Épistémologies autochtones et crise climatique : introduction[Notice]

  • Fernande Abanda Ngono et
  • Şükran Tipi

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  • Fernande Abanda Ngono
    Juriste
    Docteure en sciences sociales appliquées, Département des sciences sociales, Université du Québec en Outaouais
    Membre, Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones

  • Şükran Tipi
    Linguiste
    Doctorante, Département d’anthropologie, Université Laval
    Chargée de cours, Université du Québec en Outaouais (UQO)

Le pôle de l’Université du Québec en Outaouais du Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones (CIÉRA-UQO) organisait, en collaboration avec l’Amicale Autochtone de l’UQO (AA-UQO), les 29 et 30 avril 2020, un colloque d’échanges et de réflexion intitulé La pertinence des épistémologies autochtones face à la crise climatique actuelle : enjeux de protection et de préservation du territoire. Eu égard de la pandémie de coronavirus (SARS-CoV-2) et afin de respecter les mesures sanitaires de distanciation sociale imposées par l’état d’urgence au Québec, ailleurs au Canada et à l’échelle mondiale, ce colloque, qui devait initialement se tenir en présentiel au campus principal de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), situé à Gatineau, fut transformé par le comité organisateur en un espace d’échanges et de communication sur Zoom. L’espace numérique du colloque a permis d’ouvrir la réflexion, d’une part sur les ontologies autochtones relatives à la nature ainsi que les solutions et les approches (alternatives) à la crise climatique actuelle qu’elles mettent en avant et, d’autre part, sur l’intégration de ces épistémologies autochtones dans les actions pour lutter contre les changements climatiques et pour la protection de la nature et, enfin, sur l’espace qui est laissé ou offert aux Autochtones dans le débat actuel. En décidant d’aborder ladite thématique et ses questions connexes dans le cadre de ce colloque, les organisateurs n’imaginaient pas que les changements climatiques et l’urgente nécessité de revisiter les rapports de l’humanité à son environnement naturel tout en interrogeant la pertinence des solutions adoptées serait, quelques mois après l’événement, au coeur des discussions engagées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour freiner la propagation rapide du SARS-CoV-2 à l’échelle mondiale (García-Vinuesa et al. 2022; OXFAM International 2020). À l’heure où l’approche des solutions climatiques basées sur la nature est présentée par plusieurs gouvernements et organisations environnementales comme la panacée pour résorber la double crise du climat et de la biodiversité, il est important qu’une réflexion plus large sur la pertinence des systèmes de savoir locaux et autochtones soutenant les rapports et les modèles d’action de l’humanité sur l’environnement soit menée en amont, comme le rappellent Graeme Reed et al. (2022). Il ne fait aucun doute que les contributions du présent numéro se nourrissent aussi cette ambition. Si les changements climatiques sont considérés communément comme des modifications à long terme des conditions météorologiques et des variations persistantes du climat causées soit par sa variabilité naturelle, soit par l’effet de serre anthropique découlant des émissions de gaz à effet de serre (GES) (GIEC 2007), ils sont aussi, comme le souligne Steve Yearly (2016), une construction sociale. Partant de cette approche constructiviste, les changements climatiques reposent non seulement sur les projections climatiques produites par la technoscience, mais également sur les projections fondées sur les connaissances et les solutions pratiques en matière d’action climatique, lesquelles sont alimentées par un ensemble d’institutions sociales et politiques. Ce positionnement a le mérite de mettre en avant un aspect fondamental des changements climatiques qui a longtemps été un argument écarté des actions pour y répondre, c’est-à-dire le rôle et l’importance cruciale que jouent les systèmes de savoirs et connaissances autochtones en tant que corpus dynamique contribuant à l’atteinte des objectifs climatiques mondiaux. Depuis son émergence en 1980, la rhétorique sur les changements climatiques et les solutions qui lui sont proposées se sont forgées sur une perspective portée par des leadeurs occidentaux qui reposait quasi exclusivement sur une représentation occidentalocentriste de la nature et de l’environnement. Pour plusieurs auteurs, cette représentation hégémonique de l’environnement s’est historiquement imposée, au gré de l’entreprise coloniale occidentale, à différents peuples à travers le monde, notamment autochtones (Farget 2016; Hitchcock …

Parties annexes