Résumés
Résumé
La nature manifestement artificielle du film d’animation, son altérité revendiquée et sa constante réinvention du dispositif forment son identité particulière (et problématique), mais elles remettent aussi, et surtout, le cinéma lui-même en question, sur les plans historique et esthétique. L’étude de films emblématiques montre en effet que l’entreprise animée invite le cinéma à effectuer un retour sur sa propre histoire et propose de nouveaux aménagements de perspectives et d’inédits agencements mobiles dans son temps et son espace.
Abstract
The manifestly artificial nature of film animation, the constant reinvention of the apparatus and its claims to alterity, all shape its own particular (and problematic) identity; most of all, however, these elements of animation interrogate cinema itself on historical and aesthetic levels. The study that reflects upon certain emblematic films demonstrates how the enterprise of film animation invites cinema to take stock of itself, to look back upon its history and to consider the possibilities of new developments in perspective and previously unexplored mobile arrangements in its time and space.
Corps de l’article
C’est un fait. La représentation cinématographique ne constitue plus aujourd’hui qu’une part mineure de l’activité spectaculaire audiovisuelle qui a multiplié les supports et les médias de manière exponentielle lors des trois dernières décennies, avec une très nette accélération du processus ces dix dernières années [1]. Si le cinéma n’est pas mort, loin s’en faut, son statut semble néanmoins avoir changé : il fait désormais partie d’une vaste chaîne de moyens de divertissements et ses enjeux, tant financiers qu’esthétiques, ne sont plus les mêmes. Pourtant le cinéma, son dispositif de projection et son histoire, reste une référence absolue, parfois jusqu’à l’absurde (comme en témoignent les présentations des nouvelles technologies, pas de nouveau logiciel de montage ou de nouveau projecteur numérique qui ne tente d’imiter des effets purement cinématographiques : fausses griffes, teintes sépias, etc.). Que l’on y prête quelques secondes d’attention : combien de clips vidéo, de jeux électroniques ou de blockbusters, pour ne citer que quelques-uns des produits audiovisuels omniprésents, ne font référence au cinéma, soit à cause de leur aspect esthétique appuyé (flou ou autres problèmes de mise au point, pellicule abîmée qui casse, changements de cache, imitations de la frontalité des premiers temps, etc.), soit par emprunts et clins d’oeil plus ou moins avoués (type de personnage, posture célèbre d’un acteur, astuce scénaristique, etc.). L’histoire du cinéma ne serait-elle devenue qu’une banque d’images que l’on peut infiniment piller [2] ?
Certes, le phénomène n’est pas nouveau, mais il prend des proportions gigantesques, à tel point qu’il semble possible de soutenir que le cinéma n’a jamais été aussi présent, mais d’un point de vue purement mythologique et non plus comme puissante activité artistique et financière. Ainsi, puisque les disciplines d’étude sont appelées à s’adapter aux corpus qu’elles examinent [3], il semblerait que les historiens du cinéma, dans la mesure où leur travail consisterait également à faire se rejoindre passé et présent (si l’on veut bien penser, à la suite de Walter Benjamin, qu’une image est la cristallisation d’une dialectique à l’arrêt entre l’Autrefois et le Maintenant [4]), doivent à présent devenir aussi mythologues. D’autant plus que la part la plus active du cinéma aujourd’hui (les courants minoritaires d’hier, en fait) pose avec acuité la question de cette relecture permanente du patrimoine qui ne passe plus par l’histoire mais bien par une forme désordonnée de mythologie : found-footage, cinéma expérimental, ou même cinéma documentaire, dans leur sujet ou leur manière, ne cessent de soulever des questions à propos de l’histoire du cinéma. Le cinéma d’animation également. C’est lui qui va nous intéresser ici ; son origine et son identité suscitant d’ailleurs d’emblée des questions quant à l’histoire du cinéma.
L’animation en question(s)
L’animation est en crise d’identité. Depuis toujours et probablement pour toujours ; c’est là même l’un de ses traits identitaires. Formidable machine inventive et expérimentale, elle n’a jamais pu s’autodéfinir autrement que par rapport au cinéma dans son grand ensemble, en s’opposant au reste du cinéma. Par un curieux renversement rhétorique, c’est le cinéma d’animation qui se trouve ramené généralement à l’idée d’un « reste » par le discours cinéphile, critique, théorique et historique général. Pur ou bâtard, radical ou mercantile, innovateur ou répétitif, original ou dérivé, les mots se valent tous ici et renvoient à une seule et même idée : l’animation est autre. Les conséquences d’un tel paradigme sont simples et à la fois lourdes : le cinéma d’animation (et tout l’appareil de discours qui l’accompagne et l’entoure jusqu’à l’étouffer [5]) s’emploie à être différent, ce qui est à la fois, évidemment, l’une des causes majeures de son rejet par la plupart des cinéphiles et de l’amour invétéré que lui vouent des poignées d’aficionados militants. Pour le dire vite, la position dominante (principalement anglo-saxonne) peut être résumée, à la suite de Ralph Stephenson, de la manière suivante : les rapprochements entre la prise de vues réelles et le cinéma d’animation ne sont effectués qu’à la suite d’une coïncidence historique accidentelle (la promiscuité d’une série de recherches sur l’image en mouvement — Reynaud, Marey, Edison, Lumière) qui crée un malentendu quant à une prétendue similitude de structure pourtant opposable en tous points [6]. Pour la plupart des auteurs spécialisés, la prise de vue image par image est un dispositif original et indépendant intégré à tort dans la sphère du cinéma où il ne peut trouver entièrement sa place. On se souvient qu’Alexandre Alexeïeff s’étonnait que les films d’animation ne soient pas conservés dans les collections d’automates [7]. D’autres bien sûr, minoritaires, tel Chris Marker [8], disaient le cinéma affaire de nature et non de moyens, plaçant par là sous la bannière cinématographique les moyens particuliers de l’image par image.
Pourtant, il est aussi des moments où les frères ennemis firent bon ménage au point de fondre parfois leurs esthétiques, ou du moins de les partager [9]. On pense au cinéma burlesque américain où les corps des acteurs se font l’écho des prouesses des figurines des premiers cartoons alors que la characterisation des types du burlesque relance la créativité de la conception des personnages animés ; on pense aux comédies musicales qui utilisent des figurines animées comme partenaires de danse d’acteurs qui tentent d’imiter leurs mimiques (Mary Poppins, de Stevenson, en 1965, ou Anchors Aweigh, de Minnelli, en 1945), ou encore aux bouncing balls, ces films ancêtres du karaoké, très populaires un temps, qui mettent en scène un groupe de chanteurs accompagnés du texte de la chanson (une petite boule animée rebondit allègrement sur les mots des paroles au moment précis où ils sont entonnés, pour assurer la synchronisation des chants des spectateurs [10]). Et Norman M. Klein, pour sa part, se risque à évoquer une interaction entre les cartoons dits « de chasse » (les cartoons de la fin des années 1930 et du début des années 1940 basés sur des courses-poursuites infernales) et la naissance du film noir et du film dit « criminel » des années 1950 (Klein 1993, p. 181).
Mais c’est sans doute à l’époque contemporaine que cette hybridation est la plus manifeste, dans les jeux vidéo [11], bien sûr, et dans le cinéma américain contemporain, que l’on pense au traitement du décor de The Haunting de Jan de Bont (1999) ou de Dark City d’Alex Proyas (1998), ou encore et surtout au traitement particulier du corps, très proche de la figurine, à l’oeuvre, notamment, dans Terminator 2 : Judgment Day (Cameron, 1991), et sans doute encore plus dans Terminator 3 : Rise of the Machines (Mostow, 2003), dans lequel les terminators sont ramenés à des figurines quasiment toonesques (destructions multiples, répliques et situations burlesques, gags à répétition). La « machinisation » de l’actrice Angelina Jolie dans les deux épisodes de Tomb Raider (West en 2001 et de Bont en 2003) en est un autre exemple extrême : pure figurine acrobatique aux tenues fétichistes, continuellement en mouvement, se relevant immédiatement après le pire échec, personnage dépourvu de sentiments, si ce n’est d’orgueil et de goût du jeu [12], le corps de l’actrice est une enveloppe vide où se projette encore le joueur du jeu devenu pour quelques minutes spectateur de film. Nombre de réalisateurs — John McTiernan, Robert Zemeckis, Joe Dante, Tim Burton, Jan de Bont, Gore Verbinsky et Paul Verhoeven, pour ne citer que ceux-là — imposent aux acteurs le traitement de la figurine ou avouent l’influence du jeu vidéo dans la construction de leurs scènes. On serait tenté, à l’égard du cinéma américain, de parler d’une véritable contamination par l’animation. Le dernier exemple, le plus parlant, est sans nul doute la saga Matrix, considérée comme oeuvre phare du cinéma hollywoodien contemporain. Alors que le premier épisode revendiquait l’influence de la japanimation, ses séquelles et préquelles franchissent un pas supplémentaire dans le métissage animé : les deux séquelles cinématographiques abusent encore un peu plus d’effets animés, la troisième n’existe que sous la forme d’un jeu vidéo (Enter The Matrix), et la préquelle est une compilation de courts-métrages animés. Les jeux et les dessins animés ne se présentent plus seulement comme des produits dérivés : ils prennent en charge une partie considérable de la narration du projet global Matrix. Plus que jamais, la fusion des deux cinémas est flagrante. David Rodowick signale que les périodes de bouleversement technologique, comme celui que le cinéma connaît aujourd’hui avec le numérique, poussent inévitablement la théorie du film, et j’ajouterai également l’histoire du cinéma, à se ré-interroger en demandant de nouveau et fondamentalement : « Qu’est-ce que le cinéma [13] ? » À Hollywood, cette crise technologique et ce questionnement s’incarnent dans l’utilisation de l’animation, dans le recours à son ontologie incertaine, à son esthétique basée sur la notion d’artificialité, à ses structures de narration circulaires et fantasmagoriques (pensons encore, pour citer les récents blockbusters de l’été 2003, à X-Men 2 de Bryan Singer ou à Pirates of the Caribbean de Gore Verbinski). Dans l’inquiétude, Hollywood se tourne donc vers un cinéma très particulier dont la crise est un trait définitoire.
Les problèmes identitaires de l’animation se manifestent également dans la difficile constitution de son histoire. Il faut rappeler brièvement ici que l’un des grands débats qui agite le cinéma d’animation, c’est précisément son origine et la question de son éventuelle primauté sur le cinéma. Comme chacun sait, le théâtre optique d’Émile Reynaud est antérieur à l’invention des Lumière. Certains se refusent donc de parler de cinéma d’animation, et préfèrent parler simplement d’animation (Alexandre Alexeïeff prônait l’utilisation du terme « animatographe »), forme dont le cinéma ne serait qu’un avatar. Prenant ce prétexte d’antériorité de l’animation, certains refusent donc purement et simplement de considérer cette pratique d’images en mouvement comme du cinéma. Qui donc est le grand frère de l’autre ? La plupart des critiques, des historiens et des théoriciens du cinéma considèrent l’animation comme l’une de ces branches (sans pouvoir la catégoriser : est-ce un genre ? est-ce un type ?). Or, les historiens de l’animation voient généralement l’animation comme le père du cinéma en prise de vue réelles, qui n’en serait qu’un dérivatif (l’animation pouvant se passer de caméra, de projection et de pellicule). Par ailleurs, la question de la naissance du cinéma d’animation pose elle-même problème, aucune convention n’existant concernant une date originelle. Hervé Joubert-Laurencin considère pour sa part que l’animation commence peut-être avec la boucle fantasmagorique du thaumatrope. L’évocation des tours du zootrope et des autres inventions au schéma circulaire qui relèvent de ce que l’on a appelé la préhistoire du cinéma me paraît absolument fondamentale pour comprendre le cinéma d’animation, qui tire bien toute sa force et sa nature, jugée curieuse, de ces boucles infatigables de transformations sans début ni fin. À mon sens, la naissance de l’animation est très liée à ce qu’on appelle la préhistoire du cinéma. Il faut la situer dans tous les jeux optiques qui usent de la métamorphose, en gros dans tous les appareils ou techniques permettant ce qu’on appelle la transformation à vue : les lanternes magiques (pour l’aspect projection), mais aussi les livres-machines et les manipulations de papier qui l’ordonnent (nombre de films d’animation y font encore fréquemment référence [14]).
C’est précisément dans cette historicité que l’animation trouve son identité. Le cinéma d’animation dévoile constamment la facticité de sa nature, soit par son image, soit par son mouvement. Il se donne à voir comme une transgression repérable immédiatement. Ses images en mouvement relèvent d’un registre manifestement étranger. Libérée de l’obsession et de l’impératif de produire une apparence « analogique » de la réalité, l’animation jouit d’une immense marge de manoeuvre par rapport à l’enregistrement du réel. Pierre Hébert souligne que cette liberté du cinéma d’animation vient de ses origines particulières, qu’il estime différentes de celles du cinématographe :
Je pense par exemple au fait que le cinéma d’animation a le théâtre de marionnettes pour horizon historique en ce qui concerne son fondement dramaturgique, et qu’il a les jouets optiques (plus que la photographie) comme antécédents immédiats. Par son travail de « l’image par image », il rejoue perpétuellement le moment de l’invention du cinéma, que le cinéma « réel » tient pour acquis et laisse dans le non-dit. Il s’exclut ainsi de l’idéal réaliste qu’une certaine tradition bazinienne, par exemple, considère comme l’axe central du développement du cinéma, présent dès son invention. Je pense également au fait que l’analyse du langage cinématographique, telle que fondée sur les conditions du cinéma réel (le plan en tant qu’unité de base, la conception du découpage et du montage, etc.), apparaît comme quelque chose d’« importé » lorsqu’on l’applique au cinéma d’animation.
Hébert 1999, p. 48-49
Ce langage pose en effet problème pour Hébert, notamment. Si les images animées n’existent pour la première fois que lorsqu’elles sont projetées sur un écran, si elle ne peuvent en définitive se référer qu’à elles-mêmes (l’animation n’est pas que libérée de l’impératif analogique, elle en est aussi privée), si elles n’ont pas de son naturel, si elles s’avèrent bien une totale construction (et leur hors-champ l’est, par la force des choses, également), comment encore accepter de leur voir imposer sans broncher le langage cinématographique, s’étonne Pierre Hébert. Le simple fait d’être dessiné modifie totalement la valeur d’un découpage classique. Par ailleurs, l’animation ne peut véritablement s’empêcher d’user de la métamorphose, qui rend généralement bancal le découpage, et d’exhiber l’état technologique de ses images, ce qui produit, loin de la démystification attendue, l’effet d’émerveillement propre à ce cinéma. Si l’animation crée plutôt qu’elle ne reproduit, elle entraîne immédiatement le spectateur dans le plaisir de la fantaisie. Cet effet d’émerveillement, Pierre Hébert (1999, p. 158) dit qu’il « peut aussi être vision, illumination qui donne accès, à travers cette expérience singulière de la technologie, à un registre particulièrement volubile du sens où le langage, le corps et la technologie entrent dans des rapports sans cesse redéfinis, et où les signifiants, par leur dérive même, font proliférer les dimensions et les espaces de signification ».
En raison de cette identité si particulière et problématique, le film d’animation (de par, notamment, sa nature manifestement artificielle, son altérité revendiquée et sa réinvention permanente du dispositif cinématographique) remet en question, parfois malgré lui, mais souvent très consciemment, le cinéma. Nous avons remarqué qu’Hollywood, sans réponse à de nouvelles questions, se tournait vers lui aujourd’hui. Il faut dire aussi que, d’une manière ou d’une autre, toute entreprise animée soulève des questions relatives à son rapport au cinéma, historiquement et esthétiquement, bouscule le langage du cinéma et relit, par la force des choses, l’histoire du cinéma. On aurait voulu se livrer ici à un panorama des cartoons qui démontent les pratiques et mythologies du cinéma (les cartoons Felix the Cat d’Otto Messmer, les dessins animés de Tex Avery, les séries télévisées actuelles comme The Simpsons de Matt Groening, ou encore les animations pédagogiques, comme le célèbre Cheval de fer de Gérald Frydman (1984), qui illustre les recherches photographiques de Muybridge et leur aboutissement en la naissance du cinématographe). Faute de temps et de place, nous n’évoquerons ici que deux films, nous ne ferons que deux arrêts sur histoire : des oeuvres d’auteurs, des courts-métrages emblématiques, des films conçus et réalisés alors que les histoires du cinéma et du cinéma d’animation sont déjà largement constituées, l’un moderne et l’autre contemporain, l’un légendaire, l’autre en train de construire sa célébrité. Chacun de ces films examine la constitution du cinéma, le premier de l’intérieur, pour ainsi dire, dans son dispositif, le second de l’extérieur, dans ses images.
Retourner le cinéma (Blinkity Blank de Norman McLaren, 1955)
Dans son diptyque cinématographique, Gilles Deleuze n’évoque qu’une seule fois le cinéma d’animation, et en particulier le dessin animé, pour se pencher sur le mouvement qui est au coeur de son processus, au coeur même de chacun de ses dessins, et qui lui permet de s’échapper des arts picturaux pour s’inscrire sur le territoire du cinéma.
On le voit bien quand on essaie de définir le dessin animé : s’il appartient pleinement au cinéma, c’est parce que le dessin n’y constitue plus une pose ou une figure achevée, mais la description d’une figure toujours en train de se faire ou de se défaire, par le mouvement de lignes et de points pris à des instants quelconques de leur trajet. Le dessin animé renvoie à une géométrie cartésienne, et non euclidienne. Il ne nous présente pas une figure décrite dans un moment unique, mais la continuité du mouvement qui décrit la figure.
Deleuze 1983, p. 14
De la sorte, Deleuze laisse de côté l’idée de synthèse cinématographique et du traitement image par image et trouve dans chaque fixité du cinéma d’animation un mouvement en germe, potentiel, un fragment. Ce n’est évidemment pas là une position majoritaire dans la littérature spécialisée qui, à l’instar de Keith Clancy lorsqu’il s’en prend vivement à l’argumentation deleuzienne, se méfie de toute position théorique pouvant potentiellement minimiser l’importance du paradigme, devenu sacré au fil des décennies, de la création du mouvement en lieu et place de la reproduction [15]. Or, dans l’allusion à la géométrie cartésienne de Gilles Deleuze, semble en effet se tapir la suggestion d’une reproduction du mouvement, comme si le dessin animé ne pouvait échapper d’une certaine manière au rotoscope, c’est-à-dire à un ensemble de points et de lignes tirés, tracés, à partir de mouvements réels. En vérité, la querelle se situe dans un cadre plus large, un autre débat un peu vain parce que bien sûr joué d’avance, qui consiste à se dermander si ce sont les images qui bougent (qui donnent le mouvement), si c’est le dispositif, mystérieux, de la synthèse cinématographique qui engendre les mouvements, ou s’il ne s’agit pas plutôt de connaître le poids de ces deux éléments dans la balance animée. Or, depuis la célèbre définition de McLaren, la question est tranchée :
Animation is not the art of drawings-that-move but the art of movements-that-are-drawn. What happens between each frame is much more important that what exists on each frame. Animation is therefore the art of manipulating the invisible interstices that lie between frames [16].
Il ne s’agit plus d’une définition mais d’une formule magique, reprise en choeur par la plupart des animateurs, figurant en première ligne dans nombre d’ouvrages. Sa force [17] réside bien sûr dans le mystère de l’absence de ce qui est important. Comme Barthélémy Amengual le fait justement remarquer, l’animation, puisqu’elle ne montre pas ce qui se passe entre les formes, donne à inventer et ouvre ainsi sur le merveilleux [18]. Blinkity Blank (1955) est probablement le film de McLaren qui redit le mieux sa définition, presque un film-manifeste.
Jeux fulgurants d’apparitions et de disparitions, composition à même la pellicule, mouvement créé sans référence aucune à la réalité, mise en évidence de l’interstice : Hervé Joubert-Laurencin écrit que le film tente d’approcher au plus près de la naissance du mouvement, d’abord par un rapprochement physique (l’absence de caméra, le travail à la loupe et à la table, comme un savant, commente Joubert-Laurencin (1997, p. 54)), et ensuite par un rapprochement esthétique qu’il faut détailler. Blinkity Blank est un produit autant qu’une méthode, une oeuvre aboutie autant qu’un work in progress dévoilant ses coutures, un film et, dans le même temps et le même regard, son making-of. Sur une pellicule noircie, McLaren, à l’aide de divers outils acérés (une lame de rasoir, une aiguille à coudre), grave avec la gestuelle précise et répétitive d’un automate ses motifs, puis colorie l’ensemble.
Chaque incision sur le blank (le vide, le vierge, le profond, le silence…) est un blink (clignement d’yeux, clignotement, battement de paupières, rayon…), et chaque blink, produit immédiat d’un geste graphique répondant à une impulsion intermittente du corps, s’imprime à la projection par l’intermédiaire de l’écran noir (blank) sur le corps des spectateurs, trouant 1’obscurité de la salle.
Joubert-Laurencin 1997, p. 55
Blinkity Blank, telle une esquisse, se donne à voir autant qu’il se donne à imaginer. Chaque blink vient marquer et déchirer le blank, chaque geste vient activer le lieu de la projection (l’écran noir) et révèle les interstices du dispositif par définition invisibles. Blinkity Blank est un film à compléter qui dit la puissance du dispositif cinématographique, ici disséqué, offert au spectateur comme un corps que l’on vient d’ouvrir, ou plutôt comme un gant que l’on a retourné sur lui-même, et dont on comprendrait, en voyant l’envers, la nature et l’origine profonde de l’endroit.
À plusieurs reprises, McLaren insistera encore sur le rôle fondamental du mouvement dans sa poétique, qu’il décrit comme autonome, libre des conventions de la reproduction de la réalité, et capable de s’organiser sur la base d’une logique spatiotemporelle adaptée aux nécessités expressives de l’artiste. Cette conception très forte du mouvement rappelle bien évidemment les écrits de Len Lye, dont les films gravés ou peints sur pellicule constituèrent des modèles majeurs pour McLaren. Len Lye, en 1935, peu après l’achèvement de A Colour Box, film entièrement réalisé selon le procédé d’animation directe (la bande 35 mm est peinte à la main), publia, en collaboration avec Laura Riding, un essai intitulé Film Making, qui avait pour ambition de poser les fondements d’une poétique et d’une pratique de l’art cinétique :
Le mouvement est quelque chose qui précède ce qu’on appelle, au sens strict, la conscience, tout comme le physique précède le mental […]. Quand nous regardons une chose et que nous en percevons la forme, nous ne voyons que sa post-vie.
Lye et Riding, cités dans Curnow 2000, p. 87
Dans la première partie de la citation, les auteurs tiennent un propos semblable à celui de Norman McLaren : le mouvement vient en premier lieu, il précède la composition des images. La seconde partie nous renvoie à Alexandre Alexeïeff : le mouvement est la substance pure, les formes que nous voyons sont secondaires. Lye écrit même que si nous ne voyons que ses formes (sans saisir le mouvement), nous n’en voyons que la « post-vie ». La valeur primordiale qu’accorde Len Lye, fasciné, au mouvement, l’entraîne à lui attribuer une phénoménale force vitale ; mieux, le mouvement, défini comme une entité non préméditée, toujours première, devient rapidement pour lui l’expression de la vie, voire son élan même [19].
Cette mise en évidence du mouvement et de la vitalité, présente autant dans le discours de Norman McLaren que dans ses films, et particulièrement dans Blinkity Blank, ne peut que nous faire prendre conscience que l’animation, d’une manière tout inédite, a pour volonté de recréer complètement un corps (figuratif ou non, peu importe, il faut entendre le mot dans son acception la plus large), à partir d’une série mécanisée de microfragments uniques, dotés de l’illusion d’un mouvement autonome. Cependant, cette fabrication ne peut jamais cacher totalement son artificialité. Au contraire même, un film d’animation se définit par cette monstration du dispositif fantasmagorique, à l’inverse du « cinéma naturel » qui s’efforce de l’effacer ou de le dissimuler. C’est d’ailleurs de la sorte que Hervé Joubert-Laurencin conclut son texte, « Qu’est-ce que le cinéma d’animation ? », en proposant à son tour une définition, ou plutôt une « dé-finition » :
Un film d’animation (c’est-à-dire qui importe esthétiquement en tant que tel) rappelle dans son travail et dans son résultat sensible, tout ou partie des éléments de la fantasmagorie, qui constitue la provenance multiple et non organisée de l’appareil de base cinématographique. […]
Autrement dit : tout film d’animation digne de ce nom produit une invention (une mise au jour) de la fantasmagorie, et, donc, dans sa version la plus complète, rejoue l’invention du cinéma
Joubert-Laurencin 1997, p. 66-67
La proposition de Joubert-Laurencin permet de cerner pleinement l’enjeu, considérable et fascinant, du cinéma d’animation, celui de la réinvention perpétuelle du cinéma, grâce, notamment, à l’exhibition de sa technique. C’est en cela qu’il ne s’oppose pas au cinéma mais qu’il interroge en permanence cette machine-cinéma qui aurait la magie de fabriquer un double du monde. Jean-Louis Comolli, dans son texte « Le Miroir à deux faces », l’écrit bien : toutes les machines à illusion, dont le cinéma n’est évidemment pas la moindre, « tous ces pièges du visible et du crédible opèrent selon le même principe de duplicité : pour nous tenir, le leurre doit être percé. Tôt ou tard, avant la séance ou pendant, la conscience du leurre doit venir lutter avec son effet » (Comolli 1997, p. 12).
L’animation, c’est le secret du cinéma dévoilé. Qui ne rêverait d’une histoire du cinéma adoptant ce point de vue ?
Le cinéma re-tourné (Fast Film de Virgil Widrich, 2003)
L’intrigue du film est d’une simplicité et d’une banalité effarante. Un couple, visiblement heureux, s’embrasse. La femme est enlevée, l’homme se lance à la poursuite des ravisseurs. Il finira bien sûr par retrouver sa bien-aimée. Le rapport du spectateur aux images ne va cependant pas de soi… Une ombre apparaît, reconnaissable entre mille : Humphrey Bogart. Il pousse une porte, découvre Lauren Bacall, mais il y a un faux raccord. Humphrey n’est plus habillé de la même manière. Il va d’ailleurs continuer à se substituer à lui-même, dans d’autres costumes et à d’autres âges. Lauren également est remplacée soit par elle-même, soit par d’autres actrices. Ils échangent un baiser, la position reste la même, les protagonistes changent. La texture de l’image est curieuse. Il s’agit de papier en fait, qui tremble et se met à se déchirer. Un horrible bruit de train. L’image se plie sur elle-même ; l’héroïne est faite prisonnière et se trouve enfermée dans un sarcophage composé d’images cinématographiques, certaines en couleurs, d’autres non, certaines visiblement contemporaines, d’autres très datées. Les images pliées forment un petit wagon qui s’en va sur un décor de western. Le film joue sur plusieurs dimensions et multiplie les surfaces. Un cheval de papier, calquant les postures de sa course sur les célèbres photographies de Muybridge, prend en charge Bogart. Une chaotique remontée du train en course folle commence. Les adversaires se multiplient, chaque wagon devenant une surface cinématographique pour cow-boys, monstres et autres personnages égarés. Le héros saute dans le train, se transforme en Tarzan, puis en pirate, avant de prendre encore les traits de Harrison Ford dans Indiana Jones. La créature de Frankenstein incarnée par Boris Karloff s’oppose au héros, qui d’une image à l’autre prend les traits et les postures célèbres de Gene Kelly, Sean Connery ou James Wood. Godzilla s’en mêle ainsi que la mère momifiée de Psycho et les squelettes de Jason and the Argonauts. La fiancée de Frankenstein hurle, le mécano de la General tente de garder le contrôle du train, Robby le robot de Forbidden Planet s’en amuse, Grace Kelly attend qu’on la délivre. Le couple est capturé puis parvient à s’échapper, Lola court, Jean Seberg enlève ses lunettes, John Wayne échappe aux missiles, Tony Curtis s’en félicite, Cyd Charisse danse de joie, etc. Et Bogart et Bacall peuvent enfin de nouveau s’embrasser.
On l’aura compris, toutes les scènes du film proviennent de multiples oeuvres fameuses, des « canons » de l’histoire du cinéma. Il s’agit d’une traversée endiablée de l’histoire du cinéma à travers un peu plus de 300 films, qui vont des premiers temps au cinéma contemporain. La technique employée est la suivante : après sélection de scènes clés, 65 000 photogrammes [20] ont été imprimés sur papier, puis manipulés pour prendre forme d’objets (wagons de train, avions, chevaux, etc.). Le tout fut ensuite assemblé, en maquette ou à la table d’animation, sur différents décors, et constitue ainsi une suite de tableaux composites.
Le film, d’une rare complexité, se donne donc à voir comme une histoire prise en charge par d’innombrables extraits de films qui existent tous autant comme citations filmiques que comme éléments figuratifs et narratifs structurants. Les niveaux de lecture sont bien entendu multiples, les images ne cessant de se télescoper (nombreux jeux ayant recours à la latéralité mais aussi de profondeur, les strates d’images étant nombreuses [21]) et de produire entre elles de nouveaux effets de sens.
Le film de Widrich est construit sur une structure et des motifs pleinement cinématographiques : le montage en alternance induit par la course-poursuite comme pour rejouer Porter et Griffith, la multiplicité des figures iconiques, les modifications perpétuelles des corps, des visages et des postures célèbres des acteurs. Chacune de ces visions invite le spectateur à construire son propre montage signifiant, en raison des multiples simultanéités à l’écran. Fast Film est donc tout autant un nouveau film, éminemment original, qu’un voyage à travers l’histoire du cinéma nécessitant les efforts de mémoire et d’imagination du spectateur. Les connexions entre les différentes reconnaissances (d’acteurs, de situations, de metteurs en scène, d’effets de lumière ou encore de sonorités [22]) invitent à une véritable ré-invention subjective de l’histoire du cinéma dans ce film. Et comme toute oeuvre à dimension historique, la question de l’identité y est posée avec force : d’une part à travers le travail d’identification des images exigé en permanence, d’autre part à travers la crise d’identification du spectateur qui ne cesse de chercher sa place (les acteurs ne cessent de se substituer les uns aux autres, créant par là un important effet d’instabilité).
Cet étonnant travail sur l’hétérogène rappelle bien entendu le fameux primat des images sur les intrigues que Godard décrit en parlant d’Alfred Hitchcock dans ses Histoire(s) du cinéma [23]. Fast Film, à sa manière, généralise le discours godardien et l’applique à tout le cinéma, présentant ses images comme des icônes indépendantes tout en bouleversant leur nature par leur réintégration dans un nouveau film. En ce sens, Fast Film fait partie de ces films qui invitent chaque spectateur, pour un temps au moins, à devenir historien, au sens où l’histoire, comme la définit Jacques Rancière (2001, p. 225), est un « mode de coprésence, une manière de penser et d’éprouver la coappartenance des expériences et l’entre-expressivité des formes et des signes qui leur donnent figure ». Dans le film de Widrich, chacune des formes signifiantes est susceptible d’entrer en rapport avec toutes les autres pour former de nouveaux agencements signifiants. Tout y parle deux fois, si l’on peut dire, d’abord dans une pure et propre présence, ensuite dans d’innombrables connexions (dont certaines resteront virtuelles, qu’importe). « Dans ce régime, chaque élément est à la fois une image-matériau, transformable et combinable à l’infini, et une image-signe capable de dénommer et d’interpréter toute autre », dit Rancière (2001, p. 226) au sujet des Histoire(s) du cinéma de Godard. La même poétique soutient ce film d’animation. Faire l’histoire avec Fast Film, c’est forcément refaire une histoire, qui emprunterait les souliers du mythologique et de la poétique. C’est refaire une histoire qui n’aurait rien à craindre de l’hétérogène, et qui serait capable de trouver dans l’anachronisme non une erreur scientifique mais un nouveau mode de présentation prouvant combien les objets de l’histoire du cinéma sont complexes et tentaculaires ; et surdéterminés, dirait Georges Didi-Huberman, dont on sait que sa conception de l’histoire de l’art est une histoire d’objets polychroniques, d’objets hétérochroniques ou anachroniques [24].
L’historien que convoque Fast Film n’est pas celui qui interroge et analyse le passé, mais bien celui qui se préoccupe de la mémoire. D’ailleurs, pour Didi-Huberman (2000, p. 37) :
[…] il n’y a d’histoire que mémorative ou mnémotechnique : dire cela, c’est dire une évidence mais c’est, aussi, faire entrer le loup dans la bergerie du scientisme. Car la mémoire est psychique dans son processus, anachronique dans ses effets de montage, de reconstruction ou de « décantation » du temps. On ne peut pas accepter la dimension mémorative de l’histoire sans accepter, du même coup, son ancrage dans l’inconscient et sa dimension anachronique.
Si l’on veut bien adhérer à cette vision de l’histoire, Fast Film apparaît comme une oeuvre clé, non seulement du cinéma d’animation (on ne prendra pas le temps ici de décrire ses qualités esthétiques et le soin particulier apporté au tremblement des images dans lesquelles s’incarnent à merveille les infinies mouvances de l’image, leur destin migratoire et leur impossible réduction à tout statut iconique figé), mais aussi de l’histoire du cinéma, car il rappelle avec évidence que toute image déconcerte et fait exploser les carcans de l’histoire. Didi-Huberman, ré-activant la pensée de Walter Benjamin, écrit que l’image démonte l’histoire, au sens où elle provoque un bouleversement, une chute (comme un cheval démonte son cavalier, par exemple), mais aussi qu’elle réalise sa déconstruction structurale (comme on démonte un mécanisme [25]). Fast Film, et nombre d’autres films d’animation que l’on n’aura pas pu évoquer ici, n’est pas un film qui accumule les ingrédients pour les transmettre dans un bouillon indigeste, il n’est en rien un film confus ; c’est un film qui confond, non les images mais le spectateur et ses lectures univoques, un film qui démêle les fils de l’histoire plutôt qu’il ne les noue, simplement pour montrer les passionnants possibles des entremêlements. Il s’agit enfin d’un film qui réinvente une histoire du cinéma où les moments et les durées ne se succèdent pas en faisant mine de s’ignorer, mais où les temps se percutent ou se fondent, et, surtout, où ils se rencontrent.
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Il apparaît clairement que le rapport du cinéma à l’histoire a changé. Manifestement en crise, le cinéma ne fabrique plus le monde à présent. Plus seul en tout cas. Il ne parvient plus à « fictionner » l’histoire sans s’« auto-interroger » au passage. La confusion, longtemps commode, entre son histoire et celle du xxe siècle, n’est plus possible aujourd’hui. Les nouveaux outils de communication visuelle entérinent la séparation. Et le cinéma d’animation (dans ses formes les plus larges et les plus diverses, du film d’auteur aux blockbusters numériques, de la japanimation aux jeux vidéo [26], de Fast Film à Matrix), l’animation donc, qui n’est peut-être en fin de compte rien de moins que le moi refoulé du cinéma, l’invite à faire un retour sur sa propre histoire, à proposer de nouveaux aménagements de perspectives et d’inédits agencements mobiles dans son temps et son espace. Ces nouvelles tendances médiatiques, toutes en relation avec le cinéma d’animation (que nous avons défini, notamment, comme l’artificialité révélée du mouvement recomposé), poussent les études filmiques et l’histoire du cinéma à se réinventer elles-mêmes. Peut-être le temps de ressaisir et de refondre nos propres concepts est-il revenu ? Et pour y parvenir, peut-être faudra-t-il diversifier davantage encore nos regards et conjuguer de plus en plus d’approches, particulièrement celles qui font des collisions leurs objets d’études spécifiques.
La cinéphilie devait précéder le métier d’historien, avait-on coutume d’écrire. Il se peut que ceux de mythologue, d’archéologue, de philosophe et d’artificier le doivent demain.
Parties annexes
Note sur l’auteur
Dick Tomasovic
Il est assistant au Service cinéma et arts audiovisuels de l’Université de Liège. Après une thèse de doctorat sur le film d’animation, il poursuit des recherches en histoire et esthétique du cinéma et du spectacle vivant. Il est aussi l’auteur du livre Le Palimpseste noir. Notes sur la terreur et le cinéma américain contemporain (2002) et prépare actuellement un ouvrage sur Tod Browning.
Notes
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[1]
Sur la disparition d’une forme cruciale de pratique cinématographique, lire Pierre Sorlin (2003, p. 13-14) : « “Aller au cinéma”, phrase banale, revêt aujourd’hui une signification qu’elle n’avait pas quand le septième art était la forme la plus populaire de divertissement. Redisons-le, au long du xxe siècle une culture s’est formée à partir des films, en parlant d’eux, en se querellant à leur sujet. […] Les films qui, aujourd’hui, touchent une vaste audience sont conçus pour séduire et impressionner, non pour faire parler. On disserte facilement sur les motifs qui poussent un personnage de fiction à fuir, à se cacher, à tuer. Il n’y a en revanche rien à dire sur une poursuite haletante, sur des explosions en chaîne, des chutes, des rebonds, des coups portés et reçus. Faits pour être présentables devant des publics hétérogènes, les films évitent tout propos éventuellement conflictuel, ils s’imposent effectivement dans les pays les plus divers mais ils sont universalistes par défaut, dans l’absence de controverse. Le cinéma actuel ne sert ni à construire sa personnalité en polémiquant ni à se sentir membre d’un groupe culturel ou d’une nation, il n’invite pas à discuter, le cinéma n’éveille plus cette passion verbale qui, longtemps, contribua à asseoir son prestige. »
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[2]
Le récent film de Simmon Pummel, Bodysong (2003), racontant l’expérience d’un être humain, de sa naissance à sa mort, uniquement à travers d’innombrables citations (extraits de films et d’images célèbres de l’histoire des images en mouvement), tend encore une fois à le faire penser…
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[3]
« Toute discipline universitaire digne de ce nom se doit de définir et de redéfinir en permanence son champ d’étude, ses objectifs et ses méthodes » (Allen et Gomery 1993, p. 17).
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[4]
« Il ne faut pas dire que le passé éclaire le présent ou que le présent éclaire le passé. Une image, au contraire, est ce en quoi l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation. En d’autres termes, l’image est la dialectique à l’arrêt. Car, tandis que la relation du présent avec le passé est purement temporelle, continue, la relation de l’Autrefois avec le Maintenant présent est dialectique : ce n’est pas quelque chose qui se déroule, mais une image saccadée » (Benjamin, cité dans Didi-Huberman 2000, p. 241).
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[5]
Le lecteur est ici renvoyé à la première partie de l’ouvrage de Joubert-Laurencin (1997, p. 15-87), dans laquelle l’auteur revient sur les différentes définitions « définitives » du cinéma d’animation, qui sont en réalité péremptoires, impertinentes et prises au piège de généralisations très problématiques.
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[6]
« Animated films are visually considered a branch of “live cinema.” But the connection between the two is rather a matter of historical accident than any necessary identity of structure » (Stephenson 1973, p. 7).
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[7]
Rapporté par Giannalberto Bendazzi (1983, p. 45).
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[8]
Voir Marker 1952 (p. 66-68). L’article s’intéresse au film de poupées de Jiri Trnka, Prince Bayaya. Les propos sont d’autant plus remarquables qu’ils sont issus de la revue des Cahiers du cinéma que l’on sait, à l’exception de quelques articles importants consacrés notamment à McLaren, relativement réservée dans sa relation au cinéma d’animation. Quelques mois plus tard, un article de Jaroslav Broz (1952, p. 53-56), partant de l’émotion que Jean Cocteau avait pu ressentir à la projection d’un film de Trnka, encore, abondait en ce sens.
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[9]
Jayne Pilling s’est efforcée de dresser un relevé des interactions et influences réciproques entre cinéma en prise de vues réelles et animation tout au long du siècle cinématographique (voir Pilling 1997).
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[10]
Ce sont les frères Fleischer qui introduisirent ce système. Dans leur production, l’animation ne se bornait pas à l’agitation de la petite boule. Parfois un personnage animé se glissait dans une scène (Koko le clown, par exemple), parfois les mots des sous-titres se voyaient soudainement illustrés avec humour. La plus grande partie de ces screen songs cartoons fut produite pour la Paramount entre 1929 et 1938. Pour le détail des titres produits, voir la filmographie de l’ouvrage de Leslie Cabarga, The Fleischer Story (Cabarga 1988).
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[11]
Certains jeux célèbres, tels que Tomb Raider, Final Fantasy ou encore Resident Evil sont totalement troublants à cet égard. Il était dans leur logique intrinsèque d’être portés un jour au grand écran, de retourner au cinéma, qu’ils imitaient en de nombreux points.
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[12]
Précisément deux des attributs d’un gameplayer.
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[13]
Voir Rodowick 2003 (p. 23).
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[14]
Citons par exemple le récent Nosferatu Tango de Zoltan Horvath, en 2000, qui entremêle habilement références cinématographiques de l’expressionnisme allemand et personnages emblématiques de l’animation.
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[15]
Voir Clancy 1991.
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[16]
« L’animation n’est pas l’art des images qui bougent mais l’art des mouvements dessinés. Ce qui se produit entre les images a beaucoup plus d’importance que ce que l’on voit sur l’image. L’animation est l’art de se servir des interstices invisibles entre les images » (McLaren, cité et traduit par Cloutier, 1975, p. 105).
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[17]
Hervé Joubert-Laurencin (1997, p. 52-58) prend soin de la commenter longuement pour expliquer son succès (elle est bien écrite, elle est écrite par le maître McLaren et elle contient tous les éléments mythiques de l’image-par-image). L’auteur revient aussi dans ces pages sur une reformulation par McLaren de sa définition, objet d’un courrier que l’animateur avait envoyé à George Sifianos en 1986, et découvre une quatrième phrase qui vient clore la définition généralement oubliée et citée, semble-t-il, par John Halas dans Computer Animation (1974, p. 97). La dernière proposition rejoint le discours d’Alexeïeff sur les formes plastiques et le mouvement cité plus haut : « The interstices are the bones, flesh and blood of the movie, what is on each frame, merely the clothing. »
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[18]
Voir Amengual 1965 (p. 232-233).
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[19]
« Le mouvement est strictement le langage de la vie. Il n’exprime que les connotations initiales, vivantes, de la vie. Il est le premier langage » (Lye et Riding, cités dans Curnow 2000, p. 141). Et page 143 encore : « Le mouvement est simplement l’élan vital. »
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[20]
D’après le dossier de presse du film.
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[21]
Jusqu’à trente calques, par moments.
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[22]
Le procédé visuel a été bien entendu appliqué à la bande son. À partir d’une banque de plus de 2 000 films, des éléments sonores ont été triés par bruitage et musicalité, enregistrés, sélectionnés, puis remixés pour Fast Film. Le film travaille autant sur la mémoire et le fétichisme visuels que sonores.
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[23]
Jacques Rancière en fait une synthèse à partir du texte écrit des Histoire(s) du cinéma (Godard 1998, p. 78-85) : « On a oublié pourquoi Joan Fontaine se penche au bord de la falaise et qu’est-ce que Joel McCrea s’en allait faire en Hollande. On a oublié à propos de quoi Montgomery Clift garde un silence éternel et pourquoi Janet Leigh s’arrête au Bates Motel et pourquoi Teresa Wright est encore amoureuse d’Oncle Charlie. On a oublié de quoi Henry Fonda n’est pas entièrement coupable et pourquoi exactement le gouvernement américain engage Ingrid Bergman. Mais on se souvient d’un sac à main. Mais on se souvient d’un autocar dans le désert. Mais on se souvient d’un verre de lait, des ailes d’un moulin, d’une brosse à cheveux. Mais on se souvient d’une rangée de bouteilles, d’une paire de lunettes, d’une partition de musique, d’un trousseau de clefs, parce que avec eux et à travers eux, Alfred Hitchcock réussit là où échouèrent Alexandre, Jules César, Napoléon : prendre le contrôle de l’univers » (Rancière 2001, p. 218).
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[24]
L’histoire de l’art ne serait-elle pas elle-même une discipline anachronique, se demande l’auteur. Voir Didi-Huberman 2000 (p. 22).
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[25]
Voir Didi-Huberman 2000 (p. 120).
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[26]
Un jeu comme Medal of Honor, par exemple, ne cesse de remettre en question la représentation cinématographique et d’accuser sa différence avec la réalité historique.
Références bibliographiques
- Allen et Gomery 1993 : Robert C. Allen et Douglas Gomery, Faire l’histoire du cinéma, Paris, Nathan Université, 1993.
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- Didi-Huberman 2000 : Georges Didi-Huberman, Devant le temps, Paris, Minuit, 2000.
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