Ayant la lumière de l’écran d’ordinateur pour seul éclairage à ses pensées, on imagine mal comment une énième revue de la littérature portant sur la décolonisation de la recherche ou encore comment s’inscrire à même la formation de la pensée décoloniale. Empreint de la même énergie fournie par les barrages qui ont inondé les chemins de portage, on assiste à des webinaires décrivant comment les aîné·e·s parcouraient le territoire. Avec ces paradoxes en bruit de fond, on s’engage, on apprend et on entend mal les rivières dans les salles de classe. Mais le fait de marcher ensemble dans les rues, sur les routes et dans le territoire est un bon début pour agir, pour sortir et pour apprendre. Dans le cadre de ce numéro portant sur l’allyship, nous proposons un dialogue entre ami·e·s entourant nos trajectoires de vie qui se sont entremêlées ainsi que nos motivations à nous mobiliser. Sous la forme d’un échange informel, nous sommes partis de nos propres vécus, engagements et réflexions en vue d’aborder différentes questions sur la notion de solidarité. Nous avons enregistré cette discussion en juin 2023 et avons retranscrit nos propos en gardant la dimension plus familière de nos manières de parler. J’avais beaucoup de difficultés à m'insérer dans la société et trouver ma place. Ça a été un gros enjeu dans ma vie, celui qui m’a fait me questionner sur mon identité. Mais je pense que tout le monde passe par des réflexions similaires. Les miennes m’ont amené à m'interroger sur comment m’impliquer pour changer la société. C’est là que j’ai eu une crise identitaire. La reconnaissance de mes identités m’a amené à réaliser à quel point je suis oppressée sur plusieurs niveaux, que je vis continuellement des injustices et des violences en tant que femme, Autochtone et descendante d’immigrant. Je n’ai pas eu une éducation sur l’histoire de mon peuple ni sur celle de la Loi sur les Indiens, car l’école n’en parle pas. [C’est une loi qui gère ma vie depuis ma naissance; j’étais inscrite, mais je ne le savais pas. J’ai commencé à faire des recherches en sciences humaines. C’est là que j’ai appris à propos des pensionnats indiens [autochtones] et je me suis dit : « Mais pourquoi on ne m’en a pas parlé? » Il y a beaucoup de problèmes intergénérationnels, mais j’ai été témoin de résilience et de guérison. Des gens inspirants m’ont fait me dire que c’est possible d’être innue, de se relever et d’être fier de notre culture; mais il faut travailler fort pour arriver à cette résurgence-là : c’est quand j’ai commencé à m’éveiller, à lire, à développer ma réflexion critique et à saisir que ma voix compte. C’est à ce moment-là que je me suis dit : « Il faut que je me mobilise ». Et pour se mobiliser, pour défendre une cause, il faut que tu connaisses bien ce que tu veux protéger; mais il faut aussi que tu sois bien enraciné.e là d’où tu viens. Ça a été un long travail dans ma vie de me réconcilier avec qui j’étais et de me réapproprier cette histoire-là qu’on a vécue, qu’elle soit belle ou pas belle. Ce qui est beau à voir, c’est la solidarité qui se crée entre les peuples d’ici et d’ailleurs, surtout les peuples qui ont été colonisés et marginalisés. Je suis en quelque sorte le vecteur de deux magnifiques peuples millénaires, qui ont malheureusement vécu les conséquences directes du colonialisme. Quand j’entre en discussion avec une personne, on dirait que c’est comme si je comprenais ce que l’autre vit et qu’elle aussi comprend ce que …
On entend mal les rivières derrières les murs[Notice]
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Yasmine Fontaine
Coordonnatrice, Programme des gardien·ne·s du Territoire, Université Laval
Étudiante à la maîtrise, Département de géographie, Université Laval
Innushkueu et ÉgyptienneÉtienne Levac
Étudiant au doctorat, Département de sciences des religions, Université du Québec à Montréal
Québécois de 11e génération