Le Temps – Un (certain) Épilogue

  • Benoît Moore

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  • Benoît Moore
    Juge, Cour d’appel du Québec

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Couverture de Le temps, Volume 65, numéro 3, septembre 2024, p. 503-669, Les Cahiers de droit

Il n’y a pas de plus vaste sujet que le temps. « Le temps est invention ou il n’est rien du tout » écrivait Henri Bergson. C’est son existence, donc, qui interpelle d’abord. La matérialité du temps réfère-t-elle à une donnée fondamentale, ou n’est-elle qu’une perception humaine – et relative – visant à structurer la linéarité de l’infini ? Sans égard à la réponse à cette interrogation – si tant est qu’il y en ait une –, la seule appréhension possible du temps est dans sa mesure. En cela, le temps que l’on perçoit est au Temps ce que le droit est à la Justice. La lecture des remarquables textes de ce numéro thématique – le dernier sous la houlette de la professeure Sylvette Guillemard, que l’on doit remercier pour le travail accompli et l’apport des Cahiers de droit à la réflexion juridique – illustre brillamment les rapports multiples et complexes qu’entretiennent le droit et le temps. La réflexion sur la durée du droit est particulièrement pertinente en matière de technologies dont l’obsolescence est notoirement rapide. C’est la réflexion que propose la légiste Jeanne Proulx en invitant le lectorat dans les arcanes de la rédaction de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information. Cette relativité temporelle est également dévoilée sous un autre angle par Rémi Fuhrmann, qui met à contribution la théorie du droit intertemporel en droit international public et une analogie avec l’histoire à propos de laquelle, note-t-il joliment, la connaissance du passé « s’opère nécessairement à travers le contexte présent et le biais du sujet observant […] du fait de l’impossibilité du sujet de s’extraire de son temps ». Le rapport de l’institution qu’est la prescription avec le temps non juridique ne se présente pas sans un certain paradoxe. Si la vie s’allonge, l’on a tout de même connu un phénomène de réduction des délais de prescription, un autre indice de l’accélération du temps et d’une certaine impatience du droit à atteindre la certitude. C’est ainsi que de la prescription trentenaire de droit commun, pour la prescription tant extinctive qu’acquisitive, durée qui, fait remarquer Me Motulsky-Falardeau, correspondait à l’espérance de vie, le législateur du Code civil du Québec lui préfère maintenant la prescription décennale. Mais cette aspiration à la certitude par la sanction du temps doit se concilier avec d’autres valeurs fondamentales, et le droit tend donc à trouver un certain équilibre entre, d’une part, une exigence de diligence dans l’exercice de ses droits et, d’autre part, la nécessité que le temps qui passe fasse son oeuvre. C’est pourquoi le législateur a réinstauré des prescriptions longues dans certaines situations, décennales dans le cas d’un préjudice corporel découlant d’un acte criminel, voire l’imprescriptibilité lorsqu’il découle de violence subie pendant l’enfance, de violence sexuelle ou de violence conjugale. Il y a le temps de l’efficacité, il y a le temps de la dignité retrouvée. Rapports multiples, donc. Rapports paradoxaux, aussi. Le temps est partout dans le droit. Il le bouscule ou le ralentit. Il lui dicte le pas, lui donne le rythme. Mais toujours le droit lui donne la réplique, l’instrumentalise. Diderot écrivait : « Tout s’anéantit, tout périt, tout passe ; il n’y a que le monde qui reste, il n’y a que le temps qui dure ». Le temps, certes. Mais le droit, aussi. Car en dernière analyse, et en réalité, ne pourrait-on pas se demander qu’est-ce que d’autre pourrait n’être le droit si ce n’est qu’une tentative de l’humain de maîtriser l’effet du temps ?

Parties annexes