des dernières années pour promouvoir des politiques migratoires et d’asile sensibles aux questions de genre. Ainsi, l’article 60 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) du 1er avril 2018 vise à assurer que la violence fondée sur le genre à l’égard des migrantes demandeuses d’asile soit reconnue comme une forme de persécution et de préjudice grave, donnant lieu à une protection complémentaire ou subsidiaire (pour pouvoir bénéficier soit d’un statut de réfugiée au terme de sa procédure d’asile pour des raisons de persécution basées sur le genre, soit encore d’une protection internationale temporaire en cas d’existence de motifs sérieux de mise en danger faisant obstacles à son renvoi dans son pays d’origine). Toutefois, la matérialisation des dispositions (non contraignantes) de cette Convention dépend en grande partie des législations et politiques migratoires et d’asile, et des politiques d’intégration spécifiques à chaque État signataire.

Dans le contexte suisse, il n’existe pas de dispositions juridiques spécifiques à la protection des femmes demandeuses d’asile victimes de violences sexuelles dans la Loi sur l’asile en vigueur (Loi sur l’asile, LAsi du 26 juin 1998), même si cette loi indique qu’il y a lieu de tenir compte des motifs de fuite spécifiques aux femmes (art. 3, al.2 LAsi). Avoir subi de telles violences n’est a priori pas une condition donnant automatiquement droit à l’asile en Suisse, dont la réglementation juridique fonctionne sur la logique de la preuve et/ou de la vraisemblance (art. 7 LAsi). En d’autres termes, il revient à la personne requérant l’asile en Suisse de démontrer aux autorités les faits de violences sexuelles la concernant. Dès lors, raconter des faits de violences sexuelles dans un contexte d’asile soulève une question en trois temps :

  1. Comment, pour la victime, parvenir à raconter de tels faits, susceptibles de faire l’objet de déni, de dissociation et d’amnésie traumatique (Leserman, 2005), pouvant parfois rendre le dire impossible?

  2. Comment parler des violences sexuelles subies quand on sait que « d’une manière globale, parler des motifs de sa demande d’asile (c’est-à-dire raconter pourquoi on a quitté son pays) ne va pas de soi et encore moins des violences subies. Et évoquer des violences sexuelles est encore une autre affaire! » (Malhou, 2019, p. 12)?

  3. Comment parler des violences sexuelles subies avec des mots susceptibles de convaincre des individus inconnus de la victime, lorsqu’on sait que les violences sexuelles et leur dévoilement s’ancrent dans des rapports sociaux de genre et dans des réalités économiques, politiques, culturelles et locales qui peuvent entraver la « libération de la parole » (Lacroix et Sabbah, 2007) ?

Comme l’ont montré ces autrices, pour que s’ouvre la boîte de Pandore que sont les violences sexuelles en contexte d’asile, il est impératif pour les intervenantes et intervenants sociaux et autres praticiens et praticiennes s’inscrivant dans la chaîne des services et des soins offerts aux personnes migrantes « d’établir avec ces femmes une relation de confiance solide qui facilitera la mise en perspective de la violence »; car, en effet, « l’obstacle le plus important est le lien de confiance. La plupart des femmes nous associent aux autorités de l’immigration et ont peur » (Lacroix et Sabbah, 2007, p. 28–29). Dans cette dernière étude, la seule à notre connaissance à avoir examiné cette question de la confiance en lien avec la violence sexuelle dans un contexte d’asile, Lacroix et Sabbah avancent quelques pistes de réflexion à propos des défis pour la pratique, sans toutefois en faire l’analyse d’un point de vue des compétences mobilisées et combinées par les professionnelles interrogées. Or, « pour contrer ces difficultés dans le lien avec les individus et rétablir une relation de confiance, les professionnels [et professionnelles] de la santé et du social sont encouragés à développer leurs compétences interculturelles » (Bétrisey et Tétreault, 2019, p. 20). Selon Bartel-Radic (2009, p. 15), ces compétences consistent en la capacité des professionnels et professionnelles « de comprendre les spécificités d’une situation d’interaction interculturelle et de s’adapter à cette spécificité de manière à produire un comportement qui permette que le message émis soit interprété de la manière souhaitée » et qui réponde de manière adéquate aux besoins spécifiques des personnes migrantes (Azdouz, 2016; Cohen-Emerique, 2011; Leblond, 2004).

La relation de confiance dans un contexte d’aide contrainte

La protection juridique des personnes adultes inaptes est au coeur des débats politiques et sociaux depuis plusieurs années dans plusieurs pays occidentaux. S’inscrivant dans un contexte international prônant à la fois la reconnaissance des droits des personnes et leur autonomie, la Suisse a réalisé depuis le 1er janvier 2013 la première grande révision de son régime de protection de l’adulte, resté quasiment inchangé depuis 1912, afin de l’adapter aux profondes mutations sociales, économiques et démographiques de la société. Le nouveau cadre juridique vise la recherche d’un meilleur équilibre entre le respect et la préservation de l’autonomie de la personne et le devoir d’apporter aide et assistance à toute personne majeure qui est partiellement ou totalement empêchée d’assurer elle-même la sauvegarde de ses intérêts en raison d’une déficience mentale, de troubles psychiques ou d’un autre état de faiblesse affectant sa condition personnelle. Il repose en cela sur les principes de subsidiarité (l’aide apportée par les autorités doit intervenir en dernier recours lorsque les autres moyens de nature privée s’avèrent insuffisants ou ne permettent pas de protéger la personne majeure) et de proportionnalité (l’intervention des autorités doit pouvoir se limiter aux seuls domaines dans lesquels une aide s’avère nécessaire tout en préservant les autres).

Dans cette perspective, la loi énonce un certain nombre de principes d’action devant guider la pratique des mandataires judiciaires (appelés « curateurs ») à l’endroit des personnes judiciairement protégées, parmi lesquels celui d’établir une relation de confiance avec les personnes concernées. Ainsi, l’article 406 du Code civil suisse précise que « le curateur sauvegarde les intérêts de la personne concernée, tient compte, dans la mesure du possible, de son avis et respecte sa volonté d’organiser son existence comme elle l’entend. Il s’emploie à établir une relation de confiance avec elle, à prévenir une détérioration de son état de faiblesse ou à en atténuer les effets ». Depuis 2013, le lien de confiance entre les mandataires judiciaires et les personnes concernées par une mesure de protection se pose comme une pratique d’accommodement imposée à son bon déroulement. Or, comme le souligne Doucet (2001), si l’ingérence des uns vise l’autonomie des autres, il n’en demeure pas moins que cette injonction judiciaire de la confiance s’opérationnalise dans un contexte d’aide contrainte (Hardy, 2012), une « mise en quarantaine sociale et citoyenne » (Séraphin, 2001), dans laquelle la prise en considération civile et sociale de l’aptitude de ces personnes adultes à se gouverner elles-mêmes est a priori remise en question par une décision judiciaire (Eyraud, 2013).

Dans un tel contexte, entre l’obligation d’apporter aide et assistance à toute personne majeure qui en a besoin, et le respect et la préservation, autant que faire se peut, de son autonomie (Baudry-Merly et Hardy, 2015), subsiste une « zone grise » dans la relation d’aide, à l’intérieur de laquelle les professionnel(le)s doivent user de multiples ingrédients pour construire et maintenir une relation de confiance avec les personnes judiciairement protégées, tout en remplissant leur mission.

Le présent article repose sur cet ensemble de présupposés théoriques et les questions qui les fondent. Il s’agit de rendre compte des compétences mobilisées et combinées par les professionnels et professionnelles pour construire et maintenir des relations de confiance avec les bénéficiaires dans les deux domaines susmentionnés. Dans cette perspective, bien que certains auteurs et autrices conçoivent la confiance comme un déjà-là (voir, par exemple, Girard et Roussel, 2003), nous partageons davantage les points de vue de Leclercq et Lecomte (2018, p. 3), pour qui « la confiance ne va pas de soi, […] elle doit se construire », et de Marzano (2010, p. 62), pour qui « la confiance n’est jamais un pur “don” : elle est quelque chose que l’on construit, pour soi et pour l’autre; quelque chose que l’on “fait” et que, parfois, l’on “défait” ». Ce faisant, nous pensons que c’est à partir de situations réellement éprouvées, en combinant de multiples types de « savoir » que les professionnels et professionnelles, aux prises avec les réalités complexes et concrètes du terrain, construisent la relation de confiance avec les bénéficiaires de leurs actions.

Approches méthodologiques

Concordant avec les pensées avancées par Laurent (2009), selon lesquelles les expériences et les enquêtes constituent les deux approches centrales pour étudier la confiance, le recours à une démarche méthodologique qualitative nous a semblé le plus approprié dans le cadre de cette étude : d’une part, parce qu’il s’agit de privilégier la compréhension à la représentativité des données, en plaçant la subjectivité des acteurs au centre du questionnement; d’autre part, parce qu’une telle démarche, même lorsqu’on ne peut directement accéder aux pratiques concrètes des acteurs, permet néanmoins de les approcher (Boutanquoi, 2001) et d’accéder ainsi au registre des connaissances, des circonstances et des justifications qui fondent les pratiques. Ce d’autant plus qu’il s’agit d’un sujet qui, à notre connaissance, a été jusqu’ici très peu traité dans des recherches antérieures dans les deux champs du travail social considérés dans cet article. Cet article repose sur un travail de recherche de type qualitatif mené entre 2019 et 2020 autour d’une analyse des discours d’un échantillon de convenance (Fortin et Gagnon, 2016). Le choix de ces deux contextes contrastés permet, à notre sens, de cerner plus finement l’acuité (Lacroix et Sabbah, 2007) ou le « savoir agir en situation » (Le Boterf, 2002) des professionnelles et professionnels concernés dans leur contexte de travail. Conformément aux éléments théoriques sur lesquels elle s’appuie, l’enquête a consisté en 15 entretiens semi-directifs (Anadòn, 2006) d’une durée d’une heure, en moyenne, par personne auprès de deux groupes de professionnel(le)s. Il s’agit en tout de huit professionnel(le)s (sept femmes et un homme), intervenant dans la chaîne des services et des soins offerts aux femmes migrantes requérantes d’asile en Suisse francophone et de sept mandataires judiciaires (trois femmes et quatre hommes).

Résultats et discussions

Les données recueillies ont été traitées suivant la procédure de l’analyse thématique de contenu (Miles et coll., 2010). L’objectif principal de la recherche étant d’examiner le spectre pratique du concept de confiance et les pratiques d’accommodement que les professionnel(le)s mobilisent dans l’exercice de leurs fonctions (Ogien et Quéré, 2006), les données recueillies, considérées « comme constituant un corpus d’énoncés exprimant autant de façons de dire ce qui est fait » (Couturier, 2004, p. 88), sont présentées suivant trois paliers dans chacun des deux champs considérés. Au premier palier, l’accent est porté sur les compétences en tant que savoirs; le second palier porte sur l’identification des compétences en tant que savoir-faire; enfin, le troisième palier concerne les compétences en tant que savoir-être.

Les compétences nécessaires à la relation de confiance : pour ouvrir la boîte de Pandore des violences sexuelles dans un contexte d’asile

Sur les savoirs en tant que compétences. Divers éléments de convergence relevés par les professionnelles et professionnels interviewés concernent l’importance des savoirs comme compétences à mobiliser dans la création du lien de confiance avec les femmes migrantes requérantes d’asile afin de leur permettre d’exprimer les violences sexuelles dont elles ont été victimes. Ainsi, certains d’entre eux et elles relèvent la nécessité d’attester auprès de ces femmes qu’on dispose d’une bonne connaissance du droit des migrations et en particulier du système d’asile en Europe et en Suisse. Ainsi que l’avance l’une des personnes interviewées :

On peut faire une formation, par exemple, sur les mariages forcés avec toute une explication. Et on peut avoir des formations où il y avait des intervenants [ou intervenantes] de pays spécifiques. Lors de la formation sur les pays, les motifs de genre peuvent aussi être abordés. […] Ces formations sont là pour mieux appréhender la problématique de genre liée au pays d’origine et également pour mieux accueillir la personne, parce qu’on doit connaître la législation dans les pays spécifiques. Et concernant l’accueil des personnes, ce sera plus la formation dans le domaine audition.

Certains professionnel(le)s suivent ou ont suivi des formations sur l’interculturalité données par des associations spécialisées dans le domaine. Comme le révèle une professionnelle travaillant dans une institution médicale : « Il y a des formations par rapport au fait de travailler avec des personnes qui ne sont pas de la même culture que nous. »

Toutefois, si pour certaines institutions, notamment médicales et juridiques, les formations de base et certaines formations spécialisées sont obligatoires pour ceux et celles qui auront à intervenir auprès de ces femmes, d’autres personnes interviewées attestent que les formations, qu’elles soient de base ou continues dans le domaine de la procédure d’asile, sont facultatives au sein de leurs champs d’intervention. Comme l’avance personne interviewée intervenant dans les auditions sur les motifs de la demande d’asile en Suisse :

On a des juristes, on a différentes formations au sein de la section. […] Actuellement, il n’y a pas de formation spécifique pour réaliser les auditions. […]. On se forme « sur le tas » pour la procédure d’asile. […] Actuellement, il n’y a pas de collaborateurs [ou collaboratrices] formés en sciences sociales ou travail social qui sont engagés ici. Concernant l’accompagnement social et psychologique, on n’a pas d’assistant[e]s sociaux et de psychologues au centre, mais, si nécessaire, la personne peut être envoyée chez un psychologue dans le cadre de l’accompagnement médical.

Ce point de vue est partagé par des travailleuses et travailleurs sociaux qui exercent dans des structures d’aide aux demandeuses d’asile victimes de violences sexuelles. Bien que la grande majorité de ces travailleurs et travailleuses aient une formation universitaire, soit en travail social soit en sciences sociales ou politiques, il existe tout de même des professionnelles ou professionnels qui, bien que non diplômés, sont décrits comme « des personnes extrêmement compétentes » qui « se sont formées sur le terrain ».

En l’espèce, pour la plupart des personnes interviewées, l’engagement dans des formations continues dans le domaine des violences sexuelles reste de l’ordre de la prise d’initiative personnelle et varie en fonction de la ligne directrice de l’institution dans laquelle ces professionnel(le)s exercent.

C’est un petit peu au bon vouloir de chaque assistant social [ou assistante sociale], […] c’est [en fonction de leur] sensibilité; alors, évidemment, on travaille dans ce milieu-là, on sait à quoi on peut être confronté […]. La plupart des assistants sociaux [et assistantes sociales] vont de même essayer de se former ou continuer de se former sur certains aspects, comme ceux-là, par exemple. Mais c’est vraiment […] une démarche personnelle; il n’y a pas de ligne de conduite institutionnelle sur cette problématique spécifique pour l’instant.

En dépit d’un large consensus international sur l’importance des savoirs « interculturels » dans les relations avec les populations migrantes (Cohen-Emerique, 2011; Hall et Theriot, 2016), les verbatim susmentionnés montrent que la plupart des professionnelles et professionnels interviewés n’ont pas reçu suffisamment de formations de base sur lesquelles s’appuyer pour permettre aux femmes requérantes d’asile de « nommer l’innommable » des violences sexuelles subies.

Sur les savoir-être en tant que compétences. De manière générale, la plupart des personnes interviewées ont souligné des savoir-être transversaux et communs qui leur paraissent importants dans leurs pratiques : l’accueil bienveillant, non discriminant et inconditionnel, le respect, l’ouverture, l’absence de jugement et l’humilité (Beagan, 2015; Cai, 2016; Reyneke, 2017). Comme le rapportent deux personnes interviewées :

On a à faire à des personnes qui débarquent, qui ne savent pas notre langue, qui ne connaissent pas notre système […], qui, pour beaucoup, sont traumatisées, et rien que simplement de devoir quitter son pays comme ça, faire un voyage qui n’était pas forcément prévu […], il y a une certaine humilité et une ouverture à avoir.

On ne discrimine pas les personnes qui viennent ici; on va accueillir tous ceux qui font les demandes de consultation et on va être dans une position ouverte et, comment dire… dans une humilité, finalement, face à ces personnes qui ont vécu des choses horribles et pour qui on croit à ce qu’il y ait, d’un côté, quelque chose qu’on puisse reconstruire.

Pour d’autres professionnel(le)s, la relation de confiance doit s’appuyer sur un savoir-être d’empathie et d’écoute qui ne doit pas consister simplement dans le fait d’écouter, mais également de fournir l’espace et le temps nécessaires à la personne pour qu’elle puisse se raconter. Ce qu’énoncent les personnes interviewées démontre bien ce qui précède : « C’est quelque chose qui est important, de respecter le rythme, si elles ont envie de parler ou pas, de respecter ce qu’elles veulent faire ou pas faire », « Cela veut dire aussi de l’espace, des silences […], l’écoute active » et d’entretenir « une position qui est censée être neutre, par rapport notamment à tout ce qui est politique, religion, mais aussi neutre, par rapport à ce que la personne nous raconte, par rapport à ce qu’elle a subi. »

Sur les savoir-faire en tant que compétences. Les données recueillies dénotent un certain nombre de savoir-faire qui se déclinent, d’une part, en capacités d’action et en habiletés nécessaires pour être en lien de confiance avec les femmes, et, d’autre part, en compétences communicationnelles et relationnelles.

Comme le rapporte une des professionnelles interviewées :

Souvent les situations de violences intentionnelles de la part d’autres êtres humains, c’est des situations où cette confiance apprise est bousculée dans ses fondamentaux, et ces personnes-là doivent apprendre à nouveau à faire confiance, confiance en elles-mêmes, en leur propre jugement de savoir à qui faire confiance ou pas, et ça c’est quelque chose qu’on accompagne avec le temps qu’il faut pour les personnes.

Raconter, et faire se raconter, les violences subies requiert non seulement du temps, mais aussi une nécessité pour les professionnel(le)s de (re)créer ce lien de confiance mis à mal par les épreuves du passé. Les données recueillies au cours de cette étude isolent deux grandes catégories d’art de faire, dépendant de la mission de l’institution dans laquelle exercent les professionnel(le)s.

D’un côté, on trouve les institutions et leurs professionnels et professionnelles, qui doivent récolter des preuves pour constituer le dossier de demande d’asile de ces femmes. Dans ces institutions, le but ultime de la création du lien de confiance, dans une temporalité relativement courte, est de parvenir à faire parler la personne afin d’obtenir d’elle un maximum d’informations et de définir l’issue de la demande d’asile. Dans ces circonstances, les violences sexuelles subies ne sont qu’un motif de fuite du pays d’origine parmi d’autres. Comme l’avance une professionnelle en charge de telles auditions sur les motifs d’asile : « On ne va pas gratter spécifiquement, je dirais, la violence sexuelle. Dans les bilans, c’est quand même un peu abordé « où » ça permet que ça sorte. »

De l’autre côté, il y a les institutions et, une fois de plus, leurs professionnels et professionnelles qui préfèrent s’inscrire dans des temporalités beaucoup plus étendues et cherchent à mettre en place des moyens qui permettront aux demandeuses d’asile d’exprimer plus facilement les violences dont elles ont été victimes.

Essayer de faire en sorte que la personne soit toujours en possession de sa propre histoire, qu’elle ne soit pas dépossédée de ce qui lui est arrivé — ce qui est quand même le risque dans les procédures d’asile, où parfois l’auditeur [auditrice] conduit l’entretien de manière assez terrible, avec des retours sur des questions, demandes de plus de détails… Ces personnes sont souvent dépossédées. On essaie au maximum de faire en sorte que ce soit leur histoire et qu’elles puissent la dire quand et comment elles en ont envie.

Les professionnel(le)s du travail social sont en cela en première ligne dans la détection des situations de violences sexuelles subies par les femmes demandeuses d’asile. Ils et elles restent attentifs à ce qui leur est confié, ou aux différentes situations de la vie quotidienne qui pourraient leur « mettre la puce à l’oreille », notamment par le biais des entretiens, moments informels ou bilans de suivi : « On va poser des questions bateaux [questions banales] : à travers les réponses qui vont nous être données […], on va se dire : “il y a quelque chose […].” C’est vraiment de l’écoute, […] laisser la personne exprimer ce qu’elle a envie d’exprimer. »

Face à une problématique d’une grande sensibilité et complexité, le travail en réseau et en partenariat, notamment avec le monde médical, est pour les travailleurs et travailleuses du milieu une composante déterminante de leurs compétences.

Je peux déjà commencer un premier bout. Je dirais qu’on n’est pas des psychologues, donc ce genre de choses… et souvent […] ça peut être une boîte de Pandore qu’onouvre. On n’aurait pas les moyens de la fermer. Donc, nous, on ne va pas aborder ce sujet-là, spontanément. Si la personne commence à raconter des choses, à ce moment-là, on va être sûr, effectivement, l’écoute active, etc. Maisc’est vrai, ce qui est réel, c’est qu’on va éviter d’ouvrir la boîte de Pandore, qu’on ne vapas savoir comment gérer. 

Il y a toutes les personnes qui ont vécu des grosses violences sexuelles et qui n’oseront jamais en parler. […] On peut les rediriger vers des réseaux bénévoles, des « espaces femmes », des groupes d’église… si on sent que la personne est très isolée, pour la sortir de son isolement.

D’autres professionnel(le)s insistent sur l’importance de mobiliser les ressources propres aux personnes pour

Qu’elles puissent d’abord reprendreconfiance en elles, et aussi leur permettre de se reposer sur des bases solides, qu’elles connaissent bien et avec lesquelles elle se sentent bien. On essaie déjà de trouver les choses qui peuvent aider la personne à se stabiliser et, dans la phase de stabilisation, on recherche des ressources de la personne, pour travailler avec ces ressources-là. Ça ne sert à rien de proposer des choses à une personne qui ne lui parlent pas, donc on essaie de comprendre les ressources de la personne pour construire les stratégies de stabilisation sur la base de leurs ressources. Si quelqu’un est très croyant et que c’est une aide pour elle, ça va faire partie des stratégies de stabilisation, de renforcer ce lien à la croyance, par exemple; ou si quelqu’un a un bon réseau d’amis, on va encourager à ce que la personne continue à investir ce réseau-là. 

Un dernier élément mis en avant par les professionnelles et professionnels interviewés dans la création du lien de confiance avec les requérantes d’asile concerne le recours à des interprètes pour faire face aux barrières linguistiques. Du fait que la plupart de ces femmes ne parlent pas ou peu le français, presque toutes les personnes interviewées disent avoir recours à des services d’interprétariat professionnels et qualifiés. À ce titre, elles insistent sur le fait que ce recours présente de nombreux avantages, mais aussi des inconvénients lorsqu’il s’agit de parler de violences sexuelles. Ainsi que l’avance une professionnelle :

On travaille avec des interprètes, ce qui est très important parce qu’il y en a quand même un certain nombre de femmes qui ne parlent pas assez bien le français pour pouvoir en parler… On permet que la communication soit possible, et puis on crée un climat où la femme se sent autorisée d’en parler; et surtout elle sent qu’elle ne sera pas jugée sur ce qui lui est arrivé, et qu’elle va pouvoir en parler.

Toutefois, ces professionnel(le)s soulignent que, face à des interprètes connus des requérantes, provenant de la même communauté qu’elles, certaines peuvent être réticentes à nommer les violences sexuelles dont elles ont été victimes, de peur que cet(te) intermédiaire transmette leur récit dans leur communauté d’origine : « Il y a des personnes qui vont se livrer en totale confiance, et d’autres qui disent : “il fait partie de ma communauté, j’ai peur qu’il aille parler à untel, untel et untel.” Donc voilà, ça aussi, l’interprétariat, c’est délicat. »

En somme, nous partageons les observations de Lacroix et Sabbah (2007), selon lesquelles il n’existe pas de consensus sur le « comment faire » pour permettre aux femmes requérantes d’asile de dire l’indicible des violences sexuelles dont elles ont été victimes. Les données recueillies montrent que les professionnel(le)s tentent, de manière plus ou moins efficace, de mobiliser et de combiner plusieurs compétences afin de créer une relation de confiance susceptible de permettre aux femmes requérantes d’asile d’exprimer ce que sont les violences sexuelles subies au cours de et/ou à cause de leur expérience de migration.

Les compétences nécessaires à la relation de confiance dans un contexte d’aide contrainte

Sur les savoirs en tant que compétences. L’exercice du métier de mandataires judiciaires requiert de la part des professionnelles et professionnels concernés l’acquisition et la maitrise d’un certain nombre de savoirs essentiels à l’accomplissement des tâches qui leur sont confiées par les autorités judiciaires. Par effet de loi, l’ensemble des mandataires suivent avant ou dès leur entrée en fonction des cours de base en droit suisse de protection de l’adulte au cours desquels ils et elles acquièrent les connaissances préalables requises sur les différents instruments juridiques, sur leur portée et leurs limites. Outre des connaissances centrales en droit des personnes, les mandataires doivent aussi posséder un minimum de connaissances en travail social, psychologie, assurances sociales, gestion de biens patrimoniaux et administration.

Sur les savoir-être en tant que compétences. S’il y a un répertoire de compétences davantage mis en avant dans les propos des professionnel(le)s pour créer et maintenir un lien de confiance avec les personnes adultes judiciairement protégées, c’est bien celui des savoir-être. Pour la majorité des individus interviewés, il apparaît en premier lieu que « la personne s’adresse à nous les trois quarts du temps contre sa volonté; moi je ne l’ai pas choisie, elle ne m’a pas choisie. » Dans un tel contexte, une relation de confiance ne peut naître entre la personne judiciairement protégée et la professionnelle ou le professionnel que si ces derniers parviennent à bâtir un pont de « bienveillance bienfaisante » (Laurent, 2009) entre les deux acteurs, un « espace sécurisé pour que les choses puissent être dites, pas qu’il ait peur, et moi que je n’ai pas peur non plus en tant que professionnel », dans lequel la confrontation est possible, « parce qu’au fond la confiance, c’est quoi? C’est de pouvoir se dire les choses, de pouvoir se confronter, de pouvoir s’opposer, s’engueuler… »

Dans ce contexte, plusieurs valeurs qui favorisent la relation de confiance ressortent de façon récursive dans les discours des professionnelles et professionnels interviewés : ce sont d’abord l’authenticité, la congruence et la transparence. Ensuite, la notion d’empathie apparaît aussi comme indispensable dans la relation de confiance entre mandataires et personnes judiciairement protégées. Définie comme « la capacité cognitive de prendre la perspective subjective de l’autre » (Decety, 2004, p. 57) ou comme « la capacité que nous avons de nous mettre à la place d’autrui afin de comprendre ce qu’il éprouve » (Pacherie, 2004, p. 149), l’empathie, en raison des processus affectifs et cognitifs qui la sous-tendent, s’avère un savoir-être particulièrement important à considérer dans le cadre d’une relation d’aide imposée et contrainte (Hardy, 2012; Puech, 2013). Il s’agit ici pour les professionnel(le)s d’« essayer de comprendre comment elle [la personne protégée] a vécu, ce dont elle a besoin. Et c’est cela qui nous permet de comprendre aujourd’hui dans quelle situation elle est et comment elle vit au quotidien », ainsi que de situer leurs pratiques au carrefour de la « bonne proximité » relationnelle et de la « juste distance » professionnelle.

Sur les savoir-faire en tant que compétences. Les savoir-faire ou « savoir-agir en situation » (Durand, 2006) en tant que compétences doivent permettre aux professionnel(le)s d’agir dans le respect des droits fondamentaux et de la dignité de la personne. Dans le champ de la curatelle pour adultes, la relation de confiance se construit dans un contexte de tensions permanentes et de recherche d’un équilibre difficile mais nécessaire entre protection et autonomie, entre juste proximité et distance professionnelle à préserver. En dépit du cadre juridique contraignant dans lequel ils et elles exercent leur métier, les professionnel(le)s interviewés considèrent la conscience du droit (Pelisse, 2005) comme un facteur déterminant dans la création de la relation de confiance entre mandataires et bénéficiaires, comme l’avance une professionnelle :

C’est très violent une curatelle. Symboliquement, c’est violent au niveau du droit. Par contre, parler, informer, voir la personne, être le plus possible dans la communication et puis donner les informations… Pour cheminer un bout ensemble, il s’agit de dire : « On est dans le même bateau; moi, j’ai été mandatée, je suis payée pour… mais on se doit de travailler ensemble. » En tout cas, faire passer à l’autre que l’on est ensemble, qu’il n’y a pas que moi qui suis là pour diligenter et diriger quoi que ce soit et lui rappeler ses droits…Il y a la loi, il y a les directives et puis il y a l’application.

Il s’agit par cette conscience du droit d’« éviter de tomber dans l’un ou l’autre des pièges qui les guettent, soit d’un côté un excès de protection s’associant à un paternalisme dans lequel, au nom de la sécurité, les droits à l’autonomie du majeur seront déniés, soit au contraire un laisser-aller qui, au nom de l’autonomie, exposera le majeur à des situations à risque qu’il ne pourra assumer » (Geneau, 2005, p. 21). En ce sens, soutient un mandataire, la relation de confiance, ce n’est pas « dire “oui, amen” à tout ce que la personne demande, mais d’être clair en tant que travailleur social [ou travailleuse sociale] et dire le travail qu’on va faire, d’expliquer aux gens quelle est la mission qu’on a, quelles sont les choses qui peuvent être faites et quelles sont les choses qui ne peuvent pas être faites et jusqu’où va notre mission… » 

Pour ce faire, soutient une autre mandataire, « il faut y aller petit à petit », car « d’une manière générale, la confiance, c’est un concept qui n’est pas immuable. Il bouge en permanence. La confiance, à titre personnel, je trouve qu’elle se construit tous les jours; à titre professionnel, dans les curatelles, ça n’échappe pas à cette règle. Ça se construit et se reconstruit. »

En somme, l’ensemble des verbatim rapportés dans le présent article montrent que la relation de confiance entre les mandataires et les adultes judiciairement protégés semble se situer sur un continuum. Au début du mandat, la relation de confiance apparaît comme un point d’ancrage servant, de part et d’autre du « pont » érigé entre acteurs, à faire connaissance et à expliquer à la personne les missions inhérentes au mandat. Pendant le mandat, la relation apparaît comme un moyen d’accompagner la personne concernée, tout en restant au plus près de ses besoins. Enfin, l’analyse des données recueillies montre que créer, maintenir et entretenir une relation de confiance dans le champ judiciaire confrontent de facto les professionnel(le)s à des tensions permanentes entre injonction légale de protection et visée d’autonomie, entre « conscience du droit » (Pélisse, 2005) et conscience de soi et, finalement, comme le suggère Marzano (2010), entre sécurité et vulnérabilité de l’autre.

Synthèse

L’objectif de la recherche rapportée dans cet article était d’examiner les compétences (en termes de savoirs, savoir-être et de savoir-faire) mobilisées par les professionnels et professionnelles en travail social pour créer, maintenir et entretenir des liens de confiance avec les personnes concernées par leur agir dans deux domaines spécifiques du travail social : l’aide aux femmes requérantes d’asile victimes de violences sexuelles, d’une part, et la curatelle d’adultes, d’autre part. Nous sommes partis de l’hypothèse que la relation de confiance au sein de la relation d’aide constitue une pratique d’accommodement qui se construit en combinant les savoirs, savoir-faire et savoir-être des professionnel(le)s qui, à partir des situations réellement éprouvées, et à l’interface des contraintes, des injonctions, des paradoxes, des tensions éthiques et déontologiques inhérentes à leurs champs de pratique, donnent un sens concret et ancré à une telle notion.

Les résultats montrent que dans les deux contextes professionnels étudiés, la relation de confiance s’inscrit dans une trajectoire de lien à l’autre, applicable à moyen ou long termes, et exigeant des professionnel(le)s d’user de « petites ruses » (Durual et Perrard, 2012) qui contribuent à la construire, la maintenir ou l’entretenir. La relation de confiance apparaît donc comme une sorte de pacte du travail social, un jeu d’alliances mu par des valeurs, une éthique et une volonté de soutenir l’autre dans sa trajectoire de vie. Face à « des injonctions à solutionner en un temps record des situations souvent complexes, ainsi que la restriction des possibilités offertes par la société » (t’Serstevens et Vandeleene, 2018, p. 19), la relation de confiance pourrait procéder par accommodement. Comme « art de l’ordinaire », elle se construit à l’aune de « milliers de mots, attitudes, gestes, attentions développées au fur et à mesure du temps avec les personnes » (Puaud, 2012, p. 33), tout en étant aussi « influencée par le contexte où elle s’exerce tant au niveau microsocial que macrosocial, et par la compétence acquise, le savoir-faire et les valeurs du professionnel [ou de la professionnelle] » (De Robertis, 2013, p. 142). Dans l’ensemble, les résultats rapportés ici montrent que la relation de confiance doit être pensée non pas comme un donné mais comme une pratique d’accommodement qui est à construire, suivant la capacité des professionnel(le)s du travail social à passer d’un travail sur autrui à un travail avec autrui et pour autrui (Astier, 2009).

Mis à part l’intérêt des résultats de cette recherche, leur extrapolation et leur généralisation doivent être considérées avec une certaine prudence, en tenant compte de certaines limites ouvrant plusieurs avenues de recherches futures. La première limite, d’ordre théorique, tient à la caractérisation dans cette étude de la notion de compétence en termes de savoirs, savoir-être et savoir-faire. Si cette conception repose sur une base théorique, la définition de la notion de compétence suscite encore des débats dans la littérature (Coulet, 2011). Il serait fascinant d’investiguer la relation de confiance dans le champ du travail social à l’aune d’autres cadres théoriques de la compétence, observée, par exemple, dans sa nature dynamique et processuelle. La seconde limite, d’ordre méthodologique, tient au fait que les données ont été recueillies auprès de professionnel(le)s de deux champs d’« aide contrainte »; il serait dès lors intéressant d’examiner la reproductibilité de ces résultats dans d’autres champs du travail social, notamment celui de l’« aide volontaire ». Troisièmement, cette recherche n’a considéré que le point de vue des professionnels et professionnelles du travail social. Une avenue de recherche intéressante, effectuée dans une visée comparative, serait d’avoir les sens que donnent les usagers et usagères de l’action sociale à cette notion de confiance. Enfin, et plus généralement, il serait intéressant d’étudier les rapports de pouvoir inhérents aux questions du genre dans les dynamiques de production de lien de confiance dans les champs du travail social.