Résumés
Résumé
On ne doit pas se souvenir de Jean Meslier (1664-1729) pour sa seule virulence et ses seules idées matérialistes. Certes, il fut le premier prêtre athée français à transmettre à la postérité une oeuvre tout entière consacrée à la nécessité de promouvoir l’incroyance, mais il est impératif que lui soit maintenant restituée cette volonté qui fut la sienne d’instaurer pour les générations à venir une norme en matière d’athéisme. Or, cette norme est fondée, chez Meslier, sur une réorganisation préalable de l’État, laquelle a pu être envisagée à la faveur de tout un travail d’infléchissement sémantique portant sur le mot « superstition ».
Abstract
Jean Meslier (1664-1729) should not be remembered for his virulence and materialistic ideas alone. Certainly, he was the first French atheist priest to leave behind an entire work devoted to the need to promote unbelief, but it is imperative that he now be recognized for his desire to establish an atheistic norm for future generations. Now in Meslier, this norm calls for a prior reorganization of the State, which could be envisioned by means of a marked semantic shift focused on the word “superstition.”
Corps de l’article
Car il est incontestable que les dieux, par leur nature même, jouissent de l’immortalité au milieu de la paix la plus profonde ; étrangers à nos affaires, dont ils sont tout à fait détachés. Exempte de toute douleur, exempte de tout danger, forte d’elle-même et de ses propres ressources, n’ayant nul besoin de notre aide, leur nature n’est ni attachée par des bienfaits, ni touchée par la colère.
Lucrèce, De natura rerum [1]
Les dieux de Lucrèce ressemblent parfois au dieu de Spinoza, « qui est et agit par la seule nécessité de sa nature [2] ». Pour le premier comme pour le second, il importe d’emblée d’écarter de la conception du divin les doctrines finalistes, lesquelles sont à l’origine de préjugés et de superstitions qui anéantissent l’idée même de perfection [3]. Mais s’il est vrai que Lucrèce et Spinoza ont été souvent lus comme des athées, l’idée qu’ils se faisaient de la perfection la rattachait néanmoins à un attribut de l’essence divine. Leur panthéisme est, en fait, indissociable d’un absolu qui est essentiel à l’ordre des choses. Lucrèce, lorsqu’il invoque Vénus, « plaisir des hommes et des dieux », sans qui « rien n’aborde aux rivages divins de la lumière [4] », ne fait que célébrer cette merveille qu’est, pour lui, la nature ; Spinoza ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme que « tout ce qui suit de la nature absolue d’un attribut de Dieu […] est éternel et infini par cet attribut », et que, par conséquent « tout dans la Nature procède selon une nécessité éternelle et une souveraine perfection [5] ».
Bien qu’au début de la Septième preuve de son Mémoire, il mentionne Spinoza dans sa liste des athées [6] ou cite, à la Huitième preuve, des passages du De natura rerum de Lucrèce pour mieux étayer son argumentation en faveur de la matérialité de l’âme [7], le curé Jean Meslier (1664-1729) ne croyait pas en cette forme transcendante de perfection. Pour lui, nul doute que la nature est parfaite :
[…] Il faut necesssairement aussi reconnoitre que la beauté, que l’ordre, et que les autres perfections qui se trouvent naturellement dans les ouvrages de la nature, c’est à dire dans les ouvrages du monde ne demonstrent et ne prouvent nullement l’existence, ni par consequent la puissance ni la sagesse d’aucun autre ouvrier, ou ouvrierre que celle de la nature même, qui fait tout ce que nous pouvons voir de plus beau et de plus admirable.
OC, t. II, p. 169
Toutefois, un principe de corruption lui est indissociablement rattaché [8] :
Car il faut remarquer qu’y ayant plusieurs sortes de mouvemens dans la matiere, il y en a qui sont reguliers, et qui se font tousjours reglement de même sorte et maniere. Et d’autres qui sont irreguliers, et qui ne se suivent pas reglement, desquelles sortes de mouvemens, on peut dire qu’il y en a des uns, et des autres, dans toutes sortes d’êtres ou de composés qu’il y a dans la nature. Les mouvemens irreguliers des parties de la matiere ne produisent pas reglement les mêmes effets, ou ne les produisent pas tousjours de même façon, mais tantôt d’une façon tantot d’une autre […], c’est ce qui fait qu’il y a tant de vices, tant de deffauts, tant de defectuosités, et tant d’imperfections dans la plus part des ouvrages de la nature, et que l’on y voit aussi si souvent des choses monstrueuses, et difformes, et d’autres encore qui arrivent contre le cours ordinaire de la nature [9].
OC, t. II, p. 447-448
Aux yeux du curé Meslier, l’idée de perfection, au même titre que celle de corruption, dérive d’une conception mécaniste de la matière. En ce sens, elle n’est pas attribuable à une forme de volition. Pourtant, en dépit du fait qu’une lecture de son Mémoire témoigne en faveur de son athéisme inébranlable, qu’aucun de ses commentateurs ne nie, certaines de ses remarques laissent pourtant perplexe sur la nature même de cette incroyance [10]. On pourrait certes disserter longuement sur la portée de cet athéisme dans le discours philosophique ou religieux de son époque ; mais quel était, en fait, le dessein du curé lorsqu’il rédigea son Mémoire ? — texte qui, rappelons-le, a été publié pour la première fois par Voltaire, en 1762, sous la forme d’un extrait qu’il remania et abrégea jusqu’à faire de son auteur un déiste. C’est cette problématique qu’il importe maintenant d’examiner au regard de la question des rapports entre athéisme et invention d’une norme nouvelle que Meslier, du moins est-ce là notre hypothèse, a tenté d’instaurer.
Athéisme et réorganisation de l’État
Pour Meslier, il importe avant tout de détruire la fausse idée que se font les hommes de l’existence d’un dieu, des dieux ou de toute autre manifestation du divin. C’est en effet d’un « athéisme absolu [11] » qu’il est question dans le Mémoire :
Sachez donc, mes chers amis, sachez que ce n’est qu’erreurs, abus, illusions, et impostures, de tout ce qui se débite et de tout ce qui se pratique dans le monde pour le culte et l’adoration des dieux ; toutes les loix, et les ordonnances qui se publient sous le nom et l’autorité de Dieu, ou des dieux, ne sont veritablement que des inventions humaines non plus que tous ces beaux spectacles de feste et de sacrifices, ou d’offices divins, et toutes ces autres superstitieuses pratiques de religion, et de devotion, qui se font en leur honneur ; toutes ces choses là dis je, ne sont que des inventions humaines, qui ont été […] inventées par des fins et rusés politiques, puis cultivées, et multipliées par des faux seducteurs, et par des imposteurs, ensuitte reçües aveuglement par des ignorans, et puis enfin maintenües et autorisées par les loix des princes, et des grands de la terre qui se sont servi de ces sortes d’inventions humaines pour tenir plus facilement par ce moyen là, le commun des hommes en bride, et faire d’eux tout ce qu’ils voudroient.
OC, t. 1, p. 39-40
Selon lui, l’invention des dogmes religieux a essentiellement pour but de maintenir les privilèges que s’attribuent certains hommes pour en soumettre d’autres. L’athéisme mesliériste est par conséquent « absolu » dans la mesure où il inclut aussi le politique, et de telle sorte que l’on puisse en tirer des principes susceptibles de régler les affaires de la polis :
Il y a assés long tems que les pauvres peuples sont miserablement abusés dans toutes sortes d’idolatries, et de superstitions, il y a assés long tems que les riches et que les grands de la terre pillent, et oppriment les pauvres peuples, il seroit tems de les delivrer de ce miserable esclavage où ils sont, il seroit tems de les desabuser par tout, et de leur faire connoitre partout la verité des choses ; et si, pour adoucir l’humeur grossiere et farouche du commun des hommes, il a fallut [sic] autres fois comme on le pretend, les amuser et les abuser par de vaines et superstitieuses pratiques de religions, affin de les tenir plus facilement en bride par ce moien là, il est certainement encore plus necessaire maintenant de les desabuser de toutes ces vanités là, puisque le remede dont on s’est servis contre le premier mal est devenu avec le tems pire que le premier mal par l’abus que l’on en a fait.
OC, t. 1, p. 34
Cette métaphore de la maladie qu’aggrave son traitement et qui sollicite un remède n’est, en fait, qu’une image destinée à rendre sensible l’idée d’une réorganisation nécessaire de l’État, d’une restructuration, en quelque sorte, des rapports unissant les hommes au sein de la communauté politique. Courant dans le discours qui se veut persuasif, l’emploi de la métaphore renvoie aussi à cette incapacité du langage à traduire, comme le signale l’abbé de Bretteville, toutes nos « pensées [12] », surtout dans la mesure où Meslier ne pouvait recourir au terme de « réorganisation », étranger à l’univers conceptuel de son époque. De fait, si on l’analyse de plus près, la métaphore médicale renvoie bel et bien à l’action d’« organiser ». En effet, le Dictionnaire de l’Académie, dans sa première édition, faisait dériver à la fois le verbe « organiser » et son participe « organisé » du mot « organe », pris dans son sens propre [13] :
Organe. S.m. L’instrument de quelque faculté dans l’animal. L’organe de la veuë. L’organe de l’oüye. L’organe de la voix. L’ame agit dans le corps par le moyen des organes quand les organes sont bien disposez, mal disposez, blessez, alterrez, corrompus […] Organe, se dit figur. des personnes dont le Prince se sert pour déclarer ses volontez. De ceux par l’entremise et par le moyen desquels on fait quelque chose.
Organiser. v. a. Former les organes. Il n’y a que l’autheur de la nature qui puisse organiser un corps.
Organisé, ée part. Un corps bien organisé.
N’étaient organisés entre eux, on le voit bien, que les organes d’un corps vivant. Par conséquent, si une « mauvaise disposition », une « blessure », une « altération » ou une « corruption » devait les affecter, il en surgissait nécessairement un « mal » contre lequel s’imposait l’usage d’un « remède ». La métaphore à laquelle recourt Meslier pour convaincre son lecteur de la nécessité de « délivrer » les « pauvres peuples » renvoie à l’idée selon laquelle, à l’origine de la société politique, le fait d’avoir « inventé » la religion pour mieux apaiser l’« humeur grossiere et farouche » des hommes, laquelle porte en elle la menace d’une guerre de tous contre tous, n’a eu pour conséquence que de rendre cette société plus pernicieuse encore que l’expression même des passions les plus néfastes. En voulant « organiser » un « corps politique » stable, la religion n’a fait, au cours des siècles, que le corrompre. Et si, comme remède contre ce mal, c’est-à-dire contre cette « organisation » corrompue de la société politique, Meslier utilise le verbe « desabuser [14] », comme le faisaient déjà par ailleurs les libertins érudits, c’est parce qu’il ne dispose pas d’un autre mot pour désigner l’éveil de la conscience critique. Mais tandis que « desabuser » veut littéralement dire éloigner de la tromperie (détourner), la métaphore de la maladie suggère, quant à elle, bien autre chose. Elle suppose d’abord l’existence d’un « corps » politique [15]. Ce « corps » formé par les hommes, la métaphore suppose ensuite qu’il est corrompu (mal « organisé ») par la tromperie, qu’il faut le libérer de cette corruption en écartant la religion (que Meslier associe, d’une façon générale, à la superstition), et qu’il est urgent d’en rétablir la « santé », c’est-à-dire de l’« organiser » en lui fournissant de nouvelles assises dont les principes seraient inspirés de l’athéisme. Bref, c’est d’une « réorganisation » de la polis que parle, en définitive, Meslier.
Il faudra toutefois attendre la fin du xviiie siècle, au moment de la Révolution, pour que le mot « réorganisation » fasse son apparition dans la langue écrite. Dans son Histoire de la langue française, Ferdinand Brunot en signale une occurrence dans les lettres de Mme Roland [16]. Ce n’est pourtant que dans la sixième édition du Dictionnaire de l’Académie française (1832-1835) qu’une première entrée est consacrée à ce mot : « Réorganisation : Action d’organiser de nouveau, et Le résultat de cette action. Réorganisation d’une compagnie, d’une armée. » Très tardivement, soit dans son édition de 1932-35, le même dictionnaire donnera une version légèrement amplifiée de cette première définition : « Action d’organiser de nouveau ou Résultat de cette action. Réorganisation d’une compagnie, d’une armée, d’un service public ». Cette fois, il n’y a aucun doute, on peut dorénavant envisager, d’un point de vue lexical, de refaire l’organisation de la structure politique interne d’une assemblée particulière [17]. En attribuant au seul corps humain la faculté d’être organisé, le Dictionnaire de l’Académie française aura mis plus de cent ans avant de fournir une définition qui permette d’envisager la « réorganisation » d’un corps politique.
À l’époque où Meslier écrit son Mémoire, il fallait donc avoir recours à des images, parfois très anciennes, pour signifier ce qui n’était encore que dans le domaine du pensable. Meslier aura choisi l’image de la maladie, parce qu’elle avait le pouvoir de renvoyer à l’idée de « corps organisé ». C’est ainsi qu’après avoir étendu cette idée à la sphère du politique, l’auteur du Mémoire pourra l’enrichir et la faire évoluer. Mais il ne s’agira pas, cette fois, d’une évolution marquée par une insuffisance lexicale. En effet, c’est en ramenant à un problème de nature politique les différents sens qu’on avait jusqu’alors donnés au mot « superstition » que l’auteur du Mémoire parviendra à les faire converger. Il s’agira donc, pour Meslier, d’amorcer cette nouvelle évolution par la récupération ad hoc d’une notion.
Athéisme et superstition
Il est primordial, pour bien saisir la pensée de Meslier, d’en dégager la notion d’absolu. Vraisemblablement, celle-ci ne suppose pas, chez lui, une perfection d’ordre divin ou qui s’inscrirait dans la nature, tant il est vrai que le mélange du bien et du mal y est « facheux [18] ». L’absolu, chez Meslier, caractérise l’imperfection et il se donne à lire avant tout dans dans le domaine politique. Pour Meslier, la tromperie politique, qu’explique une double disposition humaine à se laisser berner et à berner, engendre le mal absolu, qui est social :
La source donc, mes chers amis, de tous les maux qui vous accablent, et de toutes les impostures, qui vous tiennent malheureusement captifs dans l’erreur, et dans la vanité des superstitions, aussi bien que dans les lois tyranniques des grands de la terre, n’est autre que cette detestable politique des hommes […].
OC, t. I, p. 10
Afin de convaincre ses paroissiens de l’existence de ce leurre, il prend soin d’ailleurs d’exploiter des images qu’ils comprendront :
Et ainsi nos peintres se trompent et s’abusent, lorqu’ils nous representent sur leurs tableaux leurs diables, comme des monstres effroiables à voir, […] et ils vous abusent, aussi bien que vos predicateurs, lorsque, dans leurs predications ils vous les representent si laids, si hideux, si difformes et si effroiables à voir ; ils devroient bien plutot les uns et les autres vous les representer comme sont tous ces beaux messrs les grands, et les nobles, et comme sont toutes ces belles dames et damoiselles, que vous voiez si bien parées, si bien mises, si bien frisées, si bien poudrées, si bien musquées, et si éclatans et éclatantes d’or et d’argent, et de pierres precieuses. Car ce sont ceux là et celles là qui sont, comme j’ai dit, les vrais diables et les vraies diablesses, puisque ce sont ceux là même, qui sont vos plus grands ennemis et ceux qui vous font le plus de mal.
OC, t. II, p. 27-28
La lutte contre la superstition, chez Meslier, parce qu’elle cherche à réduire la religion à la notion même de superstition, parce qu’elle a pour conséquence de modifier la dynamique, les règles et les enjeux d’un « combat » qui remonte à l’Antiquité, ne vise rien de moins que l’établissement d’un système athée cohérent et homogène, ce qui représente, en soi, une coupure épistémologique importante dans l’histoire de l’athéisme. Pour Meslier, en effet, toute religion est au départ superstition. En questionnant les grandes traditions antique, augustinienne, spinoziste, baylienne et malebranchiste [19], la lutte mesliériste contre la superstition aura marqué un tournant décisif dans l’histoire de l’athéisme en France. D’abord, elle n’adopte pas une démarche et un arsenal argumentatifs habituels [20]. Ensuite, elle se développe à partir de la conviction que l’aliénation politique du peuple en est l’unique enjeu. Pour finir, elle établit une nouvelle manière de creuser l’écart entre ce que la raison « politique » peut accepter et doit refuser lorsqu’elle désire mobiliser son pouvoir d’action.
Superstition et pouvoir politique
La critique s’est souvent penchée, depuis les années soixante-dix, sur la question épineuse que posent l’origine et les fondements de l’athéisme mesliériste, sans en venir tout à fait à un consensus. Le problème a longtemps résidé dans le fait qu’on a cherché avant tout à confiner la figure de Meslier à celle d’un ancêtre du matérialisme historique, réduisant alors sa critique de la religion à une posture extrêmement difficile à situer historiquement, ce qui, du reste, a donné lieu à d’invraisemblables anachronismes dont on a du mal, encore aujourd’hui, à se libérer. Il se dégage toutefois de cette tradition critique un certain nombre de constats permettant de mieux comprendre ce qui, tout à la fois, marque l’originalité et le conformisme de la pensée de ce curé [21]. Bien que les recherches de Desné, Soboul et Deprun aient favorisé une meilleure compréhension de la pensée de Meslier, il nous semble qu’il conviendrait d’élargir leurs recherches, en favorisant non plus une approche exclusivement philosophique ou sociologique, mais en s’intéressant à la manière dont le curé s’attachait à rassembler ses idées en infléchissant le sens même des mots qu’il empruntait à diverses traditions. C’est ce phénomène textuel qui, à notre avis, est le plus à même de mettre en évidence la puissance de cette oeuvre provocatrice, et d’en déceler les subtilités qui, au cours du xviiie siècle, ont tout à la fois choqué, dérangé, inquiété et suscité une certaine forme d’admiration [22]. C’est ainsi que le mot superstition a servi, dans le Mémoire, à déformer le concept auquel la pensée religieuse orthodoxe le faisait correspondre depuis l’Antiquité.
Au cours de l’été de 1682, à la suite de l’« Affaire des poisons » (1679-1682), la législation française commence à envisager les superstitions à partir d’un point de vue rompant avec les approches qui avaient eu cours jusque-là, comme en témoigne un édit dans lequel Louis XIV redéfinissait d’une manière plus spécifique certaines pratiques depuis longtemps condamnées [23]. Ces nouvelles dispositions législatives donnaient à la « superstition » un statut particulier car, associée à une réglementation concernant la vente et la libre circulation de substances qui entraient à cette époque dans la confection de certains poisons, elle devenait l’objet des préoccupations du pouvoir politique. Dans ce nouveau contexte, elle n’était plus considérée comme un phénomène social diffus, voire indéfinissable : légalement, elle devenait le fait « des peuples » et on lui reconnaissait le pouvoir de conduire au crime. L’introduction de cet édit [24] stipule d’ailleurs clairement que les « imposteurs » qui sont à l’origine de pratiques divinatoires diverses se rendent responsables d’« infecter » et de « corrompre » l’« esprit des peuples ». Ces derniers, par une crédulité malade (superstitieuse), sont susceptibles, afin de voir s’« accomplir » les prédictions qu’on leur avait faites, de commettre des actes criminels. La superstition est donc une infection, une maladie qui ruine l’esprit de ceux qui en sont atteints, un agent pathogène responsable de la « désorganisation » d’un « corps » spirituel [25], ce qui mène inévitablement, sinon à l’anéantissement, du moins à l’affaiblissement et des lois que se donnent les hommes pour vivre ensemble et de celles que leur donne Dieu pour assurer la conduite de leur existence spirituelle. Les « coupables » décrits dans l’introduction de l’édit de 1682 sont responsables d’avoir commis des « crimes publics » en répandant une infection et une corruption telles que, pour « réorganiser » les « corps » spirituels atteints et pour se « garantir » contre de nouvelles « surprises », l’État frappe d’interdit et menace d’expulsion tous les responsables de la propagation de l’« épidémie ». Étaient également passibles de la peine de mort, selon le troisième article de cet édit, ceux qui s’étaient rendus coupables de joindre le sacrilège à la superstition [26]. Nulle part il n’est suggéré, en revanche, que la crédulité superstitieuse pouvait inspirer la mécréance aux sujets atteints.
En 1690, Furetière fait pourtant circuler, après avoir mentionné que la superstition est une « devotion, ou [une] crainte de Dieu mal ordonnée », l’idée selon laquelle Plutarque avait « voulu montrer que la superstition étoit pire que l’athéisme [27] ». Cette remarque, timidement esquissée par l’auteur du Dictionnaire universel, ne faisait que corroborer l’idée suivant laquelle une anomalie s’était glissée dans l’organisation des « corps » spirituels, leur causant un tort certain. Il est primordial de constater que cette vision de la superstition divergeait profondément de celle que véhiculait la tradition augustinienne dans sa lutte contre le paganisme. Et même si Furetière avait jugé bon d’accorder quelques lignes à la description de la forme que prenait la superstition dans l’Antiquité, l’entrée de ce mot était presque entièrement consacré, en 1690, à la superstition telle qu’on devait la penser et la percevoir à la fin du xviie siècle. Plus qu’un rappel de l’existence de rites et de pratiques populaires qu’évoquait la mention du traité de Jean Baptiste Thiers, la définition prêtait à la superstition un véritable pouvoir d’invasion, et d’invasion dangereuse, puisque les « prélats s’efforçaient » de l’éradiquer. Le superstitieux n’était plus celui qui se plaçait au-dessus d’une religion établie pour en révéler des secrets et en tirer des rites nouveaux (de superstare, se tenir au-dessus), mais celui qui, par faiblesse, se « laissait aller » à faire de sa crainte de Dieu (de superstitio, objet de crainte religieuse) le lieu d’un désordre, d’une indisposition (mauvais arrangement), au sens presque médical du terme, de son âme. Cette idée de faiblesse est mieux rendue par la première édition du Dictionnaire de l’Académie française : « Superstition. Opinion vaine, mal fondée en fait de religion. Fausse confiance en de certaines paroles, et en de certaines ceremonies, auxquelles s’attachent les personnes foibles et simples ». Trois traditions principales semblaient alors cohabiter, voire parfois s’affronter, dans les dictionnaires de la fin du xviie siècle, qui, tout en cherchant à donner au mot superstition un sens précis, n’en contribuaient pas moins à répandre une certaine confusion. La première tradition, que nous appellerons antique, avait été instaurée par les Anciens, pour qui la crainte des dieux menait inévitablement à des abus rituels et cultuels que n’approuvait pas la religion de la Cité ; la deuxième tradition, patristique, qui prolonge la première, avait pour fonction de combattre le paganisme ; la troisième, plus tardive, se développa quand le christianisme fut forcé de réagir à la ténacité des croyances d’origine populaire, contre lesquelles il dut évidemment lutter, ces dernières n’ayant cessé, au cours des siècles, de colporter des influences païennes. Peu importe, en définitive, sur quelle tradition s’appuient les définitions que donnent du mot superstition les dictionnaires de la fin du xviie siècle ou l’idée qu’obligent à se faire du même mot les actes législatifs de l’époque, car il n’en reste pas moins que tous ont recours, de façon plus ou moins explicite, à l’image d’un « corps » qui se laisse envahir par le mal. Dans l’édit de 1682 [28], ce « corps » se métamorphose sous la plume du roi en deux groupes sociaux distincts. Le premier est composé des « imposteurs » (devins, magiciens, enchanteurs et sorciers) dont la particularité tient au fait qu’ils arrivent, tels des envahisseurs [29], pour « infecter » le corps le plus faible du royaume, celui que compose le groupe social formé des « personnes ignorantes ou crédules ». Le premier groupe, déjà atteint par le mal, corrompt le deuxième, que la faiblesse a rendu vulnérable. Or, en dépit du fait qu’entre ces deux groupes s’installe un rapport inégal de force, aux yeux du roi, tous deux sont coupables du même crime. Un seul combat aura donc lieu, qui a pour but d’éradiquer l’« infection » et d’arrêter « les progrès de ces détestables abominations ». C’est dire à quel point la superstition est porteuse d’un pouvoir pernicieux. Plutarque, que Furetière citera dans son Dictionnaire à propos du mot superstition, avait, dans le quatorzième chapitre de son traité De la superstition, mis en garde le superstitieux contre les conséquences désastreuses auxquelles le conduisait inévitablement sa « maladie » :
Mais il n’est pas de maladie sujette à autant d’erreurs, autant de passions, où se mêlent autant d’opinions qui s’opposent ou plutôt se combattent, que la maladie de la superstition. Il faut donc la fuir d’une manière à la fois sûre et utile, et non comme ceux, fuyant aveuglément et sans réfléchir une incursion de brigands ou de bêtes fauves ou encore le feu, se jettent dans des lieux impraticables, pleins de gouffres et de précipices. C’est ainsi en effet que certaines gens, pour fuir la superstition, se jettent dans le terrain abrupt et dur de l’athéisme, franchissant d’un bond le juste milieu que constitue la piété [30].
Il n’est d’ailleurs pas impossible de considérer que si, dans la pensée rationaliste de la fin du xviie siècle, les opinions à propos de la nature et du destin de l’athée ou du superstitieux se sont rencontrées, c’est précisément dans la mesure où les auteurs se sont heurtés aux mêmes dilemmes que ceux auxquels Plutarque exposait son lectorat en tirant, du treizième et du quatorzième chapitre de son petit traité, des conclusions contradictoires [31]. Meslier, par exemple, dans sa Troisième preuve, tout en généralisant la portée historique des paroles du moraliste grec, lui donne raison d’avoir douté que les dieux fussent nécessaires à l’homme :
Plutarque avoit bien raison de dire qu’il auroit mieux valû que les hommes n’eussent jamais eu aucune connoissance des dieux, que de faire tant de folies, et tant de mechancetés qu’ils en font sous prétexte de les honorer et de les servir […].
OC, t. I, p. 229
On remarquera évidemment le contresens que commet Meslier : les Gaulois et les Scythes de Plutarque figurent, sous la plume de Meslier, l’humanité tout entière.
Après avoir donné un cadre politique explicite à la notion de superstition, l’édit de 1682 n’ira pourtant pas au-delà de l’idée selon laquelle la superstition est un danger, parce qu’elle a le pouvoir d’« infecter » et de « corrompre l’esprit des peuples ». Or, pour Meslier, la superstition est menaçante, parce qu’elle est la cause d’une mauvaise « organisation » de la polis et qu’elle empêche les hommes de reconnaître en l’athéisme un « remède » contre ce désordre. D’une manière ou d’une autre, on pourrait dire que l’époque se prêtait à un élargissement du sens du mot superstition.
Superstition et religion
Il nous reste encore à déterminer de quelle manière, parallèlement à ce que nous avons dit plus haut, Meslier en est arrivé à confondre superstition et religion, faisant ainsi progresser, au début du xviiie siècle, des idées qui, pendant le siècle précédent, avaient entraîné la pensée rationaliste dans une lutte dont les prémices remontaient à saint Augustin, et dans un contexte où La Cité de Dieu traitait de la notion de superstition chez les auteurs païens (livres I à X). Sans vouloir minimiser l’impact qu’a eu, sous l’Ancien Régime, une connaissance directe des auteurs de l’Antiquité (Cicéron, Lucrèce, Plutarque et Sénèque, pour ne nommer que ceux-là), il importe surtout de comprendre que leurs oeuvres, parce qu’elles auront, pour l’essentiel, nourri l’arsenal argumentatif élaboré par les Pères de l’Église pour lutter contre l’influence qu’exerçait le paganisme sur les rites et les cultes chrétiens, demeuraient surtout des ouvrages de référence. Si les auteurs de l’Antiquité luttaient contre la superstition en s’opposant à des pratiques cultuelles qui trahissaient une crainte excessive des dieux, saint Augustin, en revanche, détournera plutôt la rhétorique des premiers combattants au profit des chrétiens, les arguments des Anciens contribuant, paradoxalement, à saper leurs propres croyances, leurs valeurs spirituelles de même que leurs rites religieux. Meslier procède de même avec Plutarque, dont il déforme les paroles, auxquelles du reste il substitue des idées qui en modifient la portée initiale. Il adoptera une démarche identique lorsqu’il sera aux prises avec les démonstrations d’Augustin, lesquelles le conduiront presque naturellement à confondre religion et superstition, cette idée constituant la pierre angulaire, nous le répétons, de son athéisme.
Meslier connaissait assurément La Cité de Dieu [32]. Outre le fait qu’il en aura lu quelques passages dans les Essais de Montaigne ou dans La recherche de la vérité de Malebranche, on peut aisément supposer qu’il connaissait cet ouvrage de première main, pour l’avoir lu, consulté et étudié pendant les années qu’il passa au séminaire de Reims. À deux reprises dans son Mémoire (OC, t. I, p. 475 et OC, t. II, p. 277), pour souligner l’impossible alliance entre l’opinion qui admet que le Dieu des chrétiens est immuable et celle qui veut que l’homme puisse exciter sa colère, il cite un même passage de La Cité de Dieu (livre ix, chapitre v), passage dans lequel Augustin attribue aux anges le pouvoir d’agir selon la seule volonté du créateur, c’est-à-dire sans émotion [33]. Or, en se rangeant à l’opinion de Cicéron, le même chapitre de La Cité de Dieu s’employait à contredire l’idée stoïcienne suivant laquelle la compassion est un défaut :
Je sais bien que les stoïciens font de la compassion une faute, mais combien plus estimable aurait été notre stoïcien s’il se fût ému de pitié à l’égard de quelque passager à sauver, plutôt que de terreur devant un éventuel naufrage ! À quel point est meilleure, plus humaine, mieux accordée aux sentiments d’une âme pieuse, la louange qu’adressa Cicéron à César : « De tes vertus, aucune n’est plus admirable et mieux venue que ta miséricorde » […]. Cicéron, orateur s’il en est, n’a pas hésité à appeler vertu cela même que les stoïciens n’ont pas été gênés d’inclure dans le catalogue des vices [34] !
Au chapitre xxx du Livre iv de La Cité de Dieu, pourtant, saint Augustin traçait de Cicéron une image toute différente, le reléguant dans une position peu enviable, fournissant alors à Meslier l’argument qui lui permettrait de faire sienne une démarche fondée avant tout sur un manque de logique argumentative :
Cicéron augure se moque des augures et se moque des hommes qui règlent leurs desseins et leur vie sur les cris d’un corbeau et d’une corneille. Mais cet académicien, qui prétend que tout est incertain, n’est digne d’aucune autorité sur ces questions. Chez lui, au second Livre de son traité De la nature des dieux, Quintus Lucius Balbus mène le débat. Tout en reprenant à son compte des superstitions tirées de la nature des choses physiques ou philosophiques, il s’indigne de ces termes contre l’institution des idoles et les opinions fabuleuses : « Ne voyez-vous donc pas que, partant des réalités naturelles créées pour notre bien et notre utilité, la raison a été entraînée vers des dieux imaginaires et fictifs ? […] ». […] Tels sont les aveux des défenseurs des dieux païens. Cicéron dit que tout cela est du domaine de la superstition. Puis il déclare qu’est du domaine de la religion ce qu’il enseigne, semble-t-il, selon les stoïciens : « Car ce ne sont pas seulement les philosophes, mais nos ancêtres qui ont distingué la religion de la superstition […] ». Qui ne s’aperçoit de tous ses efforts, dans la crainte d’offenser le préjugé public, pour louer la religion des ancêtres, et de sa volonté pour la séparer de la superstition, sans trouver le moyen d’y parvenir [35] ?
Comprend-on assez ce que Meslier a pu tirer des passages précédents qui, parce qu’ils prétendaient donner au lecteur d’irréfutables preuves du non-sens de la pratique religieuse antique, lui offraient à la fois une contre-argumentation solide et une bonne raison de vouloir élargir à la notion de religion le mot « superstition » ? Meslier est un habitué de la glose. Il ne lui en fallait pas plus pour associer définitivement religion et superstition. D’autant plus que saint Augustin, d’un livre à l’autre de La Cité de Dieu, ne cesse tantôt de louer Cicéron pour ses remarques lumineuses, tantôt de le condamner pour sa lâcheté. Meslier perçoit bien qu’il s’agit là d’un jeu rhétorique capable de faire surgir la « vérité » d’un échafaudage d’arguments contradictoires en apparence. Ce que Meslier apprend, à la lecture des oeuvres de saint Augustin, c’est une manière de passer d’un état complexe, un état « embrassé et contenu » dans le sens étymologique du terme [36], à un état simple, c’est-à-dire un état libéré de ses contraintes artificielles. Tandis que le but d’Augustin est de libérer Dieu de sa prison « païenne », l’objectif de Meslier est de réduire le concept de religion à celui de superstition, son expression la plus simple et la plus humaine, parce que la plus « politique ». Curieusement, c’est Augustin qui lui en donnera les moyens. Nous sommes d’avis que l’« athéisme absolu » de Meslier est né, simplement, grâce à l’effort rhétorique d’un Père de l’Église qui tente, non en vain, et tout habitué qu’il est à la dispute, de relever, à même le discours des païens, les non-sens de leurs superstitions.
C’est le principe de toute involution, justement, que de permettre à un état complexe de passer à un état simple. Rien n’est évolutif dans la démarche intellectuelle adoptée par Meslier, qui constamment, pour donner de la vigueur à ses démonstrations, réduit pour ainsi dire à leur plus simple expression la pensée de ceux qu’il cite, de même qu’il se joue, de manière à les simplifier, des différents concepts que le lexique engrange inévitablement avec le temps. La lutte contre la superstition, par exemple, au contraire de ce qu’elle avait toujours été en France avant Meslier, c’est-à-dire évolutive, donc susceptible de se modifier au gré de l’idée qu’on pouvait se faire de la manifestation du divin à une époque donnée ou à un moment précis de la pensée philosophique et religieuse, s’annonce involutive avec le Mémoire. Ce qui déroute, à la lecture de ce texte, ce ne sont pas les conclusions auxquelles Meslier parvient, lesquelles, si on exclut bien sûr les problèmes d’ordre idéologique qu’elles soulèvent, sont toujours tout ce qu’il y a de plus homogène, mais bien davantage la nature complexe que prend sa rhétorique pour parvenir à ce degré de dépouillement [37]. En effet, le Mémoire, qui reste avant tout une oeuvre de persuasion, n’est pas échafaudé sur les bases d’une seule technique. Certes, Meslier connaît bien ce qu’à son époque, péjorativement, on nommait la « rhétorique de Collège », mais les formes de raisonnements auxquelles celle-ci aboutit, parce qu’elles mobilisent le vraisemblable aux dépens de la « vérité objective », ne lui suffisent pas. Il puisera, par conséquent, chez les cartésiens des formes et des méthodes qui l’initieront à la connaissance logique, de même qu’il empruntera à l’art de la controverse des techniques qui, bien que douteuses puisque, traditionnellement, elles n’ont cure d’atteindre une « vérité objective », ne lui permettront pas moins d’en arriver à ses fins. Cette complexité de la forme argumentative, complexité qui se donne à lire tout au long du Mémoire et qui, en dernière instance, force l’admiration tellement elle donne l’impression d’être l’aboutissement d’une sorte de virtuosité en matière de persuasion, a pour contrepartie une sorte de vice rhétorique à l’intérieur duquel il semblerait que seul un discours idéologique accompagné de ses contradictions peut croître. Cela explique peut-être que le modèle rhétorique établi par Meslier s’accompagne d’une forme d’expressivité qui agit sur le lecteur de manière à lui cacher l’essentiel de la réflexion qui, dans le domaine particulier du politique, se donne à lire dans le Mémoire. C’est pourquoi, sans doute, la violence verbale de cette oeuvre, qu’on a maintes fois soulignée sans vraiment essayer de la commenter d’une manière qui eût permis de l’intégrer à la forme que prend le discours qui la soutient, a toujours été d’emblée associée, comme accessoirement, à un rejet de l’ordre social, rejet qui, selon nous, n’est pas l’assise de l’athéisme de Meslier, mais plutôt une de ses conséquences. La violence du curé champenois, tout autant d’ailleurs que son « interprétation » de la superstition, a peut-être dérangé les lecteurs du la fin du xviiie siècle, parce que la première exprimait d’une certaine manière (cela reste encore à voir) le contrecoup de la deuxième.
Parties annexes
Notice biobibliographique
Geneviève Langlois
Geneviève Langlois est candidate au doctorat à l’Université McGill, sous la direction de Frédéric Charbonneau. Sa thèse, intitulée Secret et combat dans le Mémoire de Jean Meslier, explore les techniques de persuasion qui sont à l’oeuvre dans le réquisitoire en faveur de l’athéisme du curé Jean Meslier (1664-1730).
Notes
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[1]
Lucrèce, De la nature, texte établi et traduit par Alfred Ernout, Paris, Les Belles Lettres, 2002, t. I, p. 3.
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[2]
Spinoza, L’éthique, Paris, Gallimard, 1954, p. 104.
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[3]
À ce propos, voir l’appendice à la première partie de L’éthique, ouvr. cité, p. 104-112.
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[4]
Lucrèce, De la nature, ouvr. cité, p. 2.
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[5]
Spinoza, L’éthique, ouvr. cité, p. 89 et 107.
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[6]
Jean Meslier, Oeuvres complètes, Paris, Anthropos, 1971, t. II, p. 153. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle OC, suivi de la tomaison et de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte.
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[7]
Comme Jean Deprun et Roland Desné l’ont bien montré dans le troisième tome de l’édition critique de l’oeuvre du curé Meslier, ce dernier aurait essentiellement tiré ces citations de Lucrèce des Essais de Montaigne. Voir OC, t. III, p. 48-52.
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[8]
Dans un passage de L’éthique, ouvrage que Meslier ne cite jamais et ne connut pas de première main, Spinoza avait également compris le problème que posaient à la raison les imperfections de la nature : « Si toutes choses ont suivi de la nécessité de la nature souverainement parfaite de Dieu, d’où viennent donc tant d’imperfections dans la Nature, à savoir : la corruption des choses jusqu’à la fétidité, leur laideur jusqu’à donner la nausée, la confusion, le mal, la faute, etc. ? » (Spinoza, L’éthique, ouvr. cité, p. 111). Loin de faire de la « corruption » un principe constitutif de la nature, Spinoza l’explique par un défaut inhérent à la perception sensorielle et à l’imagination humaine, qui mettent l’ordre au service de la perfection divine et font de la confusion un écart par rapport à cet ordre : « Donc, tout ce qui contribue à la santé et au culte de Dieu, les hommes l’ont appelé Bien ; ce qui leur est contraire, ils l’ont appelé Mal. Et comme ceux qui ne comprennent pas la nature des choses sont incapables de rien affirmer sur elles, mais les imaginent seulement et prennent l’imagination pour l’entendement, ils croient donc fermement qu’il y a de l’ordre dans les choses, ignorants qu’ils sont et de la nature des choses et de la leur propre. Lorsque, en effet, les choses sont disposées de façon que la représentation par les sens nous permette de les imaginer facilement, et donc de nous les rappeler facilement, nous disons qu’elles sont bien ordonnées. Dans le cas contraire, nous disons qu’elles sont mal ordonnées ou confuses. Et comme les choses que nous pouvons imaginer facilement nous sont plus agréables que les autres, les hommes préfèrent donc l’ordre à la confusion, comme si, en dehors de l’imagination, l’ordre était quelque chose dans la Nature » (Spinoza, L’éthique, ouvr. cité, p. 109).
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[9]
Cette position semble annoncer celle de Sade qui, en 1797, fera dire à Dolmancé, exaspéré par les scrupules du Chevalier, que « […] c’est de la nature que les roués tiennent les principes qu’ils mettent en action. […] La nature, qui, pour le parfait maintien des lois de son équilibre, a tantôt besoin de vices et tantôt besoin de vertus, nous inspire tour à tour le mouvement qui lui est nécessaire ; nous ne faisons donc aucune espèce de mal en nous livrant à ces mouvements, de telle sorte que l’on puisse les supposer » (Donatien Alphonse François, marquis de Sade, La philosophie dans le boudoir, Paris, éditions Pauvert, 1986, t. 3, p. 555). Toutefois, outre les thèses de Meslier sur le « mal nécessaire » et inséparable de l’organisation de la nature (voir OC, t. III, p. 122 : « […] le monde est necessairement un melange de bien, et de mal, et […] il faut necessairement suivant la constitution presente de la nature, qu’il y ait du bien, et du mal, puisque l’ordre naturel des generations, et des productions qui se font successivement dans la nature ne sçauroit subsister, ni continüer, sans ce melange facheux du bien, avec le mal […] »), précisons que son Mémoire a partout tendance à conférer au mal une dimension de contingence et à souvent en imputer l’existence à la religion lorsqu’il s’agit des comportements politiques et sociaux (voir OC, t. I, p. 229 : « […] la religion apprend souvent bien des mechancetés aux hommes, et […] leur fait souvent faire des actions impies et detestables »). Meslier se défend bien, par conséquent, d’adopter une position qui, en quelque sorte, naturaliserait l’existence du mal « social ». Et l’idée selon laquelle le « mélange » du bien et du mal est « facheux », Meslier la conçoit dans les limites d’une pensée qui, sur ce point, reste fondamentalement indécise. Jean Ehrard soulignait déjà ces limites, en 1966, dans un compte rendu de la monographie que Dommanget venait de consacrer au curé Meslier (voir Jean Ehrard, « Vers le vrai Meslier », Diderot Studies, Genève, vol. 8, 1966, p. 299-300 : « Mais je verrais surtout dans les faiblesses ou les contradictions de la pensée sociale de Jean Meslier l’expression d’une sorte d’impuissance idéologique que les conditions historiques expliquent sans doute suffisamment mais dont l’analyse exigerait autant de pénétrante sympathie que celle qui a inspriré à M. Dommanget son excellente étude »).
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[10]
Entre autres passages, celui-ci est particulièrement représentatif de cette idée : « Il sembleroit au moins dans un tel cas, que la religion et la politique ne devroient point s’accommoder ensemble et qu’elles devroient pour lors se trouver reciproquement contraires, et opposées l’une à l’autre, puisqu’il semble que la douceur et que la pieté de la religion devroit comdamner les rigueurs et les injustices d’un gouvernement tyrannique ; et qu’il semble d’un autre côté, que la prudence d’une sage politique devroit condamner, et reprimer les erreurs, les abus, et les impostures d’une fausse religion » (OC, t. I, p. 18).
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[11]
L’expression est de Jean-Jacques Brochier. Dans une note de lecture qu’il publia à la suite de la parution de la monographie que Maurice Dommanget consacrait à Jean Meslier en 1965, Brochier relevait l’originalité dont Meslier avait fait preuve dans son Mémoire, en concevant un athéisme qui pût dépasser le simple rejet de la religion catholique (voir Jean-Jacques Brochier, « Maurice Dommanget : Le Curé Meslier (Lettres Nouvelles) », La Nouvelle Revue française, Paris, no 154, 1965, p. 723-725).
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[12]
Notons, à titre indicatif, qu’à la suite de Bernard Lamy, l’abbé de Bretteville insistait, dans son Éloquence de la chaire et du barreau, sur l’utilisation de la métaphore comme figure destinée à suppléer à l’indigence des langues, dont les ressources sont, d’un point de vue lexical, forcément limitées : « Il est presque impossible de ne pas se servir souvent de Metaphores dans un discours, par la raison que les Langues n’ayant pas assés de mots propres pour exprimer toutes les pensées, il faut necessairement avoir recours aux mots impropres ; et ainsi l’on fait à tout moment des Metaphores sans y penser, comme celuy qui depuis quarante ans faisoit tous les jours de la Prose sans le sçavoir » (Éloquence de la chaire et du barreau, Paris, Denys Thierry, 1689, p. 295-296).
-
[13]
Voir Académie française, Dictionnaire, 1re édition, 1694, t. 2. Ce sens propre avait été, dès 1680, attesté par le Dictionnaire de Richelet, alors qu’il faisait du participe « organisé » un « terme d’anatomie » (voir Richelet, Dictionnaire, 1680).
-
[14]
Voir Furetière, Dictionnaire, 1690 : « Désabuser v. act. Detromper quelqu’un, luy faire connoistre ses erreurs. Les peuples ont été desabusez de l’idolatrie par les predications Apostoliques ».
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[15]
L’idée de « corps politique malade » n’est pas une idée neuve. C’est un topos platonicien (République, livre IV, et Le Politique) et aristotélicien (Politique, livre III) qui a été repris, au cours des siècles, par de nombreux auteurs : pensons, entre autres, à Jean de Salisbury, Policraticus (1159) ; Marsile de Padoue, Le défenseur de la paix (1324) ; Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques (1616) ; Robert Burton, dans sa « Préface » à L’Anatomie de la mélancolie (1621) ; Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution (1856). On le retrouve notamment dans le Discours qui précède la Rhétorique françoise de René Bary, traité de rhétorique scolastique que Meslier connaissait certainement, pour l’avoir étudié (de nombreux passages du Mémoire en font foi) pendant ses années passées au séminaire de Reims : « Veritablement l’art de bien dire, et la souveraine éloquence dont je parle, est la plus importante piece de la Politique ; puis que c’est elle qui enseigne à persuader les esprits, et à flechir les volontez dans les cabinets des Princes, dans les compagnies Souveraines, dans les Temples, et dans les armées. Quand les esprits des peuples sont dereglez, et que les maladies de l’ame agitent les estats, cette éloquence a souvent rendu la santé aux Provinces malades, et aux Republiques mourantes. L’on sçait que Demosthène et Ciceron furent autrefois les souverains Medecins d’Athenes et de Rome ; L’on sçait qu’ils donnerent l’ame et la vie à ces corps Politiques, qui pouvoient s’estendre jusqu’aux deux Poles du monde […] » (Antoine Legrand, Discours sur la Rhétorique françoise à Monsieur de Bary. Ce discours se trouve dans La rhétorique françoise de René Bary, Paris, Pierre Le Petit, 1665. Le Discours n’est pas paginé).
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[16]
Voir Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française, Paris, Armand Colin, 1967, t. IX, p. 723 : « “Réorganisation” a été longtemps considéré par les meilleurs recueils comme un mot du xixe siècle. […] Il est très commun à l’époque révolutionnaire, ainsi que “réorganiser” ». Brunot insère une note infrapaginale (n. 7) pour indiquer la référence exacte : « Une prompte “réorganisation” (Mme Roland, Let., t. II, 420, 1791) ; considérant aussi qu’une “réorganisation” constitutionnelle des établissements… Arrêté du Directoire, 17 nov. 1798, établissement de bureaux de poids publics, Bull. Hist. Écon. Révol., 1912, t. I, p. 307.) »
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[17]
Il faut dire que le mot « organisation » avait aussi connu un destin semblable. En 1798, dans sa cinquième édition, le Dictionnaire de l’Académie française donnait du mot « organisation » la définition suivante : « La manière dont un corps est organisé. L’organisation du corps humain. L’organisation des plantes. On dit figurément, L’organisation du corps politique, pour signifier la constitution d’un État ». Le dernier exemple, celui qui donne au mot « organisation » une acception figurée, ne se trouve pas dans l’édition précédente (1762), qui avait pour la première fois accordé une entrée à ce mot.
-
[18]
Voir supra, n. 9
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[19]
Sur les points communs et les différences, qui tantôt font converger et tantôt séparent l’athéisme mesliériste des positions de Bayle, Spinoza ou Malebranche, on consultera avec profit les études suivantes : Gianluca Mori, « Jean Meslier, Stratonicien redivivus », Materia actuosa (Antiquité, Âge Classique, Lumières), Paris, Honoré Champion, 2000, p. 381-407 ; Pierre Rétat, « Meslier et Bayle : un dialogue cartésien et occasionnaliste autour de l’athéisme », Le curé Meslier et la vie intellectuelle religieuse et sociale (fin xviie siècle-début xviiie siècle), actes du colloque international de Reims, 17-19 oct. 1974, Reims, Bibliothèque de l’Université de Reims, 1980, t. II, p. 497-516 ; Marian Skrzypek, « L’athéisme de Meslier et l’athéisme marxiste », Le curé Meslier et la vie intellectuelle, ouvr. cité, p. 517-537. On lira aussi Roland Mortier, « L’athéisme en France au xviiie siècle : progrès et résistances », Le coeur et la raison. Recueil d’études sur le dix-huitième siècle, Oxford, Voltaire Foundation et Éditions de l’Université de Bruxelles/Universitas, 1990, p. 364-382.
-
[20]
Avec le Mémoire, la lutte contre la superstition n’est en aucun cas motivée par le rétablissement, en matière de religion, d’une quelconque pureté dogmatique, rituelle ou cultuelle, ou encore par la volonté d’épurer la religion établie des croyances populaires et de leurs origines païennes. Cette forme de lutte renvoie, à l’époque de Meslier, à de multiples traditions qui, toutes, s’inséraient dans un discours théiste, depuis Thiers jusqu’à Bordelon dans le domaine littéraire. Leur représentant sans doute le plus éclairé et le plus mordant reste Claude Pithoys (1587-1676), un religieux minime converti au protestantisme en 1632, et dont Meslier a peut-être connu quelques écrits soit à Reims, où Pithoys aurait pu, croit-on, séjourner et étudier, soit à Sedan où, à partir de sa conversion, ce dernier enseignait à l’Académie. Dans un ouvrage intitulé Traitté curieux de l’Astrologie judiciaire (1641), Pithoys entreprend de combattre férocement, pour « venger la Theologie, voire la religion Chrestienne », cette forme de superstition : « C’est donc à ceste engeance des demons, à ceste furie infernale, à ce monstre d’insolence, d’impieté et de blaspheme que je declare la guerre en ce monde et en l’autre, et le veux poursuivre par mer et par terre, et par toute l’estendüe des cieux, et la presser si pres qu’il soit contraint de se relancer dans les enfers » (Claude Pithoys, « Dessein de l’auteur », reproduit par Whitmore dans A Seventeenth Century Exposure of Superstition. Select Texts of Claude Pithoys (1587-1676), introduction et notes par P.J.S. Whitmore, La Haye, Éditions Nijhoff, 1972, p. 70). Dans son introduction, Whitmore trace un parallèle entre la critique rationaliste de Pithoys et celle de Bayle, concluant que, si nous sommes plus familiarisés avec la dernière, c’est parce qu’elle est parvenue, par sa force, à occulter celle de son prédecesseur. Selon Whitmore, pourtant, ce privilège accordé à Bayle a forcément pour conséquence de faire oublier les pages les plus éclairées de Pithoys : « Although in the Horoscope roue de fortune Pithoys developed his argument theologically in a way which would have been foreign to Bayle and Fontenelle, the second version, if we may just call the Traitté curieux (1641), gives prominence to arguments which anticipate theirs, emphasising the moral and political dangers of superstition » (A Seventeenth Century Exposure, ouvr. cité, p. xvii). Notons par ailleurs que le combat contre la superstition, imaginé sous la forme d’une guerre menée contre un monstre, n’est pas un thème nouveau.
-
[21]
Voir supra n. 18, mais aussi Jean Deprun, « Meslier et l’héritage scolastique », Études sur le curé Meslier, actes du colloque international d’Aix-en-Provence, 21 novembre 1964, s.l., s.n., 1966, p. 35-51 ; J. Proust, « Meslier prophète », Études sur le curé Meslier, ouvr. cité, p. 107-121 ; Jean Deprun, « Jean Meslier et l’héritage cartésien », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, Oxford, vol. XXIV, 1963, p. 443-455.
-
[22]
Marc Angenot a bien cerné, dans ses Dialogues de sourds, le problème central que les « sciences sociales et historiques » ont contribué à créer avant le retour en force de la rhétorique, retour dont il rappelle qu’il s’est effectué dans la deuxième moitié du xxe siècle : « elles [les sciences sociales et historiques] passaient à travers l’“archive”, à travers la matérialité du discours sans la voir. Elles ne consentaient à identifier que des choses désincarnées qu’elles appelaient, selon les cas, des “idées”, des “pensées”, et pour les peuples et les masses, des “mentalités”, des “représentations”, des “attitudes” — tous ces concepts irrémédiablement flous des historiens de naguère ! — sans jamais déchiffrer des mots, des phrases, des manières de dire, d’organiser du discours et de communiquer, ou plutôt en passant à travers eux comme si, en effet, ils étaient transparents, sans problème et univoques » (Marc Angenot, Dialoques de sourds. Traité de rhétorique antilogique, Paris, Mille et une nuits, coll. « Essai », 2008, p. 98).
-
[23]
Voir le Recueil général des lois françaises, depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789, Paris, Belin-Leprieur, 1829, t. 19, p. 396-397 : « L’exécution des ordonnances des rois nos prédecesseurs contre ceux qui se disent devins, magiciens et enchanteurs ayant été négligée depuis long-temps, et ce relâchement ayant attiré des pays étrangers dans le royaume plusieurs de ces imposteurs, il seroit arrivé que, sous prétextes d’horoscope et de devination, et par le moyen des prestiges des opérations des prétendues magies et autres illusions semblables, dont cette sorte de gens ont accoutumé de se servir, ils auroient surpris diverses personnes ignorantes ou crédules qui s’étoient insensiblement engagées avec eux, en passant des vaines curiosités aux superstitions, et des superstitions aux impiétés et aux sacrilèges ; et par une funeste suite d’engagements, ceux qui se sont le plus abandonnés à la conduite de ces séducteurs, se seroient portés à cette extrémité criminelle d’ajouter le maléfice et le poison aux impiétés et aux sacrilèges, pour obtenir l’effet des promesses desdits séducteurs, et pour l’accomplissement de leurs méchantes prédictions. Ces pratiques étant venues à notre connoissance, nous aurions employé tous les soins possibles pour faire cesser, et pour arrêter, par des moyens convenables, les progrès de ces détestables abominations : et bien qu’après la punition qui a été faite des principaux auteurs et complices de ces crimes, nous dussions espérer que ces sortes de gens seroient pour toujours bannis de nos états, et nos sujets garantis de leur surprise ; néanmoins comme l’expérience du passé nous a fait connoître combien il est dangereux de souffrir les moindres abus qui portent aux crimes de cette qualité, et combien il est difficile de les déraciner lorsque par la dissimulation, ou par le nombre de coupables, ils sont devenus crimes publics ; ne voulant d’ailleurs rien omettre de ce qui peut être de la plus grande gloire de Dieu, et de la sûreté de nos sujets ; nous avons jugé nécessaire de renouveler les anciennes ordonnances, et de prendre encore, en y ajoutant de nouvelles précautions, tant à l’égard de tous ceux qui usent de maléfices et de poisons, que de ceux qui, sous la vaine profession de devins, magiciens, sorciers, et autres noms semblables, condamnés par les lois divines et humaines, infectent et corrompent l’esprit des peuples par leurs discours et leurs pratiques […]. »
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[24]
Voir supra n. 23.
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[25]
Pareille alliance de mots fait référence, on l’aura compris, au tableau que nous avons précédemment esquissé à propos du mot « organisé », lequel, dans les dictionnaires de la fin du xviie siècle, renvoie au « corps vivant ».
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[26]
Voir Recueil général, ouvr. cité, p. 398.
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[27]
Furetière, article « Superstition », Dictionnaire, 1690 : « Devotion, ou crainte de Dieu mal ordonnée. La superstition Payenne portoit à adorer les faux Dieux, les idoles. Le Peuple, quoy que Chrêtien, se laisse aller à plusieurs petites superstitions et ceremonies que les Prelats s’efforcent de retrancher. C’étoit une grande superstition d’observer le vol des oiseaux, les entrailles des victimes ; et maintenant, de craindre qu’un verre qui se casse, ou une saliere qui se renverse, ne soient causes de quelque malheur. Plutarque a voulu monstrer que la superstition etoit pire que l’atheisme. Mr Thiers Curé de Champrond, a fait un Traitté curieux des superstitions populaires ».
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[28]
Voir supra n. 23.
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[29]
Des corps « étrangers », oserions-nous prétendre, à suivre à la lettre la teneur de l’édit. Voir supra, n. 23 : « […] et ce relâchement ayant attiré des pays étrangers dans le royaume plusieurs de ces imposteurs […] » (nous soulignons).
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[30]
Plutarque, De la superstition, dans Oeuvres Morales, texte établi par Jean Defradas, Jean Hani et Robert Klaerr, Paris, Les Belles Lettres, 1985, t. II, p. 267. Voltaire ne fait dire rien de moins à Freind, en 1775, dans son Histoire de Jenni : « […] l’athée est un monstre qui ne dévorera que pour apaiser sa faim ; le superstitieux est un autre monstre qui déchirera les hommes par devoir. J’ai toujours remarqué qu’on peut guérir un athée, mais on ne guérit jamais un superstitieux radicalement […]. Oui, mes amis, l’athéisme et le fanatisme sont les deux pôles d’un univers de confusion et d’horreur. La petite zone de la vertu est entre ces deux pôles ; croyez un Dieu bon, et soyez bons » (Histoire de Jenni, dans Romans et contes, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p. 665-666).
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[31]
Nous avons reproduit plus haut, dans le corps du texte, la presque totalité du quatorzième chapitre du Traité de la superstition de Plutarque ; voici le début du treizième dans lequel Plutarque questionne le bien-fondé de certaines croyances et va jusqu’à leur préférer l’athéisme : « N’aurait-il donc pas mieux valu pour les Gaulois de jadis et les Scythes n’avoir absolument aucune notion des dieux, aucune imagination, aucune tradition à leur sujet, que de penser qu’il existe des dieux qui se réjouissent du sang d’hommes égorgés et pensent que c’est là la perfection dans le rite et le sacrifice ? […] » (Plutarque, Traité de la superstition, ouvr. cité, p. 266).
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[32]
À propos des références que fait Meslier aux ouvrages de saint Augustin, voir Roland Desné, « Les lectures du curé Meslier », Travaux de linguistique et de littérature, Strasbourg, t. 13, no 2, 1975, p. 616 : « Si le nombre total des simples références [aux Pères de l’Église] est élevé (95), surtout lorsqu’on le compare à celui des auteurs laïcs (17), les citations sont relativement rares […]. C’est-à-dire qu’à eux tous les Pères ne fournissent pas en nombre comme en étendue, la moitié des citations que Meslier prend chez le seul Montaigne. Parmi eux, le plus souvent et le plus longuement cité est saint Augustin […]. Il est sûr que Meslier a utilisé la traduction de Cériziers pour les Confessions et probablement une édition latine de la Cité de Dieu. »
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[33]
Voir Augustin, La Cité de Dieu, édition publiée sous la direction de Lucien Jerphagnon, Paris, Gallimard, 2000, p. 346 : « C’est sans compassion pour leurs peines qu’ils [les saints anges] assistent les affligés ; c’est sans peur qu’ils portent secours à ceux qu’ils aiment et qu’ils voient exposés. Pourtant, dans la conversation courante, même en parlant d’eux nous usons du vocabulaire des passions, en raison d’une certaine analogie dans les actions, et non à cause de ce qu’il y a d’infirme dans les affections. Pareillement, dans l’Écriture, il est dit de Dieu lui-même qu’il se met en colère, alors qu’il n’est sous la mouvance d’aucune passion. Le mot désigne alors l’effet de la vengeance, non le désordre de la passion ».
-
[34]
Augustin, La Cité de Dieu, ouvr. cité, p. 345-346. Meslier ne manquera pas, dans sa Cinquième preuve, d’élargir la portée de cette opinion : « les philosophes, et particulierement les stoïciens, estiment qu’il est indigne de toute personne sage de se laisser aller aux mouvemens d’aucune passion, à plus forte raison jugeroient ils, qu’il seroit indigne d’un Etre infiniment parfait de s’y laisser aller (OC, t. I, p. 476 ; nous soulignons). L’auteur du Mémoire, on le voit, s’adosse à la philosophie stoïcienne pour les besoins immédiats de sa démonstration sur l’absurdité de l’idée selon laquelle il est possible d’exciter la colère d’un Dieu immuable.
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[35]
Augustin, La Cité de Dieu, ouvr. cité, p. 167-168.
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[36]
Complexe vient du latin complexus qui, pris dans son sens propre, signifie l’action d’embrasser, d’étreindre, tandis qu’au figuré, le terme signifie un lien affectif ou une liaison, un enchaînement.
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N’est-il pas significatif et paradoxal que le terme d’involution appartienne également au domaine spécifique de la rhétorique, dans lequel, selon Littré, il signifie « style embarrassé, entortillé » ?